Abstracts
Résumé
Les glaciers actuels et les dépôts glaciaires d’âge pléistocène occupent trois régions en Turquie : 1. La chaîne du Taurus : Les deux tiers des glaciers actuels en Turquie sont concentrés dans la partie sud-est de cette chaîne. Le mont Cilo (4 135 m) supporte, à lui seul, plus de dix glaciers. Dans la partie centrale, de petits glaciers actuels sont observés sur les massifs de Aladağ (3 756 m) et de Bolkardağ (3 524 m) ; 2. La chaîne des Pontides : Sur le plus haut sommet de cette chaîne (mont Kaçkar, 3 932 m) cinq glaciers se sont développés. Bien que plusieurs montagnes contiennent des vallées glaciaires, les conditions climatiques actuellement très humides ont grandement modifié les dépôts morainiques ; 3. Les volcans et les massifs montagneux du plateau anatolien : Le mont Ararat (5 165 m), avec une calotte de glace de 10 km2, le mont Süphan (4 058 m) et le mont Erciyes (3 917 m) contiennent des glaciers actifs. Plusieurs autres montagnes dans le plateau anatolien portent également des traces de leur passé glaciaire. Dans l’ensemble, peu de données sont disponibles sur les glaciers turcs et les études les plus récentes mentionnent un recul des glaciers au moins depuis le début du XXe siècle.
Abstract
Present day glaciers and Quaternary glacial deposits occur in 3 regions in Turkey: 1. The Taurus Mountain Range: Two thirds of the present day Turkish glaciers are concentrated in the SE part of this range. Mount Cilo (4 135 m) alone supports more than ten glaciers. In the Central part, Aladağ (3 756 m) and Bolkardağ (3 524 m) constitute two of the most important mountains where small glaciers are present. 2. The Pontic Mountain Range: On the Mount Kaçkar (3 932 m) five glaciers are developed. Although several other mountains contain glacial valleys in the chain, most of the glacier related landforms are severely altered because of the actual humid climatic conditions. 3. Volcanoes and independent mountains of the Anatolian Plateau: Volcanoes such as Mount Ararat (5 165 m) supports an ice cap of 10 km2. The Mount Süphan (4 058 m) and Mount Erciyes (3 917 m) also show signs of glacial activity and active glaciers. Several other mountains in Central Anatolia also bear traces of past glacial activity. As a whole, very limited data are available on Turkish glaciers, and recent observations indicate a glacier recession at least since from the beginning of the 20th century.
Öz
Türkiye’deki güncel buzulların ve Kuvaterner buzullaşmasına ait izlerin gözlemlendiği bölgeler başlıca 3 gurup altında toplanırlar : 1. Toros Dağları : Türkiye’nin Güncel buzulların üçte ikisi GD Anadolu’da toplanmıştır. Bunlardan sadece Cilo Dağı (4 135 m) 10’dan fazla buzul barındırır. Orta Toroslar’da, Aladağ (3 756 m) ve Bolkardağ’da (3 524 m) çok küçük de olsa birkaç buzul bulunmaktadır. 2. Doğu Karadeniz Dağları : Bölgenin en yüksek zirvesi Kaçkar (3 932 m) olup toplam 5 adet buzul bulunmaktadır. Bölgenin çeşitli yerlerinde önemli buzul vadileri gözlenmesine rağmen, günümüzün nemli iklim koşulları nedeniyle buzullar ile ilgili yerşekillerinin büyük çoğunluğu yoğun bir aşınıma maruz kalmışlardır. 3. Volkanlar ve Anadolu’nun diğer dağları : Türkiye’nin en büyük volkanı olan Ağrı Dağı (5 165 m) ülkenin yegane buz takkesini (10 km2) barındırır. Süphan (4 058 m) ve Erciyes (3 917 m) volkanlarında da küçük de olsa güncel buzullar mevcuttur. Bunun yanı sıra Anadolu’nun çeşitli dağlarında da Kuvaterner buzullaşmasına ait izlere rastlamak mümkündür. Türkiye’nin çeşitli dağlarında Kuvaterner buzullaşmasının izleri net bir şekilde gözlenmekle beraber, buzul evrelerinin mutlak yaşlandırılması henüz yapılmamıştır. Buna rağmen 20. yy’ın başından beri yapılan gözlemler güncel buzulların çekilmekte olduklarını ortaya koymaktadır.
Article body
Introduction
La Turquie est située à l’est de la région méditerranéenne (de 36° à 42° N et de 26° à 45° E). Le pays est caractérisé par de forts contrastes climatiques et topographiques. Alors que l’altitude moyenne de l’Anatolie ne dépasse pas 1 132 m, dans la partie est du pays, quelques montagnes s’élèvent bien au-dessus de la ligne des neiges (Kurter et Sungur, 1980 ; Kurter, 1991). D’après Erinç (1952a), la limite actuelle des neiges persistantes s’élève à 3 100-3 200 m dans les Pontides, 3 400-3 500 m dans les Taurus, 3 500 m en Anatolie intérieure et 4 000 m sur le mont Ararat en Anatolie orientale. Dès la moitié du XIXe siècle, l’existence de glaciers dans les Taurus et les Pontides a été mentionnée par Ainsworth (1842) et Palgrave (1872), mais aucune étude scientifique n’a été menée avant le début du XXe siècle. Depuis, Maunsell (1901), Louis (1938, 1944), Bobek (1940), İzbırak (1951), Erinç (1953), Blumenthal (1954) et Wright (1962) ont obtenu des données sur la chaîne des Taurus, la région la plus montagneuse de la Turquie où sont concentrés les deux tiers des glaciers actuels (fig. 1).
À part quelques auteurs d’études régionales et locales, plusieurs chercheurs ont fait des observations générales sur les glaciers et les morphologies associées en Turquie. Le plus important de ces travaux fut mené par le premier glaciologue turc, Sırrı Erinç. Il publia plusieurs études sur les glaciers et les variations de la ligne des neiges (Erinç, 1944, 1949a, 1951, 1952a, 1952b, 1953, 1954, 1978). Plus récemment, Messerli (1964, 1967, 1980), Birman (1968), Arkel, (1973) et Atalay (1987) ont également produit quelques synthèses sur les glaciers modernes. Enfin, Kurter et Sungur (1980) et Kurter (1991) ont publié des cartes détaillées et des images satellitaires des glaciers récents.
Cet article a pour but de présenter une revue des connaissances actuelles. À cause de l’absence de données quantitatives sur les glaciations pléistocènes, cette synthèse est surtout fondée sur la bibliographie combinée à des données et observations personnelles de terrain.
Les glaciers et morphologies associées
Les glaciers actuels et les dépôts glaciaires d’âge pléistocène peuvent être regroupés en trois régions en Turquie (fig. 1 et tabl. I) (Çiner, 2002, 2003a) : la chaîne des Taurus (côte méditerranéenne et sud-est de la Turquie), la chaîne des Pontides (Anatolie du nord-est) et les volcans et massifs montagneux du plateau anatolien.
La chaîne des Taurus
Les montagnes du Taurus peuvent être divisées en trois régions (sud-est, centre et sud-ouest) qui s’étendent du sud-ouest au sud-est de la Turquie jusqu’à la frontière iraquo-iranienne, parallèlement à la côte méditerranéenne. Les deux tiers des glaciers actuels du pays sont situés dans la partie sud-est des Taurus. Plus à l’ouest, on ne relève pas de présence des glaciers, probablement à cause d’une ligne des neiges plus élevée (2 300 m) et d’un nombre limité de sommets suffisamment élevés.
Les Taurus du sud-est
Il s’agit de la région de la Turquie la plus riche en glaciers récents, avec une vingtaine de glaciers dénombrés par Erinç (1952b). Ils sont particulièrement bien développés sur le mont Cilo (4 135 m) (fig. 2). Le glacier de İzbırak, long de 4 km, couvre une superficie de 8 km2. C’est en 1901 que Maunsell l’a photographié pour la première fois. Cette photographie, bien que peu nette, montre une langue glaciaire épaisse, plus large qu’aujourd’hui et qui descend plus bas en altitude. Bobek, qui visita le glacier en 1937, situe son extrémité à 2 600 m (Bobek, 1940). Erinç (1952a) relève en 1948 que cette langue glaciaire a dû reculer jusqu’à une altitude de 2 900 m. Dernièrement, les analyses sur images satellitaires réalisées par Kurter (1991), indiquent un recul du glacier à une altitude d’environ 3 000 m. Ces données montrent clairement une régression et un amincissement du glacier au moins depuis le début du XXe siècle. Bobek (1940) décrivait également des traces d’une intense glaciation pléistocène sur le flanc nord.
Le glacier de Suppa Durek (ou glacier de Erinç, comme on a l’habitude de le nommer maintenant) constitue un autre glacier important, avec une longueur de plus de 3 km. Un autre complexe glaciaire dénommé Mia Hvara (ou glacier de Avaspi) comprend trois glaciers isolés dans la vallée de Avaspi, probablement issus d’un glacier originel unique (fig. 2). En fait, l’extrémité de ce glacier, qui descendait jusqu’à 2 550 m en 1937 (Bobek, 1940), a été relevée à 2 800 m par Erinç en 1948 (1952a). Les observations satellitaires confirment cette altitude (Kurter, 1991). Cependant, des moraines terminales fraîches indiquent que la limite du glacier a continué à reculer (Kurter, 1991). L’extension maximale des glaciers pléistocènes est très bien marquée par des moraines terminales. À cette époque, le glacier de Mia Hvara s’étendait au moins sur 9 km de long. Les glaciers voisins de 7, 5 et 6 km de long, contrairement aux glaciers alpins, ne formaient pas un réseau glaciaire coalescent (Bobek, 1940).
Au sud-est des montagnes du Taurus, des glaciers moins importants s’étendent sur le mont Sat (3 807 m). Le plus étendu (glacier de Geverok) s’allonge sur 1 km. D’après Bobek (1940), au Pléistocène, ce glacier aurait atteint une longueur de 10 km. Dans la partie la plus au nord du Taurus du sud-est, un petit glacier de seulement 300 m de long et de 200 m de large a d’abord été décrit par Klaer (1965) et, plus tard, par Schweizer (1975). D’après les images satellitaires, ce glacier est situé sur le mont Hasanbeşir (3 503 m), au sud du lac de Van, à une altitude de 3 300 m (Kurter, 1991).
La ligne des neiges actuelle au sud des montagnes du Taurus varie entre 3 400 et 3 600 m d’altitude et celle du dernier maximum glaciaire (vers 22 000-18 000 BP [Kuzucuoğlu et Roberts, 1998]) a été estimée à 2 800 m (Messerli, 1967). La présence de glaciers récents s’explique aisément par les conditions géographiques et physiographiques (des vallées bien encaissées, donc souvent à l’ombre), et climatiques locales (des précipitations souvent sous forme de neige, donc peu de fonte des glaciers, même pendant l’été).
Le Taurus central
Des glaciers plus petits et peu étendus et des morphologies glaciaires associées ont attiré l’attention des scientifiques dans le centre du Taurus, depuis l’expédition allemande de 1927 (Künne, 1928), probablement à cause de leur accès plus facile. Les montagnes de Aladağ et de Bolkardağ sont les plus instructives. Le flanc sud du sommet de Demirkazık (3 756 m ; Aladağ) porte le glacier de Lorut, de 1 km de long (Kurter, 1991). Cependant, des formes glaciaires à des altitudes plus basses prouvent que la glaciation pléistocène était beaucoup plus étendue. Au sud et au sud-est des sommets de Demirkazık et de Kaldı, plusieurs vallées contiennent des moraines terminales et latérales descendant jusqu’à des altitudes de 2 100 à 2 200 m (Spreitzer, 1939, 1956, 1957, 1958, 1959, 1960, 1969, 1971 ; Blumenthal, 1941, 1952 ; Birman, 1968).
Une campagne de terrain menée par une équipe de l'Université Hacettepe, en 1997 et en 2001, a confirmé la présence de ces moraines dans plusieurs des vallées. Les langues d’une calotte glaciaire située au niveau du plateau de Yedigöller (« sept lacs », en turc ; 3 100 m) ont dû descendre via ces vallées, créant ainsi plusieurs types de moraines. Par exemple, à l’est, une moraine latérale occupe le flanc nord de la vallée de Hacer sur plusieurs centaines de mètres d’épaisseur et quelques kilomètres de long. Elle est composée de grands blocs de calcaire (jusqu’à 20 m de diamètre) maintenant partiellement recouverts par des arbres (fig. 3). Des moraines frontales ainsi que des dépôts de lacs asséchés derrière les moraines sont aussi très bien préservés (fig. 4). Des dépôts fluvio-glaciaires sont également observés autour de 1 000 m d’altitude.
À partir d’images satellitaires du mont Medetsiz (3 524 m), dans les montagnes de Bolkardağ, Kurter (1991) a relevé un glacier d’environ 300 m de long descendant de 3 350 à 3 000 m. Cependant, d’après une communication personnelle de Catherine Kuzucuoğlu, qui a visité le site en 1998, il n’y aurait à cet endroit que des neiges éternelles et quelques restes de glaciers. Les morphologies glaciaires de cette région indiquent une glaciation pléistocène intense. Plusieurs moraines distinctes sont présentes le long des cours d’eau de Maden et de Ganimet, vers 1 750 m (Blumenthal, 1956a ; Birman, 1968). Messerli (1967) et Klaer (1969) ont rapporté l’existence de moraines descendant du Medetsiz jusqu’à une altitude de 1 700-1 650 m dans la vallée de Maden (fig. 5). À de plus hautes altitudes, une petite calotte glaciaire s’est probablement développée durant le maximum glaciaire, engendrant des roches moutonnées bien polies sur le socle calcaire, plusieurs lacs glaciaires et des rides morainiques. Les tills composant ces moraines contiennent différents types de calcaires, des galets et des blocs de diabases. Quelques blocs de diabases striés sont particulièrement bien préservés à cause de leur résistance à l’érosion (fig. 6 et 7). Un complexe morainique (2 400-2 600 m) et une plaine d’inondation glaciaire sont aussi présents dans la vallée de Gökoluk, au sud du massif de Bolkardağ.
Dans le Taurus central, à l’exception des montagnes de Bolkardağ et de Aladağ, seule la face nord du mont Dipoyraz (2 997 m) comporte quelques petits glaciers actuels (Delannoy et Maire, 1983). Des moraines bien développées sont également présentes sur le flanc est du Dipoyraz, vers 2 000 m. Aucune autre montagne du Taurus central ne comporte de glaciers actuels. Cependant, des moraines latérales anciennes ont été signalées dans le mont Barla (2 799 m), près de Isparta (Monod, 1977 ; Atalay, 1987 ; Olivier Monod, communication personnelle, 2002).
Une autre région située à 100 km au nord-est de Antalya, dans le Taurus central, est caractérisée par des morphologies en hummocks sur une étendue d’environ 30 km2 dans les vallées de Namaras et de Susam (2 000 m), près de Geyikdağ (2 808 m ; fig. 8 et 9 ; Arpat et Özgül, 1972 ; Çiner et al., 1999). Dans ces vallées, de petites collines de 10 m de haut et de 30 m de large, séparées par des dépressions irrégulières, sont interprétées comme des moraines en hummocks altérées issues des glaciers préexistants (Çiner et al., 1999 ; Çiner, 2003b). Plusieurs formes glaciaires, telles que des kettles et des galets sculptés par les glaciers, sont fréquentes dans cette région (fig. 10 et 11).
La ligne des neiges actuelle dans les montagnes du Taurus central varie entre 3 200 et 3 700 m d’altitude et celle du dernier maximum glaciaire est estimée à 2 200 m en moyenne (Messerli, 1967).
Le Taurus de l’ouest
Les montagnes du Taurus de l’ouest ne portent pas de glaciers récents. Cependant, les montagnes de Beydağ (3 086 m) et de Akdağ (3 016 m) possèdent des cirques et des formes morainiques bien développés, en particulier sur les pentes orientées au nord-est (Planhol, 1953 ; Onde, 1954 ; Messerli, 1967 ; Doğu et al., 1999). D’après Doğu et al. (2000), le mont Akdağ est caractérisé par des morphologies typiques d’un glacio-karst. Au Pléistocène, la glaciation a dû débuter sur les dolines et s’étendre sur les trois vallées qui donnent sur les versants nord et nord-est de la montagne. Quelques moraines sont également relevées sur les flancs nord-est des monts Honaz (2 571 m) (Darkot et Erinç, 1954 ; Yalçınlar, 1954, 1955 ; Erinç, 1955a, 1955b) et Sandıras (2 295 m) (de Planhol, 1953 ; Doğu, 1993).
La ligne des neiges actuelle est estimée à 3 500 m (Doğu, 1993). Par contre, celle du dernier maximum glaciaire descendait jusqu’à 2 400 m environ dans ces montagnes du Taurus occidental, sauf au mont Sandıras où elle a été déterminée vers 2 000 m. Cette basse altitude de la ligne des neiges est probablement due à la proximité de la mer et à des conditions climatiques humides favorables (Planhol, 1953 ; Messerli, 1967 ; Doğu, 1993).
Il est probable que toutes ces montagnes ont porté des glaciers pléistocènes. Cependant, hormis l’estimation de l’altitude de la ligne des neiges, la taille actuelle et la dynamique des glaciers du centre et de l’ouest du Taurus sont peu connues.
La chaîne des Pontides (Anatolie du nord-est)
La chaîne des Pontides s’étend d’ouest en est le long de la côte turque de la mer Noire. Son altitude s’élève vers l’est jusqu’à plus de 3 900 m (Stratil-Sauer 1961, 1964, 1965 ; Gall, 1966). La ligne des neiges actuelle est beaucoup plus basse sur les pentes nord (3 100-3 200 m) que sur les pentes sud (3 550 m) à cause de l’influence des masses d’air humide (Erinç, 1952a). L’altitude de la ligne des neiges du dernier maximum glaciaire est estimée en moyenne à 2 600 m (Messerli, 1967).
Le plus haut sommet de la chaîne est le mont Kaçkar (3 932 m). Cinq glaciers se sont développés sur son flanc nord. Erinç (1949a), qui a le premier décrit le plus large des glaciers et l’a dénommé Kaçkar I, indique que la langue glaciaire descend jusqu’à 2 850 m. Sur les images prises par le satellite Landsat MSS en 1975, ce glacier débute vers 3 650 m et s’étend sur une longueur de 1 500 m jusqu’à une altitude de 2 900 m (Kurter, 1991). Doğu et al. (1993), qui ont mené une campagne de terrain sur ce site, ont mesuré une longueur de 1 250 à 1 300 m (pour une altitude de 3 600 à 3 000 m). Les autres glaciers présents sont identifiés comme Kaçkar II et III. Leur extrémité descend respectivement jusqu’à 3 000 et 2 940 m (Erinç, 1949a). D’après Kurter (1991), les images du satellite Landsat (prises en 1975) montrent deux glaciers partant de 3 650 m et s’étendant sur 1 km de long, jusqu’à une altitude de 2 990 m. La limite inférieure donnée par Doğu et al. (1993) est encore plus élevée : 3 080 et 3 100 m respectivement. D’après leur carte, les longueurs calculées de ces glaciers sont de 700 et 500 m. Ces trois études confirment la tendance générale au recul des glaciers en Turquie, déjà observée dans les montagnes du Taurus sud-oriental (mont Cilo) et sur plusieurs volcans (voir ci-dessous). Trois petits glaciers de cirques dénommés Krenek I et II (Krenek, 1932) et Dübe sont également présents sur le mont Kaçkar. Cette partie, la plus montagneuse de la chaîne des Pontides, comporte quatre larges vallées glaciaires en U (Doğu et al., 1993) où des morphologies glaciaires telles que des moraines terminales, latérales et de fond, des roches moutonnées et des lacs d’obturation glaciaire (dont la superficie est d’environ 1 km2) sont bien préservées (fig. 12).
Le second sommet le plus élevé des Pontides est le mont Verçenik (3 709 m). Sur la carte de Erinç (1949a), trois glaciers sont présents sur son flanc nord. Cependant, sur les images Landsat, seulement deux glaciers, le Dilektepe (700 m) et le Sinançor (300 m), existent encore en 1975 (Kurter, 1991). En 1996, Doğu et al. n’ont pas relevé ces deux glaciers lors de leur campagne de terrain près du mont Verçenik. Ils ont cependant indiqué la présence de plusieurs cirques, de lacs barrés par des moraines et de moraines médianes, terminales et latérales. Ils ont également identifié deux réseaux différents de moraines de plusieurs kilomètres de long.
Ainsi, les parties est de la chaîne des Pontides, bien que moins élevées, portent quand même des glaciers récents sur les montagnes de Bulut-Altıparmak (Doğu et al., 1994, 1997). Le plus large (500 m), le glacier de Kırmızıgedik, occupe un cirque à l’est du mont Lazgediği (3 353 m). Un autre petit glacier de seulement 150 m de long, le Avucur se trouve sur le mont Kindavul (3 562). À l’ouest, le mont Karagöl (3 107 m) et le mont Karadağ (3 331 m) portent aussi plusieurs petits glaciers (Leutelt, 1935 ; Lembke, 1939). Selon Planhol et Bilgin (1964), sur le mont Karagöl, seul le glacier nord-ouest (de 400 m de long) descendait jusqu’à 2 850 m et entraînait un ensemble de moraines terminales, probablement au dernier maximum glaciaire.
De nos jours, la totalité des vallées qui donnent sur les versants nord de la chaîne des Pontides sont recouvertes de végétation. Les conditions climatiques de l’Holocène (cette région est la partie la plus pluvieuse de la Turquie) sont responsables de l’érosion de la plupart des moraines, ce qui explique leur très mauvaise conservation. Cependant, dans certaines vallées du mont Kaçkar comme les vallées de Çermeç et d’Avucur, des moraines frontales et latérales contenant des blocs granitiques de plusieurs mètres d’épaisseur ont pu être préservées. Sur les versants sud de la chaîne des Pontides, peu de vallées contiennent des signes de glaciation, non seulement à cause de leur exposition, mais aussi à cause de la sécheresse créée par l’effet de rain shadow au nord.
Les volcans et les massifs montagneux du plateau anatolien
Les volcans de l’intérieur du pays montrent également les traces d’une activité glaciaire et portent des glaciers actifs. Parmi eux, le mont Ararat, près des frontières iranienne et arménienne, est non seulement le sommet plus élevé de la Turquie (5 165 m), mais aussi la seule montagne pourvue d’une calotte glaciaire (Imhof, 1956) (fig. 13 et 14). Selon Blumenthal (1956b, 1958), onze glaciers descendent de son sommet jusqu’à 3 900 m sur son côté nord, et jusqu’à 4 200 m sur son flanc sud, recouvrant une aire d’approximativement 10 km2. Birman (1968), qui a observé ces glaciers à distance en 1963, affirme que le glacier le plus bas descendait jusqu’à 4 500 m sur la pente est, et jusqu’à 3 700 m sur son côté nord. Sur le mont Ararat, la ligne des neiges actuelle est située vers 4 300 m d’altitude (Klaer, 1965 ; Arkel, 1973 ; Kurter et Sungur, 1980). Les images Landsat MSS prises en 1976 indiquent clairement une inclinaison prononcée de la calotte glaciaire vers le nord-ouest, descendant jusqu’à 4 100 m (Kurter et Sungur, 1980). Blumenthal (1958) a estimé la ligne des neiges pléistocène à 3 000 m d’altitude, pour une étendue de glace d’environ 100 km2. Il expliquait l’absence de moraines par un développement insuffisant des vallées glaciaires, par une charge de débris trop faible sur la glace pour former des moraines et par des éruptions volcaniques qui recouvrirent plus tard les moraines précédentes. La vallée de Cehennemdere, au nord-est du mont Ararat, est la seule où des moraines sont encore présentes.
Un autre volcan, le mont Süphan (4 058 m), est localisé au nord du lac de Van, dans le sud-est de la Turquie. Plusieurs petits glaciers s’étendent sur le flanc nord du cratère (Kurter et Sungur, 1980). Le plus étendu mesure 2 km de large sur 1,5 km de long et descend jusqu’à 3 400 m (Kurter, 1991). Bien que la ligne des neiges du Pléistocène ne soit pas connue, elle est aujourd’hui estimée à 3 700-4 000 m.
Le dernier volcan, localisé en Anatolie centrale près de la ville de Kayseri en Cappadoce, est le mont Erciyes (3 917 m), où s’étend un glacier sur la pente nord-ouest (fig. 15). Il a été étudié en premier par Penther (1905) et Philippson (1906) qui ont noté qu’il descendait jusqu’à une altitude de 3 100 m et s’étendait sur une longueur totale de 700 m (Blumenthal, 1938). Plus tard, Erinç (1952a) lui attribuait une longueur de 550 m jusqu’à seulement 3 380 m. Il a aussi remarqué que le glacier était recouvert de nombreux débris, interprétés comme étant des moraines d’ablation. En tenant compte des observations de Bartsch (1935), Erinç (1952a) a calculé que le glacier avait dû fondre à une vitesse moyenne de 3 m par an sur une période de 22 ans. La plus récente étude menée sur le mont Erciyes par Güner et Emre (1983) indiquait une longueur de glacier de 380 m, confirmant ainsi la tendance au recul des glaciers déjà relevée sur les autres glaciers turcs. Cinq grands cirques et plusieurs plus petits, des stries glaciaires et des fractures de broutage sur les galets, témoignent de glaciations plus intenses au cours du Pléistocène (Sarıkaya et al., 2003) (fig. 16 et 17). Le plus grand des glaciers würmiens avait une longueur de 5 km. Messerli (1967) estimait la ligne des neiges vers 2 700 m sur le côté nord, et à 3 000 m sur le flanc sud. Des blocs erratiques ont été interprétés comme étant des traces de glaciations plus anciennes et plus étendues. Ils ont été trouvés à environ 2 km au-delà des limites des glaciers würmiens, ce qui indique une ligne des neiges 200 m plus basse que celle du Pléistocène supérieur.
À part les volcans, quelques massifs de l’Anatolie centrale portent des traces d’une activité glaciaire ancienne. Parmi eux, le mont Uludağ (2 543 m) est situé au sud-est de la mer de Marmara près de la ville de Bursa. Birman (1968), lors d’une rapide étude de terrain, décrivait un petit glacier de 100 m de long et de large situé sur la pente nord-ouest. De plus, des traces de glaciations plus étendues sont signalées par la forme en U des vallées et par la présence de moraines latérales de plusieurs kilomètres de long. Les plus récentes études (Atalay, 1987) ne mentionnent pas la présence de glaciers actuels.
Dans l’Anatolie de l’est, la vallée de Mercan dans le massif de Munzur (3 368 m), près de la ville de Erzincan, présente des traces d’une activité glaciaire pléistocène (Atalay, 1987 ; Türkünal, 1990). Une autre région au nord de Erzurum, celle du mont Mescid (3 239 m) a également subi une glaciation au Pléistocène (Yalçınlar, 1951). Sur les monts Mercan et Mescid, la ligne des neiges du dernier épisode glaciaire a été estimée autour de 2 750 m, par comparaison à la ligne des neiges actuelle située vers 3 600-3 700 m. Plusieurs petites montagnes dispersées en Anatolie centrale, comme le mont Keşiş (3 549 m) près d’Erzincan, contiennent des dépôts morainiques, souvent latéraux et frontaux, indiquant la formation de glaciers de cirque durant le Pléistocène.
Sommaire et conclusion
La présence de vallées en forme de U, de dépôts de moraines et de glaciers récents dans les montagnes turques indique une activité glaciaire ancienne et récente. Malheureusement, l’absence de datation des moraines rend difficile l’identification précise des périodes glaciaires passées. Cependant, tous les scientifiques s’accordent sur l’existence de plusieurs épisodes d’avancées et de reculs glaciaires (Louis, 1944 ; Erinç, 1952a ; Blumenthal, 1958 ; Messerli, 1967 ; Klaer, 1969, 1978 ; Schweizer, 1975 ; Atalay, 1987 ; Kurter, 1991). Dans ces travaux, les dépôts les plus frais ont été rattachés à la période würmienne du Pléistocène supérieur et les dépôts plus altérés, à une glaciation antérieure. Par exemple, Schweizer (1975) a tenté d’attribuer aux moraines les plus anciennes et les plus altérées du mont Hasanbeşir un âge précis du second et dernier épisode du Riss.
La plupart des travaux concluent également qu’au dernier maximum glaciaire (vers 22 000-18 000 BP), pendant lequel le climat a été globalement froid et sec avec une insolation très intense en altitude, la ligne des neiges devait être de 1 000 à 1 500 m plus basse que l’actuelle (Kuzucuoğlu et Roberts, 1998) et que de nombreux cirques et petites vallées glaciaires se sont développés à une altitude d’environ 2 000 m. Ils auraient tous disparu après la dernière glaciation.
Le fait que les moraines déposées pendant les phases interglaciaires recouvrent la plupart des dépôts glaciaires pléistocènes a été interprété par Erinç (1952a) comme la preuve d’un épisode humide (Dryas récent, Petit Âge glaciaire) durant lequel les vallées glaciaires descendaient plus bas que pendant le dernier maximum glaciaire. En conséquence, selon cet auteur, les glaciers actuels ne peuvent pas représenter la continuation de la glaciation pléistocène. Quelques moraines très fraîches sont également observées dans des cirques sans glaciers actuels. À titre d’exemple, dans le massif du Karagöl (Planhol et Bilgin, 1964) et sur le mont Uludağ (Erinç, 1949b, 1952a, 1957 ; Pfannenstiel, 1956), ces moraines ont été attribuées au Petit Âge glaciaire. D’autre part, ces moraines très récents peuvent aussi être associés à une avancée des glaciers dans la première partie du XIXe siècle, suivie d’un recul accéléré depuis le début du XXe siècle (Kuzucuoğlu et Roberts, 1998).
La comparaison entre les lignes des neiges glaciaires du dernier maximum glaciaire et les lignes actuelles indique des différences de circulation atmosphérique (Messerli, 1967). La variation d’amplitude qui sépare ces limites est remarquable à travers l’Anatolie (tabl. I). Alors que cette différence peut être de 1 000 à 1 200 m pour les chaînes des Pontides et du Taurus, dans les massifs montagneux, et particulièrement sur les volcans, elle peut atteindre 1 500 m. Dans les chaînes du Taurus, certaines grandes vallées glaciaires, comme la vallée de Hacer, dans le mont Aladağ, et la vallée de Maden, dans le mont Bolkardağ, présentent des lignes des neiges particulièrement basses au Pléistocène supérieur. Au sud de Bolkardağ, le développement des glaciers pléistocènes résulte de l’influence majeure de précipitations hivernales (Kuzucuoğlu et Roberts, 1998). Quant aux chaînes des Pontides, l’avancée maximum des glaciers y a été très dissymétrique. Alors que la plupart des vallées du versant nord étaient sous l’influence des glaciers, le versant sud restait dans le domaine périglaciaire, avec une différence dans l’altitude de la ligne des neiges d’au moins 500 m. D’autre part, sur le versant nord humide des Pontides, la limite des neiges à la fin du Pléistocène était très élevée, non seulement en comparaison de celles des chaînes du Taurus, mais aussi de celles des massifs montagneux situés plus vers le centre du pays et plus secs (Kuzucuoğlu et Roberts, 1998). À titre d’exemple, on peut citer la limite des lignes des neiges pléistocènes du mont Ararat (5 165 m) qui se situe vers 3 000 m correspondant à une calotte glaciaire de 100 km2 (Blumenthal, 1958). Aujourd’hui, cette calotte couvre à peine 10 km2 et la ligne des neiges actuelle passe aux alentours de 4 300 m (tabl. I).
Le travail pionnier de Sırrı Erinç et la présence indiscutable de moraines et de morphologies glaciaires sur des massifs montagneux élevés de plus de 2 000 m soulignent la nécessité de travaux plus détaillés qui prendraient en compte les altitudes, les orientations de ces dépôts et leur chronologie relative. L’étude des sédiments fluvioglaciaires et lacustres déposés dans les vallées et les lacs amèneraient certainement des résultats intéressants sur les avancées et les reculs des glaciers ainsi que sur les fluctuations climatiques à hautes altitudes.
Les données disponibles sur les glaciers turcs indiquent que le recul le plus récent aurait commencé au début du XXe siècle et aurait augmenté depuis les années 1930 (Erinç, 1952a ; Güner et Emre, 1983 ; Kurter, 1991). Cette tendance au retrait devrait être quantifiée par des observations supplémentaires de terrain dans le but de comprendre l’évolution des glaciers en Turquie. Un projet conjoint entre la National Science Foundation (NSF) et le Scientific and Technical Research Council of Turkey (TÜBITAK) est organisé à cette fin par le Dr Marek Zreda (University of Arizona, Tucson) et par le Dr Attila Çiner (Université Hacettepe, Ankara). Durant 3 trois ans, les méthodes classiques de datation telles que l’étude des documents historiques ainsi que les analyses sur les lichens et sur la matière organique dans les sédiments, seront menées. Des techniques plus modernes, telles que la méthode de datation cosmogénique par le 36Cl (basée sur les accumulations in situ du 36Cl sur les blocs exposés aux rayons cosmogéniques) seront mises en oeuvre dans le but de dater l’âge de ces morphologies. Cette étude devrait mener à une meilleure compréhension de l’amplitude et de la chronologie des glaciations pléistocènes en Turquie.
Appendices
Remerciements
Le financement des campagnes de terrain a été pris en charge par l’Ambassade de France à Ankara (Turquie) et par TÜBITAK (Projet no 101Y002). Je remercie le Dr Jürgen Ehlers de m’avoir incité à écrire une synthèse sur les glaciations pléistocènes en Turquie. Mes remerciements vont également aux Drs Catherine Kuzucuoğlu (Centre national de la recherche scientifique, Meudon, France), Mustafa Karabıyıkoğlu (General Directorate of Mineral Research and Exploration, Turquie), Olivier Monod (Centre national de la recherche scientifique, Orléans, France) et Ali Fuat Doğu (Université d'Ankara, Ankara, Turquie) pour leurs indications sur l’emplacement de certaines moraines dans les Pontides et les Taurus. Je suis aussi reconnaissant aux Drs Max Deynoux (Centre national de la recherche scientifique, Strasbourg, France), Erdal Koşun (Université Akdeniz, Antalya, Turquie), Serdar Bayarı (Université Hacettepe, Ankara, Turquie), Erdem Çörekçioğlu (General Directorate of Mineral Research and Exploration, Turquie), Marek Zreda (University of Arizona, Tucson, États-Unis) et à M. Akif Sarıkaya (Université Hacettepe, Ankara, Turquie) pour leur assistance sur le terrain. Les suggestions faites par les lecteurs, les Drs Pascal Bernatchez et Pierre Gangloff, complétées par les remarques du Dr Bernard Hétu, rédacteur associé responsable du dossier, et du Dr Pierre J.H. Richard, rédacteur en chef, ont grandement contribué à l’amélioration du manuscrit. Un remerciement particulier au Dr Stéphanie Çiner pour son soutien quotidien et ses traductions.
Note
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[*]
Cette étude est dédiée à la mémoire du professeur Dr Sırrı Erinç, le premier glaciologue turc (24 janvier 1918-7 février 2002).
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