Abstracts
Résumé
Dans son ouvrage The Mysteries of Taal, Hargrove (1991) décrit le volcan Taal à la fois comme une bénédiction et une malédiction. Ce mélange de caractères ainsi qu’un relief géologique dangereux et important sur les plans culturel et économique révèlent bien la place du Taal dans l’histoire et la culture des Philippines. Le présent article décrit cette dynamique particulière au volcan Taal. À travers l’étude d’analyses scientifiques et d’anecdotes culturelles et historiques, je tente de décrire et d’analyser les représentations du Taal au fil du temps : en tant que paysage physique, objet d’études scientifiques, et en tant que paysage imaginé, objet de productions culturelles. Cette approche permet de saisir comment les volcans, l’un des types de relief naturel les plus potentiellement destructeurs, tendent à être perçus non seulement comme des sources de danger, mais également comme des catalyseurs de la survie économique et de la production intellectuelle.
Mots-clés :
- Volcan Taal,
- risques volcaniques,
- éruptions historiques,
- études géologiques,
- folklores
Abstract
In his The Mysteries of Taal, Hargrove (1991) describes the Taal volcano as a blessing and a curse. This miscible trait of being a hazardous geological landform and the character as being a culturally significant and economically providing geographic territory symbolizes Taal volcano’s location in Philippine history and culture. This paper illustrates the aforementioned dynamic nature of the Taal Volcano. Using scientific analysis as well as cultural anecdotes in history, I attempt to describe and analyze Taal’s visualizations across time: the Taal as physical landscape that has been a subject of scientific studies, and as a cultural landscape imagined in select cultural materials. Through this approach, this study offers a way of looking at how volcanoes, as one of the potentially-loaded destructive natural landforms, tend to be read and appreciated not only as a source of hazard but also as a derivation of economic survival and intellectual production.
Keywords:
- Taal volcano,
- volcanic hazards,
- historical eruptions,
- geological studies,
- folklores
Resumen
En su libro The Mysteries of Taal, Hargrove (1991) describe el volcán Taal como una bendición y una maldición a la vez. Esta mezcla de caracteres, este peligroso accidente geológico de importancia cultural y económica, revela el lugar que ocupa el Taal en la historia y la cultura filipinas. Este artículo describe la dinámica particular del volcán Taal. Mediante el estudio de análisis científicos y anécdotas culturales e históricas, intento describir y analizar las representaciones del Taal a lo largo del tiempo: como paisaje físico, objeto de estudios científicos, y como paisaje imaginado, objeto de producciones culturales. Este enfoque nos permite comprender cómo los volcanes, uno de los tipos de relieve natural más potencialmente destructivos, tienden a ser percibidos no sólo como fuentes de peligro, sino también como catalizadores de la supervivencia económica y la producción intelectual.
Palabras clave:
- volcán Taal,
- riesgos volcánicos,
- erupciones históricas,
- estudios geológicos,
- folclore
Article body
Au-delà du mystère : les représentations du paysage volcanique
Le volcan Taal a été, historiquement et culturellement, porteur de bienfaits et de malheurs : c’est à la fois un paysage géologique naturel au sol riche pour les terres agricoles, en particulier dans la province du sud de Luzon, et une formation géologique qui, dans les siècles passés, a causé destructions matérielles et pertes de vie. Hargrove (1991) qualifie ce volcan de phénomène topographique aux nombreux « mystères », historiques, culturels et biologiques. Ses éruptions importantes ont été analysées et interprétées autant d’un point de vue culturel, religieux que scientifique : c’est un trésor géographique tant pour les scientifiques que pour les historiens et un objet de recherche fertile pour la production des connaissances. Le Taal est, en effet, l’exemple parfait d’un paysage géographique ambivalent : bienveillant et malveillant, divin et dangereux, panoramique et chaotique. Un potentiel de dividendes et un désastre imminent. Un cas parfait d’entropie et d’ordre environnementaux. La nature organique du Taal a évolué au fil des ans et l’on s’y est référé, sur le plan cognitif, de diverses manières : un volcan, une ville, un lac et un système. Ces éléments ont tous été étudiés de manière critique par des chercheurs qui reconnaissent à la fois le caractère historiquement dangereux du volcan et son rôle central dans la transformation de l’environnement et dans le développement des communautés. La documentation massive et les nombreuses études scientifiques sur les éruptions du Taal, ainsi que la pluralité des représentations qui en émanent, forment un riche corpus de littérature scientifique, historique et culturelle qui permet d’examiner le Taal sous différents angles. Le présent article a pour objet d’étude ces représentations scientifiques et culturelles variées du volcan Taal.
À travers l’analyse de vignettes scientifiques et culturelles sur le volcan, cet article présente les principales représentations et identités du Taal : à la fois un paysage géologique qui a fait l’objet de textes religieux et de comptes rendus de missions scientifiques, et un paysage imaginé, objet de la littérature et d’autres productions culturelles. S’appuyant sur une sélection de matériaux d’archives, d’études scientifiques et de productions culturelles, le présent article aborde le Taal comme un paysage géologique provoquant des destructions matérielles, comme l’incarnation d’un imaginaire littéraire et culturel – ce dernier témoignant de l’emblème géologique que le volcan constitue pour la population –, et aussi comme une composante de l’identité topographique des Philippines embrassée par la science. Les éruptions destructrices et historiquement marquantes du Taal, bien qu’elles aient été qualifiées d’expériences fatales pour les populations et les communautés, ont en effet également été des occasions de comprendre le fonctionnement de l’environnement physique. Grâce à la documentation ethnographique, aux analyses de terrain et aux expéditions scientifiques, les missionnaires, les géographes et les ingénieurs ont pu constituer un vaste ensemble de ressources documentaires à propos des effets dévastateurs des activités volcaniques; les connaissances accumulées ont permis quant à elles de comprendre le phénomène géologique d’un point de vue des sciences physiques. La reconstruction historique d’événements catastrophiques requiert l’application stricte de la méthodologie historique : l’évaluation et la contextualisation des sources ainsi que la construction du sens du passé par la reconstruction (Oliver-Smith et Hoffman, 1999).
Les risques liés aux éruptions volcaniques, permanentes dans la région du Taal, sont donc des réalités socialement perçues, comprises et interprétées de façons plurielles. Ce phénomène environnemental particulier fait ainsi partie du tissu social de la population : il la pousse à s’adapter et l’oblige à faire évoluer organiquement ses mécanismes de reconstruction (Endfield et al., 2009, p. 305). Les archives des Philippines permettent alors de lire les récits de chefs de village, de prêtres et d’autres membres des communautés racontant les expériences et les souffrances des populations pendant et après les éruptions. Les documents produits par l’État contiennent quant à eux des analyses scientifiques et permettent de connaître le panorama historico-culturel lié aux éruptions. Ces archives et documents témoignent notamment de la variété historique des formes de vulcanologie et d’études sur les volcans qui ont été mises à contribution pour produire des images d’un volcan, de ses éruptions et pour percevoir la signification d’un paysage scientifiquement et culturellement.
Les études sur les éruptions du volcan permettent donc de se faire une idée de la façon dont ces explosions géologiques historiques ont été perçues par les scientifiques et les historiens au fil du temps. Certaines études ont déjà souligné l’importance de la documentation sur les catastrophes et la nécessité de l’évaluation critique des sources documentant la façon dont les risques naturels ont détruit les communautés humaines. Bien qu’elle ne soit pas toujours l’objet privilégié des études, la double nature, scientifique et culturelle, de l’interprétation des éruptions historiquement importantes est d’ailleurs l’un des principaux enjeux scientifiques entourant les volcans. Par exemple, le rapport du Comité Krakatoa de la British Royal Society sur l’éruption du Krakatoa (Krakatau) des 26 et 27 août 1883 sur l’île de Rakata dans le détroit de la Sonde, entre les îles majeures de Java et Sumatra en Indonésie, est un rapport scientifique détaillé des éruptions et des phénomènes géologiques, sismologiques et météorologiques qui ont suivi l’éruption (Symons, 1888), alors que plusieurs études du volcan Taal et de ses éruptions mettent davantage l’accent sur la documentation historique. Dans son travail historiographique sur les documents d’archives de l’éruption du Taal de 1754, Del Barrio Muñoz invite les chercheurs à s’intéresser aux archives des catastrophes. De même, dans son travail sur les éruptions du Taal de 1754, Duchenne (2020) examine l’impact de l’éruption sur les communautés locales grâce à une étude historiographique et critique des sources européennes et nord-américaines concernant la catastrophe. Donoso (2006) retrace pour sa part la formation de la volcanologie comme discipline scientifique dans les Philippines coloniales à travers l’étude du progrès de la documentarisation des catastrophes et en particulier des phénomènes géologiques notables survenus au 18e siècle; il met davantage en évidence le caractère scientifique des activités volcaniques et moins leurs significations culturelles perçues.
Les études sur le Mont Pinatubo, à Luçon, peuvent quant à elles servir d’exemple d’interprétations d’éruptions volcaniques plus spécifiquement menées sous l’angle de la culture. En effet, le Mont Pinatubo et, nommément, son éruption mondialement connue de 1991 ont au cours des dernières décennies fait l’objet d’importantes recherches universitaires, lesquelles ont permis une compréhension pénétrante et multidisciplinaire des éruptions volcaniques en tant qu’expérience de catastrophes collectives. Güss et Pangan (2004) explorent par exemple l’influence des normes et des valeurs culturelles dans les programmes de gestion des catastrophes mis en oeuvre après l’éruption de 1991. Dans une étude sur la perception du risque volcanique du Mont Pinatubo, Gaillard (2008) souligne quant à lui l’importance de prendre en compte, dans l’analyse de la perception des menaces volcaniques par les populations, des facteurs non liés aux risques ainsi que les structures sociétales. En outre, interrogeant l’idée de Bankoff concernant les « cultures de la catastrophe », Aguilar (2016) centre son analyse sur le rôle des systèmes de connaissances indigènes des Aetas dans leurs réactions face à l’éruption imminente du volcan. Le volcan a ainsi donné lieu à de multiples lectures.
Produire le Taal : documentation et études scientifiques sur le volcan Taal et ses éruptions
Les volcans dans la géographie des Philippines
Les processus géologiques qui se déroulent tant en profondeur qu’à la surface de notre planète façonnent les paysages physiques, déterminent la distribution des différents biomes et affectent les modes d’habitation humains. Les volcans, paysages géologiques uniques, affectent pour leur part les organismes vivants, l’atmosphère et le climat, la fertilité des sols et l’agriculture ainsi que l’habitat urbain (Lockwood et Hazlet, 2010). Ils font partie intégrante du système dynamique de la terre : les volcans créent de nouveaux terrains, fertilisent les sols nécessaires à l’agriculture (Carey, 2005, p. 1). Les volcans sont à la fois bénéfiques et destructeurs, notamment pour les activités humaines. Lockwood et Hazlett affirment, par exemple, que les volcans produisent des formes positives et négatives de reliefs. Le premier ensemble comprend les paysages ignés, les volcans boucliers, les volcans typiques/composites (lave et éjecta) et les formes de reliefs volcaniques mineures (cônes de cendres, cônes de cendres et de tuf, dômes volcaniques) (2010, p. 267-307). Les cratères et les caldeiras des volcans représentent une menace et des dangers permanents pour les êtres vivants (2010, p. 317-321). Dans la perspective des études sur le risque, Tilling affirme pour sa part que les volcans constituent des menaces directes et indirectes pour les habitations humaines. Les dangers directs incluent notamment les chutes de téphra, les écoulements et les déferlantes pyroclastiques, les coulées de lave, les avalanches de débris, les coulées de débris, les émissions de gaz volcaniques et les pluies acides. Les menaces indirectes sont les tremblements de terre et les mouvements de terrain, les tsunamis, les coulées de débris secondaires, la dégradation de la qualité de l’air, les impacts sur le climat (2005, p. 60).
Les Philippines, un pays archipélagique relativement étendu, sont constituées de milliers d’îles et d’îlots, produits de processus géomorphologiques répétitifs sur la longue durée. Sur les îles, grandes et petites, se trouvent des plaines variées et des reliefs de haute altitude, des chaînes de montagnes et des collines ondulantes, ainsi que des volcans et des montagnes volcaniques. De tailles et de formes variées, ces îles, comme le reste de l’archipel, sont constituées de plaines et de vallons dans les régions côtières. Le lieu où se trouvent les îles coïncide avec l’élément principal qui marque le contexte géographique et ses limitations, l’ensemble de l’archipel étant situé entre océans et mers, le long de plaques tectoniques fréquemment en mouvement (figure 1). La localisation de l’archipel, au bord occidental de l’océan Pacifique, un segment instable de la croûte terrestre, explique le développement de son relief (Salita, 1974, p. 40). L’origine des îles pourrait bien, en vulgarisant, être le résultat de simples mouvements tectoniques; les explications scientifiques disponibles proposent plusieurs théories géologiques qui simplifient la réalité de ces événements géomorphologiques complexes survenus il y a quelques milliers d’années.
Pour notre recherche sur la géographie des lieux, nous nous intéresserons surtout à l’île de Luzon[1] et aux caractéristiques générales de l’archipel, qui comprend des hauts plateaux et des volcans, de vastes plaines et un littoral continu. La chaîne de volcans et de montagnes volcaniques de la région se compose des volcans du Miocène, du Pliocène et du Quaternaire (Wernstendt et Spencer, 1967, p. 21). Sur la côte ouest de Luzon se trouve la ceinture volcanique occidentale : le Pinatubo, l’Arayat, le Natib, le Mariveles, le Corregidor, le Cavite, le Batangas, le Maestre de Ocampo, le Cordillera, le groupe d’îles Babuyan, le Cagua, le Camiguin de Babuyanes, le Didicas, le Smith, le Babuyan Claro et les volcans d’Iraya (Punongbayan et Ong, 1998, p. 103-104). Une ceinture sans nom est également présente dans la zone sud-ouest, laquelle comprend les volcans et montagnes volcaniques du Taal, du Macolod, du Makiling, du Malepunyo, du Banahaw, du Banahaw de Lucban, du San Cristobal, d’Atimbia, du Nagcarlan, ainsi que les monts Pico de Loro, Nasugbu et San Pedrino (Punongbayan et Ong, 1998, p. 103-104; Wernstendt et Spencer, 1967, p. 17). Le secteur occidental du sud-ouest de Luzon est dominé par la grande caldeira du Taal, qui abrite le lac et un petit volcan portant le même nom (Wernstendt et Spencer, 1967, p. 395). Mis à part le volcan Taal dans la province de Batangas, presque tous les volcans de la région sont endormis ou éteints, mais leur influence sur la géographie de certains territoires est évidente.
Le Taal est, pour sa part, un volcan aux nombreuses particularités géographiques. Il mesure 25 kilomètres carrés et compte 35 cônes (Punongbayan et Ong, 1998, p. 103-104; Wernstendt et Spencer, 1967, p. 17). Il est situé dans la province de Batangas, une province à dominante tagalog, située au sud de l’île de Luzon. À Batangas, une ville fondée en 1572 porte également le nom « Taal ». Dans certains documents d’archives, on peut lire « Taal », faisant ainsi référence à l’ancien nom de Batangas (aussi appelé Comintan and Balayan) (De San Agustín, 1998, p. 52-53). Sa forme unique de caldeira, qui résulte d’une forte éruption il y a plusieurs siècles, fait du volcan Taal une double entité géographique, à la fois un volcan et un lac : le volcan actuel se trouve dans un lac, situé sur la coupe du volcan précédent[2] (figure 2).
Les premiers documents coloniaux sur les éruptions du Taal
Les premiers témoignages sur les volcans de l’archipel, datés de la fin du 16e siècle et des décennies suivantes, consistent en des descriptions par des colons des caractéristiques physiques des volcans : chefs d’expédition, missionnaires religieux et fonctionnaires, chargés d’arpenter les îles, de mener des missions religieuses et de fonder des villes aux Philippines. Leurs récits mentionnent notamment différents territoires géographiques ainsi que l’éruption de certains volcans dans l’ensemble de l’archipel.
Ces premières chroniques témoignent du statut relativement actif du Taal depuis le 16e siècle, en plus de révéler son caractère, déjà à l’époque, dangereux et dévastateur. Domingo de Salazar, le premier archevêque de Manille, dans un rapport de 1588 à l’intention du roi d’Espagne, se réfère aux populations vivant près du volcan Taal comme les « gens du lac », les habitants de lieux qu’il nomme Bonbon (Bombon), Balayan, Batangas, Galbandayun, et Calilaya (De Salazar, 1903-1909, p. 41). Dans l’histoire des Augustiniens aux Philippines selon Juan de Medina, le Taal est décrit comme un volcan émettant fréquemment des flammes, lesquelles provoquent des vents chauds et dessèchent les terres, dès lors incultivables à certains endroits (De Medina, 1903-1909, p. 210). Les explosions et les éclatements de matériaux ont par ailleurs été comparés aux bruits de combats d’artillerie, d’escarmouches de mousqueterie et de tambours de guerre (De San Francisco de Asis, 1903-1909, p. 105; News from Filipinas, 1640-1642; Manrique de Lara, 1903-1909, p. 51). Certains ajoutent qu’en raison de l’effrayante explosion, c’eût été comme si le Ciel lui-même annonçait de nouveaux troubles pour l’humanité, comme s’il déclarait la guerre à certains habitants des îles (De Lara, 1903-1909, p. 51). En outre, un rapport anonyme sur l’éruption du Taal de 1754 indique implicitement que le volcan était un problème pour les indigènes depuis l’ère de la préconquête, que le volcan « battait et harcelait » les indigènes fréquemment dans les temps anciens (Anonyme, Breve relación). Dans son étude du début du 20e siècle sur les éruptions du Taal, Worcester (1912) décrit le volcan comme « un vieux délinquant à cet égard et nous savons qu’il a causé des problèmes peu après la découverte des îles Philippines » (p. 313, notre traduction).
Le Taal a en effet connu de nombreuses éruptions prononcées, démontrant ainsi tout son pouvoir, toute sa menace. Une étude des éruptions enregistrées entre 1572 et 2021 fait état de 47 éruptions, dont la plupart, ayant eu lieu dans le cratère principal, ont été de nature phréatomagmatique et strombolienne (Bencuchillo, 1754; Worcester, 1912; Hargrove, 1991; DOST-PHIVOLCS Local Active Volcanoes Archive). Ces éruptions témoignent de la double représentation historico-culturelle du Taal : celle d’un agent physique destructeur et celle d’une source de revenus économiques, de vie culturelle et d’identité pour les communautés qui l’entourent. Ces points de vue se reflètent et peuvent être extraits de divers documents historiques – rapports coloniaux, études scientifiques, articles de presse, récits oraux documentés, documents littéraires et autres documents culturels. Au cours du 18e siècle, le Taal est entré en éruption à six reprises, soit en 1709, 1715, 1716, 1731, 1749 et 1754 (De Aguirre, 1756; Centeno, 1885, p. 29-39; De la Concepcion, 1793, p. 345-350). Parmi celles-ci, l’éruption de 1754 s’est avérée particulièrement importante en raison de la durée de son explosion et des destructions qu’elle a causées dans plusieurs provinces de l’île de Luzon, notamment dans la province de Batangas (Centeno, 1885, p. 29-39; De la Concepcion, 1793, p. 345-350). Les missionnaires espagnols de l’époque, en poste dans le sud de Luzon, ont décrit l’éruption de 1754 à la fois comme une activité environnementale extrêmement destructrice et comme un acte divin visant à punir l’archipel et ses habitants. Pour en citer quelques-uns :
Parmi ces rapports, les chroniques de Bencuchillo (1754) et de Braña (1754) sont les plus explicites et les plus graphiques. Le premier se réfère au volcan Taal, et à d’autres volcans actifs de l’archipel (Albay, Banahaw et Bud Dajo), de la région insulaire de l’Asie du Sud-Est (Mont Kinabalu et Gunung Awu), de l’Europe (Etna, Vésuve, Necla, Chimère) et des Amériques (Tlascala, Crizaba, Monahalo), comme aux « bocas de infierno », les bouches de l’enfer créées par Dieu. Il qualifie le Taal de « Mongibelo » (une belle montagne) de l’archipel et fournit une description visuelle et géographique du volcan Taal, ainsi que de la mobilité des communautés au début de l’explosion de 1754 et des effets de l’éruption prolongée sur le terrain. Il met en parallèle cette éruption remarquable avec d’autres éruptions volcaniques survenues dans des villes anciennes, telles qu’Antioche (1331), Ulicomedia (1398) et Constantinople (1746).
La figure archétypale de l’éruption du volcan Taal est celle de la « fontaine de lave » : la lave et d’autres particules enflammées sont projetées vers le haut et provoquent des explosions semblables à des bombes (Punongbayan et Ong, 1998, p. 103-104). L’éruption du Taal de 1754 correspond à cette figure. Selga décrit par exemple le Taal « projetant des flammes noires ou une fumée noire abondante » (1941, p. 8, notre traduction). Un compte rendu fait également état d’une sorte d’« éruption totale », car y étaient impliqués les quatre éléments – le feu, la terre, l’air et l’eau –, le plus frappant étant les rivières de flammes (ríos de almas) et les autoroutes de feu (avenidas de fuego) émanant du cratère de l’île principale du volcan (Anonyme, 1756). L’étendue prolongée et massive de la destruction causée par cette éruption, la vaste proportion de chutes de cendres, l’érosion du sol et les coulées de boue, ont entraîné le déplacement des villes de Batangas fortement touchées – Taal, Sala et Tanauan – vers de nouveaux sites (Buzeta et Bravo, 1850-1851, p. 46; Braña, 1754).
Le Taal, objet de recherches scientifiques
Les scientifiques présents aux Philippines depuis la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle ont jeté les bases d’une abondante littérature sur les catastrophes et les risques environnementaux. La création d’institutions coloniales spécifiquement chargées d’entreprendre des recherches scientifiques et d’assurer un service public fondé sur la science a permis la production de nouvelles connaissances, notamment sur le fonctionnement de l’environnement naturel. À la fin du 19e siècle, la direction générale de l’administration civile du gouvernement colonial espagnol aux Philippines a chargé des scientifiques et des érudits d’étudier les risques géologiques et de proposer des mesures pour atténuer les destructions qu’ils entraînaient, afin de mieux gérer les menaces de l’environnement « en colère ». La plupart des comptes rendus et des études scientifiques sur les tremblements de terre ont été réalisés par deux groupes de professionnels : les jésuites de l’Observatorio de Manila et les ingénieurs coloniaux espagnols – militaires (inginieros militares), civils (inginieros coloniales) et responsables des mines (inginieros de minas). Un secteur de fonctionnaires militaires a joué un rôle actif dans le développement colonial, leur arrivée marquant le progrès de l’ingénierie antisismique moderne aux Philippines (Anduaga, 2004, p. 2). Bien que le gouvernement de Madrid ait accordé peu d’attention au développement scientifique de l’île, en raison du nombre limité de scientifiques et de technologues pouvant être affectés aux Philippines (Elena et Ordoñez 2000, p. 75), les ingénieurs militaires ont su s’établir comme des « architectes modernes » du développement de l’infrastructure coloniale. Au début de la période américaine, au 20e siècle, les Jésuites américains qui faisaient également oeuvre de pionniers en matière de sismologie aux États-Unis ont aussi contribué à rehausser la qualité de la pensée scientifique et de la compréhension des tremblements de terre.
La création de l’Observatorio Meteorolóco de Manila (OMM) en 1865, une station d’observation privée des Jésuites de l’Ateneo Municipal de Manila, a permis de découvrir de nouveaux mécanismes concernant les phénomènes météorologiques et géologiques (Schumacher, 1965; Alvarez, 2016). Le père Federico Faura (1840-1897), premier directeur de l’OMM, a été le fer de lance des études sismiques et géologiques de l’observatoire. Le gouvernement colonial a fait appel au secteur de l’ingénierie afin de relever les défis et tirer parti des possibilités offertes par les fréquents mouvements de terrain, dont les effets peuvent être estimés et atténués. Le rôle des ingénieurs militaires et miniers a été déterminant dans l’application de la science espagnole. Dans la seconde moitié du 19e siècle, les autorités coloniales espagnoles ont pris conscience des problèmes posés tant par les risques naturels que par les sultanats musulmans dans le sud des Philippines (Anduaga, 2013, p. 3). Les premières personnes à être sollicitées par le gouvernement ont été les ingénieurs militaires; les autorités leur ont accordé leur confiance et leur ont donné la responsabilité d’inspecter, d’étudier, de planifier et d’exécuter des plans de reconstruction des bâtiments détruits par les tremblements de terre (p. 4). Les scientifiques locaux et les chercheurs étrangers ont également laissé de précieuses études scientifiques et ethnographiques sur les éléments des paysages liés aux phénomènes géologiques. Des études géologiques et des expéditions ont ensuite été menées afin de mieux comprendre la physique des principaux mouvements de la terre; ces études ont contribué de manière significative à la production d’une littérature scientifique sur la sismologie et la géologie. Les résultats de leurs recherches ont été produits au moment où des bouleversements sociopolitiques majeurs ont affecté l’archipel et où les connaissances scientifiques ont connu d’importantes transformations. Cette conjonction s’est traduite par un bouleversement des connaissances au tournant du siècle, servant ainsi de noyau à des études pionnières sur les risques et les catastrophes. Ces travaux scientifiques sont, métaphoriquement, des études sur les « acides aminés » – les éléments constitutifs de l’historiographie environnementale de la nation. Les scientifiques qui ont mené une expédition scientifique sur le Taal le considéraient comme un trésor. Lors de son séjour aux Philippines de mai à juillet 1913, le géographe britannique Tempest Anderson a visité le Taal, pris des photos du paysage du volcan et pris des notes intéressantes sur ses caractéristiques géographiques :
L’île, communément appelée volcan Taal, est entièrement volcanique et a probablement été construite par des éruptions plus récentes que la catastrophe qui a formé le lac. Elle est parsemée de nombreux petits cônes subsidiaires et ne mesure que 767 pieds au point le plus haut de son bord, étant généralement beaucoup plus basse que cela. Son cratère est un ovale irrégulier qui, dans sa partie la plus large, a un diamètre d’environ trois quarts de mille. Depuis la partie la plus basse du bord, la rive la plus proche, on peut facilement atteindre le fond du cratère, qui est à peu près au niveau du lac extérieur. Il y a deux lacs, contenant l’un de l’eau jaune, l’autre de l’eau verte. Le premier est peu profond et chaud, mais non bouillant, le second dégage de la vapeur à sa surface et bout violemment près de sa limite sud. Au sud de celui-ci se trouve un cratère circulaire sur le fond duquel se trouvent des taches de boue bouillante, qui ne dégagent cependant que peu de vapeur, et à la base de la pente extérieure se trouve un évent d’où s’échappe de la vapeur avec une grande force. Quelques blocs de lave sont éparpillés à la surface du sol, mais aucune coulée ni aucun dyke n’est visible, et le cratère est apparemment construit par des lits successifs de débris volcaniques, qui plongent vers l’extérieur à partir de son centre et sont rendus plus visibles par leurs différences de couleur. Il s’agit en fait d’un énorme cône de cendres.
Anderson et Bonney, 1917, p. 86; notre traduction
Les sismologues, les géologues et les ingénieurs de l’époque ont étudié et publié leurs travaux respectifs sur le volcan Taal et ses éruptions, créant ainsi un corpus de littérature scientifique qui non seulement a fourni une documentation sur ses activités, mais a également illustré les processus environnementaux dynamiques qui ont affecté les paysages physiques et la vie biologique. Les documentations sur le Taal et ses éruptions coïncident avec des périodes et des conjectures marquantes de l’histoire des Philippines, d’une ère de développement scientifique à une autre, et de l’acceptation croissante de la connaissance moderne et des mécanismes de production de la connaissance. En voici quelques exemples :
Les éruptions volcaniques ont toujours été considérées chaotiques; les communautés humaines, victimes des explosions géologiques, ont toujours été prises au dépourvu. Les études scientifiques sur les éruptions ouvrent toutefois de nouvelles perspectives sur ces phénomènes géologiques. L’Estudio Geológico del Volcan de Taal, un centre d’études géologiques des « montagnes volcaniques » du sud de Luzon, offre une appréciation statistique du paysage géographique de Taal, un catalogue de classification des roches dans la région du cratère et une liste des espèces végétales trouvées dans la région (Centeno, 1885, p. 1-53).
Au début du 20e siècle, le rapport de Becker (1901) sur la géologie des îles ainsi que l’ouvrage de Saderra Masó intitulé Volcanoes and Seismic Centers of the Philippine Archipelago ouvrent des perspectives géologiques approfondies sur la nature des volcans et de leurs éruptions. Dans un premier temps, l’ouvrage de Becker se veut une référence, un vade-mecum pour les géologues. Il recense les travaux publiés sur la géologie et la volcanologie des Philippines. Le projet avait été lancé par des géologues allemands et autrichiens à la fin du 19e siècle; les ingénieurs espagnols Pedro Sainz de Baranda, Antonio Hernandez, José Maria Santos et José Centeno ont contribué à la rédaction du rapport (Becker, 1901, p. 7-8). L’ouvrage contient des informations utiles sur la nature et la distribution des roches volcaniques à Luzon, Visayas et Mindanao, ainsi qu’une étude géo-historique des paysages volcaniques actifs et des volcans éteints aux Philippines et dans la région de l’Asie du Sud-Est (p. 34-61). L’auteur consacre également une partie à la géologie historique, dans laquelle il présente la nature et la répartition des gisements pétroliers et miniers (charbon, cuivre, nickel, plomb et fer) du pays ainsi que leur lien avec les activités tectoniques et volcaniques (p. 108-128).
Publié quelques années plus tard, l’ouvrage de Saderra Masó, Volcanoes and Seismic Centers of the Philippine Archipelago (1911) contient des informations sur les zones sismiques et volcaniques de l’archipel. Sur les 18 centres d’activités tectoniques identifiés, 9 impliquent la présence de volcans. Les activités volcaniques y sont considérées sous l’angle des événements environnementaux et géologiques (p. 17-20). Se référant aux rapports de Centeno et Becker, Saderra Masó évalue la géologie des volcans. Il déclare que « la chaîne de volcans éteints et actifs, qui s’étend de Laguna de Bay à l’extrême sud-est de Luzon, semble être principalement andésitique, mais non dépourvue de basalte » (p. 15, notre traduction). Il présente également ses hypothèses et théories sur la nature physique et les changements de formation du paysage dans les lacs Taal et Bombon en raison des éruptions (p. 53-63).
En 1913, Saderra Masó collabore avec un géologue, Warren Smith, et publie une étude sur la corrélation entre les mouvements sismiques aux Philippines et le profil géologique de l’archipel. Le fruit de leur travail, intitulé « The Relation of Seismic Disturbance in the Philippines to the Geologic Structure », introduit de nouveaux principes sur les perturbations sismiques. Ils soutiennent, en particulier, que « [...] les tremblements de terre majeurs et la majorité des tremblements de terre aux Philippines ne sont pas dus au volcanisme » (p. 199-200, notre traduction). L’étude aura été réalisée afin de donner un aperçu de la physiographie et de la géomorphologie de l’archipel, pour discuter scientifiquement de la formation des roches dans les différentes régions insulaires, pour montrer l’origine d’importantes perturbations sismiques ainsi que pour tirer des conclusions pratiques ainsi que des recommandations politiques pour les autorités locales et pour le gouvernement (p. 201). À l’instar des scientifiques au service de Cortés, des ingénieurs miniers Centeno et Abella et du géologue Becker, les auteurs proposent une étude se rapportant à la fois au sismique et au géologique (p. 202-206). Inscrivant leur travail dans la continuité d’un précédent livre de Saderra Masó lui-même (1904), les auteurs discutent de la physiographie des Philippines, examinant notamment la connexion entre les plaques tectoniques aux Philippines et celles voisines, et comment cette proximité se manifeste dans le type de montagnes, de systèmes montagneux et de roches formées dans l’archipel (p. 202-206). Ils établissent également une typologie des perturbations sismiques : volcaniques, tectoniques et éboulements (p. 202-206). Ces perturbations sont réparties dans l’archipel, dans des régions telles que Luzon, Mindanao et Visayas, et le long des 16 « lignes sismotectoniques » (p. 216-224). Sur le plan historique, les auteurs identifient 31 perturbations géologico-sismiques importantes, entre la fin du 17e et le début du 20e siècle (1645-1902) (p. 224-231). Saderra Masó et Smith concluent en présentant quelques conseils scientifiques concrets à l’intention de leurs collègues scientifiques et des administrateurs civils. Leurs principales conclusions sont les suivantes : 1) les tremblements de terre se produisent le long des zones où la croûte terrestre est faible; 2) « les volcans ne sont que des épiphénomènes : ce sont des résultats plutôt que des causes » (notre traduction); 3) il existe une relation étroite entre les perturbations sismiques et la structure géologique et 4) entre les lignes orographiques et géomorphiques et les lignes reliant les épicentres des tremblements de terre (p. 231-232). Les auteurs exhortent ensuite la population à prendre conscience des « zones de danger » dans l’archipel, nommément la ligne de faille de Taal : les « îles artificielles », les zones d’alluvions, la vallée d’Agusan, le détroit de San Juanico, le district nord-est de Manille et le nord-ouest de l’île de Polilio ainsi que certaines parties de la péninsule de Batangas (p. 231-232). Ils soulignent également l’importance d’une étude géologique des barrages, des pipelines et des ponts (p. 232), énumérant du même souffle les structures et les types de matériaux les mieux adaptés aux conditions des Philippines, par exemple le bambou pour les maisons, les bois locaux et des armatures d’acier pour les structures en pierre et en béton (p. 232).
D’autres études sur le volcan Taal se concentrent pour leur part sur l’éruption de 1754 et soulignent le caractère historique des activités volcaniques et des effets destructeurs. Le directeur du Bureau météorologique des Philippines (Philippine Weather Bureau, PWB), Miguel Selga ([sans date]), considère l’éruption de 1754 du volcan Taal comme l’une des éruptions volcaniques les plus remarquables de l’histoire des Philippines. Se référant aux travaux de Bencuchillo, Selga affirme que le récit fait par Bencuchillo à la suite de l’éruption, bien que présentant plusieurs erreurs d’écriture, contient des théories et des hypothèses reflétant une perspective éclairée sur les processus environnementaux.
L’ouvrage de Dean Worcester, intitulé « Taal Volcano and its Recent Destructive Eruption », publié en 1912 dans le National Geographic Magazine, analyse également le caractère destructeur du Taal sous l’angle de la science. L’auteur y relate, de manière sobre, bien que suggestive et prescriptive, l’histoire du Taal. Il y est notamment question des éruptions de 1911 et de ses effets sur la ville de Batangas et les provinces voisines. Y sont documentées les activités volcaniques du Taal depuis la première visite de l’auteur à Batangas dans les années 1890 ainsi que celles de l’éruption majeure de 1911, à laquelle il a assisté. L’essentiel des données provient de notes personnelles, de rapports de journaux, d’informations tirées de livres d’histoires, d’études réalisées par des géologues, des ingénieurs et des météorologues, ainsi que d’observations personnelles et d’entretiens avec des habitants de Taal et des villes voisines. L’auteur décrit de manière complète les éruptions précédentes du Taal et l’état du volcan après 1911, en plus de mettre en parallèle les événements avec ceux de 1754, ce qui lui permet de proposer, indirectement, des mesures politiques pour améliorer la réponse gouvernementale aux catastrophes. Il présente également des comptes rendus des éruptions précédentes du Taal du 16e au 19e siècle, s’appuyant sur différentes sources antérieures (p. 313-331). Plus récemment, Hargrove (1991) fournit, dans une approche multidisciplinaire approfondie, un profil archéologique et historique complet du volcan Taal, par le biais d’une analyse croisée des données historiques, des légendes populaires et des sites d’observation situés dans les villes de la province de Batangas aux abords du volcan.
L’une des principales avancées attribuable à ces travaux est la consolidation de l’analyse des éruptions volcaniques en tant que phénomènes scientifiques, explicables par la science moderne. De manière générale, bien qu’elles préconisent parfois des approches différentes, ces études partagent toutes des modèles similaires de documentarisation et d’analyse des risques. Comme l’indiquent certains ouvrages, de manière subtile, le compte rendu minimal des dangers, dans les études antérieures au 19e siècle, est le reflet des scénarios suivants : 1) lorsque les églises, les mairies, les couvents et les monastères n’ont pas été endommagés, il n’y avait pas lieu de produire un compte rendu exhaustif des éruptions – autrement dit, il n’y avait là rien d’« historique », digne d’être conservé dans la mémoire collective, à tout le moins selon les auteurs, et 2) lorsque peu de gens étaient morts. L’intensité des tremblements de terre et des éruptions volcaniques ayant eu cours au 19e siècle s’avère ainsi être un tournant dans l’histoire de la documentarisation des risques, qu’on peut attribuer ou bien à l’évolution des techniques modernes d’enregistrement, ou bien à l’essor de la mentalité scientifique elle-même. Quoi qu’il en soit, la production d’écrits fondés sur des recherches scientifiques rigoureuses constitue une avancée majeure pour le progrès de la science dans l’archipel. Les ouvrages fournissent, d’un point de vue technique, des explications mathématiques, accompagnées de vulgarisations scientifiques. Presque tous les documents suivent des schèmes traditionnels de production, d’analyse et d’explication des informations. Les auteurs reconnaissent tous l’importance la notion « historique » des risques : le présent ou les événements auxquels ils consacrent leur étude sont le produit de processus environnementaux antérieurs. La plupart des auteurs, issus d’écoles scientifiques et ayant exercé en tant que professionnels dans leur domaine, accordent une valeur particulière au raisonnement scientifique, malgré la présence d’interprétations quasi-religieuses, notamment lorsqu’il s’agit de rendre compte des effets considérablement dangereux sur la population.
Représentations culturelles du paysage volcano-agricole du Taal
Les communautés culturelles usent d’histoires pour lier les territoires à leur existence. Elles font connaître le passé à leurs successeurs par l’entremise de récits dits « originels » qui constituent la mémoire collective de la communauté. Les espaces géographiques deviennent des lieux symboliques, et les processus géographiques et géologiques de ces espaces participent des récits historiques. Les épopées, les mythes, les légendes et le folklore forment le large éventail de types d’histoires conservées et transmises d’une génération à l’autre dans les communautés culturelles et les groupes ethnolinguistiques traditionnels des Philippines. Parcourant ces riches traditions littéraires indigènes, l’on découvre comment ces sociétés perçoivent et percevaient leur environnement et comment elles donnent sens aux processus naturels.
En quoi ces histoires et récits oraux sont-ils liés aux découvertes et recherches scientifiques sur l’origine et les formations géographiques et géologiques de l’archipel philippin? Les scientifiques considèrent souvent les récits de la création comme des moyens pour les groupes d’interpréter l’origine de lieux et de processus environnementaux. La géologie, a priori l’étude du fonctionnement de la terre, s’intéresse également à des questions culturelles et philosophiques liées à la formation des paysages (Punongbayan et Ong, 1998, p. 13). Un point de rencontre entre la littérature orale et la géologie se manifeste par des similitudes dans les interprétations : la manière dont les montagnes, les volcans et les plaines sont apparus et l’établissement des habitations humaines (p. 11). Par exemple, des récits tels que les mythes de la création Manobo ressemblent à la façon dont les géologues décrivent la formation de l’archipel philippin (p. 11). Mais il est important de souligner qu’il existe un contraste important entre les évaluations qui sont faites sur le plan de la temporalité et de la façon de comprendre les processus en cause : les sciences naturelles reconnaissent la valeur de ce type de récits parce qu’ils confèrent une dimension sociale à la description d’un monde naturel en constante évolution.
Bien que les différentes communautés culturelles de la région possèdent une multitude de représentations du monde, l’idée prédominante est celle d’un univers, communément appelé sandaigdigan, santinakpan, sansinukob, et composé de régions délimitées où différentes entités, des êtres divins, des esprits, des animaux sauvages et des êtres humains, vivent et interagissent (Llanes, 2001, p. 53). La région inférieure est traditionnellement associée à la souffrance et à la mort; c’est le refuge de certaines créatures mythologiques. Traditionnellement, par exemple, les habitants de la région de Bicol séparent l’univers en trois régions : le kamurayawan (la région céleste), la terre des humains et le gagamban (la région inférieure) où vivent et prospèrent les aswang (Castano, 1895). Les Tagbanua croient pour leur part en l’existence d’une région inférieure appelée a basad, où vont les âmes des défunts, en particulier ceux qui sont morts de causes naturelles; pour les Manobo de Davao à Mindanao, le maybollan ou llongsud est la région où vont les âmes des morts (Castano, 1895). Pour les Pintados de l’île de Panay, la région inférieure, considérée comme un lieu de souffrance, s’appelle le casaan (Loarca, 1979). Certains groupes ethnolinguistiques considèrent pour leur part les régions inférieures de l’univers ainsi que les régions non habitées par des êtres bienveillants et des humains comme des lieux où vivent des créatures gigantesques et puissantes, à l’origine de différents processus terrestres, comme les tremblements de terre et les éruptions volcaniques. Selon les légendes et récits originels, les tremblements de terre sont un élément constitutif des sociétés humaines : y sont décrits leur déroulement et leurs causes. Pour les Illongos de Panay, les idadalmon vivent sous la terre et provoquent tremblements de terre et inondations (Jocano, 1964, p. 18). Les Bagobo croient que, dans la région inférieure, où se battent anguilles et crabes, quatre ou cinq poteaux soutiennent la terre, et qu’il y a des serpents colossaux, (Eugenio, 1994, p. 105-125). Les tremblements de terre se produisent lorsque le kasili (anguille), qui entoure la terre, bouge et son mouvement est généralement causé par le kayumang (crabe) qui l’agite. Cette représentation de créatures sauvages causant des tremblements de terre est aussi présente chez les Mandaya : un sanglier géant, appelé babaybulan, déplace l’arbre qui soutient la région humaine (Llanes, 1965, p. 11). Pour les Maranao, le monde est porté sur le dos d’un énorme animal, le lumbong, qui se dispute fréquemment avec une crevette (Madale, 1994, p. 262). Cette dernière le griffe, ce qui le fait bouger et provoque l’ébranlement du monde, lequel se manifeste dans la terre des humains, , par des tremblements de terre (p. 262). Les Bicolanos d’Albay croient pour leur part qu’un énorme géant soutient la terre; des tremblements de terre se produisent chaque fois qu’il bouge ses doigts sous l’effet de la colère (Vibal, 1994, p. 71-72). Un petit tremblement de terre est dû au mouvement de l’index du géant (guisguis), tandis qu’un tremblement plus fort est causé par le troisième doigt (manlabao). Les Bicolanos craignent que lorsque le géant sera fatigué de soutenir la terre, le monde sera anéanti (p. 71-72).
Les récits sur le peuplement de la terre et l’épanouissement des populations contiennent également des vignettes concernant les tremblements de terre. Les Bontoc de la Cordillère, dont une des histoires relate l’origine du « premier » homme et de la « première » femme, décrivent les mouvements géologiques comme l’acte par lequel la terre en colère jette de gros rochers et des pierres dans l’eau, pour montrer son mécontentement et se venger de la première attaque de l’eau, ce que les Bontoc considéraient alors comme la première tempête (« The Teacher of Besao »; « The Literature of Besao », 1994, p. 277-278). Les Aklanon de Panay racontent que Makakagahum, l’être divin, a créé des êtres vivants pour ne pas être seul sur terre : les êtres vivants sont nés des graines que Makakagahum a jetées sur le sol, alors que celles qui sont tombées sur les arbres sont devenues des singes et des oiseaux, que celles qui sont tombées sous les fissures sont devenues des fées et des esprits maléfiques, et celles qui ont roulé dans les plaines et les vallées et qui ont reçu de la lumière sont devenues des êtres humains (De Cruz, 1994, p. 295). L’histoire raconte qu’une graine, tombée dans un trou très profond de la terre et restée coincée entre deux pierres, donna naissance à un énorme singe poilu, qui provoque des tremblements de terre chaque fois qu’il bouge (p. 295). La célèbre légende luzonienne de Bernardo Carpio, bien que déjà christianisée, permet également de comprendre comment les tremblements de terre sont traditionnellement perçus par les populations. Dans sa version de cette légende, le peuple Ibanag raconte l’histoire d’un homme connu sous le nom de Bernardo Carpio qui, depuis son plus jeune âge, possédait une force extraordinaire (Malay, 1994, p. 262-263; Historia famosa ni Bernardo Carpio, 1919). Il devint populaire dans de nombreuses villes et, fier et vantard, défia Dieu. Celui-ci lui demanda de mettre fin à la querelle entre deux montagnes, mais un événement malheureux se produisit : Bernardo Carpio resta pris entre les deux montagnes et fut enterré vivant. La communauté Ibanag de la région montagneuse de la Sierra Madre croit que les tremblements de terre sont causés par Bernardo Carpio lorsqu’il tente de se libérer de sa sépulture. Les habitants de Montalban, dans la province de Rizal (anciennement Morong), croient pour leur part que Bernardo Carpio est enchaîné dans la gorge de Montalban et qu’il est condamné à empêcher les montagnes de s’effondrer l’une sur l’autre (Punongbayan et Ong, 1998, p. 11). On dit qu’à chaque fois qu’il se repose, les parois de la gorge se referment et que, dans ses efforts pour repousser les montagnes, il fait trembler la terre. L’origine des structures terrestres est également abordée dans la littérature orale, notamment dans les légendes.
Les communautés traditionnelles des Philippines considèrent les montagnes et les volcans comme le refuge des dieux, des demi-dieux et des esprits. Parcourant les épopées et les légendes, l’on s’aperçoit que chaque montagne ou volcan possède sa propre histoire. Les récits d’actes divins, de malveillance, de punitions et d’interactions entre les divinités et les humains, à travers certains archétypes de récits tels que les aventures, les festivités et les cycles de la vie quotidienne, dépeignent les valeurs culturelles importantes de certains groupes ethnolinguistiques. Les récits du Taal, recueillis dans le cadre d’aventures ethnographiques et littéraires, témoignent de l’importance culturelle de ces paysages physiques pour les populations.
Des réalités de la vie matérielle locale sont également intégrées à ces récits, nommément des aspects économiques comme la protection des propriétés lors des éruptions et des aspects socioculturels comme le volcan en tant que source de vie agricole. D’un point de vue historique et anthropologique, les récits oraux ont une place dans l’ensemble des composantes qui servent de repères pour les relations et les négociations continues entre les communautés et le contexte environnemental spécifique du Taal. Les histoires orales documentées, les légendes et le folklore, représentent le Taal à la fois comme bienveillant et malveillant. Ces sources traversent les différentes périodes historiques et la plupart de leurs éléments datent de la période préhispanique. Elles révèlent ainsi l’attachement culturel latent des populations à ces paysages géologiques. Au-delà des effets destructeurs généralement associés aux éruptions, aux coulées de lave ou aux tremblements de terre, la population a tendance à accorder une valeur culturelle au volcan et à ses activités géologiques.
Les légendes et autres récits décrivant les éruptions volcaniques révèlent plusieurs archétypes : 1) des dieux, des êtres divins et surnaturels, jouent un rôle dans l’apparition des processus environnementaux, fruits des dieux ou de leur colère; 2) des animaux, des créatures sauvages et des bêtes sont également à l’origine de ces dangers; et 3) les processus géologiques tels que les éruptions volcaniques ont contribué à la création de leur communauté et de leur identité en tant que peuple. Par exemple, deux légendes sur l’origine du Taal suggèrent que l’existence du volcan est le produit de la colère d’un être puissant, suite de la désobéissance et du manque de respect de la population à son égard. Les abus humains face à la gentillesse et la bienveillance de certains êtres auraient provoqué la colère de ceux-ci : l’éruption est une punition. Une autre légende raconte qu’un vieil homme, connu sous le nom de Nuno, vivait jadis au sommet du Taal (Gallego, 1994, p. 176). La communauté l’aimait et celui-ci prenait soin du tabac qu’elle possédait et plantait. Nuno n’avait qu’une seule règle : personne ne devait planter de tabac au-delà d’une certaine ligne près du sommet de la montagne. Le vieil homme s’étant absenté longtemps, la population continua d’obéir à la règle jusqu’au jour où le prix du tabac augmenta, incitant ainsi la communauté à planter son tabac au-delà de la ligne prescrite. Une année passa et les gens pensaient que Nuno ne reviendrait pas – ils croyaient avoir échappé à sa colère. Un jour, alors que la communauté célébrait une fête, un violent tremblement de terre éclata. Les gens durent quitter la montagne et, plusieurs jours plus tard, ils s’aperçurent que les plantes qu’ils cultivaient avaient disparu : la frontière imposée par Nuno avait explosé et un immense trou s’était formé au sommet de la montagne. La légende veut que le feu et le Taal soient dus au fait que Nuno ait fumé tout le tabac confisqué. Une autre légende reproduit un schème narratif similaire. Selon les dires du grand-père de l’auteur ayant documenté le récit (Francisco, 1994, p. 175), il aurait existé jadis une petite île sur le lac Taal, réputée pour sa beauté et l’abondance de ses ressources naturelles. Une belle femme en prenait soin et interdisait à la communauté de prendre quoi que ce soit venant de l’île sans qu’elle le sache et y consente. Au début, les habitants suivirent la règle, mais rapidement ils commencèrent à dépouiller l’île de ses richesses, notamment les fruits et les métaux. Lorsque la protectrice de l’île apprit la mauvaise conduite des gens, elle les punit, provoquant une agitation qui transforma l’île en une énorme montagne dégageant de la fumée. La montagne, à la grande terreur des gens, déchargea du feu, de la pierre et de la lave. Il est intéressant de noter que, dans ses observations datant du 18e siècle, Gaspar de San Agustin décrit une éruption du Taal ayant eu lieu pendant la célébration d’une messe par un missionnaire :
Dans la lagune de Bombong, il est un petit îlot sur lequel se trouve un volcan qui crache parfois de nombreuses pierres brûlantes, détruisant de nombreux semis de coton, de patates douces et d’autres plantes que les indigènes de Taal avaient plantés autour de la base du volcan. Il a été prédit que chaque fois que trois personnes atteindraient l’île, l’une d’entre elles y resterait et y mourrait sans en connaître la cause. Fray Agustin de Albuquerque en fut informé. Après avoir demandé à Dieu, lors d’une très longue prière, d’avoir pitié des natifs de ces villes et de les épargner de cette malchance, il se rendit sur l’île. Il l’exorcisa et la bénit avec les bénédictions ordinaires de l’Église, puis organisa une procession très pieuse. Il dit la messe avec humilité, et confiance en Dieu. Au moment où il élevait la Sainte Hostie de ce sacrifice non sanglant, un vacarme épouvantable se fit entendre, accompagné de cris, de pleurs et de lamentations endeuillées. La cime du volcan s’effondra sur elle-même, laissant deux ouvertures, l’une de soufre et l’autre d’eau verte en permanente ébullition. Encore à ce jour, cette dernière est souvent visitée par des cerfs qui se rendent dans les lits de salpêtre autour du lac formé par le volcan. L’ouverture qui fait face à la ville de Lipa a une largeur d’environ un quart de lieue. Au bout d’un certain temps, le volcan commença à couver à l’autre ouverture, plus petite, au point où les indigènes craignaient une nouvelle catastrophe. Ils se rendirent chez Fray Bartolome de Alcantara, qui exerçait son ministère dans la ville. Il fit une procession similaire et dit à nouveau la messe. Dès lors le volcan ne cracha plus de feu ni de fumée, mais on entendit des voix tremblantes, des cris et quelques coups de tonnerre. Fray Tomas de Abreu, qui exerçait son ministère à Taal, fit porter une croix à la cime du volcan par plus de quatre cents hommes, car elle était faite d’un bois très lourd appelé anivion. Après l’avoir installée, non seulement le volcan plus jamais ne fît de mal à personne, mais l’îlot a retrouvé sa fécondité originelle.
1998, p. 603-604; notre traduction
Comment ces diverses vignettes culturelles s’intègrent-elles dans le folklore local lié aux éruptions destructrices et fréquentes du Taal? Certains postulats anthropologiques permettent d’en saisir le sens dans l’économie globale des représentations. Par exemple, l’idée boasienne de la relation entre l’environnement et les cultures des peuples explique la relation entre les êtres humains et l’environnement par le particularisme historique, le pluralisme culturel et la valeur de l’historicisme indigène. Le traitement du volcan Taal en tant qu’entité vivante, possédant des attributs humains, dans le folklore et les légendes illustre ces propositions. Bien que Boas formule des mises en garde lorsqu’il décrit le rôle de l’environnement dans la formation des cultures et des sociétés, il affirme que celui-ci possède un pouvoir limitatif et favorable sur la culture : cette influence est contingente, mais stimulante car les lieux et les forces géographiques influencent la croissance et le développement des communautés (Speth, 1978, p. 16-17). Si Boas défend l’idée que les cultures émergent en lien avec des environnements spécifiques, l’idée d’écologie culturelle de Steward met plutôt l’accent sur la valeur de l’adaptation humaine à l’environnement (Moore, 2009, p. 197). Pour celui-ci, l’emphase doit être mise sur les relations entre la nature physique de l’environnement naturel, la structure d’une société et les technologies disponibles que les humains utilisent (p. 198-199). Entretenant un lien étroit avec l’évolutionnisme multilinéaire, l’écologie culturelle examine le schéma général du développement des cultures, soulignant le rôle majeur de l’environnement et des stratégies d’adaptation humaines (Barnad, 2004, p. 40). Si l’on adopte ce point de vue pour examiner le volcan Taal, force est de constater que les habitants de la région reconnaissent depuis longtemps les dangers du Taal, sans pour autant qu’ils minimisent les risques auxquels ils sont fréquemment confrontés, pas plus qu’ils ne négligent les avantages de la gestion moderne des catastrophes. Plutôt, cette lecture du Taal oblige à la reconnaissance des particularités culturelles dans l’élaboration des politiques contemporaines de réduction des risques. Au cours des dernières décennies, l’un des problèmes récurrents de la gestion des catastrophes aux Philippines a en effet été la résistance des communautés touchées à évacuer les zones déclarées sinistrées ou dangereuses par le gouvernement. Lors de la récente éruption du Taal en février 2020, des milliers de personnes vivant dans le volcan lui-même hésitaient à quitter leurs maisons, leurs fermes, leurs animaux d’élevage et leurs cages à poissons (Gutierrez, 2020; Lema, 2020). Malgré l’évolution des programmes gouvernementaux en matière de réduction et de gestion des risques, certaines populations continuent de prioriser la protection et le maintien de leurs ressources économiques, même si cela va à l’encontre des procédures opérationnelles standard gouvernementales en ce qui concerne le sauvetage et l’évacuation en cas de catastrophe.
Taal et les illustrations de sa nature et de ses explosions
Comme le montre cet article, les représentations scientifiques et culturelles du volcan Taal témoignent de sa dualité géographique – un territoire pour les enquêtes géologiques et un panorama culturel de la vie agricole volcanique. À l’aide de chroniques d’archives et d’études scientifiques sur le volcan, nous avons examiné la géographie du Taal et de ses éruptions en tant que sujet d’une double documentation historique et scientifique. La lecture de plusieurs documents culturels, tels que le folklore et les légendes, montre que les idées culturelles locales participent des connaissances sur les paysages géologiques et les catastrophes. L’analyse de sources multiples, historiques, scientifiques et culturelles, permet d’apprécier et de comprendre le volcan et ses explosions sous plusieurs facettes : 1) les éruptions volcaniques sont des occasions d’effectuer des recherches scientifiques et éventuellement des explorations géologiques plus vastes des terrains philippins; 2) une étude du folklore dévoile l’alliance culturelle latente entre le monde physique et l’habitation humaine, comme le montre la façon dont les légendes et les mythes ont été façonnés par les divers processus environnementaux; et 3) l’étude des risques naturels et de leur impact sur les communautés humaines complète les études sur l’histoire locale et l’histoire environnementale des Philippines, en plus d’offrir une méthode pour analyser les territoires géographiques ainsi que les catastrophes en tant que tournants historiques, ce qui permet de comprendre les évolutions et les transformations sociétales de manière plus large. Une étude parallèle menée sur d’autres volcans historiques et/ou actifs aux Philippines, par exemple le volcan Mayon dans la région de Bicol, pourrait être réalisée afin d’étayer l’approche de recherche utilisée dans le présent travail. De plus, une approche comparative des vignettes historiques et culturelles sur les volcans des Philippines, ou entre les volcans des Philippines et ceux de l’Asie du Sud-Est ou de la région du Pacifique, pourrait également être réalisée afin de mieux saisir l’importance historique et historiographique de la documentation sur les catastrophes. Il s’agirait, en somme, de chercher à mieux compréhension le rôle des changements environnementaux et de l’expérience des catastrophes dans l’histoire des communautés humaines.
Appendices
Notes
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[1]
Wernstendt et Spencer (1967) divisent Luzon en sept régions physiographiques en fonction de la structure, de la stratigraphie, de la géologie et du relief : (1) les hauts plateaux de Luzon Nord ou Cordillera Central, (2) la Sierra Madres et la Cordillera orientale, (3) la vallée de Cagayan, (4) les montagnes de Zambales, (5) la Plaine Centrale, (6) la zone volcanique du sud-ouest et (7) les péninsules du sud-est ou Bicol (p. 17). Le sud de Luzon présente, géographiquement, une variété de basses terres alluviales, de hautes terres volcaniques et de lacs (Wernstendt et Spencer, 1967, p. 393; Salita, 1974, p. 44-45 et p. 85). Cette région est une zone de transition entre la Plaine Centrale de Luzon et la région volcanique du sud-est (Wernstendt et Spencer, 1967, p. 392-393). La présence d’une multitude de variations géographiques du paysage est scientifiquement documentée. C’est dans le sud de Luzon que l’on observe la plus grande variété de régions topographiques. C’est dans ces régions que l’on trouve les lignes de faille et les volcans les plus actifs, les montagnes dormantes ou volcaniques, les régions lacustres et les vastes plaines arables.
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[2]
Le volcan Taal est souvent appelé Pulo (« île » en français), en référence à l’île volcanique principale au centre du lac Taal. Techniquement, le lac tout entier fait partie de la forme géo-historique du volcan. L’île principale est composée d’une chaîne dispersée de petits terrains volcaniques : le Binintiang Malaki (grande jambe/cône) au nord-est de l’île principale; le Binintiang Maliit (petite jambe/cône) au sud-ouest, Calauit (péninsule en forme de crochet au nord-ouest), le Pira-piraso (îles dispersées), et diverses formes de relief plus petites (Punongbayan et Ong, 1998, p. 103-104; Wernstendt et Spencer, 1967, p. 395; Global Vulcanism Program, 2020). L’ancien cratère du Taal s’étend au nord du cratère actuel, le long des crêtes de Tagaytay dans la province de Cavite, jusqu’à la ville méridionale de la province de Batangas où se trouvent la rivière Pansipit et la baie de Balayan (Wernstendt et Spencer, 1967, p. 395). La rivière Pansipit est l’un des lacs Taal dans le coin sud-ouest (p. 397).
Bibliographie
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