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Introduction

La politique dite de « renouveau minier[2] » vise à relancer l’extraction minière en France métropolitaine, quasi intégralement délocalisée depuis la fin du XXe siècle (Didier, 2007 ; Kerouanton, 2008). Elle s’inscrit dans un cadrage stratégique européen (Buu-Sao, présent numéro) où la France fait partie des pays les plus mobilisés, et participe d’une compétition mondiale pour l’accès aux ressources minières (Abraham et Murray, 2015). En 2011, le lancement de la réforme du Code minier – toujours inaboutie – et la création d’un « comité pour les métaux stratégiques » (COMES)[3] en ont constitué les prémisses, avant son lancement politique en 2012 à travers les déclarations du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg : « La France doit redevenir une nation minière. » (Galin, 2014) Une quinzaine de PERM[4] ont été accordés entre 2013 et 2018 (carte ci-dessous), dont la quasi-totalité est actuellement annulée ou en suspens.

Carte 1

Situation des permis exclusifs de recherche minière en 2019

Situation des permis exclusifs de recherche minière en 2019

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Le contexte s’est en effet trouvé peu propice au renouveau minier. L’arrêt progressif de l’extraction minière en métropole et les pertes de compétences (administratives, législatives, professionnelles) induites ont constitué une première difficulté pour une véritable mise à l’agenda de cette politique. Cette dernière a plus généralement subi un enchevêtrement de contraintes, à la fois internes – blocages institutionnels et politiques au sein de l’État – puis surtout externes face à l’ampleur des contestations. Les PERM ont en partie avorté du fait de la vivacité des contestations. Celles-ci s’inscrivent dans le renouveau des mouvements environnementalistes (2013) et plus généralement dans la montée en puissance des luttes territoriales depuis la fin des années 2000, à travers la multiplication des luttes contre les « GPII[5] » (Grisoni et al., 2018). En France, les controverses autour de l’exploitation des gaz de schiste en 2011 ont notamment donné lieu à des positions contradictoires voire irréconciliables au sein de l’État (Chailleux, 2016). Des positions que l’annonce du renouveau minier n’a ensuite fait qu’approfondir, d’où une action publique marquée par l’indécision (Barthe, 2006).

Face à la montée en puissance de ces contestations – citoyennes, environnementales, territoriales –, et afin d’anticiper un échec semblable à celui de l’exploitation des gaz de schiste, « l’acceptabilité sociale » a été ciblée, dès 2011, comme un enjeu majeur pour la relance de l’activité minière en France métropolitaine (Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, 2011). La notion provient d’une montée en puissance, dans la littérature de gestion des années 1980, des réflexions autour de la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE), et avant cela des démarches pionnières du secteur des ressources naturelles avec le concept de « Permis Social d’Opérer » (PSO). Depuis les années 2000, elle constitue un référentiel majeur pour le cadrage des grands projets industriels et d’aménagement, où le « problème d’acceptabilité » désigne « communément les situations dans lesquelles le développement d’un projet ou le fonctionnement d’un équipement ne se déroulent pas comme prévu » (Barbier et Nadaï, 2015, paragr. 1). Il s’agit de gérer la « menace d’inacceptabilité » qui hante l’action publique : s’assurer de l’aboutissement des projets industriels en civilisant les conflits, grâce à une meilleure inclusion des parties prenantes (Fortin et Fournis, 2015). Au fil des abandons rencontrés par les PERM, les protagonistes du renouveau minier ont utilisé la notion d’acceptabilité sociale de façon double : comme la cause principale de son inaboutissement autant que comme sa solution. Elle leur sert à qualifier l’ensemble des critiques qui lui sont adressées, ainsi qu’à élaborer des contre-réponses en vue d’une meilleure gestion des oppositions.

Cette appréhension du renouveau minier comme un problème d’acceptabilité sociale s’inscrit dans l’utilisation foisonnante de la notion et la crise sous-jacente qu’elle révèle : celle d’un essoufflement de la gouvernance en matière d’aménagement du territoire ou d’exploitation des ressources (Fortin et Fournis, 2015). Elle donne lieu à des renouvellements variés de la part des acteurs administratifs et productifs soutenant la relance minière, en matière de discours, de pratiques comme de stratégies. Ces tentatives font émerger la nécessité d’appréhender l’utilisation de l’acceptabilité sociale à rebours, depuis le point de vue de ceux qui la portent : soit de façon « descendante » plutôt qu’« ascendante »[6] (Oiry, 2015). Cette approche permet d’étudier les « stratégies d’acceptabilité » mises en place par les acteurs en question, fonctionnant comme « des instruments de gestion de la contestation » (Oiry, 2015, paragr. 45). Sezin Topçu (2013) justifie également une attention accrue à cette gestion stratégique de la réception des politiques d’aménagement, à travers le terme de « gouvernement de la critique et de l’espace public »[7]. Ce terme désigne « un ensemble de stratégies, d’outils et de discours destinés à encadrer, contrôler, exclure ou au contraire récupérer, coopter, institutionnaliser, scientifiser les voix dissidentes » (p. 84). Ces stratégies opèrent à travers une panoplie d’instruments (économique, juridico-administratif, répressif, sociométrique, communicationnel et participatif), mis en place par les acteurs administratifs comme par les acteurs productifs afin de gouverner les critiques adressées au secteur du nucléaire. Ils constituent autant d’« instruments d’action publique », soit des « dispositif[s] à la fois technique[s] et socia[ux] qui organise[nt] des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il[s] [sont] porteur[s] » (Lascoumes, 2004, paragr. 12).

L’étude des instruments d’action publique présente un intérêt double selon la littérature : une meilleure compréhension des modalités par lesquelles l’action publique s’efforce d’orienter les relations entre la société politique et la société civile, soit l’analyse des rapports gouvernants/gouvernés (Lamy, 2014) ; l’étude des représentations qu’ils produisent de l’enjeu qu’ils traitent (Lascoumes, 2004). Dans le cas du renouveau minier, l’étude des instruments de gouvernement de ses critiques permet de saisir les différentes facettes de cette politique et les résistances dont elle fait l’objet, au-delà du simple acte administratif d’octroi du PERM qui en constitue la partie la plus visible. Mais elle permet également d’appréhender précisément ce qui résiste à la mise en place du renouveau minier, à travers le contenu des adaptations des instruments et les représentations dont ils sont porteurs. Ce faisant, nous postulons que ces instruments mettent en lumière certains des « référentiels » (Muller, 2010 ; Papadopoulos, 2015) qui nourrissent l’action publique. Ils constituent des témoins de l’articulation entre le référentiel « sectoriel », qui renvoie à la représentation d’un secteur, d’un domaine ou encore d’une profession, puis le référentiel « global », soit la « représentation qu’une société se fait de son rapport au monde à un moment donné » (Muller, 2010).

Les instruments mis en place par les principaux protagonistes du renouveau minier afin de gouverner ses critiques présentent pour spécificité l’intégration progressive de référentiels qui faisaient auparavant partie du registre critique de l’industrie minière. La prise en compte de ces critiques tend à opérer leur dilution-intégration au sein des instruments qui visent à les gouverner, et à produire des changements de référentiels globaux pour le secteur minier. Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999) ont nommé cette dynamique « l’esprit du capitalisme », incarnée dans la tension incessante entre d’une part les critiques qu’il génère, de l’autre les dispositifs variés de justification qu’il met en place afin d’y répondre. Nous proposons dans ce sens d’étudier la relation dynamique entre les critiques adressées à la politique de renouveau minier, le renouvellement des « instruments de gouvernement » et les changements de « référentiel » associés. Quels sont les instruments d’action publique mis en place par les protagonistes de la relance minière afin de répondre aux critiques adressées à cette politique ainsi qu’à l’industrie minière de façon plus générale ? Quels en sont les paradigmes et les référentiels sous-jacents ? De quelle manière témoignent-ils de changements plus larges en matière de gouvernance ?

Cadre méthodologique

Les résultats présentés proviennent d’une enquête ethnographique multisituée (Marcus, 1995) réalisée entre octobre 2018 et juillet 2019 sur les milieux du renouveau minier. Cette enquête a comporté deux volets : la réalisation d’entretiens ouverts avec 22 des principaux acteurs du renouveau minier en France métropolitaine (annexe 1)[8] ; l’observation ethnographique au sein de neuf évènements en lien plus ou moins direct avec cette politique (cinq séminaires de réseaux d’industriels, un séminaire de recherche et d’expertise, une communication d’une institution publique) entre 2018 et 2019.

Carte 2

Spatialisation de l’enquête sur le renouveau minier

Spatialisation de l’enquête sur le renouveau minier
Source : Auteure

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Les situations d’observation au sein d’évènements ont constitué une entrée efficace dans le milieu français de la relance minière. Couplées aux entretiens qu’elles nous ont permis d’obtenir, nous avons pu identifier le réseau d’acteurs du renouveau minier, les rôles respectifs de chacun comme leurs relations interpersonnelles, puis les réseaux plus larges dans lesquels ils sont insérés. Le « groupe stratégique »[9] (Olivier de Sardan, 1995) porteur du renouveau minier en France métropolitaine a été délimité par arborescence, à travers le réseau d’interconnaissance de ces acteurs et les recommandations et conseils de chacun d’entre eux ; il a constitué le « groupe social témoin » pour l’analyse de cette politique.

Les caractéristiques de ce dernier nous ont menés à le qualifier d’élite minière (Massé, à paraître). Cette qualification renvoie à un triple critère : un rapport savoir/pouvoir inscrit dans l’impératif historique de l’État en matière de gestion des ressources (Lamy, 2017)[10] ; une analyse institutionnaliste du pouvoir (Genieys et Hassenteufel, 2012)[11] ; le partage d’imaginaires de l’espace, soit d’un arrière-plan normatif et symbolique (Debarbieux, 2015)[12]. Cette élite minière circule dans le monde de la mine en France et englobe aussi bien des acteurs productifs (industriels, fédérations minières, entreprises minières dites « juniors », secteurs du nucléaire et des carrières) que des acteurs administratifs (hauts fonctionnaires, services techniques de l’État, services déconcentrés, ingénieurs du Corps des mines, etc.). Les professions de ces individus oscillent entre l’ingénierie et la géologie, historiquement en lien pour faire advenir les projets miniers (Polak, 2016). En outre, leur technicité commune leur confère des formes de filialité, de nombreuses références et expériences partagées, orientées autour d’une vive passion pour l’industrie minérale. Ces individus ont connu la « grande époque », telle qu’ils la nomment, de l’activité minière en France et dont ils parlent avec nostalgie, avant d’avoir été forcés à se reconvertir : à l’international, dans le secteur nucléaire, dans le domaine des carrières, ou encore dans le domaine de la gestion de l’après-mine et des risques.

Le présent article décrit trois types d’instruments de gouvernement de la critique mis en place par l’élite minière afin de répondre aux critiques adressées au renouveau minier. Face à la diversité des contestations, il montre tout d’abord l’insuffisance des instruments participatifs, menant au renforcement de logiques néocorporatistes préexistantes (1). Il analyse ensuite les manières dont le territoire est exponentiellement pris en compte au travers d’instruments sociométriques, qui tendent à appréhender de plus en plus finement la diversité du monde social (2). Enfin, il met en lumière des instruments communicationnels, orientés autour d’un nouveau référentiel pour le secteur minier : celui d’une industrie verte et responsable (3). Ces instruments permettent d’appréhender les représentations dominantes dans la société et font émerger deux référentiels majeurs pour l’action publique : l’environnement et le territoire.

1. Insuffisance des instruments participatifs et poursuite des logiques néocorporatistes face à la vivacité des critiques

« Plus que la faiblesse des ressources naturelles, c’est probablement la mauvaise image de l’activité minière parmi les populations qui conduit à écarter la relance d’une industrie d’extraction en France. »

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, 2011

Un constat majeur est partagé par l’élite minière : le renouveau minier n’advient pas à cause d’un manque d’acceptabilité sociale. Ce terme permet de qualifier et de rassembler l’ensemble des critiques adressées au renouveau minier autant que d’élaborer des contre-réponses. L’une d’entre elles a consisté dans la mise en place d’instruments participatifs, soit une tentative de gestion de l’acceptabilité sociale au « niveau mésopolitique », qui renvoie aux processus de délibération et de formation des décisions légitimes (Fortin et Fournis, 2015).

1.1 Multidimensionnalité des critiques

Les collectifs et associations luttant contre la politique de renouveau minier ont produit un ensemble de critiques au fil des contestations. Ces critiques convoquent séparément ou simultanément plusieurs ordres : un ordre environnemental (conséquences des activités extractives sur l’environnement), un ordre sanitaire (conséquences des activités extractives sur la santé des humains), un ordre procédural (critique du processus décisionnel), un ordre économique (critique du capitalisme extractif). La multidimensionnalité de ces critiques, de même que les caractéristiques des mobilisations qui les portent, les rendent difficiles à contrecarrer.

Les mobilisations contre la relance minière outrepassent les traditionnelles tentatives de réduction à une agrégation d’intérêts individuels ou à des enjeux strictement localisés – soit à la qualification de « NIMBY[13] » (Bourdin, 2019) : les collectifs de lutte produisent une critique globale de l’industrie minière, sont en lien avec d’autres associations à l’échelle internationale (par exemple Or de question, qui lutte contre un projet de mine d’or en Guyane). Les militants font preuve d’une « expertise profane » en investissant les champs technique et scientifique (Brice et Merlin, 2019), donnant à voir une « résistance éclairée » (Sébastien, 2018) à travers la proposition de formes de développement alternatives. Celles-ci se basent sur une remise en cause radicale des modes de production et de développement capitalistes et des processus décisionnels technocratiques, ainsi que sur une dénonciation de l’extractivisme et de ses conséquences multiples (Bednik, 2019). Les militants déploient ainsi toute une argumentation qui met à l’épreuve la légitimité des dispositifs sociotechniques des PERM et des futures mines associées. Cet ensemble de critiques contribue à l’émergence d’un « intérêt général alternatif » qui heurte celui traditionnellement porté par les pouvoirs publics dans les grands projets d’aménagement (Grisoni et al., 2018).

1.2 Échec de l’instrument participatif et poursuite des logiques néocorporatistes

Face à la vivacité de ces oppositions, l’instrument participatif a constitué l’une des premières stratégies d’acceptabilité du renouveau minier, visant spécifiquement à remédier aux critiques d’ordre procédural. Un ensemble d’outils a été mis en place, destiné à l’amélioration du consentement de la société civile au travers de procédures participatives plus ou moins instituées et encadrées par l’État et/ou par les juniors minières. Dans le cadre du PERM de Couflens-Salau en Ariège, l’appel à un garant tiers de la concertation par la Commission nationale pour le débat public (CNDP), « pour refaire croire en la concertation et qu’il y ait de l’objectivité là-dedans » et « donner des pistes à l’État pour dénouer la situation » (E15) n’a pourtant pas atténué les contestations. La situation n’a pas non plus évolué avec l’embauche d’une consultante spécialisée dans le « dialogue avec les parties prenantes » (E4), par la société Mines du Salat qui détient le PERM, les habitants luttant contre le projet ayant anticipé sa venue et décidé qu’ils ne travailleraient pas avec elle. La mise en place d’instruments participatifs a surtout donné lieu à divers affrontements et révélé l’inconciliabilité des positions entre la société civile (habitants, collectifs, associations) d’une part, puis l’État et les porteurs de projet d’autre part. En témoigne cet enquêté à propos d’une réunion publique, organisée à la suite du dépôt d’un PERM breton :

« Je me suis trouvé, c’était à Saint-Brieuc – je m’en rappelle encore –, avec tous les maires de Bretagne qui étaient concernés par les titres miniers. J’ai le préfet à côté de moi [pause]. On en a pris des coups. Vous voulez nous piller notre terre, vous allez polluer l’eau, etc. »

E2

Cette citation met aussi en lumière l’un des moteurs de la critique produite par les opposants au renouveau minier : les opérations de contre-épreuve, qui consistent à dévoiler la fausseté et l’inauthenticité des prétentions et des justifications des porteurs de projet, à travers la mise à jour d’un éventuel agenda caché ou de mobiles moins respectables (Barbier et Nadaï, 2015). L’absence généralisée de confiance envers les différents porteurs des PERM, de la part des collectifs d’habitants comme des associations environnementales, a par exemple empêché leur intégration au sein du REX (Réseau d’Excellence) « Mine et Société », ce dernier étant d’emblée catégorisé comme « pro-mines » (E1). Le réseau est d’ailleurs perçu comme tel au-delà des opposants, ce dont témoignent les hésitations de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques à s’y engager (E21).

Face aux échecs rencontrés par les instruments participatifs, les logiques néocorporatistes préexistantes ont finalement persisté, voire ont été renforcées : à rebours de « l’impératif participatif » (Callon et al., 2002), l’absence de la société civile fait désormais l’objet d’un choix. Un membre de la Société de l’industrie minérale (SIM)[14] raconte qu’au cours de l’une des éditions des journées « Mines en France », la venue des opposants pour manifester a rendu la gestion de la journée difficile, empêchant en outre la majeure partie des conférences. Afin que l’épisode ne se reproduise plus, les membres de la SIM organisent depuis 2018 les journées de façon plus confinée (faible communication et préparation de listes d’invités). La démarche « Mine responsable », lancée par le gouvernement en 2014, a connu un développement similaire. Elle faisait écho aux « guides de bonnes pratiques » mis en place pour favoriser l’acceptabilité sociale (Barbier et Nadaï, 2015). Elle visait la rédaction de grands principes pour l’industrie minière française, à partir de la réunion de l’ensemble des « parties prenantes » : administrations, organismes techniques d’État, industrie minière, principales fédérations patronales, puis trois associations environnementales représentant la société civile (SystExt, FNE, WWF). Le départ de ces dernières a cependant court-circuité l’initiative : le livre blanc a abouti sous un autre nom (« La mine en France »), la teneur politique initialement conférée par la participation des représentants de la société civile en moins (E4-5 ; E6). Cette démarche a été relancée depuis 2018 à l’initiative de la fédération A3M[15], mais selon des modalités différentes, comme l’explique la déléguée générale : « On va concerter, on verra comment et quand. Mais en tout cas on ne va pas se mettre cette contrainte, pour qu’on ait plus de chances d’aboutir […] On ne va pas refaire la même que celle de 2015. » (E4-5)

Contrairement au secteur du nucléaire, qui a su récupérer certaines voix dissidentes à travers le jeu de la co-/contre-expertise (Topçu, 2013), les instruments participatifs pour gouverner la relance minière ont plutôt mis en lumière l’insuffisance des actions au niveau mésopolitique. L’échec de ces instruments est en grande partie lié à l’envergure des critiques adressées au renouveau minier : dépassant de loin le champ strictement procédural, elles donnent lieu à des positionnements inconciliables, entre d’une part les collectifs d’opposants et d’autre part l’élite minière. A l’instar de ce qui a été démontré pour le secteur des ressources naturelles au Québec (Fortin et Fournis, 2015), la gestion de l’acceptabilité sociale dans le cadre du renouveau minier vient nourrir, plutôt que contrebalancer, les logiques néocorporatistes et la persistance du modèle technonational français (Garçon et Belhoste, 2013).

2. Des instruments sociométriques au service d’une stratégie territoriale

« Comment on fait pour que le territoire s’approprie cette démarche, y participe, pour qu’à l’arrivée le projet minier puisse avoir ce qu’on appelle l’autorisation sociale d’exploiter. Et comment on fait pour que l’opérateur puisse exprimer son projet, les acteurs du territoire exprimer leurs craintes, leurs enjeux, leurs demandes […] Il faut qu’on invente quelque chose de nouveau, […] rassurant. »

E2

Le discours de ce haut-fonctionnaire, et plus largement ceux de l’élite minière, renvoient à certaines thématiques de la RSE, omniprésentes dans le secteur minier, notamment quant à l’« autorisation sociale d’exploiter ». C’est l’idée que « [l]’établissement de bonnes relations avec les communautés voisines » constitue la pierre angulaire de l’aboutissement d’un projet minier, « un élément essentiel des opérations qui affecte l’image de l’entreprise » (Bergeron et al., 2015, p.4-5). Cette attention exponentielle envers les individus et collectifs impactés par les projets miniers renvoie à « l’ambition de mieux étudier, cerner, contrôler et surveiller « l’adversaire » (Topçu, 2013, p ;84), soit à la mise en place d’instruments « sociométriques ». Caractérises par le recours aux sciences sociales et au référentiel du « territoire », ces derniers prennent souvent la forme de stratégies territorialisées désormais (re)connues (Milanez et Pereira dos Santos, 2018 ; Rey et Mazalto, 2020). Dans le cas du renouveau minier, ils s’incarnent aussi dans la création d’un réseau scientifique : le REX « Mine et Société ». Il s’agit, entre autres, d’appréhender plus finement les oppositions aux projets d’aménagement, ainsi que de mettre en commun les stratégies diverses des acteurs industriels en matière d’acceptabilité sociale.

2.1 Des stratégies d’acceptabilité territorialisées

La réponse de l’élite minière s’articule autour d’un nouveau mot d’ordre : il faudrait faire de la mine un « projet de territoire » (E2) ; qu’elle ne constitue plus une enclave, mais s’intègre à son environnement et à ses contraintes spécifiques ; qu’elle ne soit plus seulement imposée de l’extérieur et de façon descendante, mais appropriée et mise en oeuvre par les habitants eux-mêmes.

2.1.1 Vers une considération du territoire dans son volume

Si le choix de localisation des PERM s’effectue premièrement au travers des critères géologiques (inventaire des ressources contenues dans le sous-sol et des potentiels gisements), les porteurs de projet affirment utiliser d’autres critères, liés à la réalisation de petites enquêtes sociologiques sur le territoire (E7). Celles-ci visent la prise en compte de statistiques variées (présence de chômeurs, pourcentage d’agriculteurs, etc.) ainsi que de l’histoire des lieux – présence d’une activité minière dans le passé, évolutions socioéconomiques, etc. Chaque société possède ses propres critères, mais une condition commune est formulée quant aux conditions géographiques (densité, type d’habitat, relief, etc.) : il s’agit d’éviter les zones urbaines et périurbaines, plus généralement celles de densités moyennes à fortes. Quant à la localisation dans les faibles densités, elle se trouve elle-même conditionnée par la présence de zones protégées ou de parcs naturels à proximité desquels la mine ne pourra être implantée.

Ainsi, les porteurs de projet intègrent de multiples dimensions (sociale, réglementaire, géographique, etc.) dans le choix de la localisation des projets et tendent à appréhender le territoire en « volume » (Squire, 2017) : non seulement ses « dessous » au moyen de la carte géologique, outil classique des géologues et des ingénieurs miniers qui capture le territoire au travers des ressources contenues dans son sous-sol ; mais aussi les « dessus », intégrant les dimensions multiples des relations entre les habitants et leur territoire grâce à la réappropriation d’outils divers (études statistiques, cartes de zonage, visites de terrain, etc.).

2.1.2 Un appui diversifié sur les groupes locaux

À la suite des échecs qu’ont connus les PERM, le passage d’une « approche réglementaire » à une « approche du dialogue » tend à devenir la norme parmi les sociétés minières (E4-5). Afin de mener à bien cette approche dialogique, les porteurs de projet établissent des contacts spécifiques avec les individus à l’échelle locale, en fonction des temporalités du projet, de leurs positionnements puis de leurs rôles potentiels : depuis les élus locaux jusqu’aux habitants, en passant par ceux susceptibles d’adhérer au projet ou d’y participer d’une quelconque manière.

Plusieurs enquêtés pointent tout d’abord le groupe stratégique que constituent les élus locaux pour le bon déroulement du projet minier. Il s’agit de contacter ces derniers en amont du projet, afin d’être certain de pouvoir travailler avec les représentants locaux de l’État. Les habitants se tournant prioritairement vers ces derniers pour faire part de leurs oppositions, ils auraient le pouvoir d’atténuer les premières manifestations de rejet : « Donc il faut montrer aux élus locaux ce qu’on est capable de faire pour qu’ils arrivent à réduire les oppositions, s’ils l’estiment […] possible. » (E11) Cette démarche a été menée pour l’un des derniers PERM déposés, celui de La Fabrié dans le Tarn (dont la demande est toujours en cours d’examen). L’un des porteurs du projet raconte l’enjeu qu’il y a eu à contacter prioritairement le maire de la commune concernée, avant que celui-ci n’apprenne, plusieurs semaines après ce premier contact, le dépôt du permis par les « voies officielles » ; il aurait apprécié la démarche (E11). C’est à la suite de la publication d’un avis de mise en concurrence que l’entreprise a commencé à rencontrer les habitants et « à développer une stratégie de contacts locaux » (E11). Après un premier avis favorable, la mairie de Fontrieu s’est finalement positionnée contre le PERM, à la suite d’un rapport d’expertise sur les risques – notamment pour les cours d’eau – liés à l’ouverture d’une mine sur le territoire, produit par l’association SystExt. Certains habitants avaient contacté l’association aux débuts du permis afin d’obtenir son aide (Stop Mines 81 : https://stopmines81.org/). Les élus sont les premiers contactés, mais les habitants restent le groupe social le plus important à mobiliser.

Si le PERM de Couflens-Salau en Ariège a été parmi les plus résistants aux contestations du renouveau minier, c’est grâce à la présence d’un groupe d’habitants favorables au projet et regroupés sous l’association PPERMS (Pour promouvoir une exploitation responsable de la mine de Salau), composée d’anciens mineurs, cadres et aides administratives de l’ancienne mine de Salau (1971-1986), puis d’habitants divers du Couserans. Les nombreux liens entre les porteurs de projet et l’association, outre sa simple présence, ont fortement influencé le déroulement du projet d’exploration, voire ont été décisifs. L’importance de cet appui direct sur les habitants est aussi valorisé par le directeur du développement durable de l’entreprise « Mines du Salat », qui a déposé le PERM. « C’est de notre responsabilité de convaincre. » Il donne pour exemple ce qu’il considère comme un accomplissement majeur : « On a mobilisé la CGT, les chasseurs et les paysans sur une même ligne en manifestation. » Cette idée que l’entreprise a pour tâche de convaincre et de mobiliser les habitants d’un territoire donné s’ancre dans les discours sur la RSE des entreprises minières. Celles-ci envisagent la gestion des projets à travers la rhétorique de la responsabilisation individuelle, et tendent à se substituer aux pouvoirs publics (Raufflet, 2015).

La présence d’anciens mineurs et les réseaux locaux dans lesquels ils s’ancrent ont spécifiquement aidé l’entreprise à s’implanter localement (Balan, 2018). Celle-ci a notamment fait travailler les bureaux d’études locaux – deux d’entre eux sont ceux des anciens mineurs, récupérés par leurs fils – pour la construction des bureaux et autres bâtiments nécessaires aux travaux d’exploration. Suivant l’un des porteurs de projet, il s’agissait aussi d’éviter les critiques : « Moi je fais travailler des gens localement […] Si vous amenez un bureau d’études international, les gens disent ben nous, on est quoi ? En plus vous vous trouvez avec des bureaux d’études locaux qui sont capables de critiquer. » (E1) L’entreprise a donc mis en place son insertion fine à l’échelle locale au moyen de partenariats variés, considérant cette empreinte cruciale pour la bonne réception du projet minier.

2.2 La mobilisation de réseaux scientifiques au service de l’industrie

En parallèle de ces stratégies territorialisées, la création du REX Mine et société – depuis peu Chaire Industrie minérale et territoires –, dont fait partie la majorité de l’élite minière, constitue un autre type d’instrument sociométrique. D’abord informel, le réseau s’est officiellement constitué en 2017 autour de cinq membres fondateurs (Mines ParisTech, Mines Nancy, IMT Mines Alès, École nationale supérieure de géologie de Nancy, Armines) afin de relancer et de renouveler les formations dans le secteur minier. Partant du constat que les mines doivent être appréhendées « d’une manière globale, et dans leur interaction avec le territoire et la société », ses membres prônent une recherche minière « complètement différente » (E8). Celle-ci s’effectue, entre autres, à travers le financement de travaux de recherche (du master au postdoctorat) portant sur les controverses autour des projets miniers, ou encore sur les conséquences sociales de l’après-mine (REX Mine et société, 2018).

Le REX rassemble divers acteurs et structures allant au-delà du monde minier, dont la mise en commun s’effectue au sein de séminaires scientifiques organisés par le réseau. Celui du 13 décembre 2018 s’articulait par exemple autour de quatre interventions dont les individus représentaient quelques grands secteurs industriels : l’industrie minière, l’énergie nucléaire, la production d’électricité (barrages, éoliennes), puis le secteur de l’équipement (autoroutes). Le séminaire oeuvrait en faveur d’un double partage de connaissances entre plusieurs secteurs industriels : la caractérisation des mouvements d’opposition et la question de leur spécificité en fonction du secteur concerné ; les diverses stratégies mises en oeuvre pour une meilleure acceptation des projets. Les mouvements de lutte sont ainsi qualifiés par deux des interventions comme des contestations de type « GPII », reprenant le vocable militant qui fait de la lutte contre certains projets d’aménagement du territoire une norme (Pailloux, 2015).

Ce processus de qualification des oppositions participe d’une prise de conscience de l’inconciliabilité dans les manières d’appréhender le monde, et mène ces acteurs à opérer une distinction entre les groupes sociaux qui peuvent ou non faire l’objet de stratégies d’acceptabilité. Les contestations de type « GPII », aussi regroupées par les enquêtés sous les termes « d’anticapitalistes » ou « d’anti-tout », tendent à être définies comme ingouvernables : « Ils sont contre. Il n’y a rien à faire. Cette frange-là de l’opinion, on n’y fera jamais rien. » (E2) Ces constats poussent à la mise en place de stratégies de plus en plus individualisées et adaptées aux contextes locaux, visant à caractériser les groupes sociaux et à les mesurer, afin de savoir sur lesquels il est possible ou non d’agir. Dans cette nouvelle entreprise de connaissance, les sciences sociales constituent une recrue essentielle : les travaux qui en sont issus aident à la compréhension des blocages rencontrés par les projets miniers, à travers l’étude des individus qui composent les mouvements d’opposition comme de ceux dont l’opinion est susceptible d’être modifiée.

3. Des instruments communicationnels : gouverner les critiques par l’« information environnementale »

La production d’information constitue un autre instrument central de gouvernement de la critique dans l’espace public, grâce à l’usage de « mots performatifs destinés à forger des formes de justification renouvelées » (Topçu, 2013, p. 85). Pour l’élite minière, il s’agit de changer l’image de cette industrie, à rebours des discours portés par les associations environnementalistes. La difficile gouvernance du renouveau minier est ainsi nourrie d’une couverture médiatique exponentielle des désastres environnementaux causés par l’industrie minière (Kirsch, 2014), à l’échelle internationale comme nationale. Elle mène ceux qui le portent à la mise en place d’instruments communicationnels, dont nous proposons de développer ici trois exemples. Ces instruments ont pour particularité d’être orientés autour du référentiel de l’environnement, qui participe d’une nouvelle forme de justification du bien-fondé de l’industrie minière.

3.1 Mise en récit d’une mine moderne

« Donc après, il y a aussi quelque chose qui fait très mal au secteur minier – à tort et à raison parfois – ; c’est un peu l’aspect Germinal. »

E20

« L’image de la mine de charbon décrite par Émile Zola dans Germinal n’est plus d’actualité. »

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, 2011, p. 47

La référence à l’ouvrage Germinal de Zola est omniprésente : dans les discours des acteurs[16], dans les discussions informelles, dans la littérature grise officielle. L’argument est double : les oppositions au renouveau minier sont irrationnelles, car elles proviennent de représentations historiques et révolues du monde de la mine ; l’industrie minière et ses pratiques actuelles n’ont plus rien à voir avec ce qui se pratiquait avant. Convoquant de cette façon le passé de l’activité minière, les acteurs du renouveau minier performent le clivage entre l’industrie minière du XXe siècle, polluante et désuète, et celle du XXIe siècle, propre et vertueuse car modernisée.

Cette démarcation des futurs projets ne s’effectue pas seulement avec le passé minier, mais aussi avec les mines (re)connues pour leurs conséquences en matière de pollution, ou bien ayant fait l’objet de grandes catastrophes, en France comme à l’étranger. De la même manière que Germinal, la mobilisation de ces exemples constitue une forme de reconnaissance de la pollution générée par l’activité minière, autant qu’elle vise à distinguer ce qui se fait « ailleurs », à l’étranger, de ce qui adviendrait en métropole, ou bien sert encore à minimiser la récurrence des dégâts liés à cette industrie.

« Les écolos disent : nous, on ne vous croit pas. Regardez Salsigne […] regardez la mine de machin, et le barrage au Brésil qui a craqué. Mais moi je n’en suis pas encore là ! »

E7

Ce processus, qui vise à reconnaître la pollution qu’engendre l’industrie minière tout en s’en démarquant, permet aux porteurs du renouveau minier de faire valoir l’image d’une industrie minière renouvelée et adaptée à son temps.

3.2 Mise en récit d’une mine propre

En miroir de ces représentations négatives, l’élite minière a en commun de mobiliser la mine de tungstène de Mittersill en Autriche. Celle-ci a fait l’objet d’un article dans une revue de la SIM en tant « qu’exemple d’intégration environnementale », la mine se trouvant dans un espace naturel protégé (Gaul, 2014). La mine de Mittersill symbolise ainsi la nouvelle image que souhaite se donner l’industrie minière : celle d’une industrie verte et responsable qui s’intègre dans le paysage et n’a que peu d’impacts. En ce sens, elle constitue un « haut-lieu » pour les acteurs du renouveau minier : elle « matérialise et rend visible, donc sensible, des valeurs abstraites qu’il est convenu de lui associer » (Debarbieux, 1993, p.6).

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Entrée principale de la mine souterraine de tungstène de Mittersill

Entrée principale de la mine souterraine de tungstène de Mittersill
Source : Poulard et al., 2017

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La référence à cette mine en activité vise plus spécifiquement les habitants et les élus locaux concernés par le PERM de Couflens-Salau. La mine a notamment fait l’objet d’une visite organisée par la fédération A3M en février 2019, avec certains membres de l’administration, d’autres de la SIM puis quelques élus de la Communauté de communes Couserans-Pyrénées (CCCP). La description qui en est faite par la société Mines du Salat mobilise des symboles de l’espace comparables à ceux du territoire communal de Couflens-Salau : le paysage montagnard et le parc naturel protégé ; la perpétuation des activités agropastorales et touristiques malgré la présence de la mine. En outre, c’est aussi du tungstène qui s’y trouve exploité. « Le groupe d’élus a ainsi pu constater l’impact positif qu’une mine responsable produit sur les économies et les populations locales. » (Mines du Salat, 2019) Cette comparaison vise à mobiliser les représentations qu’ont les habitants comme les élus locaux de leur propre territoire, autant qu’elle cherche à démontrer qu’une mine peut s’intégrer dans le paysage sans dégâts pour ce dernier, contrairement aux déchets visibles de l’ancienne mine d’Anglade sur le territoire communal. Cette stratégie de communication constitue une forme renouvelée de l’instrument participatif : il s’agit de mobiliser les individus à l’échelle individualisée, afin qu’ils participent eux-mêmes à un processus dont ils ne sont pas à l’origine. Au retour de la visite de la mine de Mittersill, les élus locaux ayant fait partie de la délégation pourront eux-mêmes contribuer à diffuser l’imaginaire de la mine verte en Ariège. La mine de Mitershill constitue désormais une référence commune parmi les membres de l’association PPERMS, et leur sert d’argument en faveur de la réouverture de l’ancienne mine.

3.3 Mise en récit d’une mine responsable

Le référentiel d’une politique et, plus largement, son contenu sont loin d’être influencés par les seuls élus politiques : Ioannis Papadopoulos (2015) souligne le rôle, entre autres, des journalistes, qui sont « considérés comme des opinion leaders dans un contexte de médiatisation croissante ». Guillaume Pitron, journaliste et cofondateur du think tank Global Links[17], en outre intégré à l’élite minière (Massé, à paraître), joue spécifiquement ce rôle dans le cadre du renouveau minier. Ses discours comme ses écrits participent de la justification de la relance minière, à travers la mise en récit d’un point de vue critique sur les pollutions générées par le secteur minier à l’échelle internationale, puis par la promotion d’une relocalisation plus « responsable » de l’extraction dans les pays développés.

Pitron est tout d’abord inséré dans les arènes institutionnelles par le biais de Global Links, qui a organisé deux évènements autour de la problématique des métaux stratégiques à l’échelle de l’État : une conférence le 24 février 2015 à l’Assemblée nationale, « La France et la guerre des métaux stratégiques » ; une rencontre le 12 juin 2015 au Palais Bourbon, « Métaux stratégiques et économie circulaire » (Viméo, 2016a). Il a animé deux autres évènements, organisés par des réseaux industriels en lien avec le renouveau minier, et a par ailleurs été convoqué à une audition publique de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) en 2015 sur « les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques » (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, 2016). Il y est convoqué pour son expertise en matière de médias, et intervient entre autres au cours d’une table ronde débattant de leur impact sur l’image des entreprises minières :

« [I]l y a un risque “image” de plus en plus fort, ne serait-ce que parce que les médias s’intéressent de plus en plus aux dessous de l’électronique […] Il faut probablement une veille média aussi pour s’assurer que les entreprises sont capables de gérer ce risque de réputation […] Une variable importante pour l’offre est effectivement l’aspect environnemental et l’acceptabilité sociale des conséquences environnementales. »

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, 2016, p. 57

Pitron a par ailleurs écrit un livre intitulé La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, très médiatisé et largement acclamé à sa sortie en janvier 2018. L’unanimité dont il a fait l’objet est liée à la mobilisation d’un double référentiel par le journaliste. Il critique tout d’abord les conséquences pour l’homme et l’environnement de l’industrie minière, à partir du cas de la production des terres rares en Chine. Cela lui permet de mettre en cause les contradictions d’un mode de société « occidental », qui dépend de l’extraction de métaux à l’étranger dans des conditions sanitaires et environnementales destructrices. En parallèle, il mobilise des registres semblables à ceux des acteurs de la relance minière : le besoin de métaux pour la transition énergétique, la domination chinoise, l’avenir vert et responsable de la mine. La conclusion du livre appelle à la réouverture des mines en France : il s’agirait de supporter à nouveau « les coûts écologiques de nos modes de vie […] La mine responsable chez nous vaudra toujours mieux que la mine irresponsable ailleurs » (p. 236-237).

Cet ouvrage constitue une référence importante, si ce n’est un véritable registre de justification pour les acteurs du renouveau minier, qui le mobilisent très souvent[18]. Il leur permet d’intégrer le référentiel de l’environnement à leurs discours de deux façons : à travers la récupération des critiques habituellement adressées à l’industrie minière (polluante et destructrice pour l’environnement, en outre néocoloniale, car elle exploite des terres étrangères pour le compte des « occidentaux ») ; en tant que justification du rapatriement des activités minières au nom de l’écologie (les métaux sont nécessaires à la transition écologique).

La mise en place de ces instruments communicationnels dans le contexte de la relance minière vise ainsi l’environnementalisation du secteur extractif minier ou son rattrapage environnemental. Elle est le témoin du référentiel incontournable que constitue l’environnement, qui se voit progressivement intégré dans le registre discursif de l’industrie minière. Cette intégration s’ancre dans la confrontation du moderne et de l’ancien, du proche et du lointain. On justifie la réexploitation du sous-sol métropolitain au nom du refus de polluer ailleurs, tandis que la modernisation permettra de ne plus polluer chez nous.

Conclusion

Cet article a donné à voir la mise en place de trois types d’instruments (participatif, sociométrique et communicationnel) de gouvernement des critiques adressées à la politique de renouveau minier par ses principaux protagonistes. L’étude de ces instruments a permis de saisir cette politique au travers des rapports entre ceux qui la portent et de ceux qui, parmi la société civile, la critiquent. Elle montre l’intérêt d’étudier les instruments d’action publique sous le prisme de leurs résistances, le repérage de ces dernières constituant une manière « de suivre des changements structuraux de grande ampleur qui affectent les relations de pouvoir » (Le Bourhis et Lascoumes, 2011, p. 17). Nous avons ainsi pu mettre en lumière deux points de résistances centraux au renouveau minier, et qui émergent plus largement comme deux référentiels majeurs pour l’action publique au XXIe siècle. L’environnement et le territoire font ainsi l’objet de tentatives variées d’intégration aux instruments visant à gouverner les critiques du renouveau minier. Alors que les enjeux liés à l’environnement constituent le pivot des critiques adressées au secteur minier, ce dernier environnementalise progressivement son image et son utilité sociale afin de coller aux valeurs dominantes dans la société. Quant à la prise en compte exponentielle du territoire dans les stratégies d’acceptabilité, elle montre qu’il constitue un motif central de résistance contre les projets extractivistes (Bednik, 2019), où le bon déroulement du PERM est conditionné par sa réception par les habitants du territoire dans lequel il s’implante. L’intégration de ces référentiels témoigne de leur importance pour la gouvernance des projets d’aménagement du territoire comme des projets d’exploitation des ressources. Elle fait plus largement apparaître comme structurantes les résistances au pouvoir d’État dans l’évolution de ses modes de gouvernement et de ses instruments.

Pour autant, la prise en compte de ces points de résistances se trouve, pour le moment, insuffisante dans le cadre du renouveau minier. Elle semble avant tout participer à la transformation de l’image que possède le monde minier de lui-même, à travers l’imposition progressive d’un nouvel imaginaire lié à ses innovations techniques (Topçu, 2013). Si les effets des instruments communicationnels méritent d’être appréhendés sur le long terme, ceux participatifs et sociométriques ont jusque-là prouvé leur inefficacité à gouverner les critiques du renouveau minier. Ces échecs sont tout d’abord dus à l’articulation spécifique entre les caractéristiques des contestations et les réponses apportées par l’élite minière. À la promotion d’une industrie verte et responsable, s’oppose la prégnance d’un grand nombre d’incertitudes techniques en matière d’extraction minière, de même que la production de contre-expertises qui en font plutôt émerger les impacts divers. Quant à l’argument des désastres causés par la délocalisation de l’extraction minière, les opposants répondent par la nécessaire diminution de la consommation, par les possibilités en matière de recyclage ou bien par la mise en cause de l’utilité de certains métaux.

Ensuite, les réponses apportées par l’élite minière ne s’attaquent qu’à certains champs de la critique et font émerger un angle mort considérable : celui du paradigme économique qui sous-tend l’industrie minière. La mise en économie des ressources minières (Chiapello et al., 2020) reste conditionnée par les modalités d’une industrie capitalistique autant financiarisée que globalisée, et dont les porteurs du renouveau minier n’ont su se départir malgré quelques tentatives. Or, les critiques adressées au renouveau minier se trouvent justement en partie fondées sur la remise en cause profonde de l’extractivisme, en tant que modèle économique basé sur l’extraction des ressources et en tant que régime politique d’accaparement des biens communs (Bednik, 2019). La dynamique (extractiviste) du capitalisme se trouvant intrinsèquement liée à l’extraction des ressources (Moore, 2015), la critique de l’une est indissociable de l’autre, et cet enchevêtrement témoigne de l’impossibilité à gouverner certaines critiques adressées au renouveau minier.