Abstracts
Résumé
Les personnes immigrantes formées à l’étranger qui veulent poursuivre une carrière d’enseignement dans les programmes francophones au Manitoba rencontrent certains défis : obstacles administratifs, sentiment d’isolement, etc. La recherche-action menée auprès de 16 participants en formation initiale ou exerçant la profession avait pour but de mieux comprendre l’accueil et l’accompagnement reçus durant leur processus d’insertion socioprofessionnelle élargi, qui comprend la période de formation initiale et l’arrivée sur le marché du travail. Les résultats révèlent des expériences favorables (accueil chaleureux, disponibilité du personnel) et défavorables (choc culturel, pratiques d’embauche discriminatoires). Les recommandations visent à améliorer les pratiques pédagogiques, d’embauche et d’accompagnement tout en favorisant une meilleure compréhension de la thématique à l’étude par les acteurs du terrain.
Mots-clés :
- Insertion socioprofessionnelle,
- enseignants immigrants formés à l’étranger,
- minorités visibles,
- éducation francophone en contexte minoritaire,
- pénurie d’enseignants
Abstract
Immigrants integrating into Manitoba’s French-language school programs face certain challenges: administrative barriers, feelings of isolation. The action research with 16 participants, in initial teacher training and teaching positions, aimed at better understanding how they are received and supported during their extended socio-professional integration, which includes the initial training and entry into the work force. The thematic analysis of the semi-structured interviews reveals favourable experiences (warm welcome, availability of staff) and unfavourable experiences (culture shock, discriminatory hiring practices) experienced by the participants. Recommendations made aim to improve pedagogical, hiring and support practises and favour a better understanding of the actors in the field of the themes being examined.
Keywords:
- Socio-professional integration,
- internationally trained immigrant teachers,
- visible minorities,
- Francophone education in a minority context,
- teacher shortage
Article body
Mise en contexte
Les programmes[1] d’enseignement de langue française au Manitoba ont connu une croissance soutenue au fil des ans, tout comme ailleurs au Canada (ACPI, 2021 ; Comité permanent des langues officielles, 2018 ; Statistique Canada, 2021). La mise en oeuvre de la gestion scolaire selon les critères de l’article 23 (Droits à l’instruction dans la langue de la minorité) de la Charte canadienne des droits et des libertés au début des années 1990 a aussi contribué à une augmentation constante des inscriptions partout dans les communautés de langue française en contexte minoritaire (FNCSF, 2022 ; Power, 2011 ; Rocque, 2011). Landry, Allard et Deveau (2010) nous rappellent l’importance de cette gestion et du « rôle capital de l’école comme pierre angulaire institutionnelle d’un projet d’autonomie culturelle pour ces communautés [en contexte minoritaire] » (p. 20).
Au fil des ans, de nombreuses études ont identifié de multiples facteurs qui contribuent à soutenir la vitalité ethnolinguistique des communautés en contexte minoritaire (Breton, 1964 ; Giles, Bourhis et Taylor, 1977 ; Cummins, 1981; Bernard, 1990 ; Behiels, 2004 ; SFM, 2020). Parmi ces facteurs, nous comptons le nombre d’interlocuteurs qui parlent la langue ; le taux de natalité ; la présence de soutiens institutionnels, tels que les médias, les organismes culturels et sportifs, les services gouvernementaux, les écoles ; le statut socioéconomique et social de la langue de la minorité ; l’émigration et l’immigration.
Au Manitoba, soucieux de vouloir contribuer à la vitalité de la communauté franco-manitobaine, les organismes communautaires, les conseils scolaires, le ministère de l’Éducation, les regroupements professionnels d’enseignants, l’association des directions générales et la Faculté d’éducation de l’Université de Saint-Boniface collaborent étroitement afin d’atteindre la cible de 4,4 % d’immigrants d’expression française qui choisissent le Manitoba comme province d’accueil (Patrimoine canadien et Commissariat aux langues officielles, 2013 ; RIF, 2022). Cette collaboration contribue à soutenir l’épanouissement des communautés de langue française en contexte minoritaire tout en cherchant à pallier la pénurie d’enseignants qui sévit dans les programmes de langue française au Manitoba (gouvernement du Manitoba, 2022). Précisons qu’au Manitoba, le ministère de l’Éducation exige une évaluation de tous dossiers de personnes enseignantes formées à l’étranger. Après cette démarche, la province peut exiger d’autres études au niveau du baccalauréat (formation initiale).
C’est dans ce contexte que l’article propose une analyse de l’accueil, de l’accompagnement, de la formation et de l’insertion socioprofessionnelle (ISP) des personnes immigrantes formées à l’étranger (PIFE) qui cherchent à s’intégrer à la Faculté d’éducation et au milieu scolaire pour contribuer à l’épanouissement et à la vitalité de leur nouvelle communauté d’accueil. L’auteur souhaite apporter un éclairage complémentaire sur la problématique sachant que « La recherche sur l’insertion professionnelle des enseignants immigrants de minorité visible se situe à l’étape embryonnaire au Canada […] ce champ étant encore peu exploré par la communauté scientifique » (Jabouin et Duchesne, 2018, p. 63).
L’accueil, l’accompagnement et l’intégration socioprofessionnels réussis de ces futurs citoyens, en tant qu’employés de divisions scolaires et membres à part entière de leur nouvelle communauté dont chacun contribue à l’épanouissement et à la vitalité, constituent la principale préoccupation de ce projet de recherche-action.
Problématique
Comme mentionné précédemment, les autorités scolaires en milieu francophone au Canada ont de la difficulté à pourvoir les postes d’enseignement en raison de la pénurie de personnel enseignant (Caza, 2019 ; Cloutier, 2018). Un élément de solution passe par le recrutement à l’étranger. Cependant, ces futurs membres du personnel vivent « une transition de carrière parsemée d’obstacles » (Diédhiou, 2018, p. 52), notamment l’évaluation de leur dossier, l’adaptation ou l’abandon de certaines de leurs pratiques pédagogiques, la résolution de situations conflictuelles avec les parents à la suite d’une évaluation. Collin et Camaraire (2013) reconnaissent que les enjeux se situent aussi à l’intérieur des facultés d’éducation canadienne, responsables de la formation initiale des PIFE. Ils affirment que ces personnes se présentent en classe en étant quelque sorte désavantagées, car elles « ont des représentations moins nombreuses, précises et ancrées que leurs pairs […] sur la manière de faire la classe […] (par exemple : le rôle de l’enseignant [et] des élèves, les types d’activités et de relations pédagogiques privilégiées, etc.) » (p. 50).
Dès la fin des années 1990, le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC, 2014) reconnaissait déjà « les obstacles entravant l’obtention de l’agrément et l’intégration dans le marché du travail des enseignantes et enseignants formés à l’étranger » (p. 3). En étudiant davantage la question, quatre composantes clés d’une intégration réussie pour les PIFE se sont révélées : s’assurer de leur fournir plus d’information sur les systèmes d’éducation au Canada avant leur arrivée ; prévoir un appui durant leurs démarches pour recevoir l’autorisation d’enseigner au Canada ; offrir des séances d’orientation sur la profession enseignante à leur arrivée ; assurer une aide financière afin de les appuyer lorsqu’elles doivent répondre aux exigences de l’agrément, participer au perfectionnement professionnel et mettre sur pied des stratégies d’accueil dans la profession.
Plus récemment, Jabouin et Duchesne (2018) et Duchesne, Gravelle et Gagnon (2019) se sont penchés sur les stratégies d’ISP d’enseignants immigrants de minorité visible en contexte francophone minoritaire en Ontario. Les récits d’expérience d’ISP des PIFE révèlent que les situations qu’elles ont vécues rejoignent les principales conclusions de l’étude du CMEC (2014) et, qu’en plus, les PIFE subissent « une discrimination à l’embauche, un manque d’accueil et un rejet en milieu scolaire » (p. 70), illustrant ainsi la nécessité d’éduquer et de sensibiliser le milieu scolaire, qui doit mieux comprendre la réalité des PIFE, savoir les accueillir convenablement et accroitre considérablement la représentation de membres du personnel issus de la diversité. La nécessité de mettre en place « des dispositifs d’accompagnement et d’encadrement répondant aux besoins particuliers » (Duchesne et coll., 2019, p. 194) des PIFE ne doit pas être ignorée.
Cadre théorique
L’insertion sociale et professionnelle se définit comme le premier processus d’intégration dans un nouvel environnement ou emploi (Legendre, 2005). Selon Mukamurera (2014), l’insertion professionnelle est une période transitoire entre la fin de la formation initiale, moment du développement des connaissances et des compétences de base à l’université, et le début de la formation continue. C’est au cours de cette période pratique que la personne acquiert de l’expérience, approfondit ses connaissances et met ses compétences au service de son école et de sa profession. La dimension sociale occupe une place importante dans le processus d’intégration professionnelle. Les PIFE s’intègrent à l’intérieur d’une communauté au sens large qui, elle aussi, doit se soucier de les accueillir, de les accompagner et de les intégrer, épaulant ainsi l’école. Boulaamane et Bouchamma (2021) démontrent la place que doit occuper l’intégration comme processus multidirectionnel entre l’école, les familles immigrantes et la communauté. Cette collaboration devient « un impératif incontournable pour promouvoir un milieu scolaire s’adaptant à la diversité » (p. 1). C’est pourquoi, dans cet article, il est question de l’insertion socioprofessionnelle (ISP) des PIFE, membres d’une famille et d’une communauté, dès leur intégration au système éducatif manitobain (1re et 2e année de leur formation initiale) ainsi qu’en milieu de travail où les PIFE exercent leur profession depuis 5 ans ou moins. D’ailleurs, le même terme est employé par d’autres chercheurs qui ont aussi étudié la question (Morrissette et Audet, 2018 ; Niyubahwe, Mukamurera et Sirois, 2018).
Les PIFE, tout comme les enseignants débutants qui ont évolué en contexte scolaire canadien, passent par un processus d’ISP à durée variable, de 2 à 5 ans, selon le contexte et la personne (De Stercke, 2014). Jabouin et Duchesne (2018), en citant Martineau (2006), précisent que la durée du processus d’ISP des PIFE rejoint celle des enseignants débutants et s’étend sur « un maximum d’environ cinq ans pour qu’un nouvel enseignant puisse obtenir un emploi régulier » (p. 65). Selon Mukamurera et coll. (2013), ce processus comprend cinq dimensions complémentaires et interdépendantes. Il y a l’aspect économique ou l’intégration à l’emploi, l’affectation et les conditions de travail, la socialisation organisationnelle (l’adhésion à la culture organisationnelle du milieu de travail), la professionnalité (l’adaptation, le développement et la maîtrise des savoirs et des compétences du métier) et la dimension plutôt personnelle et psychologique de chaque enseignant débutant. Dans cet article, la notion de l’ISP est élargie pour comprendre la période de formation initiale, car 6 des 16 participants dans cette étude étaient inscrits à la formation initiale (programme de baccalauréat en éducation de deux ans) au moment de l’étude. Les dix autres étaient détenteurs d’un diplôme universitaire obtenu à l’étranger et neuf possédaient déjà une expérience en enseignement à leur arrivée au Canada. Tous, cependant, ont fréquenté l’Université de Saint-Boniface, répondant ainsi aux exigences du ministère de l’Éducation en vue de l’obtention d’un brevet d’enseignement (voir note 5). La trajectoire d’ISP comprend donc l’admission à la faculté d’éducation, la scolarisation et la formation pratique et elle se poursuit durant leurs premières années d’enseignement dans le nouveau milieu de travail dans leur province d’accueil.
Le dernier élément du cadre théorique porte sur certains facteurs favorables à l’ISP des PIFE déjà identifiés dans les études antérieures, dont l’accueil et l’ouverture des collègues et de l’équipe de direction, la présence d’une culture collaborative et d’entraide au sein de l’école et un appui structuré comme le mentorat (Niyubahwe et coll., 2018). « [L]’acceptation par la communauté scolaire et par les parents ainsi que le fait de travailler dans un milieu culturellement diversifié » (Deters, 2006, cité dans Niyubahwe et coll., 2018, p. 27) sont d’autres facteurs favorables. Les PIFE posent des gestes concrets leur permettant elles aussi de contribuer à leur ISP réussie, entre autres, approcher leurs collègues afin de travailler en équipe ; développer leurs compétences professionnelles en matière de gestion de classe et cultiver des relations positives avec leurs élèves (Jabouin et Duchesne, 2018).
Méthodologie
Le projet de recherche-action[2] a été réalisé au printemps 2020-2021. Il s’insère dans une démarche plus large qui regroupe des acteurs du terrain en éducation (membres du personnel de la faculté d’éducation, représentants d’associations professionnelles des enseignants et des directions d’école, contractuels du ministère de l’Éducation) qui se soucient de la pénurie du personnel enseignant. Chacun travaille à pallier cette réalité selon son rôle et ses responsabilités tout en poursuivant le dialogue et la collaboration. La définition adoptée dans le cadre de cette étude provient de Lavoie, Marquis et Laurin (2005). Ces auteurs décrivent la recherche-action comme étant participative, émergente et interprétative où les acteurs (chercheur, praticiens et personnes intéressées à la problématique) réfléchissent, contribuent au processus de décision et transforment les organisations et les pratiques à la recherche de solutions sur le terrain. L’étude est participative, car elle s’insère dans une réflexion et une collaboration générale à l’intérieur d’une problématique qui émerge du terrain et qui préoccupe les principaux acteurs (Lavoie, Marquis et Laurin, 2005 ; Lessard-Hébert, 1997) dans le monde de l’éducation au Manitoba : la pénurie du personnel enseignant. C’est alors que les conseils scolaires, le ministère de l’Éducation et des regroupements professionnels (enseignants, directions générales) se joignent à la Faculté d’éducation et plus précisément à l’équipe de recherche pour réaliser ce projet. L’étude demeure interprétative, car elle poursuit des buts « variés [qui] peuvent porter sur des aspects personnels, professionnels ou politiques en lien avec la problématique soulevée » (Loiselle et Harvey, 2007, p. 52). Les participants, les principaux acteurs du terrain et l’équipe de recherche interagissent, discutent, identifient des buts communs, élaborent un plan d’action, recueillent des données, les interprètent et adaptent leurs pratiques, tout en respectant leurs responsabilités et leurs rôles respectifs dans la démarche de la recherche-action (Guay et Prud’homme, 2011). Les détails de recrutement, de la collecte des données et de l’analyse des résultats suivent.
Recrutement
L’échantillonnage à participation volontaire a été utilisé pour recruter des PIFE. Dans un premier temps, c’est à partir d’une liste obtenue du bureau du registraire qu’une invitation a été envoyée par courriel aux étudiants de la Faculté d’éducation. Les personnes qui ont participé devaient répondre à l’un des critères suivants :
-
être inscrite à la Faculté d’éducation[3] de l’Université de Saint-Boniface en formation initiale (1re ou 2e année) ;
-
être diplômée de la Faculté d’éducation de l’Université de Saint-Boniface ou d’une autre université canadienne ;
-
être diplômée en éducation d’un établissement postsecondaire à l’étranger ;
-
être embauchée et exercer la profession d’enseignante dans une école d’un programme de langue française au Manitoba depuis 5 ans ou moins.
En second lieu, l’invitation a aussi été affichée dans un forum de discussion du site « Educators of Colour Network »[4] afin de joindre les PIFE répondant essentiellement aux critères 2, 3 et 4 ci-dessus mentionnés. Le profil de l’ensemble des PIFE (n=16) se résume ainsi : 6 étudiants inscrits en première année du baccalauréat en éducation ; 2 étudiants inscrits en deuxième année ; et 10 diplômés d’une faculté d’éducation à l’étranger, dont 9 exerçant la profession d’enseignement dans une école d’un programme de langue française au Manitoba depuis 5 ans ou moins. Précisons que deux personnes étaient diplômées du programme d’un postbaccalauréat en éducation, répondant ainsi aux exigences qu’impose le ministère de l’Éducation[5] aux PIFE.
Déroulement de la collecte de données
L’assistante de recherche[6] a procédé aux entretiens semi-dirigés auprès des PIFE portant sur leurs expériences d’ISP au Manitoba. Il y a eu quatre entretiens de groupes de deux à trois personnes d’une durée moyenne de 90 minutes et quatre entretiens individuels d’une durée moyenne de 45 minutes. Les entretiens ont eu lieu en fonction des préférences des PIFE (seul ou en groupe), de leur disponibilité ainsi que du calendrier de l’assistante. En raison de la pandémie de COVID-19, tous les entretiens ont eu lieu en ligne au moyen de la plateforme Zoom. Pour en faciliter l’analyse, les entretiens ont été enregistrés avec la permission des PIFE.
Analyse des données
Une approche d’analyse thématique de contenu[7] a été adoptée. Cette technique a permis de recueillir assez rapidement des éléments pour alimenter la réflexion de l’équipe de recherche en fonction de la thématique à l’étude. Il a aussi été possible de cerner des thèmes et des sous-thèmes en fonction des objectifs de l’étude (Paillé et Mucchielli, 2012). En écoutant les entretiens, la question générique qui a guidé l’analyse était la suivante : « Qu’y a-t-il de fondamental dans ce propos qui nous aide à mieux comprendre l’accueil et l’accompagnement reçus, la pertinence de la formation initiale et l’expérience vécue durant le processus d’ISP des PIFE en milieu scolaire francophone au Manitoba ? » Cette question, à l’intention descriptive plutôt qu’interprétative, a permis à l’équipe de repérer rapidement les principales contributions des PIFE.
Comme il y avait un nombre relativement petit d’entretiens, l’équipe de recherche a opté pour une analyse manuelle, sans l’aide de logiciel. En écoutant les entretiens, le chercheur et l’assistante, de façon indépendante, ont procédé à la réduction des données, dégageant ainsi différents thèmes émergents des entretiens en tenant toujours compte des principaux objectifs de l’étude. Une démarche de thématisation continue a été retenue, permettant de relever et de noter les thèmes au fur et à mesure, les organiser en regroupements et finalement, les hiérarchiser en fonction de thèmes récurrents, divergents, complémentaires, etc. (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette approche propose une méthode de travail d’analyse progressive qui permet au chercheur de créer des tableaux, des schémas et des arbres thématiques en fonction des thèmes qui émergent des entretiens. Une transcription complète de chaque entretien n’est donc pas obligatoire, évitant ainsi la création de tableaux d’analyse lourds de textes (verbatim) non pertinents à l’analyse. À la suite de discussions entre le chercheur et l’assistante, un accord interjuge a permis de retenir les thèmes et les sous-thèmes générés en lien avec les entretiens pour finalement les présenter dans cette prochaine partie de l’article.
Présentation des résultats
Voulant mettre en valeur l’expérience des PIFE durant leur trajectoire d’ISP élargie, la présentation des résultats se fera en deux temps selon les thèmes analysés : l’accueil et l’accompagnement durant la formation initiale, en milieu de travail et l’expérience globale des PIFE durant leur processus d’ISP sur le terrain. Les souhaits d’amélioration recueillis auprès des PIFE en matière d’accueil, d’accompagnement et de leur ISP en général seront aussi présentés. Précisons que dans le cadre de la recherche-action, l’ensemble des participants ont pu lire les résultats de l’étude et communiquer leur rétroaction au chercheur. Cette démarche constitue ainsi une mesure de validation des résultats grâce à la « vérification par les membres » (member checking) dont parle Richards (2015).
L’accueil et l’accompagnement
Pour décrire l’accueil et l’accompagnement réservés aux PIFE, les données ont été analysées et regroupées en fonction de différents moments vécus durant leur ISP : i) administration – durant le processus d’inscription et d’admission au programme de formation initiale à l’université ; ii) pédagogie – durant le temps passé en salle de classe ou pendant d’autres activités à la faculté d’éducation ; iii) stage – durant la période de formation pratique en milieu scolaire ; et iv) emploi – durant la période d’intégration au travail en milieu scolaire. Les données présentées dans le tableau 1 comprennent des extraits des entretiens, parfois légèrement reformulés, auprès des PIFE. Ces extraits sont regroupés sous deux rubriques selon que l’expérience vécue ait été jugée « favorable » ou « défavorable ». La présentation des données dans les deux tableaux se fait en fonction des expériences dites « favorables » et « défavorables » ; par conséquent, il y a un certain chevauchement dans la présentation un peu plus détaillée du tableau 2.
La formation initiale
Les données présentées dans le tableau 2 comprennent des résultats d’extraits synthétisés et parfois légèrement reformulés des entretiens à la suite de la formation initiale des PIFE. Ils sont regroupés sous deux rubriques selon que l’expérience ait été jugée « favorable » ou « défavorable ».
Souhaits d’amélioration et recommandations
Lors des entretiens, les PIFE ont formulé plusieurs souhaits afin d’améliorer leur expérience d’ISP. L’analyse des données nous a permis de les regrouper en quatre grands thèmes qui rejoignent le caractère multidimensionnel et complexe du processus d’ISP dont parle la recherche : 1) l’accompagnement et l’appui (la professionnalité de Mukamurera et coll., 2013) ; 2) le jumelage (le mentorat de Gagnon et Duchesne, 2018 et de Niyubahwe et coll., 2018) ; 3) la sensibilisation et l’inclusion (Gagnon et Duchesne, 2018 ; la socialisation organisationnelle de Mukamurera et coll., 2013) ; et 4) l’employabilité (l’économique de Mukamurera et coll., 2013). Le tableau 3 contient les données présentées de façon sommaire, synthétisées et parfois reformulées légèrement tout en respectant l’esprit du contenu selon les quatre thèmes. Il met en valeur les souhaits d’amélioration et les recommandations des PIFE.
Discussion
Au regard des résultats présentés, il est possible de constater que l’expérience des PIFE qui cherchent à intégrer le système de formation initiale ainsi que le système d’éducation francophone en contexte minoritaire demeure complexe, et les défis à relever, nombreux. En tant qu’étrangers issus d’un système d’éducation d’ailleurs avec des pratiques pédagogiques et d’évaluation qui leur sont propres, leur intégration aux groupes existants, que ce soit à l’intérieur de leurs cours universitaires, dans les écoles durant leur formation pratique ou parmi le personnel enseignant dans leur nouvel environnement de travail une fois embauchés, leur laisse une impression mitigée, et parfois même, elle se traduit en expérience plutôt négative. Ces constats rejoignent ceux d’études antérieures au Canada sur cette même thématique (CTF, 2006 ; Schmidt, 2010).
Dans l’étude actuelle, certaines PIFE parlent d’un accueil chaleureux parmi les collègues canadiens, soucieux d’une intégration réussie, tandis que d’autres se sentent isolées, peu intégrées et parfois, mal comprises. Ces expériences contradictoires illustrent la troisième dimension du processus d’ISP dont parlent Mukamurera et coll. (2013) : la socialisation organisationnelle. En d’autres termes, les interactions vécues entre les PIFE et les autres membres du personnel scolaire déjà bien intégrés dans l’organisation scolaire peuvent soit contribuer à un processus d’ISP réussi ou nuire. Certains témoignages illustrent le paradoxe que vivent les PIFE malgré une pénurie de main-d’oeuvre apparente, créant ainsi des défis sur le plan de l’intégration à l’emploi. Il y a des initiatives de recrutement du personnel enseignant à l’étranger, mais l’ISP des PIFE n’est pas toujours évidente : évaluation longue et ardue des dossiers en vue de l’obtention d’un brevet, embuches lorsque ces personnes postulent et que l’on exige des lettres de recommandation d’expérience canadienne, précarité d’emploi, acceptant d’année en année des contrats à terme et peu ou aucune aide financière destinée à pallier les coûts encourus à la suite du déménagement. Les difficultés à décrocher des postes rejoignent les résultats d’études antérieures (Jabouin et Duchesne, 2018 et Schmidt, 2010) et touchent à la première dimension de l’ISP de Mukamurera et coll. (2013) : l’intégration en emploi.
La disponibilité des membres du personnel à la Faculté d’éducation pour répondre aux questions et pour modeler les stratégies d’enseignement, tout comme la générosité des enseignants coopérants qui veulent soutenir les PIFE durant leur stage en partageant avec elles leurs ressources ont été appréciées. Ces éléments qui contribuent à la socialisation organisationnelle, à l’adaptation et au développement des nouveaux savoirs et des compétences de la profession, la quatrième dimension de Mukamurera et coll. (2013), la professionnalité, participent au processus d’ISP des PIFE. Un enseignement plus explicite, cependant, portant sur certaines stratégies de la gestion de classe, différente des pratiques utilisées ailleurs, viendrait appuyer certains besoins exprimés par les PIFE qui ont participé à l’étude. Mukamurera et coll. (2013) confirment que ces appuis concrets soutiendraient les PIFE, leur permettant de rejoindre la quatrième dimension de leur ISP, celle de la professionnalité ou de savoir « faire la classe » (p. 16).
La période de la pratique en milieu scolaire, qui permet aux PIFE de transférer leurs connaissances apprises et d’éprouver leurs compétences, se situe au coeur de leur ISP. Cette période qui leur permet de développer leurs compétences dans leur nouveau milieu est critique à l’ISP. Parfois, le terrain ne semble pas faire preuve de compréhension ni de patience à leur égard. Les expériences relevées parmi les participants de l’étude ont été variables et parfois contradictoires sur ce plan. Certains ont pu décrocher un poste assez rapidement après avoir répondu aux exigences du ministère de l’Éducation, tandis que d’autres, malgré leur persévérance, leur détermination, leurs domaines d’expertise et leur diplôme en main, n’ont pas trouvé de poste. D’autres ont dû accepter des postes après plusieurs tentatives et parfois en région éloignée.
Les témoignages recueillis font état d’obstacles systémiques qui persistent lorsque les PIFE cherchent à pourvoir les postes et à s’intégrer au milieu scolaire canadien en tant que professionnels. Ces réalités ont déjà été bien documentées par le passé. D’abord, un rapport de l’Ontario Alliance of Black School Educators en 2015, portant sur les enseignants immigrants de minorité visible, « révèle de possibles discriminations systémiques lors du processus d’embauche » (Jabouin et Duchesne, 2018, p. 64). Quelques années auparavant, Schmidt (2010), réalisant des entretiens auprès des principaux acteurs en éducation au Manitoba, dont une vingtaine de PIFE, chassait toute incertitude et mettait en évidence les pratiques discriminatoires systémiques qui servaient de barrières à l’intégration de ces membres du personnel enseignant, et ce, dès 2007. Les PIFE ont donc connu la deuxième dimension dont parlent Mukamurera et coll. (2013) qui aborde leur affectation et leurs conditions de travail qui nuisent à leur ISP réussie.
Malgré les défis des PIFE et des difficultés systémiques qui persistent, il y a des éléments qui contribuent à la réussite de l’intégration des PIFE en milieu scolaire francophone au Manitoba. Les participants de la présente étude en ont souligné qui rejoignent les « facteurs favorables à l’intégration en milieu scolaire » (p. 27) évoqués par Niyubahwe et coll. (2018), tels que la qualité de l’accueil qui leur est réservé, l’ouverture d’esprit de certains membres du personnel et de la direction d’école, la volonté de collaboration et d’entraide entre collègues et le souci d’un accompagnement structuré, tel un programme de mentorat (Deters, 2006; Jabouin, 2018 ; Morrissette et Demazière, 2018 ; Peeler et Jane, 2005, cités dans Niyubahwe et coll., 2018). Ces réalités relevées dans l’étude confirment la dimension personnelle et psychologique que vivent les PIFE durant leur processus d’ISP. Toutefois, la réussite de l’ISP des PIFE va bien au-delà de l’école. Il faut aussi « une acceptation par la communauté scolaire et par les parents ainsi que le fait de travailler dans un milieu culturellement diversifié » (Deters, 2006, cité dans Niyubahwe et coll., 2018, p. 27). Une PIFE de la présente étude l’a aussi confirmé lors de son stage dans une deuxième école, après un premier placement peu réussi. Elle s’est retrouvée dans un milieu qui lui a permis de s’épanouir. Elle était appuyée d’une enseignante mentore et elle a pu tisser des liens avec ses nouveaux collègues. Les relations avec ses élèves et leurs parents ont pu se développer dans un esprit de respect et de collaboration, contribuant ainsi à son mieux-être psychologique tout en rehaussant son niveau de confiance. Cette expérience illustre combien une initiative de mentorat et un climat de travail à l’intérieur d’une école qui soutient les pratiques professionnelles des PIFE, contribuent à la qualité de l’ISP (Gagnon et Duchesne, 2018). L’expérience humaine vécue par les PIFE durant leur ISP met en valeur les dimensions émotionnelles et affectives dont il est question dans les travaux de Mukamurera et coll. (2013), rejoignant ainsi la cinquième et dernière dimension de l’ISP.
Conclusion
L’article cherchait à mieux comprendre l’ISP, principalement l’accueil et l’accompagnement des PIFE voulant travailler en milieu scolaire francophone au Manitoba. Les entretiens semi-dirigés réalisés auprès des personnes participantes témoignent d’éléments favorables, tels que des activités d’accueil à la Faculté d’éducation qui créent un sentiment d’appartenance et font tomber les barrières ainsi qu’une générosité qui se fait sentir de la part des enseignants coopérants sur le terrain. L’envers de la médaille, cependant, présente aussi des obstacles personnels et systémiques qui persistent, notamment le sentiment d’être isolé et peu intégré dans la communauté élargie, ainsi que des expériences vécues lors des stages et du processus d’embauche qualifiées de xénophobes et de discriminatoires. Malgré les limites de l’étude, dont la petite taille de l’échantillon et la courte durée de la période de collecte de données, les résultats convergent vers des études (Jabouin et Duchesne, 2018 et Schmidt, 2010) et des rapports (CMEC, 2014) antérieurs qui ont déjà soulevé ces défis et ces obstacles à une intégration réussie. Les responsables et l’ensemble du personnel enseignant des institutions de formation, les autorités provinciales qui étudient les dossiers et émettent les brevets, le personnel qui gère les ressources humaines dans les bureaux des autorités scolaires, les enseignants et les membres des équipes de direction dans les écoles, sans oublier les membres des communautés en contexte francophone minoritaire pourront revoir leurs pratiques et leurs politiques en matière d’accueil, d’accompagnement, d’ISP et d’embauche de ces PIFE. Comme les leçons du passé semblent avancer au ralenti, malgré la richesse de la diversité bien évidente sur les bancs d’école, une plus grande représentation de la diversité devra se voir parmi les membres du personnel de nos écoles. Une étude plus approfondie de PIFE en sol manitobain en collaboration avec les écoles du milieu pourrait enrichir nos connaissances. Il est à espérer que les résultats obtenus dans le cadre de cette étude contribueront à la mise en oeuvre de nouvelles pratiques éclairées permettant ainsi de franchir les différents obstacles rencontrés au cours du processus d’ISP des PIFE.
Appendices
Notes
-
[1]
Au Manitoba, il y a deux programmes de langue française : 1) le programme français conçu pour les enfants de parents ayants droit selon les critères de l’article 23 « Droit à l’instruction dans la langue de la minorité [officielle] » de la Charte canadienne des droits et des libertés (Charte, 1982) et 2) le programme d’immersion française conçu pour les enfants qui veulent apprendre le français, mais dont les parents ne répondent pas aux critères de l’article 23 de la Charte (Manitoba, 2022).
-
[2]
Certificat d’éthique reçu (ETH 2021 26 avril) du Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface.
-
[3]
L’Université de Saint-Boniface offre un baccalauréat en éducation d’une durée de deux ans. Il faut avoir terminé un premier baccalauréat universitaire de 3 ou 4 ans avant d’y être admis.
- [4]
-
[5]
Toute personne qui désire enseigner au Manitoba doit être titulaire d’un brevet permanent d’enseignement professionnel (Manitoba, 2021). Depuis le 1er juillet 2016, « les personnes formées à l’étranger qui présentent une demande de brevet d’enseignement du Manitoba doivent d’abord faire une demande d’évaluation de leurs diplômes universitaires auprès de World Education Services » (Manitoba, 2021, paragr. 5). Après cette démarche, il arrive que la Province exige que les candidats obtiennent un certain nombre de crédits, un B. Éd. ou un diplôme post-baccalauréat en éducation (DPBE, temps partiel ; 30 crédits). Un brevet provisoire peut aussi être délivré (valable pour une période de trois ans), permettant au candidat d’enseigner tout en s’engageant à répondre aux exigences en matière d’études.
-
[6]
Étudiante de 4e année inscrite à l’École de travail social et immigrante appartenant à un groupe de minorité visible.
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[7]
L’analyse thématique vise deux fonctions principales : repérer des thèmes pertinents (en lien avec les objectifs à l’étude) et en tracer des parallèles, des oppositions ou des divergences et en noter la fréquence tout en créant un schéma (arbre thématique). C’est en raison du nombre limité de participants qu’il est possible d’en faire un panorama qui illustre comment les thèmes « se regroupent, [se] rejoignent, [se] contredisent, [se] complémentent […] » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 232).
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