IntroductionL’actualité de l’art au Québec[Record]

  • Marie-Ève Charron and
  • Thérèse St-Gelais

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  • Marie-Ève Charron
    Université du Québec à Montréal

  • Thérèse St-Gelais
    Université du Québec à Montréal

Parler de l’actualité de l’art, peu importe où il se pense et se produit, peut entraîner nos premières pensées vers un travail qui s’investit politiquement. Et à juste titre. De l’actualité, l’art peut s’en alimenter ; mais de l’art l’actualité peut également dériver, comme on le dit d’un vocable lorsqu’il tient ses origines du latin. Nous ne pouvons pas réellement soutenir, par ailleurs, que la production actuelle au Québec soit marquée par le politique au sens où elle ferait littéralement état de contestation de pouvoirs. Maintenant que la grogne soulevée lors du « printemps érable » en 2012 est derrière nous – pour le moment –, que plusieurs artistes ont foulé alors le sol avec les étudiantes et étudiants et que de nombreuses manifestations usant du visuel ont pris d’assaut l’espace public, qu’en est-il de l’engagement in situ ressenti par le bruit saccadé des nombreuses marches en temps froid comme en temps chaud, le jour comme le soir ? Le politique trouve-t-il ses forces vives dans les esprits créateurs ? Ne serait-ce pas finalement sous l’angle de leur inactualité, alors qu’elles semblent parfois répondre directement aux sujets de l’heure, mais pas nécessairement, que les pratiques actuelles s’avèrent les plus pertinentes ? « “Le contemporain est l’inactuel” », rappelle avec à-propos Giorgio Agamben, à la suite de Barthes et de Nietszche. Quel serait en effet l’intérêt de l’art s’il n’était qu’en phase avec son époque ? Cette question s’incarne avec éloquence dans l’oeuvre Same Day [Même jour] (2012) de Kim Waldron, que nous avons ciblée dans le contexte de nos réflexions et qui a fait de la une de six journaux le ferment de son travail. La date choisie est celle du 23 mai 2012, le lendemain d’une manifestation monstre illégale survenue dans les rues de Montréal, alors que des centaines de milliers d’étudiantes et étudiants, pour une 100e journée de grève, protestaient contre la hausse draconienne des droits de scolarité imposée par le gouvernement de Jean Charest. Tirées de la masse, élevées au statut d’oeuvre d’art par leur encadrement et leur exposition en rangée sur un mur, les unes sont ainsi comparées dans leur façon de traiter la nouvelle, gros titres, photos et mise en page instituant les vérités éditoriales de chacune de ces tribunes. Bien que multiples, ces points de vue, au demeurant toujours partiaux, définissaient pour beaucoup, suggérait l’artiste, le seul espace public, le vrai terrain où se jouaient les rapports de force en présence. Ayant constaté que le refus du premier ministre de discuter avec les étudiantes et étudiants faisait des médias l’espace obligé de leurs échanges interposés, elle a voulu démontrer qu’il devenait impératif d’y inscrire sa voix. Elle a soumis aux six mêmes journaux une lettre d’opinion, où elle a fait savoir au chef du gouvernement son indignation, que la loi 78 avait par ailleurs exacerbée, au plus fort de la crise alors étendue à toute la société. Seule la Gazette en a fait la publication, mais au prix, révèle l’artiste, d’importantes modifications du texte : « Pour que mon opinion soit publiée, j’ai du [sic] accepter que ma pensée soit gazettifiée ». La correction éditoriale opérée par le quotidien montréalais anglophone sur l’opinion de l’artiste-étudiante, à l’identité ainsi normalisée, est dévoilée par un geste symétrique de Kim Waldron dans son oeuvre. En plus de montrer la version réellement publiée de sa lettre – une pile de cette édition du journal en fait foi –, elle permet de faire lire l’original dans une édition trafiquée, et unique, du Devoir. L’artiste se démarque par cette position en porte-à-faux avec cette …

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