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Nicole Lang et Nicolas Landry se sont donné comme but, dans cette Histoire de l’Acadie, de retracer « l’évolution de l’occupation du territoire (par les Acadiens… afin) de saisir les grands mouvements qui ont marqué l’histoire de l’Acadie durant quatre siècles ». C’est l’Acadie des Maritimes qui intéresse les auteurs ici, plutôt que celle de la diaspora. Par ailleurs, on affirme d’entrée de jeu que cette synthèse « vise […] à faire connaître le vécu de tout le peuple acadien et non seulement de son élite » (p. 10-11).
L’initiative de Landry et Lang tombe à point. Une synthèse récente d’histoire acadienne de type universitaire, pouvant servir de manuel et d’outil de référence, faisait effectivement défaut. Le début des années 1980 avait vu la publication de cinq ou six synthèses, mais celles-ci, pour des raisons multiples, ne conviennent plus très bien aux besoins universitaires actuels. Par ailleurs, il était nécessaire d’intégrer dans la trame narrative de l’histoire acadienne les connaissances acquises grâce aux recherches récentes.
Si le besoin était bel et bien réel, le défi l’était tout autant. En effet, malgré les efforts de déconstruction du discours élitaire acadien ayant eu cours depuis 1975 et malgré le développement d’une histoire sociale acadienne depuis les années 1980[1], le champ d’études acadiennes reste très fortement marqué par les constructions narratives élaborées par les élites et leurs institutions. Le présent ouvrage arrive-t-il à intégrer le vécu de ces élites sans adopter leur discours comme ligne directrice et comme source de sens ? Dans un champ d’études où les textes de nature purement universitaires sont encore minoritaires, le défi est de taille.
L’organisation de l’ouvrage est efficace et appropriée. Elle est basée sur les événements, les ruptures et les périodes qui ont formé et transformé la société acadienne. Le chapitre premier s’intéresse à l’Acadie française (1604-1713) et le deuxième à l’Acadie anglaise (1713-1763). Viennent ensuite des sections sur la « Reconstruction territoriale et sociale » (1763-1850) et sur « L’intégration sociale, économique et politique » (1850-1880). Enfin, le chapitre cinq est construit autour du développement de structures institutionnelles acadiennes (1880-1914), puis les chapitres six et sept traitent des bouleversements économiques occasionnés par les deux guerres (1914-1950) et de l’émergence de « Nouveaux enjeux et de nouveaux débats » (1950-2000).
D’emblée, il faut dire que la première moitié du livre, qui traite des périodes coloniales et de la réintégration des Acadiens dans la région maritime (1604-1850), est la plus réussie. Cela ne devrait pas être une grande surprise, étant donné que les auteurs disposaient, pour les années 1604-1763, d’un corpus historiographique à la fois plus large et plus profond que pour les périodes subséquentes. La plupart des aspects de la vie des colons et des paysans sont bien décrits et leur culture matérielle est bien documentée. De multiples facteurs de causalité sont évoqués afin d’expliquer les principaux phénomènes sociaux de l’époque. Surprise agréable, la Déportation fait l’objet d’une description non sentimentale — même si son histoire reste poignante — dans laquelle le point de vue des forces anglaises est aussi bien représenté que celui des habitants acadiens. Par ailleurs, l’un des passages les plus admirables du livre demeure son portrait captivant des multiples migrations acadiennes — forcées ou volontaires — des années 1755 à 1784 et au-delà. Finalement, notons que les auteurs s’en tirent bien dans leur description de la période de « reconstruction » (1763-1850), où ils réussissent à constituer une trame narrative unie à partir des informations parfois éparses qui sont mises à la disposition des historiens.
Les changements culturels et identitaires de ces périodes sont toutefois moins bien documentés. Les passages traitant de la transformation de ces colons français en groupe ethno-culturel distinct — c’est-à-dire en « Acadiens » — sont peu élaborés et peu convaincants.
De façon prévisible, c’est dans la deuxième moitié du livre, traitant des années 1850 à 2000, que les auteurs ont rencontré le plus d’embûches. Certes, les multiples luttes des élites sont bien illustrées : pour chaque période, on est tenu au courant des efforts déployés en matière d’éducation, « d’acadianisation » de l’Église, de coopération avec la France, de mouvements de colonisation et de création d’un mouvement coopératif, par exemple. Aussi, les sections traitant de la politique partisane et de l’économie sont convenables. Toutefois, la jeunesse de l’histoire sociale acadienne se fait sentir : les sections de chapitres portant sur le social ont parfois bien du mal à se distancier des oeuvres de l’élite. En effet, malgré les ambitions citées en introduction, on se rapproche difficilement du vécu des agriculteurs, des ouvriers, des pêcheurs ou des femmes. On doit le plus souvent se contenter de statistiques sur leur nombre, leur production et, le cas échéant, leurs migrations.
Par ailleurs, la couverture accordée aux activités des élites souffre aussi de certaines lacunes. Les stratégies discrètes de ces élites, leur propension au lobbying, leur conception paternaliste du leadership — bref leur culture politique de façon générale — sont à peine abordées. L’Ordre de Jacques Cartier, par exemple, pourtant instrumental dans l’avènement de nombreuses avancées acadiennes, n’est mentionné qu’une seule fois. Finalement, l’explosion culturelle et artistique acadienne, qui a lieu après 1960, aurait mérité plus d’attention.
De façon plus générale, il faut regretter le langage approximatif qui mine occasionnellement la clarté habituelle du texte. On doit cependant applaudir l’usage stimulant de sources premières et de photos. Cet ouvrage mérite aussi des compliments pour son excellente bibliographie. Toutefois, un usage plus fréquent de notes de bas de page aurait été utile pour les étudiants et les chercheurs. Aussi, il faut déplorer le fait que les écrits provenant de domaines connexes telles l’anthropologie, la sociologie et la science politique n’ont pas été intégrés. À mon sens, les théories de Joseph Yvon Thériault, Patrick Clarke, Louis Cimino et Derek Johnson, par exemple, auraient pu permettre de verser moins souvent dans l’énumération de faits et de mieux cerner les tendances lourdes qui forment l’Acadie du xxe siècle.
Voici donc, en un mot, la première synthèse d’histoire acadienne faite après le tournant vers l’histoire sociale. S’il demeure des pas considérables à faire avant d’arriver à une histoire réellement globale des communautés acadiennes, cet ouvrage représente une tentative méritoire dans cette direction et constitue, par le fait même, un instrument incontournable pour maîtres et étudiants.
Appendices
Note
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[1]
Jacques Paul Couturier, « Tendances actuelles de l’historiographie acadienne (1970-1985) », Historical Papers (1987) : 230-250 ; Jacques Paul Couturier, « La production de mémoires et de thèses en histoire acadienne, 1960-1994 », dans Jacques Paul Couturier et Phyllis E. LeBlanc, dir., Économie et société en Acadie, 1850-1950 (Moncton, 1996). À noter que les deux auteurs de l’ouvrage ici recensé ont chacun rédigé un article dans cet ouvrage collectif.