Revue Gouvernance
Governance Review
Volume 18, Number 1, 2021 Cadre spatial et cadrage de la cause : l’inscription territoriale des problèmes publics Space and framing: the territorial embedding of public problems Guest-edited by Sébastien Ségas
Visionnez le lancement du numéro spécial Cadre spatial et cadrage de la cause : l’inscription territoriale des problèmes publics tenu le 14 octobre 2021
Table of contents (6 articles)
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Territoire et fabrication des problèmes publics
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La construction territoriale d’un problème public en contexte multiniveaux. Le cas du Grand Paris
Jeanne Chauvel
pp. 10–39
AbstractFR:
Cet article interroge la construction territoriale d’un problème public, à partir du cas du Grand Paris. Il analyse la façon dont un problème de gouvernance métropolitaine, c’est-à-dire de la coopération entre acteurs publics, émerge de façon bottom-up par les élus locaux, avant d’être redéfini par l’État central dans une perspective top-down. Le cas du Grand Paris révèle la prégnance du clivage centre-périphérie avec la difficulté de l’État central à décentraliser des compétences d’aménagement de sa région capitale, et la centralité de la variable institutionnelle dans la construction du problème public.
EN:
Through the analysis of how a metropolitan governance issue, under the dynamics of public stakeholders, is addressed from the bottom up by local representatives and then redefined from a top-down perspective by the central State, this paper examines the territorial construction of a public problem in the Greater Paris area. The case of the Greater Paris area reveals deep rifts between the city centre and the outskirts with the central State’s difficulty to decentralize development authorities in the capital region, as well as the centrality of the institutional variable in the construction of the public problem.
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Les territoires des revendications linguistiques. Une comparaison Bretagne/Lusace
Jeanne Toutous
pp. 40–61
AbstractFR:
Cet article s’intéresse aux conditions de production d’un récit territorial régional unifié dans deux régions marquées par des mouvements de revitalisation linguistique (Grenoble et Whaley, 2006). La Bretagne abrite deux communautés linguistiques– bretonne et gallèse – porteuses de revendications de statut (Gusfield, 1986). La Lusace est un territoire revendiqué par les locuteurs des langues basse-sorabe et haute-sorabe. Les deux territoires régionaux revendiqués par les militants linguistiques diffèrent des territoires de l’action publique. Nous montrons que malgré des tentatives militantes de produire un récit territorial unifié de la région revendiquée, des rapports de concurrence et de domination entre les groupes linguistiques viennent morceler cette entreprise. En partant du postulat que l’action collective linguistique construit l’image sociale du territoire (Avanza et Laferté, 2005) tout autant que l’image sociale du territoire la construit en retour, nous nous intéressons aux usages militants des multiples récits régionaux et aux enjeux politiques qu’ils drainent.
EN:
This article tackles the conditions in which a unified territorial narrative is built in two regions that are characterized by language revitalization movements (Grenoble & Whaley, 2006). Brittany is home to the Breton and the Gallo minority-language communities. Lusatia is a territory that is claimed by speakers of both Lower and Upper Sorbian, two distinct Slavic languages. Both regional territories claimed by language activists differ from the territorial frame for public action. However, the construction of territorial narratives by language activists cannot be summed up by drawing an alternative territory. Concurrence and power dynamics between language communities shatter this unified vision of the region. Based on the assumption that collective action for minority languages builds the social image of the territory (Avanza et Laferté, 2005) just as much as this social image builds collective action, we will shed light on the militant uses of the various regional narratives and on the political issues that they carry.
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L’économie sociale et solidaire et l’inscription territoriale des problèmes publics : émergence et enjeux d’un pôle territorial de coopération économique
Xabier Itçaina
pp. 62–83
AbstractFR:
L’économie sociale et solidaire (ESS) joue un rôle central dans l’inscription territoriale des problèmes publics, comme en témoigne en France le cas des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Loin de se limiter à une addition de statuts entrepreneuriaux, l’ESS ambitionne ici de nourrir les modèles de développement territorial. À ce titre, le PTCE Sud Aquitaine, basé à Tarnos (Landes), associe une vingtaine de structures de l’ESS, collectivités et acteurs privés marchands dans une démarche de coopération territoriale. La constitution du PTCE témoigne d’un registre de construction et de traitement discret et confiné des problèmes publics territoriaux. Les problèmes publics y font l’objet d’un travail politique permanent de la part des acteurs. Ce travail politique vise d’abord à construire comme convergents des problèmes publics initialement distincts et sectoriels (emploi des jeunes, développement social et économique, équilibre entre économie productive et économie résidentielle, égalité entre les femmes et les hommes, création d’activités, circuits courts territoriaux, agriculture paysanne et alimentation) pour les fusionner dans un même projet territorial. Il entend ensuite harmoniser des constructions de problèmes publics distinctes selon les territoires engagés dans la coopération. Ces portages de problèmes publics peuvent s’agréger de façon vertueuse, ils peuvent aussi donner lieu à d’éventuelles tensions au moment de les hiérarchiser.
EN:
The social and solidarity-based economy (SSE) plays a pivotal role in the territorial processing of public problems, as evidenced by the French Territorial Groupings of Economic Cooperation (TGEC). Far from limiting itself to an addition of corporate legal statuses, the SSE aims here at nurturing the very models of territorial developments. Significantly, the South Aquitaine TGEC, based in Tarnos (Landes) aggregates around twenty SSE bodies, public authorities and for-profit companies within one project of territorial cooperation. Constituting a TGEC consists in a discrete and contained construction and processing of territorial public problems. Nevertheless, public problems are subject to constant political work on the part of stakeholders. This political work aims first at bringing together initially distinct sector-based public problems (youth employment, social and economic development, equilibrium between productive and residential economy, gender equality, creation of economic activity, territorial short circuits, small farming, food) in order to merge them into a shared territorial project. The political work then aims at harmonizing distinct social constructions of public problems, varying according to the territories engaged in the cooperation. These public problems can aggregate on a virtuous manner, but they can also be subject to potential tensions when prioritization is needed.
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Un problème de desserte des banlieues populaires ? Un rendez-vous manqué de la constitution de l’intercommunalité à Lyon (1964-1983)
Antoine Lévêque
pp. 84–110
AbstractFR:
Cet article analyse la façon dont la construction d’une politique de transport en commun à une échelle d’agglomération à Lyon élude un problème de desserte des grands quartiers d’habitat social. Cette séquence fondatrice de l’intercommunalité lyonnaise éclaire la politisation des communautés urbaines observée dans la première décennie de leur existence en France. La construction de plusieurs milliers de logements sociaux sur la commune de Vaulx-en-Velin est saisie par ses élus municipaux comme moyen d’équipement et de modernisation urbaine. Mais dans la nouvelle arène intercommunale, l’exacerbation des hiérarchies entre élus met à l’épreuve les ressources du communisme municipal. La trajectoire et les ressources disponibles pour les élus de Vaulx-en-Velin les prédisposent à investir des grilles de lecture conflictualisées du monde social pour endosser un rôle de représentant des classes populaires de l’agglomération. La politisation de l’institution intercommunale qui en résulte désingularise la desserte des quartiers d’habitat social pour en faire un problème public local interpellant le traitement global des classes populaires urbaines.
EN:
This paper analyzes the construction of a public transport policy on an agglomeration scale through the case study of Lyon, France. Its metropolitan government structure evaded the problem of serving large social housing areas. The founding sequence of Lyon’s intercommunality sheds light on the politicization of « communautés urbaines » observed during their first decade of existence in France.
The specific city of Vaulx-en-Velin was granted several thousand social housing units. The municipal councillors meant to use them in order to provide modern urban equipment. But, within the new intermunicipal arena, the exacerbation of hierarchies among elected officials undermined the resources of municipal communism. The trajectory and the resources available to Vaulx-en-Velin’s elected officials predisposed them to use conflictualized reading grids of the social world, in order to endorse a role as representative of the town’s working classes. The intermunicipal politicization’s de-singularized the service of neighbourhoods, in order to transform it as a local public problem that calls into question the global treatment of urban working classes.
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Traduire les effets territorialisés de la répression en politique. Aux origines de la réparation communautaire au Maroc (2007-2014)
Frédéric Vairel
pp. 111–133
AbstractFR:
À partir de différentes enquêtes de terrain, cet article retrace les origines du programme de réparation communautaire au Maroc, un programme de développement socioéconomique et culturel en faveur de régions dont les populations relient leur situation aux « violations graves des droits humains » perpétrées durant les années 1960 à 1990. Prenant appui sur des travaux de sociologie des problèmes publics, l’article revient sur l’émergence et l’élaboration territorialisées de mesures de « justice transitionnelle ». Pour ce faire, nous analysons la constitution en problème des effets territorialisés de la répression par des acteurs associatifs locaux. Ils qualifient des situations et mettent en cause la présence de centres de détention secrets et l’état social et économique de leurs localités qui en résulterait. Ces acteurs appellent des réponses publiques inscrites dans le territoire particulier du Sud-Est marocain. Ensuite, nous montrons que ces acteurs associatifs proposent une désingularisation nouvelle de la répression : la violence a marqué des territoires et non plus des individus ou des groupes militants. Cette mise en cause entre en résonance avec des problématiques internationales (la « justice transitionnelle » saisie par le développement) et des éléments des trajectoires des commissaires de l’Instance Equité et Réconciliation, la commission vérité marocaine, aboutissant à l’élaboration d’une action publique à l’échelle nationale.
EN:
Based on various field investigations, this article traces the origins of the community reparation program in Morocco, a socio-economic and cultural development program supporting regions in which economic and social marginalization are perceived as linked to “gross violations of human rights” from the 1960s to the 1990s. Drawing on the sociology of public problems, the article considers the emergence and territorial development of “transitional justice” measures. Hence, we analyze the problematization of the territorialized effects of repression by small associative actors. They qualify situations and question the presence of secret detention centers and the resulting social and economic status of their localities. They call for public responses rooted in the particular territory of South-East Morocco. Then, we show that these associative actors propose a new de-singularization of repression : violence has no longer marked individuals or militant groups, but territories. This questioning resonates with international issues (“transitional justice” seized by development) and elements of the trajectories of the commissioners of the Equity and Reconciliation Commission, the Moroccan truth commission, leading to the development of public action nationwide.