Abstracts
Résumé
Près de l’embouchure de la rivière Fouquette, une coupe d’environ 6 m de hauteur comprend trois unités lithostratigraphiques. Celle à la base (entre 3 et 6 m) est de type rythmique. Elle est composée de couches d’argile gris pâle, plastique et calcaire, et de lamines de sable interstratifiées. Le faciès de cette unité s’apparente à celui des dépôts tidaux de milieu estuarien relativement peu profond (10-15 m) correspondant en l’occurrence à un large chenal empruntant une dépression entre deux crêtes rocheuses appalachiennes. Des débris organiques ligneux récoltés à divers niveaux ont donné des âges au 14C compris entre 8,7 et 10,6 ka BP, ce qui correspond à une mise en place vers la fin de l’épisode de la Mer de Goldthwait, sur la rive sud de l’estuaire du Saint-Laurent. De 2 m d’épaisseur, l’unité 2 est composée de lits minces de limon et de sable fin gris pâle mis en place dans un milieu infratidal à intertidal inférieur. Elle n’a pas été datée. En surface, l’unité 3, d’environ 100 cm d’épaisseur, est sableuse. Elle a probablement été mise en place lors de l’épisode de Mitis dont l’âge moyen est de 2 ka BP. La coupe de la rivière Fouquette révèle une fois de plus que la nature de la terrasse de 6 m (terrasse Mitis) est parfois complexe ; elle peut être formée de dépôts variés mis en place antérieurement à l’épisode de Mitis ; elle confirme aussi que le niveau marin relatif était seulement d’une quinzaine de mètres supérieur au niveau actuel vers 9,5 ka BP.
Abstract
Near the outlet of the Rivière Fouquette, a vertical section into the 6-m terrace (Mitis terrace) exposes three lithostratigraphic units. The basal unit (between 3 and 6 m) is a rhythmite deposit composed of light grey, plastic and calcareous clay layers which are interbedded with sand laminae about 1 mm in thickness. This facies is characteristic of a tidal deposit in a relatively shallow environment (10-15 m), which is locally a wide depression between two Appalachian rock ridges. Ligneous organic debris occurring at various depths released 14C ages ranging from 8.7 to 10.6 ka BP corresponding to the last episode of the Goldthwait Sea on the south shore of the St. Lawrence estuary. Two metres in thickness, unit 2 is made of silt and fine sand laminae deposited in a subtidal or a lower intertidal environment. This unit has not been dated yet. At the surface, the 100-cm thick sand unit (unit 3) was probably deposited during the Mitis stage which is dated about 2 ka BP. The Rivière Fouquette section shows that the nature of the 6-m Mitis terrace is occasionally complex; this terrace can be formed of deposits older than the Mitis event. Data from this section indicate that the relative sea level at 9.5 ka BP was approximately 15 m higher than presently.
Article body
Introduction
La basse terrasse de ±6 m en bordure du Saint-Laurent estuarien, appelée terrasse Mitis (Dionne, 1963), n’a pas encore révélé tous ses secrets. Forme complexe à la fois d’érosion et d’accumulation selon les sites, elle est souvent formée de divers dépôts holocènes, voire même wisconsiniens (Dionne, 2002b). C’est le cas dans la région de la rivière Fouquette située entre Andréville et Rivière-du-Loup. À cet endroit, le substrat de la terrasse de 6 m comprend, à la base, un dépôt mis en place entre 9 et 10 ka.
La présente note décrit une coupe dans la terrasse de 6 m située près de l’embouchure de la rivière Fouquette. Sont aussi proposées des corrélations avec d’autres coupes de la rive sud présentant des dépôts similaires du même âge.
Situation géographique et contexte géomorphologique
La rivière Fouquette est située sur la rive sud du moyen estuaire du Saint-Laurent, entre Andréville et Rivière-des-Caps, soit à une dizaine de kilomètres au SO de Rivière-du-Loup (fig. 1). L’embouchure de la rivière se trouve au nord de la Grosse Montagne (69° 41’ 50” O, 47° 42’ 15” N). D’un débit très modeste, cette petite rivière draine une partie des basses terres de la zone côtière, principalement dans le secteur situé au nord de l’autoroute Jean-Lesage, près de la sortie pour Saint-Alexandre (route 51).
Ce secteur (fig. 2) est caractérisé par une série de crêtes rocheuses appalachiennes constituées d’orthoquartzite gris pâle datant de l’Ordovicien inférieur (Hubert, 1973). Placées en échelons et orientées SO-NE, ces crêtes sont séparées par de larges dépressions partiellement comblées de dépôts quaternaires, en particulier des dépôts de la Mer de Goldthwait : limon, argile, sable et gravier (plages). D’après Martineau (1977), la limite marine maximale dans le secteur d’Andréville-rivière Fouquette serait de 165 m, soit à une altitude supérieure à celle de la région de Rivière-du-Loup (Dionne, 2002a). Les quelques datations au 14C ayant trait à l’argile de la Mer de Goldthwait dans le secteur de Kamouraska vont de 11,4 à 9,3 ka BP (tabl. I). Elles ne permettent malheureusement pas de dater le début de la submersion postglaciaire survenue vers 12-12,5 ka. La succession des événements devraient toutefois y être semblable à celle de la région de Rivière-du-Loup (Dionne, 2002a). Les sédiments littoraux de plusieurs mètres d’épaisseur observés dans la grande gravière (plages soulevées) au SE de l’embouchure de la rivière Fouquette, entre 35 et 50 m d’altitude, ne contiennent malheureusement pas de coquillages. Le matériel sablo-graveleux stratifié est à plus de 60 % appalachien (tabl. II) ; comme il est plutôt acide et perméable, s’il contenait des coquillages, ils ont pu être dissous.
Entre l’autoroute 20 et la Nationale 132, la rivière Fouquette coule dans une direction générale SE-NO ; mais juste au nord de la route 132, elle emprunte la dépression entre deux grosses crêtes rocheuses et coule alors vers le sud-ouest, entaillant de quelques mètres de profondeur la terrasse de ±6 m.
Coupe de la rivière Fouquette
La coupe de la rivière Fouquette (fig. 3 et 4) se trouve à environ 400 m de l’embouchure, là où le cours d’eau fait un coude et érode la rive gauche sur une hauteur d’environ 6 m. Atteint par la marée sur une longueur d’environ 700 m, le secteur aval de la rivière forme un petit estuaire. À marée haute de vive eau, la base de l’escarpement sur environ 250 cm se trouve sous l’eau, mais, à marée basse, on peut observer les unités suivantes (fig. 5).
D’environ 3 m d’épaisseur, l’unité 1 est constituée à sa base d’un dépôt argileux de type rythmique. Dominent dans cette unité des couches d’argile gris pâle, de 1 à 4 cm d’épaisseur, constituées de lamines à peine visibles à l’oeil nu (fig. 6) ; lorsqu’elle est humide, l’argile est molle ou plastique, très collante et calcaire ; plus de 87 % des particules ont une taille inférieure à 63 µm. Elle est interstratifiée avec de minces lits sableux (sable fin à grossier) contenant parfois des débris organiques et des fragments de coquillages marins dont Hiatella arctica, Macoma calcarea, Nuculana sp. et des gastéropodes. De gros fragments de bois ont été trouvés à divers niveaux (fig. 7).
D’environ 200 cm d’épaisseur, l’unité 2 surmonte en continuité l’unité sous-jacente, mais le matériel stratifié en lits minces de 0,5 à 0,8 mm, légèrement plus grossier, est formé de limon et de sable fin gris pâle à moyen.
Au sommet de la coupe, l’unité 3, d’une épaisseur d’environ 100 cm, est essentiellement composée de sable fin limoneux, gris pâle à blanchâtre, légèrement oxydé par endroits, et contient des cailloux épars. Soulignée par la couleur des couches, la stratification est néanmoins peu nette. On y observe des traces oxydées de racines et de plantes aquatiques.
Mentionnons en passant qu’un examen sommaire[1] de trois échantillons de chacune des trois unités lithostratigraphiques n’a pas révélé la présence de diatomées ni de foraminifères, ce qui est fort surprenant compte tenu de leur abondance dans les sédiments de la Mer de Goldthwait dans la région (Lortie, 1983 ; Lortie et Guilbault, 1984). L’absence apparente de micro-organismes dans les unités 1 et 2 de la coupe de la rivière Fouquette est sans doute attribuable à un mauvais échantillonnage.
Interprétation et discussion
Si on se fonde sur les dates au 14C obtenues sur des fragments de bois (tabl. III), l’unité 1 de la coupe de la rivière Fouquette (fig. 5) aurait été mise en place dans un milieu moyennement profond (10 à 15 m environ) correspondant au remblaiement de la dépression entre les crêtes rocheuses appalachiennes du secteur côtier durant la dernière phase de la Mer de Goldthwait. En concordance avec l’unité 1, l’unité 2 caractérise un milieu moins profond de la zone infratidale (5 à 10 m). En l’absence de matériaux datables, il n’a pas été possible de connaître l’âge de cette unité, probablement mise en place entre 9 et 8 ka BP. Quant à l’unité 3 il s’agit, en surface, d’un dépôt de zone intertidale coiffant le substrat limono-argileux ; il a vraisemblablement été mis en place lors de l’épisode de Mitis daté d’environ 2 ka.
La coupe de la rivière Fouquette entaille la terrasse de ±6 m qui correspond à la terrasse Mitis (Dionne, 1963). À première vue, on s’attendrait à trouver ici des dépôts propres à cette terrasse édifiée il y a environ deux millénaires (Dionne, 2002b). La coupe révèle plutôt que l’essentiel du remblaiement est de loin antérieur à l’épisode de Mitis. L’âge des unités 2 et 3 n’a pas pu être déterminé faute de matériaux datables (bois, coquillages). Les unités 2 et 1 sont apparemment en continuité et dateraient de l’Holocène inférieur alors que l’unité 3 daterait de l’Holocène supérieur. Quoi qu’il en soit, le substrat de la terrasse Mitis à cet endroit correspond en majeure partie à une surface d’érosion taillée dans des formations marines mises en place dans la Mer de Goldthwait durant sa dernière phase.
L’unité 1, à la base de la coupe de la rivière Fouquette, ressemble beaucoup à celle de la moitié inférieure de la falaise de la terrasse de 10 m dans l’anse de Bellechasse (Dionne, 1997, 2000) ; les deux unités ont d’ailleurs le même âge. Des observations sommaires permettent d’affirmer que ce dépôt argileux constitue aussi le substrat actuel de la large batture en face de la rivière Fouquette, substrat recouvert d’un mince placage de vase et de sable fin avec des cailloux glaciels épars.
D’après Lorrain (1992), le substrat de la vaste plate-forme infralittorale (3 à 5 km) comprise entre les isobathes 0 et 10 m, entre Rivière-du-Loup et Andréville, serait constitué d’un dépôt pélitique comprenant des couches d’argile légèrement silteuse. Ces couches sont formées de lamines de ±1 mm d’épaisseur et, à intervalles irréguliers de 2 à 13 cm (6 cm en moyenne), de couches de sable fin de 2 à 5 mm d’épaisseur. D’après les analyses des carottes (forages), les caractéristiques de ce dépôt rappellent celles de l’unité 1 à la base de la coupe de la rivière Fouquette.
D’une trentaine de mètres d’épaisseur selon des sondages sismiques, ce dépôt serait de type tidal. Les éléments grossiers (arénites) seraient d’origine glacielle. Apparemment, les divers carottages (une soixantaine) n’ont pas permis de récolter des matériaux pouvant être datés au 14C (coquillages, bois, matière organique, foraminifères), de sorte que l’âge de la formation argileuse n’a pu être déterminé.
Lorrain (1992, p. 50) a comparé ce dépôt aux rythmites de la baie de Sainte-Anne (La Pocatière) et aux pélites gris pâle du moyen estuaire cartographiées par Loring et Nota (1973). Il écrit que les rythmites de la plate-forme infralittorale de Rivière-du-Loup sont semblables à celles de la baie de Sainte-Anne. Or, les publications auxquelles il fait référence (d’Anglejan, 1981 ; d’Anglejan et al., 1981) ne contiennent aucune description de rythmites limono-argileuses pour la plate-forme infralittorale et intertidale de la baie de Sainte-Anne. Il est question seulement de « a thin cover of silty clay and sandy silt (…) over the platform (…) interspersed with abundant rock fragments randomly scattered by ice-rafting » (d’Anglejan et al., 1981, p. 90). Selon d’Anglejan (1981, p. 255), « il s’agit vraisemblablement d’argiles marines post-glaciaires exposées le long de la plaine côtière ». Il n’est donc pas possible de comparer le dépôt argileux constituant le substrat de la plate-forme infralittorale de la baie de Sainte-Anne à celui de la plate-forme infralittorale de Rivière-du-Loup.
Lorrain (1992, p. 50) cite aussi Loring et Nota (1973). Or, d’après la carte des sédiments de surface de ces derniers, la zone infralittorale entre Rivière-du-Loup et Rivière-Ouelle est constituée de gravier sableux. Le secteur des « pélites reliques » signalées par ces auteurs est plutôt situé entre Rivière-Ouelle et Saint-Jean-Port-Joli. Curieusement, d’Anglejan (1981) n’en parle pas. Quoi qu’il en soit, selon Loring et Nota (1973, p. 56 et 133), dans la baie de Sainte-Anne, les pélites sont composées à 80 à 90 % d’une argile homogène, collante, de couleur gris olive pâle (5Y 6/1), ayant une forte teneur en eau (40 %). Différente des autres formations pélitiques de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, cette argile aurait été mise en place en milieu lacustre lors de la déglaciation de l’estuaire et avant la submersion marine postglaciaire. Les auteurs ne mentionnent pas que l’argile est calcaire ni qu’elle contient une micro- ou une macrofaune marine ou lacustre. Dans ces conditions, la comparaison faite par Lorrain nous paraît forcée et peu valide.
Lorrain (1992, p. 16 et 50) a aussi comparé le dépôt argileux de la plate-forme infralittorale avec celui de l’unité 4 de la coupe de Montmagny (Dionne, 1988a, 1998, 2001) mis en place lors de la Transgression laurentienne, c’est-à-dire entre 5,6 et 4 ka BP. À notre avis, cette corrélation est inadéquate pour deux raisons. D’une part, les caractéristiques du dépôt pélitique de la plate-forme infralittorale signalé par Lorrain diffèrent non seulement de celles de l’unité 4 mais aussi de celles de l’unité 2 de la coupe de Montmagny dont les âges respectifs sont de 4 à 5,6 et de 7 à 8 ka BP. D’autre part, le dépôt pélitique de la plate-forme infralittorale est semblable à celui de la base de la coupe de la rivière Fouquette et de la coupe de la terrasse de 10 m dans l’anse de Bellechasse (Dionne, 1997, 2000), dépôts qui ont le même âge (9-10 ka BP). On peut donc en conclure que le dépôt pélitique décrit par Lorrain a été mis en place lors du dernier épisode de la Mer de Goldthwait, alors que le niveau marin relatif devait être d’une quinzaine de mètres plus élevé que le niveau actuel, et non lors de l’épisode correspondant à la Transgression laurentienne. Quoi qu’il en soit, la corrélation faite par Lorrain (1992) paraît erronée. Le dépôt limono-sableux intertidal mis en place lors de la Transgression laurentienne dans le secteur amont du moyen estuaire (Dionne, 1988a, 1988b, 1997, 2001 ; Dionne et Pfalzgraf, 2001) ne ressemble pas au dépôt pélitique observé à la base de la terrasse Mitis dans la coupe de la rivière Fouquette, ni à celui de la zone intertidale située à proximité ou à celui de la plate-forme infralittorale entre Andréville et Rivière-du-Loup.
Conclusion
Comme l’a montré récemment Dionne (2002b), la basse terrasse en bordure du Saint-Laurent estuarien (terrasse Mitis) est beaucoup plus complexe qu’on le croyait jadis. Son substrat est constitué de dépôts de nature et d’âge variés. Selon les sites, il s’agit à la fois de formes d’érosion et d’accumulation. En effet, la coupe de la rivière Fouquette témoigne de la présence d’un dépôt mis en place dans la Mer de Goldthwait, entre 9 et 10,6 ka, à la base de la terrasse de 6 m. L’absence de datations au 14C pour les unités 2 et 3 de la coupe ne permet pas pour l’instant d’affirmer qu’elles ont été déposées lors de l’épisode de Mitis, bien que cela soit probable pour l’unité 3.
Malgré les progrès accomplis au cours des deux dernières décennies, il reste encore beaucoup de travaux de terrain à effectuer pour parvenir à retracer tous les événements géologiques survenus dans la vallée inférieure du Saint-Laurent au cours de l’Holocène. Nous souhaitons ardemment que tous ceux qui disposent de données inédites les fassent connaître sans délai et que les autorités compétentes subventionnent les recherches pertinentes nécessaires pour atteindre cet objectif.
Appendices
Remerciements
La présente contribution fait partie d’un projet de recherche à long terme sur l’évolution des rives de l’estuaire du Saint-Laurent partiellement subventionné par le programme du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (Ottawa). Carl Bélanger a attiré notre attention sur la coupe de la rivière Fouquette alors qu’il était étudiant au doctorat à l’Université Laval. Une partie des dates au 14C ont été déterminées au Laboratoire de radiochronologie du Centre d’études nordiques de l’Université Laval. Les illustrations ont été préparées par Karine Tessier au laboratoire de Cartographie du Département de géographie. Le texte a été saisi par madame Pierrette Morissette. Le manuscrit a été évalué par Bernard Hétu et Pascal Bernatchez. À tous les collaborateurs, nos plus sincères remerciements.
Notes
Références
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