Régimes politiques, « gouvernance » et élites locales. Mutation des styles de gouvernement local dans quatre pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Maroc)[Record]

  • Jean-Pierre Gaudin,
  • Stéphanie Tawa Lama-Rewal and
  • Frédéric Vairel

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La gouvernance a déjà été largement étudiée comme style normatif d’action publique, mais aussi comme clé de lecture des repositionnements contemporains entre État et marché. Cependant, un des angles morts de l’analyse reste sa réception par les élites des pays émergents, et en particulier par les leaders locaux. De ce point de vue, il convient de dépasser l’approche en termes d’« émergence d’une nouvelle classe moyenne » dans ce type de pays – approche trop centrée sur le pouvoir d’achat et le style de vie, c’est-à-dire en fait sur l’accès de certaines couches sociales à un nouveau niveau de marché. La problématique commune adoptée dans ce dossier consiste beaucoup plus à politiser l’analyse, en resituant les attentes politiques et les intérêts des élites modernistes au sein des arbitrages qui peuvent être faits localement entre autoritarisme et démocratisation (Camau et Massardier, 2009). Car au sein des régimes de gouvernance, une place particulière est souvent occupée par des offres politiques de participation locale et ce, y compris dans des configurations semi-autoritaires ou à pluralisme limité (Hermet, 2004). Ce dossier comparatif entend donc tester dans quelle mesure des régimes territoriaux ou partiels de gouvernance (entendus comme arrangements autour de normes permettant des coalitions locales d’action publique) constituent aussi une ressource politique dans les concurrences entre les notables ou oligarchies locales et les élites modernistes de la « bonne » gestion publique. Il s’agit ici d’opérer un renversement de perspective, en s’attachant non plus aux prescripteurs de gouvernance et à leurs politiques de conditionnalité, mais aux formes de circulation transnationale et de réception de ces références ou doctrines dans plusieurs grands pays émergents, par le biais d’une confrontation organisée entre plusieurs études locales de terrain. Autrement dit, l’objectif n’était pas de décrire ce qu’est la gouvernance, mais ce que les acteurs en font. Comment les élites locales s’approprient-elles l’idée de gouvernance? Quels processus d’apprentissage peut-on observer et quel travail de traduction est à l’oeuvre dans les contextes très différents abordés ici? Avec quels mots parle-t-on de gouvernance en Inde, en Chine, au Maroc et au Brésil? Ces questions nous ont amenés à porter notre attention simultanément sur les discours et les pratiques des acteurs politiques et économiques. Ce dossier constitue un exemple de ce que peut faire la politique comparée : poser une question commune qui porte sur un phénomène global, et y répondre en faisant toute sa place à la diversité des contextes nationaux, mais aussi subnationaux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il était important d’avoir deux articles sur chacun des pays étudiés. L’attention accordée par chacun des auteurs au vocabulaire employé par les acteurs locaux est importante car elle permet de rétablir un peu de symétrie dans le cadre conceptuel de la gouvernance. Par exemple, Stéphanie Tawa Lama-Rewal souligne que le « Parti de l’homme ordinaire » (Aam Aadmi Party), au pouvoir à Delhi depuis 2015, a mis au coeur de son projet politique deux ingrédients essentiels de la gouvernance : la lutte contre la corruption, notamment par la transparence, et le développement de la participation. Pourtant, le mot hindi qui correspond le mieux à la notion de gouvernance, shasan, n’apparaît quasiment pas dans le discours officiel du parti, contrairement au terme swaraj (auto-gouvernement), qui permet de situer ce projet dans une lignée gandhienne, et sarkar (gouvernement), qui révèle l’accent mis sur la codécision (au détriment de la délibération) dans la version de la participation promue par ce parti. Ces ambiguïtés de la « participation » promue au sein des dispositifs de gouvernance se retrouvent au coeur du programme de « réparation communautaire » mis en place entre 2007 et …

Appendices