Les historiens ne peuvent demeurer insensibles à la place qu’occupent les médias dans la diffusion de l’histoire, ni au rôle qu’ils peuvent y jouer. On me pardonnera ici de parler à la première personne, mais je voudrais livrer un témoignage de ma participation depuis les débuts de ma carrière universitaire au domaine de la vulgarisation. La formation d’un historien professionnel est tout entière axée sur la recherche et l’enseignement. On lui apprend à utiliser toutes les ressources de la méthodologie et de l’historiographie pour construire sa problématique et son objet de recherche, à dépouiller les sources de façon exhaustive, à faire oeuvre d’érudition. Dans le milieu des histo-riens, les entreprises de vulgarisation à destination du grand public sont souvent dévaluées, considérées comme des activités de second niveau. D’une part, elles lui prennent un temps précieux et, d’autre part, elles risquent de l’entraîner dans des controverses. Pourtant, le domaine de la vulgarisation est central, car c’est bien souvent à travers de telles entre-prises que le récit historique traditionnel peut être remis en question. De plus, la mémoire collective se constitue aussi par les oeuvres de vulgarisation. Tout le débat nécessaire, mais souvent escamoté, entre mémoire et histoire, est polarisé par le clivage entre les deux et la distinction reste malaisée. La mémoire est le résultat d’un processus de construction sociale auquel participent un grand nombre de personnes, provenant d’horizons intellectuels différents, et qui mêle témoignages, souvenirs et analyses rétrospectives, tandis que l’histoire, construction elle aussi, relève d’une pratique spécifique qui suppose une certaine distanciation et amène obligatoirement des conflits avec la mémoire. De fait, le rôle de l’histoire est de critiquer la mémoire, de l’interpeller. Comme l’écrit Pierre Nora : L’historien est toujours devant un dilemme : se fera-t-il le grand prêtre de la mémoire ou son critique ? La place de l’histoire est donc malaisée. De plus, depuis une vingtaine d’années dans les sociétés occidentales, la mémoire a tendance à dominer la vie collective et l’histoire devient un peu l’empêcheur de « mémorialiser en rond ». S’ajoute aussi la difficulté de faire passer un discours critique à la télévision qui se prête beaucoup mieux à la narration mémorielle qu’à l’analyse historique. Je me suis intéressé à la vulgarisation très tôt dans ma carrière, alors que mon directeur de thèse me demanda si je voulais écrire pour sa collection, une petite synthèse d’histoire du Québec, pour expliquer au public français la revendication à l’indépendance. Ma première réaction fut de refuser. Mais c’était l’époque où Léandre Bergeron venait de publier son petit manuel et je ne décolérais pas à l’endroit de ceux que j’accusais d’écrire sur l’histoire du Québec sans la connaître. Mon épouse, Claire McNicoll (1943-2002), m’a convaincu de relever ce défi, en soulignant la contradiction entre cette attitude et le refus de participer au débat. C’est ainsi qu’est né Du Canada français au Québec libre. Cette expérience a été déterminante et j’y ai appris deux éléments essen-tiels du métier : la difficulté de faire des choix et la place centrale de l’historien dans la construction du récit, tout analytique et critique fût-il. J’ai de plus été convaincu de l’importance de faire des synthèses et de ne pas me cantonner aux monographies. Une synthèse permet de faire le point, de « sortir la tête hors de l’eau » pour voir si l’on va toujours dans la bonne direction. Enfin, j’en ai retenu l’importance pour un historien professionnel de collaborer à des entreprises de vulgarisation pour mieux diffuser la connaissance historique. J’estime qu’il s’agit d’une dimension essentielle de sa responsabilité de citoyen. J’ai participé à trois expériences avec les médias électroniques, …
L’historien et les médias[Record]
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Jean-Claude Robert
Département d’histoire
Université du Québec à Montréal