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Les combustibles fossiles font abondamment parler d’eux par les temps qui courent. Les discours concernent l’avenir des sources traditionnelles d’énergie, leur contribution à l’émission mondiale de gaz à effet de serre et les fluctuations du prix du carburant. D’aucuns s’interrogent sur l’éventuelle fin des combustibles fossiles comme source de production d’énergie. Mais à quel point cette vision de la fin à court terme du pétrole est-elle réaliste ? Quelle sera la part des combustibles fossiles dans la production énergétique des 100 prochaines années ? Ce sont ces questions qu’aborde Mark Jaccard dans cet ouvrage de neuf chapitres.
L’auteur, professeur de la School of Resource and Environmental Management à l’Université Simon Fraser, nous livre une réflexion fort éclairante sur ce qu’est un système énergétique durable. Son analyse critique repose sur plus de vingt ans passés à se questionner sur les rapports entre énergie, environnement et économie durant lesquels il fut professeur, conseiller politique ou président d’une agence régulatrice de l’énergie.
L’auteur définit (chapitre 1) la durabilité énergétique comme un système qui répond à long terme à l’approvisionnement de types et de niveaux de services en énergie et dont les différentes phases des projets, depuis l’extraction jusqu’à la consommation, ont des effets bénins sur les individus et les écosystèmes. Il juge le système énergétique actuel non soutenable et décrit des options pour le rendre meilleur.
L’auteur explore les scénarios de demande en énergie pour le prochain siècle et quelques incidences environnementales des choix qui se posent à nous (chapitre 2). Les scénarios de croissance de la demande se fondent sur les projections reconnues de croissance de la population mondiale, sur l’évolution attendue du produit mondial brut, ainsi que sur les perspectives de développement des formes d’énergie et de l’efficience de leur utilisation. L’auteur estime que d’ici à 2100 nous assisterons à une amélioration de l’efficacité économique de l’énergie. Pour lui, la part tenue par les combustibles fossiles dans l’assiette énergétique régressera d’ici là de 84 % à 66 %. Pour évaluer les incidences de cette évolution, il propose d’aborder trois indicateurs : la qualité de l’air intérieur, la qualité de l’air en milieu urbain et les émissions de gaz à effet de serre. Il reconnaît que ces scénarios, organisés selon le cheminement courant de l’énergie, sont insoutenables.
Devant ce constat, l’auteur explore diverses pistes pour une énergie plus propre (chapitre 3). Il discute des formes d’énergie secondaire que sont les hydrocarbures produits par les combustibles fossiles, ainsi que l’hydrogène et l’électricité qui requièrent tous deux une production à partir d’énergie primaire. L’efficacité énergétique est aussi prise en compte. Jaccard explore les avantages, les limites et les préoccupations des formes d’énergie secondaire dans un souci de faisabilité. Il suggère une redistribution des formes d’énergie secondaire où les hydrocarbures, l’électricité et l’hydrogène s’accapareraient chacun 30 % de l’assiette énergétique.
Lorsque l’on pense à une amélioration du système énergétique, les premiers éléments qui nous viennent à l’esprit, selon l’auteur, sont l’efficacité énergétique, le nucléaire et les énergies renouvelables (chapitre 4). Il estime les perspectives d’amélioration de l’efficacité énergétique très élevées tout en étant une source de frustration, car les questions de niveau qu’il est possible d’atteindre et des conséquences sur la consommation sont des plus complexes. Il y a aussi les coûts associés aux développements technologiques requis et à la mise en place des mesures. Le nucléaire est confronté à des coûts et à des risques d’investissement plus hauts qu’anticipés, à des préoccupations du public et des gouvernements au regard de technologies associées au risque de prolifération de l’armement nucléaire, de la perception de vulnérabilité des installations en cas d’attaques terroristes, ainsi que des préoccupations du public envers les déchets radioactifs. L’auteur aborde ensuite les énergies renouvelables à savoir l’hydroélectricité, la biomasse, l’énergie éolienne, l’énergie solaire, la géothermie et l’énergie marémotrice. Il conclut en son fort potentiel, tout en soulignant qu’elles sont soumises au problème de leur intermittence, leur faible densité en énergie et la localisation des infrastructures. Selon lui, une combinaison de l’une ou l’autre de ces options énergétiques permettrait de remplacer le système actuel fondé sur les combustibles fossiles. Le problème n’est donc pas, pour Jaccard, de savoir si on peut changer ce système, mais si on le veut.
L’auteur s’intéresse ensuite à la pérennité des combustibles fossiles (chapitre 5). Plusieurs observateurs voient mal ces combustibles comme répondant aux critères de durabilité. Certains en craignent l’épuisement et plaident pour un virage rapide et délibéré vers des formes alternatives d’énergie. Après avoir rappelé le rôle important joué par l’énergie fossile dans le développement des pays industrialisés, Jaccard aborde chacun des combustibles fossiles et porte un regard critique sur les estimés disponibles. L’auteur recherche un système énergétique durable et non pas une ressource durable ; dans cette perspective, la durée de vie des combustibles fossiles devient alors moins pertinente.
Pour atteindre le critère de faible incidence pour les individus et les écosystèmes, Jaccard explore une façon d’utiliser les combustibles fossiles de façon propre et à un coût acceptable (chapitre 6). Il rappelle les incidences de leur utilisation en les classant en risques d’événements extrêmes, comme les explosions ou les incendies, les empoisonnements et les phénomènes de subsidence, et en risques et impacts courants comme les gaz à effet de serre et les différentes formes de pollution. Depuis les dernières années, des efforts sont déployés pour réduire ces externalités ; ils seront poursuivis pour abaisser encore plus ces risques, que l’on pense à la substitution de source d’énergie, à l’accroissement de l’efficacité de conversion des combustibles fossiles en énergie utilisable et à un contrôle accru des émissions, ou encore les diverses technologies de capture du CO2, y compris les approches de séquestration. L’auteur estime qu’avec ces technologies, l’utilisation de combustibles fossiles peut s’approcher de zéro émission.
L’auteur compare ensuite quatre options permettant de viser un système énergétique durable : l’efficacité énergétique, l’énergie nucléaire, les énergies renouvelables et les combustibles fossiles (chapitre 7). Il le fait sur la base du coût projeté, des risques d’événements extrêmes, du risque géopolitique et de la dépendance énergétique. Son analyse permet de réitérer les avantages et les désavantages de chacune d’elles et de démontrer le maintien de la dominance des combustibles fossiles au moins jusqu’en 2100.
L’auteur aborde aussi la question des politiques énergétiques durables (chapitre 8). Loin du statu quo, la vision proposée demande de profonds changements technologiques, ce qui ne peut se faire sans une intervention politique substantielle. Les options comparées sont les règles prescriptives, les systèmes de taxation, les mesures incitatives (subventions), le volontarisme et l’information, ainsi que les règlements orientés vers le marché de type permis d’émission et la création d’un marché du carbone. Jaccard les compare sur la base de l’efficacité environnementale, la faisabilité administrative, l’efficience économique et la faisabilité politique. Il insiste sur les tractations (trade-off) qui guident les politiciens dans leurs choix. Selon lui, ce n’est qu’une combinaison de l’une ou de l’autre qui permettra de tendre vers un système énergétique durable.
L’auteur conclut en affirmant qu’il est possible de réduire substantiellement les impacts et les risques pour l’environnement et la société tout en conservant les combustibles fossiles comme source primaire d’énergie (chapitre 9). Il soutient qu’un tel système énergétique peut être qualifié de durable dans le sens qu’il produira indéfiniment les services énergétiques, avec un accroissement faible des coûts et éventuellement avec une transition plus douce vers un système moins dépendant des combustibles fossiles.
Par sa clarté et sa logique, l’auteur démontre une connaissance exceptionnelle du contexte énergétique mondial. Son regard est lucide et éclairé par une pratique dans le domaine et une évidente réflexion. L’ensemble des questions est abordé de façon rationnelle. Les hypothèses de travail sont clairement définies et les critères de comparaison, bien identifiés et pertinents.