Revue Gouvernance
Governance Review
Volume 19, Number 1, 2022 Gouvernance et réformes territoriales
Table of contents (6 articles)
-
Gouvernance et réformes territoriales
-
Centralisation et décentralisation au coeur de Montréal : le défi de l’harmonisation fiscale
Jean-Philippe Meloche
pp. 3–30
AbstractFR:
La fusion de la Ville de Montréal en 2002 a exigé un travail colossal pour harmoniser les pratiques fiscales et piloter la décentralisation des fonctions de proximité vers les villes fusionnées et les quartiers soudainement transformés en arrondissements. La défusion survenue en 2006 est venue ajouter un élément de complexité en reconfigurant les structures de gouvernance, notamment par la création de l’agglomération. Cet article explore l’évolution des processus de centralisation et de décentralisation financières au sein des structures centralisée (l’agglomération) et décentralisées (les arrondissements) de la Ville de Montréal à l’aide de données issues des budgets et des états financiers des vingt dernières années. L’analyse permet de constater que l’harmonisation des taux de taxation au sein de la nouvelle ville fusionnée s’est effectuée rapidement. La divergence dans les taux qui subsiste en 2021 découle essentiellement d’écarts dans les taux des taxes d’arrondissement. L’utilisation de ces taxes a permis d’accroître l’autonomie financière des arrondissements. Leur poids budgétaire dans les finances de la Ville a toutefois diminué constamment au cours de la période, marquant une tendance à la centralisation. Au niveau de l’agglomération, les indicateurs financiers sont relativement stables depuis 2006. Notre analyse montre que les changements dans les structures de gouvernance ont tout de même permis à la Ville de Montréal de s’extirper d’une situation qui semblait lui être désavantageuse sur l’île de Montréal avant la fusion de 2002.
EN:
The amalgamation of the City of Montreal in 2002 required hard work to harmonize tax practices and decentralize local functions to newly amalgamated cities and historic neighbourhoods suddenly transformed into boroughs. The 2006 de-amalgamation added another level of complexity in the governance structure of the city, leading to the creation of the agglomeration. Using data from budgets and financial statements produced over the last twenty years, this article analyzes the evolution of fiscal centralization and decentralization processes that occurred through structures like the agglomeration and the boroughs of the City of Montreal. The analysis shows that the harmonization of tax rates within the new amalgamated city took place on a short period. The divergence in tax rates that remains in 2021 is mainly due to differences in the boroughs’ tax rates. The use of these taxes has contributed to increasing the boroughs’ financial autonomy. But their budgetary weight within the city steadily decreased over this period, showing a trend towards centralization. At the agglomeration level, financial indicators have been relatively stable since 2006. Our analysis shows that changes in governance structures have however enabled the City of Montreal to improve its relative position among the municipalities of the island of Montreal since the 2002 amalgamation.
-
Une histoire d’oléoducs : l’autonomie évolutive des municipalités canadiennes
Benoît Frate and David Robitaille
pp. 31–54
AbstractFR:
Les projets d’oléoducs au Canada divisent souvent les citoyens et les gouvernements d’un océan à l’autre. Bien que leur approbation puisse sembler simple sur le plan constitutionnel, l’actualité récente montre que des réalités et complexités juridiques ajoutent vraiment des grains de sable dans les rouages des projets d’oléoducs, même si le gouvernement fédéral est constitutionnellement responsable de l’approbation ou du rejet ultime de ces derniers en raison de leur nature interprovinciale. En fait, le passage d’un oléoduc exige de tenir compte d’autres considérations et domaines du droit, comme l’environnement, l’aménagement du territoire, la gestion des risques et les droits de la personne, qui relèvent de la compétence des législatures fédérale ou provinciales – ou des deux – et qui, en outre, concernent de plus en plus les municipalités. Si vingt-cinq ans après le lancement d’importantes réformes législatives les pouvoirs municipaux sont encore considérablement limités par les provinces, les tribunaux ont d’ailleurs clairement établi que les règlements municipaux s’appliquent aux oléoducs fédéraux à moins d’avoir un effet préjudiciable grave ou excessif sur la construction ou l’exploitation de tels projets ou d’aller à l’encontre de l’application ou de l’objet de la législation fédérale. C’est dans ce contexte à plusieurs niveaux que cet article traite de l’autonomie juridique des municipalités canadiennes dans le cadre du débat sur les oléoducs au pays, en examinant le contenu, l’étendue et les limites de leurs pouvoirs.
EN:
Pipeline projects in Canada often polarize citizens and governments from coast to coast. While the approval of such projects may seem simple from a constitutional standpoint, recent events show that legal realities and complexities truly add some grit in the works of pipeline projects even if the federal government is constitutionally responsible for the ultimate approval or refusal of projects because of their interprovincial nature. In fact, the passage of a pipeline involves a number of other considerations and fields of law, such as the environment, land use planning, risk management, and human rights, which are within the jurisdiction of federal or provincial legislatures, or both, and also increasingly the business of municipalities. While municipal powers continue, twenty-five years after important statutory reforms were launched, to be considerably limited by the provinces, courts have made it clear that municipal by-laws apply to federal pipelines, unless they have an excessive or serious detrimental effect on the construction or exploitation of such an undertaking, or if they contradict the operation or the purpose of federal legislation. It is in this multi-layered context that this article discusses the legal autonomy of Canadian municipalities in regard to the pipeline debate in Canada, exploring the content, the extent, and the limits of their powers.
-
Vers une gouvernance inframunicipale de la transition écologique ? Le cas de l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal
René Audet, Mathilde Manon, Michel Rochefort and Laurie Laplante
pp. 55–78
AbstractFR:
Bien que la notion de transition écologique continue aujourd’hui à faire l’objet d’un processus de définition qui est loin d’être univoque, elle devient un enjeu de gouvernance municipale de plus en plus urgent. Dans les nombreuses situations où cette gouvernance est organisée de manière multiscalaire entre différents ordres de gouvernement ayant un certain nombre de compétences partagées, le problème de l’inexistence d’une définition stabilisée et opérationnelle de la transition se double du défi de l’identification et de la mise en oeuvre des actions à entreprendre. Cet article présente les résultats d’une recherche partenariale effectuée avec l’Arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal autour de deux questions principales, à savoir « qu’est-ce que la transition écologique à l’échelle inframunicipale ? » et « comment la mettre en oeuvre ? ». L’analyse des documents et des interventions de ce partenaire a, entre autres, mené à la création de deux typologies : l’une sur les thématiques abordées et l’autre sur les types d’instruments utilisés. Les résultats ainsi obtenus permettent d’identifier trois défis pouvant être associés à cette gouvernance inframunicipale de la transition écologique, soit de concilier l’approche par les milieux de vie et la transition juste, de trouver des leviers pour les enjeux à responsabilité distribuée et de miser davantage sur les instruments réglementaires et incitatifs.
EN:
While the concept of an ecological transition is still being defined through an ambiguous process, it also becomes an increasingly urgent municipal governance issue. In places where this governance is multiscalar and the responsibilities are shared among a number of jurisdictions, the absence of a stable and operational definition of a transition adds to the challenge of defining and implementing effective interventions. This paper presents the results of a partnership research with the borough of Rosemont–La Petite-Patrie, in Montreal, that aimed at tackling two questions : “what is an ecological transition at an inframunicipal level ?” and “how can it be implemented ?” The analysis of our partner’s documents and interventions led to the creation of two typologies. The first typology classifies the topics with the concept of ecological transition, while the second identifies the policy instruments used to act on these topics. The results led us to identify three challenges related to the inframunicipal governance of ecological transition : conciliating the living environment-focused approach of the borough and the principles of a just transition, finding new levers for shared responsibility issues, and applying incitative tools and planning regulations (discretionary and/or regulatory) more thoroughly.
-
Les défis de l’aménagement du territoire en Tunisie : du gouvernement à la gouvernance ?
Houda Baïr
pp. 79–102
AbstractFR:
La révolution tunisienne de 2010-2011 a placé l’organisation administrative territoriale au coeur du débat politique et des enjeux sociétaux. Elle a été en effet provoquée dans une large mesure par l’accentuation des disparités interrégionales, conséquence de l’absence de résultats des politiques successives d’aménagement du territoire. À la lumière de la théorie de la régulation publique territoriale, ces disparités peuvent être analysées comme un effet du centralisme étatique et de l’exercice autoritaire du pouvoir, qui se sont eux-mêmes inscrits dans la continuité de la gestion politique des beys et du protectorat français. Tout en instaurant en 1956 une rupture politique, les acteurs de l’indépendance n’ont pas échappé à cet héritage. Sur le plan économique, celui-ci a conduit à accorder la priorité à la croissance nationale plutôt qu’au développement des territoires. Portée par une aspiration politique antagonique, la configuration née de la révolution est elle-même porteuse d’un nouveau modèle d’organisation territoriale. Sur la base des orientations adoptées par l’Assemblée constituante élue en octobre 2011, ce modèle a vocation à mettre en oeuvre les principes de décentralisation et de régionalisation inscrits dans la Constitution de 2014. Sous la poussée des mobilisations protestataires régionales et des expériences collectives de développement local, la politique d’aménagement du territoire pourrait dès lors passer d’un système gouvernemental centralisé à une géogouvernance multiniveau. Elle prendrait ainsi la forme d’un partenariat actif entre les représentants étatiques et les responsables territoriaux. Ce serait là tout à la fois une modalité majeure et un mode de consolidation du processus de transition démocratique.
EN:
The Tunisian Revolution of 2010-2011 placed the territorial administrative organization at the heart of the political debate and societal issues. This was caused, to a large extent, by the increasing interregional disparities resulting from a series of unsuccessful spatial planning policies. In the light of the theory of territorial public regulation, these disparities can be analyzed as an effect of state centralism and the authoritarian exercise of power, which themselves have become part of the continuity of the political management of the beys and the French protectorate. Although they instituted a political rupture in 1956, the protagonists of independence did not escape this legacy. On the economic front, this has led to the prioritization of national growth over territorial development. Driven by an antagonistic political aspiration, the configuration that arose from the revolution is, in itself, the bearer of a new pattern of territorial organization. Based on the guidelines adopted by the Constituent Assembly elected in October 2011, this plan aims to implement the principles of decentralization and regionalization enshrined in the 2014 constitution. As a result of regional protests and collective experiences of local development, spatial planning policy could be shifted from a centralized government system to a geo-multi-governance-levels. This would take the form of an active partnership between state representatives and territorial authorities. This would be both a major modality and a means of consolidating the democratic transition process.
-
Intercommunalités versus communes : actualité des luttes d’institutions autour de l’apprivoisement municipaliste des institutions coopératives françaises
Thomas Frinault
pp. 103–126
AbstractFR:
Pour l’essentiel et à la différence de nombreux pays européens ayant connu des fusions communales, la réponse française à la fragmentation communale a recouru aux logiques coopératives, sorte d’alternative douce à la fusion. Progrès de l’intercommunalité et ménagements d’un ordre municipaliste de l’intercommunalité font depuis longtemps l’objet de luttes d’institutions, aussi bien au plan local que dans le cadre plus général du débat politique national et parlementaire. Dans le cadre de la réforme territoriale, ces luttes semblent s’être intensifiées et déployées dans un contexte marqué par une forme d’autonomisation concurrentielle des intercommunalités à l’endroit des municipalités. Observables sur le terrain de la représentation (associations d’élus), elles dévoilent un resserrement du verrou juridique rognant la capacité des élus locaux sur le terrain à façonner eux-mêmes le cadre coopératif. Mais ces luttes mettent aussi en évidence les capacités de sauvegarde municipaliste qui se déploient aussi bien sur un mode défensif (questions statutaire et électorale) que, désormais, sur un mode contre-offensif (communes nouvelles, loi Engagement et Proximité).
EN:
Fort the most part, and unlike many European countries that have experienced municipal mergers, the French response to municipal fragmentation has been to resort to cooperative logics, a kind of soft alternative to mergers. The progress of intermunicipal cooperation and the preservation of a municipal order of intermunicipality have long been the subject of institutional struggles, both at the local level and in the more general framework of national and parliamentary political debate. In the context of territorial reform, these struggles seem to have intensified and unfolded in a context marked by a form of competitive autonomization of intermunicipalities facing municipalities. Observed in the field of representation (associations of elected officials), they reveal a tightening of the legal lock that is eroding the capacity of local elected officials on the ground to shape the cooperative framework themselves. But these struggles also highlight the capacities of municipalist safeguards, which are deployed both in a defensive mode (statutory and electoral issues) and, from now on, in a counter-offensive mode (“communes nouvelles”, “Engagement et Proximité” Act).