Lorsque j’aborde des sujets politiquement sensibles en classe, dois-je montrer chaque côté du débat ? Est-ce que j’ai le droit de divulguer mon propre point de vue à mes élèves ? Est-il légitime pour un.e enseignant.e ou pour une école d’encourager ses élèves, directement ou indirectement, à appuyer une cause politique ? L’impartialité enseignante est aussi controversée chez les enseignant.e.s qu’elle est mal comprise. Cet article vise à dissiper le brouillard entourant la question en présentant quelques éléments saillants tirés des recherches récentes sur l’impartialité et un aperçu du cadre réglementaire et juridique de l’impartialité enseignante. Pour les enseignant.e.s, les résultats des recherches sur l’impartialité sont d’intérêt, car ils permettent de mieux cerner le sens du devoir d’impartialité en enseignement dans toute sa complexité. La perspective réglementaire sur l’impartialité, pour sa part, sert à aider les enseignant.e.s à saisir les attentes de la société et de la profession enseignante envers eux en ce qui concerne la nécessité de faire preuve d’impartialité lorsqu’ils et elles abordent des thèmes sensibles à l’école. Comme nous le verrons, on ne s’attend ni à ce qu’on soit parfaitement objectif ni à ce qu’on s’abstienne systématiquement de partager son opinion avec ses élèves. Ce qui est demandé principalement, c’est d’éviter d’abuser de sa position d’autorité en faisant la promotion de ses points de vue personnels auprès de ses élèves. Même si la neutralité et l’impartialité sont souvent considérées comme synonymes, suivant Kelly (1986), il est fort utile de les distinguer. La neutralité fait référence à la prise de position d’un.e enseignant.e devant les élèves. Lorsqu’un.e enseignant.e fait preuve de neutralité, il ou elle s’abstient de divulguer son point de vue aux élèves lors du traitement d’un thème sensible en classe. L’impartialité, par contre, fait référence à l’approche pédagogique adoptée par un.e enseignant.e. Lorsqu’un.e enseignant.e fait preuve d’impartialité, il ou elle traite le thème sensible à l’étude de manière équilibrée et non biaisée en montrant aux élèves plusieurs côtés de la question et en demeurant ouvert.e et tolérant.e à l’égard des différentes perspectives. La neutralité et l’impartialité enseignante soulèvent des questions d’ordre éthique très différentes (Hess et McAvoy, 2015). Axée principalement sur le rapport aux élèves, la neutralité soulève la question de savoir à quel point divulguer son point de vue risque d’influencer indument les opinions et les affirmations des élèves. Vont-ils et elles chercher à émuler l’enseignant.e, que ce soit par désir d’approbation ou par peur de représailles, au lieu d’apprendre à penser pour eux-mêmes ? Vont-ils et elles ajuster leur comportement s’ils et elles connaissent le point de vue de l’enseignant.e ? Axée principalement sur le rapport aux savoirs, l’impartialité soulève des questions telles que : « à quel point mon traitement pédagogique d’un thème est-il réellement représentatif du débat public ? » et « ai-je une obligation de faire preuve d’impartialité lorsque j’aborde ce sujet en particulier ou est-ce que j’ai l’obligation de promouvoir un point de vue particulier ? ». Plusieurs enseignant.e.s se posent cette dernière question face aux thèmes sensibles comme l’homosexualité, certaines pratiques ou croyances racistes ou sexistes, et les changements climatiques. Certes, ce sont des thèmes sensibles pour certain.e.s. Cependant, considérant le mandat des enseignant.e.s de socialiser les élèves aux valeurs libérales et démocratiques (l’égalité homme-femme et d’autres droits fondamentaux) et de transmettre des connaissances fiables sur le monde, il s’avère plausible que les enseignant.e.s ont plutôt un devoir de partialité et d’engagement face à de tels thèmes, plutôt qu’un devoir d’impartialité et de neutralité (Agostinone-Wilson, 2005). Les recherches sur la perspective enseignante sur le traitement des thèmes sensibles à l’école montrent qu’une forte majorité d’enseignant.e.s préfèrent adopter une posture …
Appendices
Bibliographie
- Agostinone-Wilson, F. (2005). Fair and balanced to death: Confronting the cult of neutrality in the teacher education classroom. Journal for Critical Education Policy Studies, 3(1), 1-17.
- Association of American Educators. (2023). Code of ethics for educators.
- Gravel, S. et Lefebvre, S. (2012). Impartialité et neutralité autour du programme ÉCR. Dans M. Estivalèzes et S. Lefebvre (dir.), Le programme de l’Éthique et culture religieuse (p. 191-213). Québec : Presses de l’Université Laval.
- Hess, D. E. (2009). Controversy in the classroom: The democratic power of discussion. Routledge.
- Hess, D. E. (2004). Controversies about controversial issues in democratic education. PS: Political Science & Politics, 37(2), 257-261.
- Hess, D. E. et McAvoy, P. (2015). The political classroom: Evidence and ethics in democratic education. Routledge.
- Jeffrey, D. et Hirsch, S. (2020). Où en sont les débats sur le programme Éthique et culture religieuse ? Dans Le programme Éthique et culture religieuse. Impasses et avenir (pp. 9–34). Les Presses de l’Université Laval. https://doi.org/10.2307/j.ctv1h0p50n.4
- Journell, W. (2016). Teacher political disclosure as parrhēsia. Teachers College Record, 118(5), 1-36.
- Kelly, T. E. (1986). Discussing controversial issues: Four perspectives on the teacher’s role. Theory & Research in Social Education, 14(2), 113-138.
- Maxwell, B., McDonough, K. et Waddington, D. I. (2020). La liberté d’expression des enseignants en classe : quatre principes directeurs et leurs fondements juridiques. Revue des sciences de l’éducation, 46(3), 174-198. https://id.erudit.org/iderudit/1075992ar
- Maxwell, B. et Schwimmer, M. (2016). Seeking the elusive ethical base of teacher professionalism in Canadian codes of ethics. Teaching and Teacher Education, 59, 468-480.
- Mayer v. Monroe County, 474 F.3d 477 (7th Cir. 2007). https://www.naesp.org/sites/default/files/resources/1/Principal/2008/M-Jp8.pdf
- Ministère de l’Éducation. (s.d.). Programme Éthique et culture religieuse. Dans Programme de formation de l’école québécoise. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PFEQ_ethique-culture-religieuse-secondaire.pdf
- Misco, T. et Patterson, N. C. (2007). A study of pre-service teachers’ conceptualizations of academic freedom and controversial issues. Theory & Research in Social Education, 35(4), 520-550.
- Morin v. Regional Administration Unit #3 (PEI), 9 Province of Prince Edward Island in the Supreme Court – Appeal Division (2002). http://www.gov.pe.ca/courts/supreme/reasons/0856.pdf
- Nganga, L., Roberts, A., Kambutu, J. et James, J. (2020). Examining pre-service teachers’ preparedness and perceptions about teaching controversial issues in social studies. The Journal of Social Studies Research, 44(1), 77-90.
- Nova Scotia Teachers Union. (2011). Code of ethics.
- Oulton, C., Day, V., Dillon, J. et Grace, M. (2004). Controversial issues-teachers’ attitudes and practices in the context of citizenship education. Oxford review of education, 30(4), 489-507.
- Ozturk, D. et Kus, Z. (2019). Social studies teachers’ opinions and practices regarding teaching controversial issues. Australian Journal of Teacher Education (Online), 44(8), 15-37.
- Waddington, D., Maxwell, B., Maclean, T., McDonough, K. et Tavassoli, N. (2023). “How free are classroom teachers? Understanding teacher academic freedom in the United States and Canada.” Annual Meeting of the American Educational Research Association, 14 April 2023, Chicago, IL.
- Webster v. New Lenox School District, 917 F.2d 1004 (7th Cir. 1990). https://berkleycenter.georgetown.edu/cases/webster-v-new-lenox-school-district