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Je devrais probablement me réjouir que la RHAF ait publié une recension de Contrôle social et mutation de la culture religieuse au Québec, 1830-1930 et davantage que l’auteur du compte rendu, John Zucchi, l’ait reçu favorablement et en ait recommandé la lecture. Il me faut tout de même y revenir pour corriger les impressions laissées et certaines opinions qu’il me prête, qui sont, en fait, assez éloignées des miennes.
Je m’en tiendrai aux assertions et interprétations qui, aux yeux du lecteur, risqueraient de m’être attribuées. En début de compte rendu, J. Zucchi écrit : « René Hardy soutient que le mot de “révolution” est peut être exagéré, car la “transformation rapide” de la pratique religieuse s’étendit sur plusieurs décennies. » Il faut corriger le sens de cette phrase car je n’ai certainement pas qualifié de rapides des transformations qui se déroulent sur plusieurs décennies. Dans ce même paragraphe, il souligne que mon étude porte essentiellement sur l’évolution du respect des pratiques religieuses obligatoires, soit la confession annuelle et la communion pascale, et sur les moyens mis en oeuvre par le clergé « pour les imposer et en ajouter de nouvelles ». Les imposer, certes, ou encore les inculquer, selon le terme que je préfère, mais non pas ajouter de nouvelles pratiques obligatoires. En fait, les ajouts dont il est question sont les nouvelles dévotions introduites au cours de ce demi-siècle et qui caractérisent la piété ultramontaine.
Selon la présentation qu’il fait du contenu de l’ouvrage, le chapitre 2 « traite du renouveau religieux dans la paroisse Notre-Dame de Québec » et le chapitre 3 « s’attache aux réveils religieux des années 1840-1850 dans les diocèses de Montréal et de Trois-Rivières ainsi qu’à la montée de la fréquentation religieuse qui s’ensuivit jusqu’aux années 1930 ». Soyons clair : puisqu’il ne développe pas beaucoup cette partie de son commentaire et que, dans mon livre, les concepts de « renouveau » et de « réveil » signifient deux choses distinctes, il convient de préciser ma thèse selon laquelle le réveil religieux s’est manifesté non pas au cours des décennies 1840-1850, mais plus précisément au cours des premières années de la décennie de 1840 et, par conséquent, qu’on ne peut l’interpréter, ainsi qu’on l’a fait à quelques reprises dans l’historiographie, comme le moteur ou l’explication des transformations de la pratique religieuse obligatoire au cours de ce demi-siècle. Mon hypothèse est que ce réveil religieux s’inscrit dans le climat de défaitisme consécutif à la défaite de 1837-1838 qui favorise le refuge dans les valeurs religieuses après une période au cours de laquelle se sont manifestés l’anticléricalisme et l’indifférence religieuse des milliers de paysans qui, ne l’oublions pas, ont combattu sous la menace de l’excommunication. Le retour aux valeurs religieuses après la défaite répond aussi à l’appel conjugué d’un événement choc, l’échec des Rébellions probablement interprété comme une punition divine, et deux événements extraordinaires que sont les premières retraites paroissiales, prédications spectaculaires par Mgr de Forbin-Janson et les premières campagnes de tempérance. À ce schéma explicatif j’ai ajouté que le réveil, dont la manifestation la plus marquante a été le retour à la pratique du sacrement de communion à l’occasion des retraites paroissiales, doit être interprété à la lumière du rigorisme des prêtres au confessionnal qui, par l’imposition du délai d’absolution jusqu’à la preuve d’une contrition parfaite, éloignait les fidèles de la pratique de la communion. Ainsi exclus, plusieurs fidèles auraient accepté d’y revenir par suite de l’échec de 1837-1838 et des appels spectaculaires qui ont suivi. Ce type de réveil, marqué par une conjoncture, ne peut durer que le temps où l’événement déclencheur conserve son influence.
Quant au redressement de la pratique de la confession annuelle et de la communion pascale amorcé au cours des années 1840 et qui se poursuit pendant tout le demi-siècle, on peut l’expliquer par les différentes formes de l’encadrement social et religieux instauré dans les paroisses au cours de ces années, mais il faut aussi accorder une importance particulière à l’introduction de la morale liguorienne qui transforme lentement la conception de la confession et de la communion et qui conduit à l’abolition du délai d’absolution au confessionnal. D’où la diminution constante, entre 1840 et le début des années 1880, de l’écart entre ceux qui ne se conforment qu’à moitié au précepte pascal en se confessant seulement et ceux qui s’y conforment tout à fait en se confessant et en communiant (p. 142). Le redressement de la communion pascale doit donc beaucoup à l’introduction de la conception liguorienne de ces sacrements. Et contrairement à ce qu’on me fait dire (« Hardy revient à plusieurs reprises sur le “délai de conversion” pratique qui survécut jusque vers 1850 »), le délai d’absolution ou de conversion, bien que moins fréquent après 1860, survit jusqu’à la veille de l’adoption d’un nouveau catéchisme, en 1888, qui enseigne la notion de « contrition imparfaite » (p. 128).
Enfin, le renouveau religieux de la seconde moitié du xixe siècle, comme je crois l’avoir montré, se caractérise par de nouvelles attitudes de piété chez les fidèles et par l’introduction de plusieurs dévotions ; il s’affirme à travers une nouvelle liturgie qui uniformise le rituel, une nouvelle philosophie, le thomisme, et une nouvelle théologie morale, le liguorisme. Il inclut évidemment une plus grande conformité des fidèles aux pratiques religieuses obligatoires.
Je doute fort que « la dévotion à saint Alphonse de Liguori amena le clergé à interpréter les catastrophes comme des punitions du ciel ». Cette conception de l’intervention divine est bien antérieure à Liguori et je ne pense pas avoir écrit quelque chose qui s’apparente à cette affirmation qu’on m’attribue.
Si j’ai insisté dans ce livre pour montrer que la construction de la culture religieuse s’inscrit dans les rapports sociaux et si j’ai mis autant d’énergie à tenter de comprendre comment l’Église est parvenue à imposer son influence au cours de la seconde moitié du xixe siècle, ce n’est pas pour affirmer que « l’Église sut ne pas aller trop loin » et « qu’elle chercha toujours un point d’équilibre qui ne mît pas en péril l’ordre social ». Ces formulations laissent l’impression que l’Église a volontairement adopté une attitude modérée ou de conciliation vis-à-vis de tout ce qui heurtait ses principes afin de préserver « l’ordre social » et de rechercher un « point d’équilibre ». Je crois plutôt que l’Église est allée aussi loin qu’elle le pouvait dans la défense de ses principes sans risquer de perdre une partie de ses fidèles et d’être confrontée à l’opposition de la classe dirigeante. Malgré tous ses efforts et toutes ses pressions, elle s’est fait refuser la fermeture des usines le dimanche, de même qu’elle a dû abdiquer dans la défense des principes politiques énoncés dans le Syllabus des erreurs. Comme je le montre dans les dernières pages de ma conclusion, les limites que la réalité lui imposa étaient bien étrangères à sa volonté.
Enfin, une coquille s’est malencontreusement glissée à la fin de ce compte rendu. C’est évidemment à la fin du xixe siècle et non du xxe que « personne n’osait se déclarer non catholique ».