Revue Gouvernance
Governance Review
Volume 18, Number 2, 2021 La gouvernance du renouveau minier européen face aux contestations Protests and the governance of European mining renewal Guest-edited by Sylvain Le Berre and Sébastien Chailleux
Visionnez le lancement du numéro spécial La gouvernance du renouveau minier européen face aux contestations tenu le 25 novembre 2021
Table of contents (6 articles)
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La relance minière en France et en Europe à l’épreuve des critiques
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Faire advenir la « mine durable » en Europe ? Discours institutionnels et impératif de relance minière, de l’Union européenne à l’Andalousie
Doris Buu-Sao
pp. 16–41
AbstractFR:
Depuis la fin des années 2000, une trentaine de projets de mines métalliques ont vu le jour en Europe, à rebours de la tendance à délocaliser les investissements miniers vers le Sud global. L’Andalousie est à l’avant-garde de ce processus de réactivation minière avec sept nouvelles mines métalliques et d’autres projets sur le point d’aboutir. De tels projets adviennent avec le soutien des pouvoirs publics à l’échelle régionale, nationale, mais aussi européenne, depuis que la Commission européenne a présenté, en 2008, l’Initiative matières premières. Comment l’extraction minière apparaît-elle comme une solution en contexte de crise économique, sociale et environnementale ? Cet article développe un premier niveau de réponse à partir de l’analyse des discours institutionnels de la relance minière. De l’Union européenne à l’Andalousie, il montre d’abord comment le travail de conviction décelable dans ces discours publics produit un énoncé consensuel, par lequel la « solution » de la relance minière intègre un éventail hétéroclite de motifs et repose sur des formules qui visent à neutraliser les contradictions. La stabilisation de l’énoncé de la relance minière favorise ensuite l’alliance d’acteurs publics et privés autour de deux objectifs d’action publique. D’une part, l’énoncé promeut une politique de la connaissance qui soutient l’exploitation des sous-sols. D’autre part, le ciblage des États comme responsables de la sous-exploitation des matières premières européennes conduit à un second objectif, celui de repenser la politique des sous-sols pour y incorporer l’impératif minier.
EN:
Since the end of the 2000s, about thirty new metallic mining projects were born, in contradiction with the shift of mining investments towards the Global South. Andalusia is at the forefront of this mining reactivation process with seven new metallic mines and other projects about to start. Such projects benefit from the support of public authorities at the regional, national and European scales ever since the European Commission presented the Raw Material Initiative, in 2008. How can mining extraction appear as a solution in a context of economic, social and environmental crisis ? As a first step, this article develops an answer based on the study of institutional discourses of mining renewal. From the European Union to Andalusia, it shows how the labour of conviction, which can be observed in the public discourse, produces a consensual statement, through which the ‘solution’ of mining renewal incorporates heterogeneous motives and relies on wording that aim to neutralize contradictions. The stabilisation of the mining renewal statement then generates alliances between public and private actors around two policy objectives. First, the statement promotes a policy of knowledge that supports the undergrounds exploitation. Second, holding the states responsible for the under-exploitation of European raw materials leads to a second objective, which is to incorporate the mining imperative to undergrounds policy.
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Investissement, anticipation, planification : la politique temporelle des activités extractives
Brice Laurent and Julien Merlin
pp. 42–62
AbstractFR:
Comme dans de nombreux domaines technologiques et industriels, l’exploration et l’exploitation minières s’appuient sur des instruments censés prévoir et organiser les développements futurs et leurs conséquences. Dans cet article, nous nous intéressons à trois formes de mobilisation du futur dans le cadre de ces activités et de leurs contestations : 1) l’investissement, caractérisé par le calcul des profits futurs et la place centrale accordée aux risques susceptibles de les remettre en cause ; 2) l’anticipation, qui associe l’activité extractive à des considérations plus larges susceptibles de faire émerger des questionnements nouveaux et une autre définition des risques ; 3) la planification, qui consiste à organiser l’activité minière en fonction d’objectifs à atteindre, tels que le développement territorial, par exemple. En se fondant sur plusieurs terrains (France métropolitaine, Nouvelle-Calédonie, Guyane), cet article propose de montrer qu’une analyse des formes de mobilisation du futur permet de repenser le problème bien connu des relations entre les entreprises minières, l’environnement et les populations concernées.
EN:
As in many technological and industrial sectors, mining exploration and extraction rely on instruments designed to anticipate and organize future developments and their consequences. In this article, we focus on three ways of mobilizing the future in the context of these activities and their contestation. Investment is characterized by the calculation of future profits and the central place given to risks that are likely to threaten them. Anticipation combines the appraisal of extractive activity with wider considerations likely to give rise to new questions and a different definition of risks. Planning consists in organizing mining activity according to objectives to be achieved, such as territorial development. Building on fieldwork in metropolitan France, New Caledonia, and French Guiana, this article shows that an analysis of the mobilization of the future makes it possible to rethink the well-known problem of the relations between mining companies, environment and the affected populations.
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La trajectoire du renouveau minier dans la presse écrite française (2009‑2019)
Sébastien Chailleux
pp. 63–85
AbstractFR:
L’article analyse la trajectoire argumentative du renouveau minier dans la presse française entre 2009 et 2019. Après avoir décrit la construction de l’énoncé de relance de l’exploration minière dans un espace confiné alliant experts du sous-sol et services administratifs, je montre la manière dont cet énoncé a été critiqué dans la presse régionale française ainsi que l’émergence d’une problématisation du renouveau minier comme un danger environnemental et un déni de démocratie. Basé sur une série d’entretiens semi-directifs et une analyse d’un corpus de 699 articles de presse, l’article pointe trois faiblesses de l’énoncé propositionnel de renouveau minier participant à son échec dans le forum médiatique : l’inadéquation du modèle spéculatif de la petite société d’exploration, l’inconsistance et l’inconstance du portage politique et l’inadaptation du régime de justification experte face aux critiques. Il s’agit alors de souligner que la portée d’un énoncé de politique publique est déterminée par sa capacité à traverser différents espaces de débat, confinés et publics, et à s’adapter à leurs règles et aux régimes de faisabilité qui les structurent.
EN:
The article analyzes the argumentative trajectory of mining revival in the French newspapers between 2009 and 2019. After describing how experts and administrative departments built the statement of mining revival in a confined space, we show how this statement is criticized in the French newspapers and how mining revival became an environmental threat and a denial of democratic participation. Based on semi-structured interviews and the analysis of 699 newspaper articles, the article underlines three weaknesses of the mining revival proposal participating to its failure in the media forum : the inadequacy of the speculative model of junior companies of exploration, the inconsistency and inconstancy of the political leadership, and an unfitted regime of justification based on technical expertise. We highlight how the reach of public policy statements is determined by their ability to be addressed in both confined and public debate spaces and to adapt to their own structure of rules and feasibility regimes.
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La Bretagne face aux industries extractives. Processus de cadrage et construction de coalitions contre la prospection minière et l’extraction de sable dans les Côtes d’Armor
Damien Schrijen
pp. 86–109
AbstractFR:
Dans les Côtes d’Armor, en Bretagne, deux projets d’extraction de ressources naturelles font face à de fortes contestations locales à partir de 2016. Il s’agit d’une part du permis exclusif de recherche minière (PERM) de Loc-Envel, dans les terres, et d’autre part de la concession de sable coquillier de la Pointe d’Armor, sur la côte. Bien que géographiquement proches, ces deux mobilisations se structurent différemment : alors que la mobilisation contre le PERM de Loc-Envel prend la forme d’une coalition souple, celle contre l’extraction de sable se structure en organisation de coalition (Staggenborg, 1986). Comment expliquer ces divergences, sur un territoire réduit, dans la structuration de ces mobilisations ? Pour répondre à cette question, nous interrogerons le poids des héritages locaux, mais également des processus de cadrage dans la structuration des mobilisations environnementales. Une problématisation qui, si elle prend un tour plutôt contre-expert sur la côte et plus territorialisé dans les terres, ne s’inscrit ici que marginalement dans une critique de l’extractivisme (Bednik, 2016).
EN:
Starting in 2016, in the Côtes d’Armor district, in French Brittany, two natural resources extraction project face strong local mobilizations. The first one is the Loc-Envel mining project, in the countryside, and the second one is a shell sand extraction licence, on the coast. Although those two struggles are rather close to each other, they take different shapes : while the mobilization against the Loc-Envel mining project takes the form of a flexible coalition, the one against the shell sand extraction is structured in a coalition organisation (Staggenborg, 1986). How can we explain these differences in such a small area ? In order to answer this question, this article looks at the role of local heritages and framing in the shaping of environmental conflicts. Thereby, we find a counter-expert approach on the coast and a territorialized one in the countryside, while the criticism of extractivisme (Bednik, 2016) remains marginalized.
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Des instruments (insuffisants) pour gouverner les critiques adressées au « renouveau minier » en France métropolitaine. Une articulation autour des référentiels de l’environnement et du territoire
Pauline Massé
pp. 110–135
AbstractFR:
Les vives contestations rencontrées par la politique de renouveau minier en France métropolitaine s’inscrivent dans la montée en puissance des mobilisations territoriales et environnementales, témoin de l’essoufflement de la gouvernance des projets industriels et d’aménagement. Définies comme un problème d’acceptabilité sociale, elles ont mené les acteurs de cette politique à la mise en place d’instruments destinés à gouverner les critiques qui lui sont adressées. Cet article analyse trois de ces types d’instruments (participatif, sociométrique, communicationnel) et met en lumière les référentiels sous-jacents qui en émergent : le territoire et l’environnement. L’échec des instruments participatifs met à jour l’inconciliabilité des positionnements entre la société civile d’une part, puis les acteurs administratifs et productifs d’autre part, et mène à la persistance des logiques néocorporatistes dans la gouvernance des ressources minérales. L’appréhension de plus en plus fine du territoire et de la diversité du monde social qu’opèrent les instruments sociométriques s’est également révélée insuffisante pour la meilleure acception des projets miniers. Si les effets des instruments communicationnels nécessitent quant à eux d’être appréhendés dans le temps long, on peut spéculer sur leur faible impact sur les contestations du renouveau minier, du fait de leurs particularités. Ainsi, les instruments de gouvernement de la critique ne s’attaquent pas au paradigme économique (capitaliste et extractiviste) qui sous-tend l’industrie minière, tandis que les critiques sont justement fondées sur la remise en cause profonde de l’extractivisme (en tant que modèle économique basé sur l’extraction des ressources et en tant que régime politique d’accaparement des biens communs).
EN:
The “mining renewal“ policy in metropolitan France, which emerged in the 2010s, encountered fierce critics. They live on the rising power of territorial and environmental mobilizations, leaving industrial and developing projects governance short of breath. Defined as a problem of social acceptance by the major actors supporting mining renewal, they lead the latter to implement tools for governing its critics. This article studies three of these tools (participative, sociometric, communicational) and their underlying frames of reference : environment and territory. The participative tool’s failure shed a light on the incompatibility between civil society’s stances on one side, and administrative and productive actors on the other side, leading to the persistence of corporatist reasoning in mineral resources’ governance. The increasingly fine apprehensions of territory and the world’s social diversity carried out by sociometric tools have also proved insufficient for a better acceptance of mining projects. If the communicational tools’ effect need time to be fully grasped, one can speculate their feeble impact on mining renewal contestations, because of their particularities. Thus, tools for critic’s government do not declare war on the mining industry’s underlying economic (capitalist and extractivist) paradigm, while critics profoundly call extractivism into question (as an economic model based on resource extraction and as a political regime resting on the hoarding of common goods).