Bien qu’il soit présenté comme un modeste « survol », l’essai que consacre Gaëtan Brulotte à la nouvelle québécoise se veut beaucoup plus ambitieux dans sa visée et sa portée historiques. En effet, il brosse un panorama riche et varié de la pratique de ce genre au Québec, du premier tiers du xixe siècle à l’aube du xxie siècle. Dans ce sens, il constitue la première histoire substantielle d’un genre littéraire très en vogue depuis la fin du xxe siècle, mais qui a tardé à acquérir chez nous ses lettres de noblesse. L’aspect non exhaustif du survol historique proposé par l’auteur s’explique moins en raison du caractère panoramique de son étude qu’en vertu de certains choix esthétiques, que d’aucuns jugeront discutables. C’est ainsi qu’un grand pan du secteur de la « paralittérature » (science-fiction et littérature jeunesse) a été délaissé au profit du champ restreint de la « grande littérature », sous prétexte que ces sous-genres ont déjà fait l’objet d’études distinctes. Cette réserve mise à part, l’ouvrage apporte une contribution essentielle à la connaissance et l’appréciation de la nouvelle au Québec, dans une double perspective historique et critique. Divisé en deux parties de longueur inégale – deux tiers sont consacrés à « l’héritage classique du xixe et du xxe siècle » et l’autre tiers porte sur « les deux dernières décennies du xxe siècle » –, l’ouvrage s’organise autour de la rupture relative survenue au tournant des années 1980 où se signalent, en deux temps, « l’explosion de la nouvelle québécoise » (1980-1990) et « l’âge d’or de la nouvelle québécoise » (1990-2000). Il n’est pas inutile de rappeler qu’avant de devenir un spécialiste de la nouvelle québécoise en tant que critique et enseignant, Gaëtan Brulotte s’est fait remarquer comme nouvelliste à cette même époque avec la parution du Surveillant (1981), qui a d’ailleurs remporté le premier prix Adrienne-Choquette réservé à la nouvelle. Si le roman, la poésie et le théâtre entrent dans la modernité au Québec avec les années 1960, il aura donc fallu deux décennies de plus à la nouvelle pour réaliser ce passage « historique ». Après avoir passé en revue la production somme toute modeste du xixe siècle (« la nouvelle classique ») et du début du xxe siècle (« la nouvelle du terroir »), l’auteur adopte le découpage chronologique usuel fonctionnant par tranches de dix ans. Pour chaque décennie, il éclaire les principales caractéristiques du genre et les transformations historiques qu’il subit à l’époque, tout en mettant en relief l’oeuvre de quelques auteurs remarquables. Parmi les nouvellistes qui se distinguent au cours de la décennie 1940, il faut noter les noms d’Albert Laberge, « le mouton noir de la nouvelle québécoise » (p. 79), de Jean-Aubert Loranger, d’Yves Thériault, d’Alain Grandbois et de Réal Benoît. Si les années 1950 marquent une certaine régression par rapport aux années 1940 en ce qui concerne le nombre de parutions (vingt-cinq recueils contre une soixantaine pour la précédente décennie), elles voient par contre l’éclosion de « voix féminines fortes » (p. 110), avec les recueils d’Anne Hébert, d’Adrienne Choquette, de Gabrielle Roy et de Claire Martin. Les années 1960 et 1970 constituent un premier « âge d’or » de la nouvelle québécoise : « Le Québec traverse une profonde crise et la nouvelle est au premier rang pour en noter les signes, bien qu’elle n’ait pas l’impact populaire du théâtre […], ni la préoccupation du pays à bâtir comme chez les poètes, ni la visibilité internationale du roman » (p. 126). Pendant la décennie de la Révolution tranquille, les recueils …
Gaëtan Brulotte, La nouvelle québécoise, Montréal, Hurtubise, 2010[Record]
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Gilles Dupuis
Université de Montréal