FR:
L’expression « prisonnier politique » évoque, dans l’esprit de la plupart des gens, des images d’abus judiciaires et de torture qui s’appliquent davantage aux dictatures lointaines qu’à la société nord-américaine. Pourtant, dans les années 1960, un nombre important d’intellectuels considéraient que le Canada était le théâtre d’une succession de parodies de procès, procès qui servaient de paravents pour réprimer la contestation sociale et mater les résistances au pouvoir. Des militants radicaux, auteurs de gestes illégaux pour lesquels ils avaient été condamnés à passer du temps derrière les barreaux, n’hésitaient pas à se définir comme des prisonniers politiques. À leurs yeux, derrière une mince façade de libertés civiques, le système judiciaire faisait triompher le règne de l’arbitraire au profit des puissances établies. Cet article s’attache par conséquent à décrire l’horizon international sur lequel se sont dessinées les revendications des partisans du Front de libération du Québec (FLQ). Afin de mieux dégager les principales justifications formulées par ceux qui réclamaient que le statut de prisonnier politique soit reconnu aux détenus felquistes au moment des plus grandes turbulences sociales et politiques de la Révolution tranquille, nous tâcherons, d’une part, de comparer cette rhétorique militante avec celle véhiculée par quelques observateurs étrangers venus visiter le Québec et, d’autre part, de dégager les similitudes entre la défense des prisonniers politiques au Québec et celle qui fut développée lors du fameux « procès des Sept » de Chicago, en 1969. Nous verrons alors que le Québec se situait pleinement dans le courant de contestation juridique développé à cette époque par les critiques du régime libéral, bien que les références précises à des procès politiques aient toujours été plutôt discrètes.
EN:
For many people, the expression “political prisoners” brings to mind images of judicial abuse and torture more often associated with faraway dictatorships than North American society. Yet, in the sixties, a growing number of intellectuals considered that Canada was the scene of a series of phony trials, trials that served to veil the repression of social protest and the crushing of popular resistance. Radical activists, perpetrators of (allegedly) illegal actions for which they had been sentenced to spend time behind bars, did not hesitate to define themselves as political prisoners. In their eyes, beyond a thin facade of civil liberties, the judicial system was consecrating the reign of arbitrariness to the benefit of the powers at be. Starting from this premise, this article describes the international horizon upon which can be illuminated the claims of the partisans of the Front de libération du Québec (FLQ). In order to better highlight the core justifications formulated by those who argued in favour of granting the status of political prisoners to the felquist detainees at the time of the greatest social and political turbulences of the Quiet Revolution, I will, on the one hand, compare this militant rhetoric to the one conveyed by those few foreign observers who came to visit Quebec in the sixties, and, on the other hand, isolate the similarities between the defence of political prisoners in Quebec and the one which was elaborated during the infamous Chicago Seven Trial of 1969. We will see that Quebec fully situated itself in the current of judiciary protest developed at the time by critiques of the liberal regime, although precise references to political trials have always been rather discreet.