Abstracts
Résumé
La variabilité interannuelle des débits moyens annuels (1970-1995) de 70 stations hydrologiques réparties dans les trois grands bassins versants du Québec a été étudiée au moyen d’une analyse en composantes principales et d’un lissage par une moyenne mobile simple. Cinq modes de variabilité ont été ainsi identifiés selon la succession des phases de baisse et de hausse des débits. Les trois premiers modes caractérisent les rivières du bassin du fleuve Saint-Laurent. Le premier mode, qui regroupe le plus grand nombre de stations situées sur les deux rives du fleuve, montre une période de baisse des débits (avant 1980), suivie d’une longue phase de hausse modérée des débits. Ce mode est positivement corrélé à l’oscillation australe. Le second mode, qui regroupe les rivières situées au nord de la rive sud du Saint-Laurent, est caractérisé par des débits qui diminuent entre 1975 et 1985, puis augmentent. Il n’est corrélé à aucun indice climatique. Les stations qui forment le troisième mode sont principalement localisées en rive nord. Ce mode est caractérisé par deux phases de hausse séparées par une phase de baisse des débits. Certaines stations de ce mode sont corrélées aux oscillations arctique, australe et nord atlantique. Les deux derniers modes caractérisent les rivières situées au nord du 55e parallèle, dans les bassins de la Baie d’Ungava et de la Baie d’Hudson. Ces modes montrent une phase de diminution continue depuis la seconde période des années 1970 ou une phase de diminution précédée d’une longue phase normale des débits. Ils sont négativement corrélés à l’oscillation arctique et nord atlantique. Il se dégage de cette étude que la variabilité interannuelle des débits n’est pas synchrone à l’intérieur du bassin du fleuve Saint-Laurent.
Abstract
The temporal variability of the annual average discharges (1970-1995) of 70 hydrological stations distributed among Québec three main watersheds was studied by principal component analysis and smoothing by a simple moving average. Five temporal variability modes were thus identified according to the succession of decreasing and increasing discharge phases. The first three modes characterize rivers of the St. Lawrence watershed. The first mode, which includes the greatest number of stations located on both shores of the river, shows a period of decreasing discharges (before 1980), followed by a long phase of moderately increasing discharges. This mode is positively correlated with the Southern Oscillation. The second mode, which includes rivers located in the northern part of the south shore of the St. Lawrence, is characterized by discharges decreasing between 1975 and 1985 and then increasing. It is not correlated with any climate index. The stations forming the third mode are mainly located on the north shore. This mode is characterized by two increasing phases separated by a decreasing discharge phase. Some stations of this mode are correlated with the Arctic, Southern and North Atlantic Oscillations. The last two modes characterize rivers located north of the 55th parallel, in the Ungava Bay and Hudson Bay watersheds. These modes show a continuously decreasing phase since the second period of the 1970s or a decreasing phase preceded by a long normal discharge phase. They are negatively correlated with the Arctic and North Atlantic Oscillations. This study shows that the interannual discharge variability is not synchronous within the St. Lawrence River watershed.
Article body
Introduction
La variabilité interannuelle est sans aucun doute la caractéristique des débits qui influence de manière la plus significative l’évolution des hydrosystèmes. Sur le plan écologique, elle influence la dynamique des populations (Biggs et al., 2005). C’est ainsi que la biomasse et la composition spécifique de la végétation des milieux riverains du fleuve Saint-Laurent augmentent durant les années sèches, et diminuent durant les années humides (Hudon, 1997, 2004). Également, en Nouvelle-Zélande, Biggs et al. (2005) ont mis en évidence l’influence de ces fluctuations interannuelles des débits sur la biomasse du périphyton et la production des invertébrés des rivières. D’autres auteurs ont démontré l’influence de la variabilité interannuelle des débits sur les populations de poissons (Hayes, 1995 ; McIntoch, 2000).
Dans un bassin versant, les débits intègrent l’influence de tous les facteurs climatiques (précipitations, température, vents, humidité, etc.), mais aussi celle des facteurs physiographiques et anthropiques. Par conséquent, leur variabilité interannuelle constitue un indicateur pertinent de la variabilité spatio-temporelle du climat aux échelles locales et régionales (Coulibaly et Burn, 2004). C’est ainsi que depuis deux décennies, de nombreux travaux ont été conduits afin de déterminer l’influence des facteurs climatiques sur la variabilité interannuelle des débits et de cerner leurs impacts sur l’évolution des climats à différentes échelles spatiales (Eltahir, 1996 ; Hamlet et Lettenmaier, 1999 ; Cullen et deMenocal, 2000 ; Barlow et al., 2001 ; Enfield et al., 2001 ; Poveda et al., 2001 ; Chiew et McMahon, 2002 ; Cullen et al., 2002 ; Floey et al., 2002 ; Spence, 2002 ; Waylen et Poveda, 2002 ; Jury, 2003 ; Rogers et Coleman, 2003 ; Kahana et al., 2004 ; Rimbu et al., 2004 ; Trigo et al., 2004 ; Abawi et al., 2005 ; Garia et Mechoso, 2005 ; Labat et al., 2005 ; Shrestha et Kostaschulk, 2005 ; Tootle et al., 2005 ; Twine et al., 2005 ; Fleming et al., 2006 ; Maurer et al., 2006 ; Shankman et al., 2006). Au Québec, peu d’études sont consacrées à ce sujet (Anctil et Coulibaly, 2004 ; Coulibaly et Burn, 2004, 2005 ; Déry et al., 2004, 2005) et se limitent à quelques portions du territoire de la province. Par conséquent, elles ne permettent pas de dresser un portrait global des différents modes de variabilité temporelle des débits ainsi que leurs liens avec les facteurs climatiques à l’échelle de la province. Les conclusions associées à l’influence de certains facteurs climatiques sur la variabilité temporelle des débits sont ainsi contradictoires.
À la lumière de ces considérations, notre étude tente : (1) de déterminer et de caractériser les différents modes (types) de variabilité temporelle des débits moyens annuels à l’échelle du Québec, où une diminution des débits semble se généraliser à l’échelle de la province depuis 1970 (Zhang et al., 2001 ; Déry et Wood, 2005 ; Déry et al., 2005), et (2) de déterminer les indices (facteurs) climatiques susceptibles de rendre compte de cette diminution des débits.
Méthodologie
Sources des données de débit et des indices climatiques
Le réseau hydrographique du Québec se divise en trois grands bassins versants (fig. 1) : le bassin du fleuve Saint-Laurent (673 000 km2), le bassin de la baie d’Ungava (518 000 km2) et le bassin de la baie d’Hudson (492 000 km2). Notre analyse se concentre sur la période 1970-1995. Nous avons choisi cette période, car on dispose de nombreuses stations enregistrant les débits de manière continue et l’année 1970 marque un tournant climatique dans l’hémisphère nord. En effet, on y a observé des changements significatifs du climat (Shabbar et al., 1997 ; Kiely, 1999 ; Chen et Rao, 2002 ; Anctil et Coulibaly, 2004). Shabbar et al. (1997) ont ainsi noté un refroidissement progressif du climat dans la partie nord-orientale du Québec qui se serait atténué vers la fin des années 1990 (IPCC, 2001). Anctil et Coulibaly (2004) ont également observé un changement dans le lien qui existe entre certains indicateurs de la circulation atmosphérique et le débit des rivières. D’un point de vue hydrologique, plusieurs auteurs ont observé une rupture vers 1970 dans de nombreuses séries de débits au Québec (Ouarda et al., 1999 ; Coulibaly et al., 2000 ; Anctil et Coulibaly, 2004). D’un point de vue statistique, les séries de débits peuvent être considérées comme homogènes et stationnaires.
Les données de débits ont été extraites du CD-ROM HYDAT, édité par Environnement Canada (1996). Nous avons analysé 70 stations dont les débits sont naturels ou faiblement régularisés (fig. 1). La plupart de ces stations se situent au sud de la province en raison des conditions climatiques rigoureuses qui règnent au nord de la province, ce qui limite la colonisation humaine et, par conséquent, la mesure des débits. Par ailleurs, la plupart des rivières situées au nord du bassin versant du fleuve Saint-Laurent sont régularisées par des barrages hydroélectriques.
Nous avons retenu quatre indices climatiques : l’oscillation arctique (OAC), l’oscillation nord atlantique (ONA), l’oscillation nord pacifique (ONP) et l’oscillation australe (OAU) (tabl. I). Ces indices sont abondamment décrits dans la littérature et leur influence sur la variabilité du climat en Amérique du nord et au Québec a déjà été analysée par de nombreux auteurs (Rogers, 1984 ; Ropelewski et Halpert, 1987 ; Cadet et Garnier, 1988 ; Brown et Godison, 1996 ; Shabbar et al., 1997a, 1997b ; Thompson et Wallace, 1998, 2001 ; Wanner, 1999 ; Sheridan, 2002, 2003 ; Anctil et Coulibaly, 2004 ; Coulibaly et Burn, 2004, 2005 ; Déry et Wood, 2004, 2005). Les valeurs mensuelles de ces indices ont été extraites du site internet suivant : http://www.cpc.ncep.noaa.gov/data (dernière consultation en juin 2005).
Méthodes d’analyse statistique des données
L’analyse statistique des données a été effectuée en trois étapes. La première étape s’est appuyée sur une analyse en composantes principales. Celle-ci a été appliquée sur la matrice des corrélations (et non celle de covariance), moins sensible aux valeurs extrêmes et qui permet d’éliminer l’effet provoqué par la variabilité locale d’un site (Siew-yan-yu et al., 1998). Les corrélations ont été calculées entre les débits moyens annuels mesurés aux différentes stations. Ces débits ont été déduits de la moyenne des débits mensuels d’octobre à septembre. L’analyse en composantes principales poursuit deux objectifs. Le premier objectif est de regrouper les stations caractérisées par une variabilité temporelle similaire des débits. Ce regroupement a été opéré au moyen des valeurs de saturations des stations sur les composantes principales significatives après rotation des axes par la méthode du varimax. Nous avons ensuite appliqué la règle de saturation maximale (maximum loading rule). Selon cette règle, une station est associée à une composante principale lorsque la valeur de sa saturation sur cette composante est très élevée (Vicente-Serrano, 2005). Cependant, il n’existe pas de seuil minimal à partir duquel une valeur de saturation est considérée comme étant élevée. Néanmoins, au Québec, Siew-yan-yu et al. (1998) ont proposé le seuil de 0,600. Ainsi, une station est associée à une composante significative lorsque la valeur de sa saturation est supérieure ou égale à 0,600. Cette valeur traduit en fait un lien minimal relativement fort entre la station et la composante principale.
Le second objectif de l’analyse en composantes principales est de déterminer les différents modes de variabilité temporelle des débits au moyen des poids factoriels de chaque composante principale significative. Précisons que ces poids factoriels se rapportent aux années et non aux stations hydrologiques analysées. Chaque année possède une valeur de poids factoriel sur une composante principale. De ce fait, les poids factoriels mettent en évidence les débits de toutes les stations qui sont plus ou moins corrélées à cette composante selon le critère mentionné ci-dessus. Pour déterminer le nombre des composantes statistiquement significatives, nous avons appliqué le critère de Kaiser (1960) afin de tenir compte du plus grand nombre possible de composantes principales significatives. Selon ce critère, une composante principale est significative lorsque sa valeur propre est supérieure ou égale à 1. Ce critère est largement utilisé dans la littérature scientifique (voir Vicente-Serrano, 2005).
La seconde étape de l’analyse statistique a permis un lissage des poids factoriels de chaque composante principale significative et des valeurs standardisées (centrées et réduites) d’indices climatiques. Ce lissage a été effectué au moyen d’une moyenne mobile glissante sur cinq ans. Il poursuit aussi deux objectifs. Le premier est de maximiser la valeur des coefficients de corrélation entre les poids factoriels des composantes principales et les indices climatiques. Le lissage permet de calculer les corrélations sur la tendance générale, atténuant ainsi l’influence des valeurs extrêmes de la série (Déry et Wood, 2004). Le second consiste à regrouper les poids factoriels en modes de variabilité temporelle en fonction de la succession des phases de baisse et de hausse. Ainsi, lorsque les courbes de la variabilité interannuelle des poids factoriels lissés de deux composantes principales présentaient des caractéristiques similaires dans la succession des phases d’ascendance et de descendance, nous avons regroupé ces deux composantes en un seul mode de variabilité temporelle des débits.
La troisième étape de l’analyse statistique consiste à calculer les coefficients de corrélation entre les séries lissées des poids factoriels des composantes principales et les séries des indices climatiques, à savoir la série annuelle calculée sur la base de douze valeurs mensuelles (moyenne arithmétique de douze valeurs mensuelles) et deux séries semestrielles calculées sur la base de six valeurs mensuelles (moyenne arithmétique de six valeurs mensuelles) d’octobre à mars (série hivernale) d’une part, et d’avril à septembre (série estivale), d’autre part. Cette étape valide le regroupement des composantes principales en modes de variabilité temporelle effectué à l’étape précédente. En effet, lorsque la variabilité temporelle des poids factoriels de deux composantes principales est similaire ou semblable, il y a plus de chance que les deux composantes soient corrélées aux mêmes indices climatiques.
Résultats
Sur la base du critère de Kaiser, nous avons extrait douze composantes principales significatives (fig. 2). Soixante pourcent de la variance totale est expliquée par les cinq premières composantes. Celles-ci regroupent 63 % des stations analysées. La première composante principale reste de loin la plus importante avec une variance totale expliquée d’environ 25 % et regroupe près du tiers des stations. Les six dernières composantes principales n’expliquent chacune que moins de 5 % de la variance totale expliquée et regroupent moins de trois stations. Quoi qu’il en soit, l’existence d’un aussi grand nombre de composantes significatives présume déjà une certaine diversité de la variabilité interannuelle des débits au Québec. Les rivières corrélées aux douze composantes principales, selon le critère de Siew-yan-yu et al. (1998), sont consignées dans le tableau II. En raison du caractère assez subjectif du critère de regroupement des stations, nous n’avons pas déterminé directement les modes de variabilité temporelle à partir des débits des stations regroupées selon ce critère.
Nous avons déterminé les modes de variabilité temporelle à partir des poids factoriels des composantes principales. Ce regroupement a été basé sur la variabilité interannuelle des poids factoriels de chaque composante principale. De fait, la variabilité interannuelle des poids factoriels d’une composante principale représente celle des débits de toutes les rivières qui lui sont corrélées (valeurs élevées de saturation). Chaque année possède un poids factoriel sur chaque composante principale. Les valeurs et les signes de ces poids traduisent en fait la succession des périodes de hausse ou de baisse des débits des stations corrélées à une composante principale. Lorsque les stations sont corrélées positivement à une composante principale, les années caractérisées par des débits supérieurs aux moyennes des séries (anomalie positive) ont des poids factoriels positifs sur la composante et les années caractérisées par des débits inférieurs aux moyennes des séries (anomalie négative) ont des poids factoriels négatifs. C’est l’inverse pour les stations qui sont corrélées négativement à une composante principale. Les figures 3 à 7 montrent la variabilité interannuelle des poids factoriels des douze composantes principales. Il apparaît que la variabilité interannuelle des poids factoriels est loin d’être homogène au Québec. Toutefois, malgré cette diversité, le lissage des poids factoriels permet de regrouper ces douze cas en cinq, en fonction de la similitude de la variabilité temporelle des poids factoriels. Ces cinq cas constituent les principaux modes de variabilité temporelle des débits au Québec.
Le premier mode est représenté par les composantes I, V et X (fig. 3). Il est caractérisé par deux phases bien distinctes : une période de baisse des poids factoriels (débits) entre 1974 et 1980, suivie d’une longue phase caractérisée par une tendance relativement modérée à la hausse de ces valeurs. Cette hausse est bien marquée sur la composante X, après la phase initiale de diminution. Quant à la composante V, l’amplitude des fluctuations des débits durant cette phase est plus faible que dans le cas des deux autres composantes. Ce premier mode caractérise principalement la variabilité interannuelle des débits des rivières du Québec méridional et de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean (fig. 1). Ce sont ces rivières qui ont les valeurs des saturations les plus élevées sur les trois composantes qui forment ce mode. Ces trois composantes principales sont toutes significativement corrélées à l’oscillation australe en été (tabl. III), ce qui confirme leur regroupement à un seul mode de variabilité. Les oscillations arctique et nord atlantique sont corrélées à la composante V tandis que l’oscillation nord pacifique est corrélée à la composante X.
Le second mode de variabilité se caractérise aussi par deux grandes phases très distinctes (composante II) : une phase de diminution des débits entre 1975 et 1985, suivie d’une phase de hausse des débits (fig. 4). Ce cas se distingue nettement des autres par la régularité des deux phases, ce qui traduit une succession régulière des périodes caractérisées par des débits moyens annuels inférieurs à la moyenne de la série (phase descendante) et des années caractérisées par des débits supérieurs à la moyenne de la série (phase ascendante). Ces périodes durent plus longtemps que dans d’autres régions. Ce mode caractérise la variabilité interannuelle des débits de toutes les rivières situées dans la partie nord de la rive sud du fleuve Saint-Laurent, dans les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. Mais contrairement au premier mode, l’unique composante principale qui forme ce mode n’est corrélée significativement à aucun indice climatique.
Le troisième mode, représenté par les composantes III, XI et XII, est caractérisé par trois phases (fig. 5) : une phase ascendante (hausse des débits), une phase descendante (baisse des débits) et une nouvelle phase ascendante (hausse des débits). La durée de ces phases varie selon les composantes. Ce mode est caractéristique des rivières situées principalement dans la partie méridionale du Québec, soit dans le bassin du fleuve Saint-Laurent. Cependant, contrairement au premier mode, aucun indice n’est corrélé à toutes les quatre composantes principales. La troisième composante est significativement corrélée à l’oscillation arctique, la onzième composante, à l’oscillation australe et la dernière composante, à l’oscillation nord atlantique. Quant à la septième composante, elle n’est corrélée à aucun indice climatique.
Le quatrième mode, représenté par les composantes IV et VIII, est caractérisé par une tendance générale à la baisse des débits (fig. 6). Cette tendance est surtout marquée pour la composante IV. Les deux composantes principales qui forment ce mode sont négativement corrélées aux oscillations arctique et nord atlantique. Quant aux deux autres indices, l’oscillation australe est positivement corrélée à la composante IV.
Le dernier mode, représenté par les composantes VI et IX, se distingue des autres modes par l’occurrence d’une phase stationnaire relativement longue, suivie d’une phase descendante à laquelle se succède une courte phase ascendante (fig. 7). Il est aussi négativement corrélé aux oscillations arctique et nord atlantique. Les corrélations les plus élevées entre les indices climatiques et les composantes principales sont observées dans les deux derniers modes. Par ailleurs, les deux derniers modes regroupent principalement les rivières situées au nord du 55e parallèle, c’est-à-dire dans les bassins de la baie d’Ungava et de la baie d’Hudson.
Discussion et conclusion
Cette étude met en évidence la diversité des modes de variabilité temporelle des débits au Québec. Toutefois, en tenant compte des valeurs de saturation des stations sur les composantes principales, on observe que les stations situées dans la partie sud du Québec (fleuve Saint-Laurent) ont des saturations relativement élevées sur les composantes principales qui forment les deux premiers modes. En revanche, les stations situées au nord du 55e parallèle (baies d’Ungava et d’Hudson) ont des saturations relativement élevées sur les composantes qui forment les deux derniers modes de variabilité. La variabilité interannuelle de ces cinq modes est différente. Ainsi, la variabilité temporelle des débits n’a pas été synchrone au nord et au sud du 55e parallèle au Québec pendant la période 1970-1995. De même, aucun synchronisme n’est observé dans la partie méridionale du bassin versant du fleuve Saint-Laurent. Cependant, contrairement aux conclusions d’Anctil et Coulibaly (2004), nous n’avons pas pu observer de différence quant à la variabilité temporelle des débits des rivières de la rive sud du fleuve Saint-Laurent et celles de la rive nord. Par exemple, le premier mode, qui regroupe le plus grand nombre des rivières de cette zone, est constitué par des rivières situées sur les deux rives du fleuve. Il en est de même du troisième mode. Par ailleurs, la variabilité interannuelle des débits n’est pas uniforme sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Deux modes y ont été identifiés.
L’analyse des poids factoriels lissés a mis en évidence l’existence d’une phase de diminution des débits qui affecte les cinq modes de variabilité selon une intensité et une durée variables. Dans le cas du premier mode, cette phase a débuté avant 1975 et s’est achevée avant 1980. Quant au second mode, la pente de la courbe lissée des modes factoriels suggère que la diminution des débits fut plus importante qu’ailleurs. Elle a commencé après 1975 et s’est terminée avant 1985. Le troisième et le cinquième modes se caractérisent par une baisse des débits survenue durant la seconde moitié des années 1980. Le quatrième mode se distingue nettement des autres modes par une diminution continue depuis la seconde moitié des années 1970. Mais malgré sa longue durée, l’intensité de cet épisode de baisse est relativement moins importante que celle qui affecte le second mode. À la lumière de ces résultats, la diminution des débits ne fut pas synchrone à l’échelle de la province pendant la période 1970-1995. Les travaux précédents, couvrant la même période d’étude que la nôtre, ont conclu à une baisse généralisée des débits dans les trois grands bassins versants du Québec (Zhang et al., 2001 ; Déry et al., 2005 ; Déry et Wood, 2005). Notre étude ne confirme cette diminution généralisée des débits qu’au nord du 55e parallèle. Au sud de ce parallèle, on observe même une tendance à la hausse des débits comme c’est le cas pour les stations situées dans la partie nord de la rive sud du fleuve Saint-Laurent (mode II).
L’analyse du lien entre les modes de variabilité temporelle des débits et les indices climatiques révèle que le mode I, qui caractérise la variabilité temporelle de la plupart des stations situées dans la partie méridionale du Québec, est positivement corrélé à l’oscillation australe en été. Ainsi, les anomalies positives de cette oscillation se traduisent par une hausse des débits au Québec méridional. En revanche, la plupart des stations situées au nord de la province (modes IV et V) sont négativement corrélées aux oscillations arctique et nord atlantique. Contrairement à la première oscillation, les anomalies positives de ces deux oscillations provoquent une baisse des débits dans la partie nord du Québec. De plus, les corrélations mesurées entre ces deux oscillations et les débits sont plus significatives que celles liant les débits et l’oscillation australe. L’oscillation nord pacifique n’est corrélée à aucun mode de variabilité temporelle, hormis quelques stations associées aux composantes VI et X. Il convient de noter l’absence de corrélation entre les débits des stations situées au nord de la rive sud du fleuve Saint-Laurent et les indices climatiques. Ces résultats sont différents de ceux obtenus par Anctil et Coulibaly (2004) dans la partie méridionale du Québec. En effet, selon ces auteurs, l’oscillation nord pacifique est le principal facteur de variabilité interannuelle des débits après 1970 sur les deux rives du fleuve Saint-Laurent. Cet indice climatique était positivement corrélé aux débits dans la bande de 2-3 ans. En revanche, nos résultats corroborent ceux de Déry et Woods (2004, 2005) en ce qui concerne la partie nord du Québec. Dans cette région du Québec (baies d’Ungava et d’Hudson), l’oscillation arctique est le principal facteur de variabilité interannuelle des débits. Elle est négativement corrélée aux débits depuis 1964.
L’oscillation arctique mesure la différence des pressions entre les hautes et les moyennes latitudes. Les anomalies positives de cet indice climatique correspondraient à une baisse de pression vers les hautes latitudes. Sur le continent nord américain, cette baisse de pression favoriserait une circulation zonale des masses d’air polaires dans les hautes latitudes à l’origine d’une réduction des précipitations, et donc des débits. Dans les moyennes latitudes, on observerait une remontée plus fréquente de l’air tropical susceptible de provoquer une augmentation des précipitations. Ce type de circulation entraînerait ainsi un contraste relatif à la variabilité interannuelle des débits entre le nord et le sud du Québec. La baisse des débits au nord de la province correspondrait théoriquement à une hausse des débits au sud. Si nos résultats confirment la baisse des débits associée à des anomalies positives de l’oscillation arctique dans la partie nord de la province (modes IV et V), ils ne confirment pas de manière aussi évidente la hausse des débits dans la partie méridionale du Québec. Il faut noter qu’au sud du 55e parallèle, les affluents du fleuve Saint-Laurent proviennent des régions climatiques différentes contrairement aux rivières situées au nord de ce parallèle. Cette diversité climatique brouillerait ainsi le signal de l’oscillation arctique et celui des autres indices climatiques sur la variabilité interannuelle des débits. Elle expliquerait aussi l’existence des cinq modes de variabilité interannuelle des débits observée dans le bassin versant du fleuve Saint-Laurent.
Appendices
Remerciements
Cette étude a été réalisée grâce à une subvention de recherche du Conseil de Recherche en Sciences Naturelles et en Génie du Canada (CRSNG) octroyée au premier auteur. Les auteurs remercient Hervé Piégay et les deux lecteurs anonymes pour leurs commentaires pertinents.
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