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Contexte

La formation initiale des enseignant.e.s est encadrée. Plusieurs éléments en prescrivent le contenu, notamment un référentiel de compétences. Pour les personnes qui souhaitent intégrer la profession en détenant une autre formation universitaire, il est possible de réaliser une maitrise qualifiante. Certains encouragent même un simple DÉSS, ce qui inquiète sérieusement divers intervenants, avec raison : quel effet cette formation écourtée aura-t-elle sur le développement des compétences, mais aussi sur les personnes travaillant avec ces enseignant.e.s novices et devant les aider… Plusieurs chercheur.e.s se sont d’ailleurs prononcés en ce sens : la pénurie en médecine n’a pas eu pour conséquence de réduire les attentes à l’égard de la formation des futurs médecins (Ammar et al., 2023).

J’ai eu le privilège de diriger des écoles où j’ai dû recourir aux services de personnes non légalement qualifiées (NLQ). Elles ont généralement d’excellentes motivations, mais également besoin de plus de soutien pour réaliser les tâches qui incombent aux enseignant.e.s, comme la préparation de cours, les activités étudiantes et les rencontres avec les parents. La formation initiale et la maitrise qualifiante permettent, notamment en stage, d’actualiser les compétences en lien avec ces tâches. Cependant, les personnes qui ne possèdent ni l’un ni l’autre ont besoin d’être soutenues davantage. Or, leurs collègues, des personnes bienveillantes qui ont à coeur la formation, ont aussi une tâche déjà prenante. Bien que du mentorat soit mis en place pour les enseignant.e.s novices, les besoins sont encore très grands. À qui incombe cette tâche d’accompagnement, dans les faits ? Aux directions d’établissement d’enseignement (DÉ).

Dans le cadre de leur travail, les DÉ doivent mettre en oeuvre des pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) en ce sens. Bien que ce soit le centre de services scolaire qui embauche les personnes enseignantes, c’est aux DÉ, bien souvent, de trouver la perle rare et, dans toutes les occasions, de l’accueillir et de l’accompagner dans son intégration. Il leur revient ensuite de superviser son travail et de s’assurer de sa qualité. Lorsqu’une tâche est vacante, d’une manière ponctuelle très courte (retard à la surveillance d’élèves pour quelques minutes) ou encore d’une manière plus complexe (longue absence d’un enseignant, y compris la période de remise des bulletins aux parents), il revient toujours aux DÉ de voir à ce qu’il y ait le moins de conséquences sur les élèves et leurs apprentissages. C’est une tâche complexe, qui s’est alourdie avec le temps (Gravelle, 2015).

Quelques constats

Faisons quelques constats : le recrutement des DÉ n’est pas aisé, certaines entrent en poste parfois très tôt en carrière (Olivier, 2023), et souvent la GRH représente l’un de leurs grands défis (Pelletier, 2017). Pour dépasser ces constats, voyons comment elles pourraient mettre en oeuvre les meilleures pratiques visant à assurer l’agir compétent de tout leur personnel.

D’abord, bien que les DÉ doivent suivre une formation de 2e cycle, leur entrée rapide en fonction fait qu’elles n’ont souvent pas eu l’occasion de la commencer. Elles doivent donc entreprendre cette formation une fois en emploi, ce qui alourdit leur quotidien. Par ailleurs, si les programmes de formation offrent un ou des cours obligatoires en GRH, ceux-ci arrivent généralement à mi-parcours. À ce sujet, rappelons l’importance du cycle d’une saine gestion (Lauzon et Bégin, 2018). Les DÉ doivent agir pour s’assurer que les services dispensés dans leur école soient toujours d’excellente qualité. Il s’agit alors de viser la prévention, la cohérence entre les propos et les actions des DÉ puis avec la mission et le projet éducatifs. Ce processus débute en ciblant et en communiquant des attentes claires au personnel, individuellement ou collectivement, selon la nature de l’intervention à réaliser. Cette 1re étape implique la participation de l’employé.e en vue de maintenir un dialogue constructif, et de viser l’atteinte de défis réalistes, dont la compréhension est partagée. Elle est suivie d’une 2e étape d’observation directe de la prestation de travail au regard des attentes convenues, notamment en « marchant l’école » ou en consultant divers documents (préparations, notes, …). Tout au long du processus, le questionnement et l’écoute doivent être privilégiés (3e étape) : savoir le faire de manière pertinente permet une prise de décision subséquente plus adéquate. Enfin, le cycle se termine (4e étape) avec la rétroaction formulée de manière bienveillante, favorisant la confiance relationnelle (Poirel et al., 2020).

Ensuite, ce processus demande aux DÉ de mettre en oeuvre des habiletés appuyées sur une réflexion stratégique (Martel et Dulude, 2022). Une formation de qualité, portant notamment sur les compétences de communication et politiques, pourrait leur permettre de maintenir une meilleure santé mentale (Bonnelly et al., 2022), de favoriser de saines relations interpersonnelles, puis de voir au maintien de la qualité des services offerts. Ceci est vrai pour toutes les personnes qui travaillent et gravitent autour de l’école, y compris les membres de la communauté et le personnel NLQ. En ce sens, le fait d’user d’habiletés de communication comme l’écoute, le questionnement et la rétroaction (Cormier, 2018) et de se montrer habile dans leur usage du pouvoir permet aux DÉ d’atteindre les objectifs de réussite du projet éducatif. Pour mettre en oeuvre d’une manière authentique ce pouvoir, il leur faut incarner des intentions claires, connues et communes en vue de transformer celui-ci en influence (Lainey, 2017). Or, pour que les autres réalisent ce qu’elles souhaitent, encore faut-il que ceux-ci aient envie d’être influencés. Concrètement, dans leur relation avec les personnes NLQ, ces DÉ peuvent donc, dans un premier temps, s’assurer qu’elles savent ce qui est attendu d’elles, les questionner et écouter avec sincérité ce qu’elles ont à dire pour bien comprendre leurs besoins professionnels : c’est le moment de s’entendre sur des intentions communes relatives au travail attendu. Les personnes NLQ disposent de connaissances à géométrie très variable au regard de l’enseignement. La ou le DÉ n’est pas responsable de pallier les manques, mais doit voir à offrir des ressources (un mentor ou une conseillère pédagogique) permettant de les dépasser. Ensuite les DÉ doivent aller voir elles-mêmes comment cela se passe sur le terrain, puisqu’il arrive que certaines personnes, légalement qualifiées ou non, soient mal à l’aise de le dire quand cela ne va pas. Il n’y a alors rien comme prendre une marche dans son école pour constater les défis, mais aussi, il ne faut pas l’oublier, les victoires à souligner ! Dans tous les cas, une nouvelle rencontre doit avoir lieu pour offrir une rétroaction honnête et revenir aux attentes : si celles-ci sont atteintes, quelles seront les suivantes ? Dans le cas contraire, qu’est-ce qui a empêché l’amélioration ? Nous sommes donc dans une démarche qui pourrait s’apparenter à celle de l’évaluation d’un plan d’intervention.

Finalement, il y aurait aussi lieu de se demander ce que nous pourrions faire pour valoriser la profession de DÉ, ces personnes qui oeuvrent au quotidien, souvent dans l’ombre, pour s’assurer que tous, petits et grands, ont ce qu’il leur faut pour réussir…