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L’idée est connue mais mérite d’être répétée. En 1978, dans un texte au titre malicieusement anachronique, « Actualité de Lionel Groulx », Fernand Dumont constatait que le mouvement des idées, depuis les années 1950, s’était souvent fait en jetant un voile sur ce qui précédait, comme s’il avait fallu creuser l’écart entre le passé conspué et l’avenir souhaité. Il en donna pour exemple les expériences, déterminantes pour l’histoire intellectuelle du Québec, des revues Cité libre (1950-1966) et Parti pris (1963-1968) : « malgré les polémiques de surface, il existe une parenté d’attitudes entre le mouvement qui est symbolisé par Cité libre et celui qui est exprimé par Parti pris : le même déni du passé québécois[1] ». À ce refus, encore caractéristique de sa société, Fernand Dumont opposait certaines leçons du chanoine :

[Les Québécois] savent bien que les changements, la rupture étaient nécessaires. Mais ils en ont assez de changement pour le changement ; ils voudraient sentir en quoi le changement les concerne eux-mêmes, et non pas quelque entité abstraite, consignée dans les théories et dûment garantie par les idéologies du progrès. Ils sont tentés de revenir à eux-mêmes, sans pourtant répéter bêtement le passé. Alors, ils rejoignent l’intention première de Groulx, même s’ils ne veulent aucunement la poursuivre de la même façon que lui : départager en eux, dans leur histoire singulière, ce qui est appel à un devenir fécond, et ce qui était et demeure entrave et déperdition de soi[2].

La perspective de Dumont est riche pour celui qui veut comprendre l’histoire des idées de cette période. Elle donne à penser qu’il faut non seulement s’attacher aux nombreux lieux de la rupture, mais aussi à ceux où on chercha, justement, à « démêler la mort de l’avenir[3] » (Gaston Miron) dans la tradition. S’intéresser à la rupture, cela peut vouloir dire analyser le rôle et le contenu de périodiques comme La barre du jour (1965-1990), Hobo Québec (1973-1981) ou Mainmise (1970-1978), qui sont à plusieurs égards des cousins de Parti pris et qui témoignent de la contre-culture, du formalisme et du marxisme de l’époque. S’intéresser au passage difficile du passé, au présent et à l’avenir, cela peut vouloir dire s’attacher à la revue Maintenant, qui paraît de 1962 à 1974.

On note peu d’études sur cette revue[4], qui fut pourtant un véhicule important de la pensée québécoise des années 1960 et 1970. Une liste de ses collaborateurs, même partielle, est impressionnante : Gaston Miron, Pierre Vadeboncoeur, Fernand Dumont, Michèle Lalonde, André d’Allemagne, Jacques Grand’Maison, Jacques Parizeau, Patrick Straram, Raoul Duguay, Victor-Lévy Beaulieu, Hubert Aquin. Certes, le comité éditorial a donné le ton. Même si des opinions divergentes – notamment sur la question importante du joual et de la langue française[5] – se font entendre et ne sont nullement réprimées dans les pages de la revue, il y a là des lignes éditoriales dominantes aisément reconnaissables. Néanmoins, il y a aussi une certaine « représentativité » de l’intelligentsia québécoise, à telle enseigne qu’on peut, croyons-nous, reconnaître dans cette revue des pistes en vue de l’écriture d’une synthèse d’histoire intellectuelle de la période. On balisera donc le terrain en analysant le contenu de la revue pour la seule année 1974, la dernière de son existence. Ce choix, qui ne va pas de soi, sera justifié plus loin. Disons, pour l’instant, qu’un noeud gordien a alors été resserré.

La revue en quelques épisodes

Avant de nous atteler à la tâche, il s’avère opportun de présenter les faits marquants de la courte histoire de Maintenant[6]. Fondé en 1962, le périodique, sans être la revue officielle des Dominicains, relève directement de cet ordre et succède à la Revue dominicaine, qui paraît de 1915 à 1961[7]. Son premier directeur, le père Henri-M. Bradet, est à l’heure de Vatican II : selon Janine Thériault, cette revue se voudra alors une

publication d’avant-garde apte à démontrer la compatibilité du catholicisme et de la modernité au moyen du dialogue, les catholiques évoluant désormais dans un contexte de laïcisation institutionnelle, de progrès matériel et d’État-providence propre à susciter des interrogations[8].

Comme le souligne Andrée Fortin à propos de la revue, l’heure est à l’engagement et au refus de la neutralité[9]. Les prises de position sont parfois audacieuses : sur la régulation des naissances – ce qui contribua probablement à la destitution du père Bradet en 1965[10] – sur l’école neutre, sur l’indépendance du Québec et le socialisme dès 1967. À partir de décembre 1968, la revue s’émancipe des Dominicains, même si son directeur de 1965 à 1972, Vincent Harvey, est membre de cet ordre. Au fil des années, les questions d’ordre religieux s’estompent et cèdent la place à un engagement politique plus soutenu, à telle enseigne qu’on retrouve parmi les collaborateurs de la revue des membres du premier gouvernement indépendantiste au Québec, élu le 15 novembre 1976[11], comme Camille Laurin, Louis O’Neill et Jacques-Yvan Morin.

Le tirage de la revue est considérable : selon André Beaulieu et al., il s’élève à 20 000 en 1966 et à 4 000 en 1974[12]. Martin Roy, reprenant les chiffres avancés par l’équipe éditoriale, parle de 50 000 lecteurs en 1965[13]. On peut ainsi deviner une certaine influence sur la société québécoise d’alors, même si elle demeure difficile à déterminer, surtout à une époque où tout est en ébullition. Il est possible, à tout le moins, de parler d’un accompagnement, comme le note, en décembre 1974, Hélène Pelletier-Baillargeon, qui a succédé à Vincent Harvey à la direction de la revue :

Maintenant, fondée au matin de la révolution tranquille le 1er janvier 1962 par le dominicain Henri Bradet, a tout d’abord été, dans un premier temps, nourrie de l’effervescence du Concile Vatican II et du militantisme des chrétiens de gauche. Puis, sous la direction de Vincent Harvey à partir de 1965, elle s’est peu à peu politisée au moment de la naissance du M.S.A. [Mouvement souveraineté-association], des remises en question du Mouvement laïc [sic] de langue française, de Parti pris et de la fondation du ministère de l’Éducation.

Maintenant récapitule donc assez bien en ses treize années de production, les deux étapes majeures de la société québécoise que Michèle Lalonde (no 138) identifiait récemment comme une entreprise de décléricalisation suivie d’un projet de décolonisation[14].

En 1991, Pierre Vadeboncoeur corroborera cette vue : « Maintenant accompagnait la Révolution tranquille, les mouvements sociaux, le syndicalisme, la politique de libération nationale[15] ». Malgré cet accompagnement de la Révolution tranquille, ce sont des considérations pécuniaires qui viendront à bout de l’effort de synthèse intellectuelle des collaborateurs de la revue. À la suite d’ennuis financiers – Pierre Péladeau cessa de soutenir la revue comme il le faisait depuis le « départ » des Dominicains –, Maintenant disparaît à la toute fin de l’année 1974[16], comme Québec-Presse (1969-1974) d’ailleurs, journal auquel participèrent aussi Fernand Dumont et Pierre Vadeboncoeur. Hélène Pelletier-Baillargeon explique alors :

Victime de sa dimension inclassable sur le marché actuel des publications, Maintenant disparaît donc, à l’instar de certaines espèces animales éteintes, d’abord parce que le marché inflationnaire actuel constitue de moins en moins pour sa taille spécifique un milieu écologique viable[17].

Pourtant, dans le numéro précédent, une note de la rédaction avait quelque chose du défi face à la mort imminente : « Avons-nous l’air, à humer tout cela, d’une revue qui a envie de crever[18] ? » Revenons sur cette dernière année.

Maintenant en 1974

Il ne fait pas de doute, à lire les douze numéros de l’année 1974, que la récente victoire électorale du Parti libéral du Québec, dirigé par Robert Bourassa, a engendré un état général de morosité, voire de frustration. La défaite du Parti québécois, parti indépendantiste créé en 1968 et dirigé par René Lévesque, fait mal. Martin Roy, qui le remarque aussi, parle même d’un « certain catastrophisme quant au sort et à l’avenir de la nation [qui] prévaut dans les colonnes de la revue durant la décennie 1970[19] ». Bref, on a l’impression, chez la plupart des collaborateurs de la revue, que la Révolution tranquille s’est embourbée quelque part. La victoire de Bourassa en est une cause importante et, peut-être aussi, un symptôme majeur.

En 1973, selon Hélène Pelletier-Baillargeon, si la revue n’est pas une revue péquiste, un « consensus à peu près général autour de l’idée d’indépendance du Québec [est apparu] naturellement à travers les différents articles de Maintenant[20] ». L’éditorial d’octobre 1973 constitue un appui sans équivoque au Parti québécois : « Les partis investis d’une mission sont rares ; il s’en trouve à peu près un par siècle. Nous avons de la chance : le PQ dans le chaos actuel, en est un[21] ». On connaît la suite : lors des élections générales du 29 octobre 1973, le Parti libéral a fait élire 102 députés avec 54,7 % des voix et le Parti québécois, avec 30,2 %, 6 députés seulement. Le parti de René Lévesque a même perdu un député depuis les élections de 1970. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le climat chez les collaborateurs de Maintenant n’est pas serein. Le numéro de décembre 1973 est même consacré aux résultats électoraux : bien que mesuré, l’éditorial de Fernand Dumont et de Jacques Grand’Maison renvoie notamment à « l’établissement d’un nouveau code d’élection[22] » face aux fraudes électorales soupçonnées ; dans « Les lendemains de la veille », Michèle Lalonde replace le contexte de la défaite dans la longue histoire du pays, rappelant que par « peur (!) peut-être de provoquer une réaction purement émotive de type fascisant, on néglige d’ouvrir la vaste perspective historique qui permet d’intelliger le phénomène toujours actuel de la Conquête[23] » ; dans « Quelle opposition ? », Fernand Dumont se demande si depuis « quelques années, les Québécois [ne sont pas] en train de pratiquer une variété de la démocratie qui consiste à élire des dictatures et à pratiquer librement les jeux de la gauche à l’ombre des pouvoirs[24] ». L’inquiétude est grande et on cherche autant à prendre du recul qu’à prévoir le prochain coup qu’il faudra jouer.

Entre bilan et prospection de formes pour l’avenir, on aurait toutefois tort de réduire les inquiétudes des collaborateurs à la seule question politique : c’est toute la culture québécoise qui semble problématique au milieu des années 1970. Les dossiers de la revue en témoignent éloquemment : le rôle du Devoir dans la vie sociale québécoise (janvier 1974) ; la langue française et la question du joual (mars et mai 1974) ; la vie et l’aménagement urbains (avril et octobre 1974) ; « l’an 20 de la révolution québécoise » (juin-septembre 1974) ; le rôle des femmes (novembre 1974) ; « la déculturation au Québec » (décembre 1974). Les enjeux et les inquiétudes sont vastes, ce qui nous incline à ne pas les interpréter à la seule lumière de résultats électoraux. En effet, une telle approche pourrait donner l’impression que ces enjeux et inquiétudes, s’ils sont directement liés à la victoire ou à la défaite d’un parti politique, pourraient tout aussi bien se régler par un changement de régime. Les ruptures franches sont parfois trompeuses lorsqu’on s’attache aux idées. Ainsi la victoire du 15 novembre 1976, fût-elle un moment d’espoir et de joie réprimé par la défaite référendaire de mai 1980, ne réduit pas à néant les inquiétudes et la morosité des collaborateurs de Maintenant. Par exemple, l’inquiétude de Pierre Vadeboncoeur face au péril de la culture occidentale sera développée dans Les deux royaumes, paru en 1978, c’est-à-dire en pleine période d’effervescence nationaliste.

Nous faisons le pari que l’année 1974, du moins dans Maintenant, est particulièrement intéressante pour comprendre l’histoire intellectuelle de cette décennie au Québec. On est alors avant l’enthousiasme du 15 novembre 1976, victoire qui a peut-être masqué quelques inquiétudes profondes et donné l’impression de régler tous les problèmes culturels. Aussi, en 1974, le débat sur le français et le joual fait encore rage. Comme l’a bien vu Karim Larose, une large part du débat se déroule alors dans les pages de Maintenant[25]. Après la loi 63 (1969), qui assurait le libre-choix de la langue d’enseignement, le gouvernement de Robert Bourassa fait voter la loi 22, sanctionnée en juillet 1974. Elle ne satisfait ni les anglophones ni les francophones. La peur d’une assimilation est palpable chez ces derniers. Comme le dit alors Hélène Pelletier-Baillargeon : « La bataille de la langue au Québec entre dans une phase décisive. Au niveau collectif, nous savons désormais qu’une défaite dans ce domaine aurait un effet d’entraînement immédiat sur tous les autres[26] ». Dans ce contexte morose, les problèmes culturels, notamment celui du passage difficile de la tradition à la modernité (qui nous intéressera ici), sont dénudés. Voici donc ce qu’on peut relever à ce propos dans la revue Maintenant, de janvier à décembre 1974.

La forme et le contenu

Pierre Vadeboncoeur écrivait en 1991 : « J’ai connu, dans ma vie, trois milieux dont je puis dire que je conserve une mémoire enthousiaste et un souvenir ému. La CSN évidemment, la revue Maintenant et le Conseil de la langue française[27] ». On comprendra mieux ce qui unit ces trois milieux en relisant les propos de Vadeboncoeur sur son expérience syndicale. En 1989, il consacre un texte à Gérard Picard, président, entre 1946 et 1958, de l’ancêtre de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC). Il se souvient : « C’est […] par la porte de la tradition qu’il a fait entrer les idées de l’avenir… Autrement dit, longtemps il évita de changer les mots, se contentant de changer les choses derrière les mots[28] ». Voilà peut-être ce qui explique la « mémoire enthousiaste » de Pierre Vadeboncoeur pour le syndicalisme : une façon d’envisager l’avenir qui ne détruit pas les formes mais qui en transforme le contenu ; une façon de tirer vers soi la tradition tout en la vidant de son contenu mortifère. Ce modèle d’articulation du passé, du présent et de l’avenir, qui ne fut peut-être pas dominant lors de la Révolution tranquille, correspond bien à la personnalité de Pierre Vadeboncoeur, plutôt enclin à respecter certaines formes pour mieux promouvoir les changements, fussent-ils révolutionnaires[29].

Ce modèle est sans aucun doute dominant dans la revue Maintenant. Comme le note Martin Roy[30], au fil des années, la question religieuse cède progressivement la place aux interrogations sociales et politiques. Ainsi, en 1974, on ne parle plus beaucoup du rôle de l’Église catholique dans la société, à l’exception de quelques articles de Louis Rousseau[31], de Jean-Paul Audet[32] et de Louis O’Neill[33]. Par contre, les valeurs cardinales d’un certain humanisme chrétien de gauche continueront de teinter beaucoup de textes de la revue[34]. Ainsi, grâce au maintien de structures religieuses, la revue permet vraisemblablement de « métaboliser » des changements rapides, de donner une stabilité à leur débordement. La tradition peut aider à envisager le futur, à le structurer. C’est du moins ce que Pierre Vadeboncoeur, membre du comité de rédaction de Maintenant, rappellera deux ans après la disparition de la revue, dans son essai Un génocide en douce (1976) :

Les progrès révolutionnaires eux-mêmes, au cours du xixe siècle, étaient accompagnés de la persistance du vieux peuple français et, au fur et à mesure que le temps avançait, les premières transformations elles-mêmes vieillissaient et finissaient par former tradition et culture. C’est pourquoi Péguy, amoureux du Moyen Âge et catholique, peut vanter néanmoins l’humanisme républicain et laïque[35].

Cette « leçon » de Péguy, un pied dans le Moyen Âge et un autre dans la iiie République, permet de mieux voir une des tendances lourdes de la revue : au-delà des ruptures fracassantes, des précipitations et des volontés de tout moderniser rapidement, on cherche à créer un cours normal du temps, lequel permettrait à la tradition de s’étioler doucement jusqu’à ce que « les premières transformations elles-mêmes vieillissent et finissent par former tradition et culture ». Nous verrons plus loin que ce passage du temps, que l’on veut normaliser, sera hautement problématique dans le Québec des années 1970.

Inachèvement et bilan

Autre constatation à la lecture de Maintenant pour l’année 1974 : la société québécoise est à l’heure des bilans. En témoigne éloquemment le numéro double de l’été 1974 : « Une certaine idée du Québec ». Un questionnaire, envoyé à 24 acteurs culturels québécois, sert à étudier « l’an 20 de la révolution québécoise ». Pour Hélène Pelletier-Baillargeon, le but est clair : il s’agit d’une « cartographie à dresser », d’un « retour critique à faire » par « souci d’inventaire de nos forces d’opposition qui, satellisées autour d’objectifs très circonscrits (création, action politique, animation sociale, recherche universitaire, engagement chrétien) maintiennent très mal, hors des brèves saisons de crise, leurs solidarités essentielles[36] ». Ce bilan est renforcé par une chronologie, réalisée par Laurent Dupont, qui va de 1952 à 1972. Remarquons au passage que l’année 1960 n’y est nullement mise en relief, comme si le mythe du 22 juin – la victoire du Parti libéral de Jean Lesage et de son « équipe du tonnerre » – n’avait pas vraiment d’intérêt pour des intellectuels qui cherchent un tissu continu sous les déchirures. Aussi, dans plusieurs témoignages de ce numéro bilan, on perçoit des impressions de finitude et d’épuisement : Lysiane Gagnon, pessimiste devant l’assimilation probable du peuple québécois, pense qu’on peut dire, « en analysant les choses rationnellement, que l’histoire du Québec, en tant que nation, tire à sa fin[37] » ; Louis O’Neill croit que la génération des réformistes a « hâtivement vieilli[38] » ; Fernand Dumont, dans un texte dont le titre évocateur est « L’automne de la Révolution tranquille », parle des « jours gris » qui sont venus après « le printemps de son pays[39] ».

Comment interpréter la volonté de faire des bilans, qui s’accompagne parfois d’une impression de lassitude ou d’épuisement après vingt ans de Révolution tranquille ? D’emblée, insistons pour noter que cette volonté et ces sentiments ne sont pas limités à la seule revue Maintenant. François Ricard, à propos de la littérature québécoise de la même période, écrivait :

Malgré la victoire du PQ en 1976 et la fièvre qu’elle suscite dans certains quartiers, à la fin des années 1970, en effet, apparaît comme une période assez morose pour la littérature québécoise, une période d’inquiétude et même de désarroi. […] Nous avions le sentiment, dans une bonne partie du milieu littéraire, que quelque chose d’exceptionnel, de grandiose avait eu lieu – entendre : toute cette ébullition d’oeuvres et d’idées qui avait marqué les quinze ou vingt années précédentes et transformé radicalement notre perception de la littérature d’ici –, mais que cela était maintenant derrière nous et peut-être en train de s’achever. D’où la nécessité, ressentie aussi bien par les critiques que par les écrivains, de s’arrêter pour faire le point[40].

On peut certainement élargir la portée des constats littéraires de Ricard, qui parle même de « “crise”, c’est-à-dire d’incertitude, de désorientation, de piétinement[41] », à la culture québécoise en général. Plusieurs intellectuels semblent avoir perdu leur chat. Jean-Philippe Warren et Éric-Martin Meunier, qui se sont attachés aux intellectuels réformistes des années 1950 et 1960 sous l’angle du personnalisme, expliqueraient sans doute cette « crise » de la culture québécoise par un sentiment de déception face au travestissement de la révolution souhaitée :

Réussite de l’« éthique personnaliste » donc, dans le sens qu’elle s’est inscrite dans le social (même si cette inscription résulte sans doute de causes qui lui sont étrangères ou résiduelles), mais « échec » d’un autre côté – aux dires mêmes de plusieurs « personnalistes », car leur rêve a échoué devant la montée de la technocratie, qu’ils avaient pourtant souhaitée d’une certaine manière, au cours des années 1960 ; il s’achève définitivement, au milieu des années 1970, dans la débâcle d’une génération. L’un après l’autre, les acteurs catholiques se retirent de la scène publique. Dumont s’affirme trahi par la Révolution tranquille dans un article de 1975, Vadeboncoeur signe son testament politique avec Les deux royaumes en 1978, Grand’Maison se met en courroux dans La Nouvelle Classe et l’avenir du Québec en 1979[42].

Même si certains constats de Warren et Meunier laissent perplexe (comment peut-on croire que Vadeboncoeur se retire de « la scène publique » pour « signer son testament politique avec Les deux royaumes en 1978 » ?), ces derniers ont le mérite de pointer une raison qui explique partiellement l’humeur du temps. Il faudrait ajouter à cela le rapport au passé et les difficultés qu’ont plusieurs intellectuels à articuler le passé, le présent et l’avenir. Si plusieurs collaborateurs de Maintenant ont bel et bien cherché à « démêler la mort de l’avenir », s’ils ont souhaité un cours normal du temps pour que soient assimilés les changements – rappelons-nous la « leçon » de Péguy, « apprise » par Pierre Vadeboncoeur –, force est de constater que la situation québécoise de l’époque est beaucoup plus complexe : embâcles, débâcles et retours de la même eau. Dans une telle situation, la volonté de dresser des bilans, après seulement « vingt ans de révolution », compose paradoxalement avec l’idée d’inachèvement. Ainsi Fernand Dumont peut-il ajouter à propos de « l’automne » de la Révolution tranquille : « “Maîtres chez nous ?” Nous n’en avons pas encore terminé avec nous-mêmes[43] ». Dans le même esprit, Pierre Vadeboncoeur écrit :

Ce numéro de MAINTENANT a un goût amer, comme si vingt ans de velléités, de commencements, de révolutions qui s’annonçaient naïvement comme totales, d’entreprises qui devaient tout emporter, de conversions subites et brèves, de mouvements de foi instables, d’improvisations, d’engouements pour quelques nouveautés, pouvaient constituer l’effort exemplaire d’un peuple ou même simplement de son élite intellectuelle, de quoi, devant l’échec, il y aurait lieu en effet de se laisser désabuser. Jugement trop court, caractère trop faible, mal formé, par trop peu d’épreuves, à la patience, à l’esprit de suite, à l’esprit de volonté, à la violence du coeur[44].

L’essayiste donne à penser que ce goût amer est causé par l’idée de bilan elle-même, comme si une conclusion hâtive fermait une expérience qui n’a même pas commencé. Il ajoute, devant les difficultés rencontrées par des Québécois figés, « hésitants et lassés après aussi peu d’expérience véritable du réel et de ses lois » : « Le fait est que cette espèce de surprise, cette espèce d’attitude décontenancée où nous sommes est semblable à la stupeur qui nous a saisis pendant la répression d’Octobre [1970]. Ce sont des réactions d’ignorants de l’histoire[45] ». Tout le problème semble résider dans cet état : l’ignorance de l’histoire. Dans une telle situation, comment peut-on espérer un passage normal du temps, de la tradition à l’avenir, du regard vers le chemin parcouru à la nécessité de le passer ? Un embrayage temporel difficile : voilà un thème majeur de l’histoire intellectuelle des années 1970 qu’il nous faut décrire ici en relisant la revue Maintenant.

Des revenants qui n’ont pas vingt ans

Quand on est « ignorant de l’histoire », on vit « dans une belle condition : il n’y a ici que des NEO[46] », du toujours neuf. Les rapports avec le passé sont alors difficiles. Ils sont pourtant nécessaires, du moins si on veut mettre en relief le présent et envisager le futur autrement qu’en instaurant une rupture perpétuelle. C’est, nous l’avons vu, la manière Maintenant. Pourtant, les collaborateurs eux-mêmes ne sont pas à l’abri des difficultés d’embrayage temporel. On remarque notamment une tendance à revivre le passé le plus immédiat qui soit, comme s’ils avaient encore les réflexes d’hier pour comprendre aujourd’hui et demain. Dans cette situation, le passé, dont on a coupé de nombreuses racines profondes, n’est pas vraiment source de réflexions et d’enseignements : il n’est que la répétition de ce qui s’est produit la veille. C’est là un bien maigre présent. Dans une telle situation, la vue, tant devant que derrière, est forcément courte.

Ainsi, dans la revue Maintenant, la Révolution tranquille en péril est souvent comprise par le retour symbolique des personnages et des symboles qui l’ont précédée : l’époque duplessiste. Dans le numéro double sur « l’an 20 de la révolution québécoise », plusieurs collaborateurs attaquent le régime Bourassa avec les mots d’hier. Le gouvernement de 1974 ne ferait que répéter les antiennes du gouvernement Duplessis : Jacques Godbout croit que « Bourassa a volé à l’Union nationale (qui en est morte) son modèle politique et l’a adapté à notre société banlieusarde[47] » ; Jean Paré rappelle que « le Chef avait soixante-cinq ans et régnait depuis vingt ans », alors que « Robert Bourassa qui n’en a que quarante et ne règne que depuis quatre ans a réussi à ressusciter le même climat d’angoisse, de défaitisme, de corruption, de colère et de rébellion contradictoirement mêlées[48] [sic] » ; Pierre Vallières, quant à lui, considère que « le gouvernement québécois utilise le slogan de “la souveraineté culturelle” comme autrefois Duplessis se servait de l’autonomisme, pour masquer la vente aux enchères de ce qui nous reste de pays[49] » ; Gilbert Langevin écrit que « 1959 marque la mort de Duplessis mais non la fin du duplessisme qui loge maintenant sous la bannière libérale[50] ».

Dans de tels retours du passé immédiat, il arrive aussi que l’allié d’hier devienne l’ennemi d’aujourd’hui. Une attention particulière est ainsi portée au journal Le Devoir. Autrefois, André Laurendeau y dénonçait le régime du « roi-nègre » (Duplessis) ; aujourd’hui, son directeur, Claude Ryan, appuie le Parti libéral du Québec. Dans l’édition de janvier 1974 de Maintenant, on va jusqu’à faire « l’examen du Devoir ». De nouveau, il semble difficile de se détacher de ce qui précède et on s’interroge sur le journal à la lumière de son propre passé. Autrement dit, c’est l’image du journal d’hier, dans l’opposition, qu’on superpose à celle d’un journal qui, selon Hélène Pelletier-Baillargeon, emploie maintenant les tactiques du pouvoir[51] : « Institution vénérable à laquelle tant de Québécois sont attachés par de très anciennes et chères habitudes de lecture, le Devoir, tel qu’il est en 1973, peut-il encore représenter l’instrument quotidien de promotion et de combat dont nous avons plus que jamais besoin ?[52] » L’humour est particulièrement présent dans ce numéro : on reproduit un faux éditorial du directeur, « C. Cryant », duquel on a retiré plusieurs mots pour mieux mettre en relief l’indécision et la prudence excessive de l’homme. Ainsi :

Avant de sauter à la conclusion il convient toutefois de nuancer… Car si d’une part… d’autre part… malgré… compte tenu… quoique finalement… n’est finalement pas… en théorie ne s’avère pas pratique… en dépit de… par ailleurs ni mieux… ni pire… pour… contre… que contre… par contre… maintenant… ou jamais… finir de tergiverser… trancher dans le vif : pas de leurs oignons[53] !

S’ensuit une note de la rédaction tout aussi humoristique : « Découper dans le numéro les mots qui manquent et collez-les dans les espaces en pointillé… […] L’éditorial primé parmi les plus sobres et les plus réalistes vaudra un abonnement d’un an à son auteur[54] ». On note aussi des textes plus sérieux, comme une analyse du message par un professeur de journalisme de l’Université Laval. Il faut finalement évoquer le texte de Pierre Vadeboncoeur, dont le titre est sans équivoque : « Le Devoir est mort ». Les difficultés d’embrayage temporel y sont évidentes :

Le Devoir, qui n’a jamais été porté beaucoup sur l’avenir, s’est, depuis dix ans, amputé du passé. Il n’a plus rien d’historique, ni par en avant, ni par en arrière. On ne voit pas comment cette feuille sans âge et sans jeunesse d’aucune sorte pourrait revivre, d’ailleurs, ayant oublié le passé, sans goût pour l’avenir, et marquée de cette espèce de pleutrerie qu’on attrape jeune aux abords des bénitiers[55].

Comparaison de l’Union nationale de Maurice Duplessis au Parti libéral de Robert Bourassa, parfois même à l’avantage de la première ; regard critique sur les outils de libération d’hier qui sont devenus des armes du pouvoir : l’histoire québécoise semble bégayer au milieu des années 1970, comme si la société québécoise, à l’image du Devoir, s’était à la fois coupée du passé et de l’avenir, comme si elle était prisonnière d’un présent avec lequel elle n’est même pas tout à fait en phase, le qualifiant et le décrivant avec les mots d’hier. Cette idée de bégaiement de l’histoire semble très importante pour comprendre l’histoire intellectuelle des années 1970 au Québec. Par exemple, elle pourrait permettre d’expliquer l’étonnante révision, à cette époque, de certaines vues acerbes sur deux figures honnies des intellectuels réformistes des années 1950 et 1960 : le chanoine Lionel Groulx et Maurice Duplessis[56].

Passer à l’avenir de la mémoire

Pour en finir avec le maigre présent, on peut tout de même essayer de chercher dans un lointain passé ce qui pourrait irriguer l’avenir. Fernand Dumont écrivait dans le dernier numéro de Maintenant :

Que chante donc Vigneault, sinon un monde disparu ? Les bateaux qui ne partent plus, le facteur qui courait jusqu’à Blanc-Sablon… Et Léveillée, Butler, Dor, tant d’autres ? Quel sens peut avoir pour nous ce recours à un monde qui n’est plus le nôtre ? Nous sentons bien que ce passé à [sic] valeur d’avenir, que de le reporter en avant suscite d’autres images que celles, toutes plates, d’un progrès suivant la logique de la révolution tranquille[57].

Les propos de Dumont sont déterminants : ils évoquent un monde qui n’existe plus, mais dont le souvenir plus ou moins flou semble avoir un potentiel de court-circuitage de la Révolution tranquille, laquelle s’est embourbée. Ce monde disparu semble même avoir un potentiel de modernité rénovée que l’on pourrait opposer à la modernité dévoyée, technocratique et qui rejoue sans cesse les mêmes pièces avec de nouveaux personnages. Cette question se profile aussi, à la même époque, dans les essais de Pierre Vadeboncoeur, qui cherche à remonter le cours des siècles pour y trouver des traits et des traditions qui mettraient en relief ses combats pour une modernité transformée[58]. L’essayiste écrit dans Les deux royaumes (1978) : « Qui fait encore, en ces temps de présent, pour l’évocation ou pour l’espoir d’une pensée, tel voyage par les siècles[59] ? ». On retrouve la même formule quelques années auparavant, dans Maintenant, tandis que l’écrivain évoque « la facilité » qu’a la jeunesse « de rejeter n’importe quel article des idées du passé ou du présent et d’acheter n’importe quel autre article au hasard d’une préférence ou d’une inclination soudaines » : « Qui refait à rebours, difficultueusement, par gravité, par exigence de conscience, par souvenir tenace, par révélation immanente, quelque bout d’un chemin délaissé[60] ? »

Maintenant est une caisse de résonance pour ce thème audacieux que Fernand Dumont et Pierre Vadeboncoeur semblent avoir bien compris : le potentiel révolutionnaire et moderne du passé, celui que l’on a volontairement effacé, dans une société où les embrayages temporels et culturels sont difficiles. Plusieurs collaborateurs de la revue le constatent : Louis O’Neill, rendant compte du livre de l’historien Jean-Pierre Wallot, Un Québec qui bougeait : trame socio-politique au tournant du xixe siècle, considère qu’un « mérite de l’ouvrage [est] de nous montrer que les projets d’aujourd’hui s’enracinent dans un lointain passé[61] » ; Jacques Grand’Maison, dans une sorte de poème en vers libre, croit que « Le courage têtu de nos pères/nous remonte du coeur pour de nouvelles fécondités[62] ». André d’Allemagne écrit quant à lui :

Ce qui a manqué aux élites contestataires chez nous, c’est tout simplement une assise historique, des évocations collectives auxquelles elles auraient pu avoir recours pour établir le contact avec le peuple. L’esprit révolutionnaire repose lui aussi sur des traditions. Or il n’y a nulle part en Amérique du Nord de tradition révolutionnaire populaire. Au Québec, il aurait pu y avoir l’Insurrection de 1837. On sait cependant comment elle s’est soldée et surtout ou [sic] en a effacé le moindre souvenir dans la mémoire de tout un peuple[63].

Les années autour des Rébellions de 1837 et de 1838 sont particulièrement riches d’un point de vue révolutionnaire : de Pierre Vadeboncoeur dans « La ligne du risque » au manifeste du Front de libération du Québec, en passant par les romans d’Hubert Aquin, cet héritage semble de plus en plus convoqué depuis les années 1960, comme le remarque justement l’historien Jean-Paul Bernard[64]. Dans Maintenant, même la libération de la Femme aurait avantage à enter ses propres combats sur ceux du milieu du xixe siècle. Dans son éditorial du numéro de novembre 1974, Hélène Pelletier-Baillargeon montre que les actions actuelles sont « en discontinuité avec le modèle historique vrai et enraciné de la militance féminine d’avant 1840[65] ». Elle ajoute :

Ce ne sera pas dans l’abstraction désincarnée des équations mathématiques des technocrates que nous puiserons les forces nécessaires pour mener à bien ce projet qui nous fait vivre dans une commune espérance. Mais bien dans la pure passion de nos coeurs et de nos ventres de Québécoises, héritières des douces ménagères de Saint-Eustache et de Saint-Benoît des Deux-Montagnes[66].

La mémoire qu’il faut conquérir doit être séparée des traditions mortifères qui ont justement contribué à l’effacer. La mise en relief passe aussi par la mise en opposition. L’agriculturisme qui renvoie à la fin du xixe siècle est notamment mis à mal dans un numéro spécial consacré à la vie urbaine. Plusieurs collaborateurs n’hésitent pas à dénoncer ces intellectuels qui retournent à la terre. Ces derniers créent une sorte de syncrétisme temporel et culturel pour le moins étonnant et qui montre bien le bégaiement de l’histoire dont nous parlions plus haut. Cela n’échappe pas à Hélène Pelletier-Baillargeon, qui écrit, à la suite de Jacques Grand’Maison et de Jean-Yves Roy[67] :

Après avoir combattu le mythe de « l’agriculturisme », condamné les campagnes de colonisation et vilipendé les mânes du curé Labelle pour réorienter leurs compatriotes vers le monde de l’industrie et de la production, un grand nombre de nos agents de transformation sociale retournent un à un à la terre sur la pointe des pieds… Trente arpents récupérés à Ringuet, une bible d’alimentation naturelle et un catéchisme de méditation transcendantale : voilà nos révolutionnaires d’hier installés sur la voie d’évitement désaffectée où poussent les boutons d’or et les marguerites[68].

Dans le même esprit, et révélant que la modernité au Québec s’est en quelque sorte trompée d’adresse, Jean Paré fait paraître un texte dans le numéro spécial consacré aux 20 années de la Révolution tranquille. Provocant, il ne croit pas que « l’événement culturel le plus signifiant des vingt dernières années » soit la pièce de Michel Tremblay, Les Belles-Soeurs (1968), ou l’inauguration de la Place-des-Arts (1963), mais bien la sortie du film vaguement érotique Valérie (1968) de Denis Héroux. Provocation supplémentaire : c’est une photo de Danielle Ouimet (Valérie), seins nus, qui orne l’article de Paré. Ce dernier en arrive à cette conclusion audacieuse et particulièrement révélatrice pour notre propos : le film de « cul », comme le dit Paré, qui devait libérer les moeurs québécoises, ne fait que réinitialiser les thèmes du xixe siècle. Il écrit :

Denis Héroux croyait tourner un film de cul : il a mis en images les sermons 1900. C’est d’ailleurs par un étranger qu’elle se fera carrément « fourrer », découvrant qu’il n’est pas de plus grand bien que d’être « maître chez soi ». Retour sur le pastoral Mont-Royal, rencontre d’un jeune Québécois aimant, mariage, enfants. Or, ce Québécois est un artiste-peintre, cru de Montparnasse. Voilà réaffirmé le passé, conjuré l’avenir, confirmée la vocation artistique-culturelle-missionnaire-messianique de ces latins qui n’ont pas la bosse des affaires. On s’en tirera, même sans en avoir [des couilles]. Le sursaut des années soixante encourage. Valérie inquiète[69].

Des débuts de la Révolution tranquille à Valérie, il y a tout au plus une dizaine ou une vingtaine d’années. Pourtant, à lire Paré, on sent que la société québécoise a parcouru beaucoup plus de décennies. En amont, bien sûr, et rarement pour mieux aller en aval par la suite. C’est peut-être une des principales raisons de cette « crise » de culture qu’identifient les principaux collaborateurs de la revue au cours de l’année 1974.

Conclusion

Notre lecture de la revue Maintenant aura non seulement permis de rappeler son importance comme diffuseur d’idées au Québec – il n’y avait pas que Parti pris et Cité libre –, mais aussi de dégager quelques pistes pour envisager l’histoire intellectuelle des années 1970 au Québec. Cette étude n’est pas programmatique, mais nous permet déjà de retenir, pour la suite des choses, le thème du bégaiement de l’histoire. C’est dans la difficulté d’instaurer un régime temporel normal (incapacité d’être tout à fait en phase avec le présent, lequel est de plus coupé du passé et de son avenir), de construire une nouvelle référence, dirions-nous à la suite de Fernand Dumont, ou une « doctrine de la durée », dirions-nous à la suite de Pierre Vadeboncoeur, que logent plusieurs des thèmes et des problématiques de la période. D’ailleurs, il est justice de se demander si cette idée n’est pas aussi opératoire pour comprendre les décennies qui suivirent. Il faut voir.