IntroductionLa littératie ou les lire-écrire sous l’angle de leurs pluralités et de leurs complexités socioculturelles, de leurs conditions d’exercice et des critiques sociétales qui en émanent[Record]

  • Karine Collette

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  • Karine Collette
    Université de Sherbrooke

Ce numéro prend acte d’une dynamique de mutation terminologique et épistémologique du concept d’alphabétisation vers celui de littératie, initiée par des chercheurs anglo-saxons dans les années 1980. Il se donne pour objectif d’éclairer le processus de mutation et les contenus du concept, au travers de recherches conduites ou dirigées aujourd’hui au Québec. Les textes ici réunis présentent ainsi un état épistémologique et méthodologique des études de littératie au Québec. Sans prétendre à l’exhaustivité ni à la représentativité de cette composition, ils illustrent indiscutablement le caractère interdisciplinaire de la notion, et peut-être aussi son essor difficile mais aujourd’hui nécessaire, à travers les repères posés par des chercheurs québécois qui approchent les dimensions socioculturelles et idéologiques du lire-écrire. Si les sciences de l’éducation sont majoritairement représentées dans ce recueil, les chercheurs engagés dans l’ensemble des travaux se définissent par des spécialités éclectiques : ils sont qui didacticien, qui ethnobiologiste, analyste de discours, psychopédagogue ou encore sociologue. Les textes nous conduisent finalement à un dialogue de nature réflexive avec les études anglophones, dans le cadre de l’anthropologie de l’écriture et des New Literacy Studies. En guise d’ouverture et avant de présenter les textes, nous brosserons à grands traits quelques avatars des transformations notionnelles en question. Empruntée à la langue anglaise, la notion de literacy révèle ses ambiguïtés et contradictions dès les premières tentatives de traduction : « [Barton] propose, sans grande conviction, écriture, illettrisme ou encore analphabétisme ». Pour Pierre, le concept de literacy se serait heurté à deux barrières dans le monde francophone. L’une, d’ordre sémantique, concerne le contexte québécois dans le sens où, sous couvert d’anglicisme, on tolérerait mal la traduction littératie, jugée « équivalente » à la notion d’alphabétisation (fonctionnelle). De fait, l’usage courant au Québec valide le recours massif à l’occurrence alphabétisation, dans les organismes et les projets de recherches-actions, ainsi que dans les discours de presse. Cela-dit, l’équivalence sémantique est également discutée de longue date. Le second ordre linguistique de réticence est qualifié par Jaffré de « sempiternelle phobie des Français pour les néologismes », ce qui crée un point commun de résistance au mot entre ces deux communautés francophones. Les tenants du concept de littératie assignent pourtant à ladite équivalence alphabétisation/littératie un geste réducteur, en s’appuyant sur des considérations théoriques. En effet, les notions d’(an-)alphabétisme et d’illettrisme étaient conçues en termes de besoins et de déficits, à combler nécessairement par l’alphabétisation. Processus de transfusion d’un ensemble de compétences finalisées, nécessaires et suffisantes pour fonctionner efficacement dans une société – occidentale – donnée, l’alphabétisation est une réponse à ce qui est considéré comme un déficit de compétences de lecture-écriture, socioéconomiquement rentables. À ce titre, l’image de « fléau social » – critiquée par Lahire –, diffusée par exemple au Québec à travers la formule de « lutte au décrochage scolaire » et sa panoplie de remèdes (telle l’école à quatre ans pour les enfants issus de « milieux défavorisés »), participe largement de nos environnements discursifs et politiques. Les discours qui accueillent ces formules n’évoquent généralement que le versant déficitaire de pratiques individuelles et n’hésitent pas à associer ce « fléau social » à la pauvreté (sociale et économique), établissant au passage une relation causale insidieuse. Ne peut-on être économiquement riche et socialement pauvre, économiquement pauvre et socialement riche ? Économiquement pauvre mais socialement et culturellement riche ? La richesse économique ne garantit pas la richesse sociale ni culturelle ; l’intelligence sociale et culturelle n’est certainement pas exclusivement déterminée par la richesse ni par la pauvreté économiques. Le niveau socioculturel de la tranche économique moyenne serait-il nécessairement satisfaisant ? Mais la richesse économique détermine …

Appendices