Abstracts
Résumé
La traduction de Whitman par Rosaire Dion-Lévesque, parue à Montréal en 1933, prend sa place dans un dialogue transatlantique avec les traducteurs français. Mais elle s’inscrit surtout dans un moment de l’histoire littéraire et poétique du Québec, plus conscient de sa situation américaine. Elle répond à une aspiration à la modernité et au renouvellement thématique et formel du poème. Pour autant, la traduction et ses paratextes – préface de Louis Dantin, hommage de Dion-Lévesque – témoignent de certaines ambiguïtés. Whitman est ainsi détaché de son ancrage états-unien, et même américain, pour devenir un avatar des mages de l’Orient biblique. C’est que Rosaire Dion-Lévesque se situe sur un terrain résolument moral et religieux, loin des réceptions politiques ou homosexuelles des traducteurs français. L’oeuvre de Whitman a en effet une dimension critique forte dans le Québec très catholique des années 1930. Le poète américain sert de truchement à une refondation religieuse, à une morale qui valorise le corps trop longtemps méprisé par l’âme. Cette traduction marque un tournant dans l’oeuvre poétique de Rosaire Dion-Lévesque : si ses premiers recueils allient une certaine orthodoxie catholique à un ciselage formel parnassien, les suivants se libèrent du carcan de la rime et associent la quête spirituelle à la glorification de la nature et du corps. Mais c’est aussi à un niveau plus collectif qu’elle constitue un pivot, puisque, jugée trop polémique par les éditeurs d’alors, elle sera l’occasion de fonder la première maison d’édition indépendante du clergé, Les Elzévirs, devenue les Éditions du Totem, qui jouera un rôle important dans la critique de la morale canadienne-française et dans l’affirmation de l’américanité du Québec et de sa littérature.
Abstract
Rosaire Dion-Lévesque’s translation of Whitman was published in Montreal in 1933. This work forms part of a transatlantic dialogue with translators in France, but it must also be understood in terms of a specific moment in the history of literature and poetics, when Quebec was becoming more aware of its cultural “Americanness”. The translation reflects a desire to be modern, as well as for a thematic and formal renewal of poetry. However, the translation and its paratexts – a preface by Louis Dantin and an homage by Dion-Lévesque – reveal some ambiguities. Whitman is stripped of his American attire and appears as the avatar of some primitive biblical magus. Rosaire Dion-Lévesque clearly had a moral and religious agenda, and his interpretation differs greatly from the political and homoerotic readings of his French predecessors. Indeed, Whitman’s poetry had a strong critical and polemical potential in the staunchly Catholic Quebec society of the 1930’s. The American poet became the messiah of a new Christianity, one where the human body, long neglected in favour of the soul, played an important role. This translation was a watershed in Rosaire Dion-Lévesque’s literary career : while his earlier poetry combined Catholic orthodoxy with a Parnassian conception of the verse, his later work embraced free verse and associated the spiritual quest with the glorification of nature and the human body. There was also a cultural shift, one considered so controversial by the editors of the time that a new publishing house, free of clerical control, had to be created : Les Elzévirs, soon renamed Les Éditions du Totem. This publisher went on to play and important role in the critique of French-canadian morality and the affirmation of the American dimension of Quebec culture and literature.