Présentation

Les épidémies, la mort et les morts. Effets des réponses aux crises épidémiques sur les pratiques funéraires et les expériences des familles, des proches ou des soignantsEpidemics, Death and the Dead. Effects of Responses to Epidemic Crises on Funeral Practices and the Experiences of Families, Relatives and CaregiversEpidemias, muerte y muertos. Efectos de las respuestas a las crisis epidémicas en las prácticas funerarias y las experiencias de las familias, los familiares y los cuidadores[Record]

  • Marc Egrot,
  • Francis Akindès and
  • Firmin Kra

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  • Marc Egrot
    Anthropologue et médecin, chargé de recherche au Laboratoire Population, Environnement, Développement (LPED) de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et de Aix-Marseille Université (AMU), France
    marc.egrot@ird.fr

  • Francis Akindès
    Professeur en sociologie politique, Université Alassane Ouattara (UAO), Côte d’Ivoire et directeur des programmes de la Chaire Unesco de Bioéthique (UAO, Bouaké), Côte d’Ivoire
    fakindes@uao.edu.ci

  • Firmin Kra
    Docteur en socioanthropologie, Département d’Anthropologie et de Sociologie, Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire et Chaire Unesco de Bioéthique (UAO, Bouaké)
    firmin.kra@ird.fr

L’objectif de ce numéro est de lire, éclairer et analyser quelques-uns des liens entre épidémies et mort. Il ambitionne notamment de mieux comprendre les relations qui se construisent en période épidémique entre les vivants d’une part, et les proches en fin de vie ou décédés d’autre part. Comment, dans de telles situations de crise, les individus, les familles, les populations, adaptent-ils leurs pratiques d’accompagnement et de soins des morts; comment les autorités sanitaires et les acteurs institutionnels ou professionnels gèrent-ils cette articulation entre exigences biosécuritaires et impératifs funéraires. Évènements majeurs dans l’histoire de l’humanité, les épidémies – dont la COVID-19 n’est que l’avatar le plus récent – induisent de multiples transformations des relations entre les vivants et leurs morts, et – par extension – avec la mort de manière globale. Bien des pays dits « riches », dans lesquels les États et les populations imaginaient que de tels évènements étaient enfouis dans les méandres de leur passé ou réservés à d’autres aires géographiques, viennent de vivre douloureusement – le plus souvent dans le silence du moment – ce que mourir en temps d’épidémie signifie. Plusieurs régions, notamment dans les Nords, ont été confrontées à des contextes de mort de masse. Des images insoutenables ont fait le tour du monde dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par exemple en Lombardie (figure 1) au nord de l’Italie (Alfieri et al., 2022, 2020; Sams et al., 2021). De nombreux pays qui n’avaient plus connu de tels évènements depuis bien longtemps viennent d’être confrontés à des récits de décès dans des conditions qui leur semblaient jusqu’alors inenvisageables, impossibles sous leurs latitudes, d’un autre âge. Beaucoup parmi les familles, les soignants ou encore les bénévoles d’associations ont été projetés, sans préparation, au coeur de la gestion de situations de mort à distance, de mort sans contact, de mort sans les proches, de mort sans rituel, de mort dans la solitude. Les travaux produits depuis le début de la pandémie sur ce thème montrent la mobilisation des sciences sociales sur l’une des questions les plus polémiques de cette période pandémique. Ils dépeignent avec force la sidération des individus, des familles, des populations et des institutions de soins (par exemple : Gaglio et al., 2022 ou Hazif-Thomas et Seguin, 2022). Ils documentent également l’impréparation des États face à la violence de l’évènement dans le champ du funéraire (par exemple : Alfieri et al., 2022, 2020 ou Moulin, 2022 dans ce numéro) et ce, malgré les appels répétés de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plusieurs années à mieux se préparer aux éventuelles épidémies, notamment au travers du concept disease X (Sams et al., 2022). Or cette gestion improvisée des épidémies aboutit en général à une exacerbation de la situation de crise (Bolat et Bourmaud, 2021; Borraz et Bergeron, 2020). Paradoxalement, de tels bouleversements ne sont pas entièrement nouveaux. Il importera donc de lire et d’analyser les liens entre pandémies et mort à la lumière de ce qui s’est passé antérieurement ou ailleurs pour d’autres maladies infectieuses, ou en lien avec les canicules, les terrorismes, les guerres et conflits, les catastrophes naturelles, etc. Il est impératif de mieux comprendre les effets des pandémies sur les pratiques funéraires et mortuaires sous contrainte biosécuritaire; les expériences pour les familles et les proches de ces morts avec des rites funéraires absents, altérés ou transformés; la construction du deuil qui s’ensuivra, les perceptions; ou encore les pratiques professionnelles des soignants et des accompagnants de la fin de vie. Il est tout aussi indispensable d’étudier les manières de raconter les morts brutales et les représentations …

Appendices