Tout semble séparer l’humour et la mort. Comment peut-on rire d’un événement aussi sérieux, aussi tragique que la disparition de soi ou d’un être cher? Comment peut-on trouver dans une maladie, un crime, une guerre, un massacre, bref dans toute situation affligeante et horrifiante de la réalité, matière à plaisanter? Les modalités complexes du deuil et de l’accompagnement des personnes en fin de vie, les affects de la tristesse et du chagrin suggèrent qu’un décès s’accompagne d’émotions fortes qui ne laissent que peu de place à la légèreté ou à la plaisanterie. Doit-on pour autant s’abstenir de rire, de sourire et de faire de l’ironie en présence de la mort et de ses aspects solennels? Dans un contexte de soins palliatifs, un clin d’oeil complice, des commentaires drôles formulés avec doigté ne pourraient-ils pas plutôt nourrir un contact plus vivant avec la personne en fin de vie et ses proches? Quelles sont les limites à ne pas dépasser (Kuiper et al., 2004)? Y a-t-il des sujets sur lesquels il faille se garder de faire des blagues ou bien l’humour, surtout dans ses formes les plus acides, les plus désespérées, n’offre-t-il pas un moyen de reprendre un peu la maîtrise d’un destin qui paraît subitement nous échapper? Le court-métrage Pourquoi moi? (1980), coréalisé par Derek Lamb et Janet Perlman pour l’Office national du film, peut ici servir d’entrée en matière. Ce film illustre, sous forme d’animation humoristique, la gamme d’émotions qui s’empare de l’individu lorsqu’il est confronté à une situation dévastatrice. On y voit un homme, M. Dupont (Mr. Spoon dans la version originale anglaise), rendre visite à son médecin pour un examen de routine. Ce dernier lui annonce alors une terrible nouvelle : il ne lui reste plus que cinq minutes à vivre. Choc, déni, colère, marchandage, tristesse, puis résignation, acceptation, reconstruction – toutes les étapes du deuil y passent. L’approche humoristique n’a ni pour effet de ridiculiser les réactions du patient, ni de banaliser la perspective de la mort imminente. Elle vient plutôt neutraliser le trauma et humaniser l’épreuve qui vient de s’imposer à M. Dupont, installant en lui une ouverture et un consentement, une réconciliation avec un sort cruel. Dès lors, le « rire » semble rejoindre la finalité du « philosopher » chez Montaigne : l’enjeu, ici aussi, « c’est apprendre à mourir » (1580, chap. 19). La séparation entre l’humour et la mort est peut-être moins tranchée qu’on le croit. En effet, plutôt que de les opposer comme on oppose la gaieté et l’affliction, on gagnerait assurément à observer ce qui rapproche ces deux notions. Pour ce faire, il faut aller au-delà du sens que les dictionnaires confèrent généralement au mot humour. Selon Le Petit Robert de la langue française par exemple, celui-ci désigne une « forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites ». Or, si le caractère « insolite » de la mort se conçoit aisément – pensons à la série de docufiction 1000 Ways to Die diffusée sur le réseau américain Spike de 2008 à 2012 et dont le propos consistait à recréer des incidents survenus dans la vie réelle et présentant, malgré leur issue tragique, un aspect divertissant – le côté « plaisant » se laisse, pour sa part, plus difficilement appréhender. On pourrait lui préférer l’idée d’une « sérénité » ou d’une « posture » à retrouver, car c’est bien de cela qu’il s’agit au fond : l’humour vient redonner calme et contenance quand la mort – surtout « en seconde et en première personne » pour reprendre la distinction …
Appendices
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