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Étroitement associé à la naissance de l’imprimerie, l’almanach figure parmi les premières publications sorties des ateliers des imprimeurs nord-américains. Introduit à Québec à la fin du xviiie siècle, après une période de lente évolution, l’almanach se déploie au siècle suivant avec le développement de la presse en langue française qui devient l’un des vecteurs de l’émancipation culturelle des Canadiens français et de leurs revendications collectives. L’étude de Hans-Jürgen Lüsebrink met l’accent sur cette spécificité qui va distinguer l’almanach québécois des almanachs anglo-américains.
Alors qu’au Canada anglophone l’almanach constituait en tout premier lieu un outil pragmatique, renfermant surtout un calendrier et un carnet d’adresses et d’information d’utilité pratique (« Directory »), écrit-il, l’almanach francophone dépassa, dès ses débuts, cette fonction strictement utilitaire en intégrant des textes littéraires et des divertissements ainsi qu’un large éventail de connaissances encyclopédiques, comme en témoignent déjà les titres des tout premiers almanachs de Fleury Mesplet.
p. 27-28
Conforme au modèle du genre, comprenant une partie calendaire, des renseignements utiles et des anecdotes, l’almanach québécois ajoute une dimension culturelle à cette classe d’imprimés en contribuant à la construction d’une identité collective. Voilà la thèse principale de cet ouvrage de plus de 400 pages, qui offre la première étude d’ensemble sur ce phénomène éditorial. Une approche comparative permet de faire ressortir la particularité des publications québécoises. S’il en décrit les principales rubriques et en propose une périodisation convaincante, l’auteur met en valeur leurs principaux collaborateurs et artisans, dont les textes paraissent souvent sous couvert de l’anonymat. Les Ludger Duvernay, Paul-Marc Sauvalle, Émilien Daoust, Sylva Clapin, Louis Fréchette, Albert Lévesque, Albert Tessier, Robertine Barry et Marie-Claire Daveluy comptent parmi les éditeurs et rédacteurs qui ont eu chacun en leur temps une influence déterminante sur leur évolution et leur contenu.
Les deux principales fonctions de l’almanach, informer et divertir, sont ici abondamment illustrées et commentées. La partie information, comprenant le calendrier et des données sur la géographie, la météo, les phénomènes célestes, les découvertes techniques et scientifiques, les actualités de l’année écoulée, la santé, l’hygiène, la mode, l’économie domestique et le savoir-vivre, constitue une sorte de « petite encyclopédie du peuple ». Le second ensemble, plus accessoire, vient agrémenter la lecture avec des contes, des poèmes, des historiettes, des devinettes, des proverbes et des maximes et y occupe un espace qui n’en est pas moins significatif. C’est ici que s’insère l’originalité du modèle québécois, avec la publication de textes littéraires et de récits historiques qui contribuent à la construction d’un imaginaire collectif.
La « canadianisation » progressive des contenus coïncide avec l’apogée de l’almanach entre les années 1880 et 1930. Vu sa grande diffusion, l’almanach constitue un véhicule privilégié dans la diffusion de la culture canadienne-française. À partir des années 1870, comme le souligne l’auteur, on perçoit « une irrésistible percée d’auteurs canadiens-français au sein des almanachs populaires » (p. 323). Destiné à un public familial qui compte encore plusieurs illettrés, il accorde une place de choix aux « formes simples », comme la maxime, le proverbe, le mot d’esprit et la chanson, ou aux contes et à la poésie susceptibles d’être lus à haute voix.
Nombre de textes littéraires de l’almanach, écrit Lüsebrink, n’étaient pas uniquement destinés à la lecture [silencieuse], mais aussi – et peut-être en premier lieu – à la performance orale : tels les récits racontés à haute voix, sous des formes aussi diverses que l’anecdote, la blague, la devinette et la nouvelle ; telles les chansons souvent accompagnées de notes musicales, notamment dans l’Almanach de la langue française et l’Almanach de l’Action sociale catholique […].
p. 325-326
Entre 1882 et 1914, dans le seul Almanach du peuple de la Librairie Beauchemin, l’auteur dénombre pas moins de 114 contes et nouvelles signés par 36 auteurs québécois différents. De connivence avec leurs éditeurs, des écrivains prolifiques comme Louis Fréchette et Rodolphe Girard font même de l’almanach une tribune de choix pour la propagation de leurs contes et récits. Ce phénomène éditorial particulier amène Lüsebrink à conclure que « les almanachs canadiens-français remplirent ainsi un rôle important, et souvent sous-estimé, dans la constitution du canon de la littérature québécoise et pour sa diffusion auprès d’un large public de lecteurs » (p. 340).
L’almanach, qui prétend aborder tous les sujets marquants d’une année, suit de près l’évolution sociale et relaie les discours sociaux dominants. Ainsi, les deux guerres mondiales, qui viennent élargir le champ d’observation de l’almanach et initier le lecteur à la dimension internationale des événements, servent aussi de catalyseurs dans l’expression des conflits séculaires entre francophones et anglophones, notamment dans la foulée de l’adoption du Règlement XVII de 1912 et des deux crises de la conscription en 1917 et 1944. Le lancement de l’Almanach de la langue française (1916-1937) résulte en partie de ce clivage culturel qui se creuse et s’accentue à partir de la Première Guerre mondiale.
La société de consommation en plein essor et les avancées de la reproduction photomécanique, alliées à une baisse des coûts du papier, contribuent à rendre l’almanach québécois plus attrayant, à y attirer la réclame et à en faire augmenter le nombre de pages : de 1870 à 1940, le volume des almanachs augmente de façon significative, passant de 60 à 450 pages. Forts de ces progrès, les almanachs se spécialisent. Parallèlement aux publications généralistes comme l’Almanach du peuple[1] apparaissent des titres destinés à des publics particuliers : les jeunes (Annuaire Granger pour la jeunesse[2]), le clergé (Le Canada ecclésiastique[3]), les tertiaires (Almanach de Saint-François) et les ouvriers (Almanach de la Ligue ouvrière catholique). Des compagnies pharmaceutiques s’emparent même de la formule pour faire la promotion de leurs propres produits (Almanach Dodd’s).
À partir des années 1940 toutefois, face à la concurrence des « digests » et des encyclopédies populaires, les almanachs perdent du terrain. Pour endiguer l’érosion des tirages, les éditeurs des décennies suivantes se rapprochent du modèle anglo-américain, notamment en accordant plus d’espace aux rubriques sportives. Dès 1942, la conversion en magazine de l’Almanach de la Ligue ouvrière catholique, une année seulement après son lancement, préfigure déjà le déclin de l’almanach québécois, qui sera bientôt déserté par les écrivains et la littérature[4].
Le parcours tracé dans cette étude historique nous permet de mesurer l’ampleur et la portée d’un phénomène de littérature populaire unique en Amérique du Nord. L’auteur nous offre ici le fruit d’une réflexion et d’une recherche qui se sont étalées sur plus d’une quinzaine d’années.
Appendices
Notes
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[1]
Pour être conforme à l’objectif de cet ouvrage qui se veut une histoire des almanachs québécois des origines « à nos jours », il faut corriger et compléter la notice bibliographique de l’Almanach du peuple (p. 393) comme suit : publié par la Librairie Beauchemin de 1855 à 1980, par les Éditions Claude H. Lortie en 1981 et 1982, par le Groupe Polygone de 1983 à 2004 et par Malcolm Média depuis 2005.
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[2]
Ce n’est pas dans l’Annuaire Granger pour la jeunesse de 1928 que le poème de Nelligan « Premiers remords » a été « d’abord publié », comme l’affirme l’auteur (p. 340), mais dans le recueil Émile Nelligan et son oeuvre paru chez Beauchemin en 1904.
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[3]
Publié par Cadieux & Derome de 1887 à 1909, Le Canada ecclésiastique a été publié par la Librairie Beauchemin de 1910 à 1974. Les pages 43, 386, 393 et 397 du présent ouvrage sont à corriger, puisqu’elles attribuent toujours la publication de cet annuaire à la maison Cadieux & Derome, alors que celle-ci est disparue en 1909 après avoir déposé son bilan en 1901.
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[4]
En 1942, cette publication annuelle de la L.O.C. devient le Magazine illustré du mouvement ouvrier (p. 365 et 388). La note 139 de la p. 80 doit être corrigée en ce sens. Aussi, dans la même note, en ce qui concerne le récit de Luc-Albert, il faut lire « p. 39 » au lieu de « p. 78 ». Des erreurs du même genre se sont faufilées dans plusieurs autres notes. Ainsi, il faut lire : « Chantecler » au lieu de « Chanteclair », p. 87, note 8 ; « DBC VIII » au lieu de « DBC VII », p. 89, note 14 ; « Vannucci » au lieu de « Vanucci », p. 48, 50 et 401 ; et « Fleming » au lieu de « Flemming », p. 61.