Par sécularisation, il faut entendre la perte de pertinence sociale du religieux dans la société moderne, à savoir les aspects culturels et psychosociaux du « désenchantement du monde ». La laïcisation est un processus différent. Elle concerne « l’aménagement politique, puis la traduction juridique, de la place de la religion dans la société civile et dans les institutions publiques » (p. 34). Oeuvre du politique, ce processus ne se réduit pas à la victoire de l’Étatdans sa lutte de pouvoir contre l’Église, mais implique au premier chef leur « autonomisation réciproque » et la reconnaissance du droit à la liberté de conscience. L’État laïque est « neutre à l’égard des différentes conceptions de la vie bonne » : « il ne peut favoriser ni gêner aucune religion » (p. 35). En France, le principe de laïcité a été érigé en doctrine explicite, qui a toutefois suscité d’âpres conflits historiques contre l’Église — aujourd’hui contre les sectes dangereuses et contre la « dérive communautariste », symbolisée par le port du voile islamique. Car la laïcité forte à la française entend aussi préserver la liberté de penser contre les empiètements de la liberté de conscience. Dans le sillage des travaux de Jean Baubérot, qui signe la préface, Micheline Milot soutient ici que les rapports Église-État au Québec se sont fondés sur une « neutralité tacite » et que le processus de laïcisation s’est amorcé dès la Conquête. Elle entend ainsi relativiser les représentations convenues sur l’ancienne société canadienne-française, « qualifiée de confessionnelle, de cléricale, de théocratique » (p. 15). Ce qui situe son travail dans le paradigme de la « modernité radicale », à cette variante près que cette société depuis toujours « américaine » est présentée ici comme plus « française » qu’on ne croyait. Entre deux chapitres théoriques sur la laïcité, au titre d’« impensé de l’histoire de la société québécoise » et comme problème d’« aménagement du pluralisme », Milot nous offre une relecture de l’histoire politique du Québec, pour les périodes 1760-1840 et 1840-1960, sous l’angle des rapports Église-État. Quant à la période contemporaine, elle fait surtout l’objet d’une analyse juridique des droits de la personne, l’ensemble étant centré sur la question scolaire. Basés sur quelques classiques, les deux chapitres proprement historiques n’apportent guère de nouveau. Pour la période pré 1960, l’étude passe sous silence les conflits sur la non-confessionnalité des coopératives et des syndicats, qui se sont soldés par le triomphe du père Lévesque et le limogeage de Mgr Charbonneau. Admettons qu’il n’y avait pas lieu de s’y attarder, vu qu’il s’agit d’institutions civiques et non proprement « publiques » ; il aurait tout de même fallu les situer en fond de scène. Il aurait aussi fallu traiter de la laïcisation des services d’assistance et de santé, amorcée en 1921. Et prendre la peine de discuter les thèses que contredit implicitement l’ouvrage. Dans sa Genèse de la société québécoise, par exemple, Fernand Dumont endossait Marcel Trudel à propos de « la “servitude” de l’Église sous le Régime anglais » ; Milot parle plutôt de « différenciation des pouvoirs, avec des alliances objectives » (p. 67). « Par son insertion dans les structures du pouvoir civil, l’Église québécoise est aussi une puissance politique », posait Jean Hamelin pour le début du xxe siècle ; Milot la relègue au statut de « groupe de pression bien organisé » (p. 110). Faute d’expertise assurée sur le xixe siècle, je ne peux que la soupçonner d’anachronisme semblable lorsqu’elle impute aux libéraux ou « laïques francophones » le souci d’« égalité des chances » (p. 64) et de …
MILOT, Micheline, Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec (Turnhout, Brepols Publishers, coll. « Bibliothèque de L’École des hautes études, Section des sciences religieuses », no 115, 2002), 177 p.[Record]
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Nicole Gagnon
Département de sociologie
Université Laval