Dans cet ouvrage important qui constitue l’achèvement des travaux de l’auteur sur l’histoire des Franco-Américains, Yves Roby décrit « les représentations que les [...] émigrés [...] et leurs descendants se font d’eux-mêmes » (p. 13). Pour expliquer le processus de construction identitaire, l’auteur a choisi de se concentrer sur les régions de la Nouvelle-Angleterre — où deux émigrés sur trois se dirigent — et de couvrir une période de plus de 100 ans allant de 1865 à 1976. En place centrale de cette étude, on trouve l’affirmation du fait français en sol américain ainsi que la lutte menée par les élites religieuses et intellectuelles pour en assurer la survie. Entre 1840 et 1930, les quelque 900 000 personnes qui quittent le Québec pour les États-Unis empruntent principalement les chemins menant aux villes manufacturières de la Nouvelle-Angleterre. Après 1860, la famille domine cette migration motivée par le désir de joindre les deux bouts. Dans leurs nouvelles oasis, qui comptent à certaines périodes « autant [...] de personnes parlant français que la plupart des villes moyennes du Québec » (p. 11), des institutions reproduites aux États-Unis selon l’expérience et le modèle québécois vont exercer une influence très grande sur les processus d’adaptation et de construction d’une identité collective. L’auteur rappelle toutefois que, si l’émigration a eu comme effet de réunir des individus semblables en termes de foi et de langue, l’évolution des Petits Canadas et l’adaptation à la société d’accueil a suivi la voie tracée par les idées, les actions et les contacts de personnes en rupture et en communion avec la tradition. À la fin du xixe siècle, les descendants d’émigrés qui ont choisi de s’installer à demeure « ne se perçoivent plus comme » les membres d’une « nation distincte » aux États-Unis (p. 12). Tout en demeurant fiers de l’héritage légué par leurs ancêtres canadiens-français, ils « sont devenus des Américains » (p. 12). La conversion n’est toutefois pas totale car, s’ils ont renoncé à leur identité nationale et à leur loyauté envers un autre gouvernement, ils tiennent à, et redéfinissent constamment, leur identité de Franco-Américains. Le sens qu’ils donnent à cette appellation durable varie selon les principaux intervenants. La thèse de l’auteur est claire à ce propos : « croire que seul un individu originaire du Québec, de langue française [...] et catholique, puisse être un Franco-Américain, c’est admettre que l’histoire franco-américaine puisse avoir une fin prévisible. C’est croire [que] la Franco-Américanie s’affaiblit progressivement et disparaît au rythme de l’anglicisation des générations qui se succèdent. Prétendre que les individus puissent réclamer le titre de Franco-Américain sans parler la langue française, c’est affirmer au contraire que les Franco-Américains ont non seulement un passé, mais peut-être un futur. » (p. 13) Le défi pour les élites franco-américaines n’était pas seulement de développer et de promouvoir les institutions ancestrales dans une société anglophone et protestante, mais d’y parvenir en dépit des seuils mouvants de tolérance des américanisateurs à l’égard des Autres, des décisions d’évêques tiraillés par — ou ignorant — le caractère mixte de leur communauté de fidèles, et des émigrés prenant des décisions qui reflétaient peu les inquiétudes des membres de l’élite, laïque et religieuse. Le processus de construction identitaire a opposé et lié deux groupes d’individus que Yves Roby a réunis sous les titres de « radicaux » et « modérés ». C’est à travers l’analyse critique des écrits de ces intervenants dans leurs affrontements sur la naturalisation, l’anglicisation, les actions de l’épiscopat (irlandais) et l’américanisation que Yves Roby explique la genèse et l’évolution des discours identitaires. La lutte pour la survivance rapprochera plus tard les « radicaux …
ROBY, Yves, Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre. Rêves et réalités (Sillery, Septentrion, 2000), 526 p.[Record]
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Nelson Ouellet
Département d’histoire et de géographie
Université de Moncton