Issu d’une thèse de doctorat soutenue en 1997 à l’Université Laval, ce livre ambitieux dû à un jeune auteur talentueux explore la question des rites d’une manière novatrice, en les considérant comme des instruments de pouvoir. Sacrifiant aux habitudes des historiens ou à la valeur sacrée des chiffres, il divise son propos en trois parties, composées chacune de trois chapitres. La première, théorique, définit l’ordre du discours sur les rites. Il n’est pas certain qu’elle est la plus intéressante, bien qu’elle témoigne d’une admirable connaissance de l’historiographie, religieuse et anthropologique, en particulier des discussions, parfois fort ésotériques, entre grands intellectuels pourfendeurs de réalités triviales au nom de concept raffinés. Le lecteur peut ainsi se délecter de « représentations » opposées à la « beauté du mort » contenue dans la notion de culture dite « populaire » (j’ose à peine employer le terme tant il paraît pour certains relever du tabou, voire du scatologique). Fallait-il tant de pages, force références à Foucault, Bourdieu ou Lévi-Strauss, parmi les cohortes de prestigieux passeurs cités, pour déduire que l’objet d’étude est le rite, constitué par Dieu comme lien institué par Lui et confié à Sa seule Église ? Et que l’activité rituelle constitue l’unique issue s’offrant à l’être humain pécheur pour éviter le bras divin vengeur ? L’idée selon laquelle tout appareil rituel est proposé comme efficace emporte pleinement l’adhésion. D’un point de vue plus anthropologique, n’aurait-il pas été utile de tenter d’expliquer pourquoi et au nom de quoi les rites chrétiens prétendaient (et prétendent toujours) incarner une vérité supérieure aux « superstitions » des autres cultures, notamment à celles des « idolâtres baptisés » peuplant les campagnes d’Occident ou du Canada aux xviie et xviiie siècles. Il aurait pour cela fallu préciser ce qu’est le sacré, sous toutes ses formes. Sans laisser le sentiment qu’un seul discours, issu du concile de Trente, réclamant une parfaite exclusivité, proposait l’unique chemin possible sur la terre comme au ciel. L’auteur soutient avec raison que le rite se situe dans une dynamique de classement social. Marquant une hésitation au seuil de la désacralisation de son objet d’étude, il trouve le soulagement en affirmant que la culture et la religion populaire sont des faux problèmes. Voire ! C’est exact par référence à une approche chrétienne hégémonique et fermée, précisément inventée au coeur de l’ère moderne, sous la plume de l’abbé Thiers et des contempteurs des « superstitions ». Mais ceux-ci criaient-ils au loup pour se faire peur ? Ou bien avaient-ils, comme moi durant mon enfance, rencontré d’autres rites, d’autres relations au sacré ? Avant de prétendre le contraire, il faudrait pour le moins analyser la trame des sociétés concernées, ce qui n’est en rien l’objet de l’ouvrage : la partie sur le sacrilège, par exemple, ne traite du sujet que de façon théorique, en ignorant (c’est le droit de l’auteur), le « sacre » québécois et les ruptures réelles, involontaires ou non, du consensus rituel. Les deux parties suivantes me paraissent d’excellente facture, solidement étayées, passionnantes, prometteuses, sans pour autant se risquer, à de rares exceptions près, dans les profondeurs du social. La documentation est essentiellement basée sur les visites pastorales et les livres religieux. Les limites de tels documents sont connues. L’auteur en tire le maximum, avec beaucoup de brio, à propos des prêtres, des rituels comme celui de Saint-Vallier en 1703, puis du « romain tout pur » en 1851, enfin d’un beau corpus d’ouvrages religieux. Après avoir présenté ces structures de contrôle rituel, il définit les pôles de ce dernier dans la troisième partie : le temps, l’espace et le corps. …
HUBERT, Ollivier, Sur la terre comme au ciel. La gestion des rites par l’Église catholique du Québec (fin XVIIe-XIXe siècle) (Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2000), xviii-341 p.[Record]
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Robert Muchembled
École doctorale Vivant et Sociétés
Université Paris 13