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Introduction

Dans la course à la recherche du capital symbolique (classement, prix, publications, citations) et économique (brevets d’invention), les établissements d’enseignement supérieur importent, de nos jours, les pratiques de gestion du système privé (Gordon et Fischer, 2011), parmi lesquelles la planification. Par cette dernière, il faut entendre la définition de ce qu’on veut faire (intentions) et la manière de procéder pour y arriver (les moyens) (Robbins et al., 2014). Par cette démarche, l’organisation conçoit son futur (Mintzberg et al., 1998). Cette projection (à court et à long terme) se présente comme une stratégie et se formalise par un plan (Mintzberg, 1987). Dans ce sens, elle apparait comme un ensemble de décisions qui orientent l’organisation vers une direction (Mintzberg et Quinn, 1996). Le plan qui en résulte, par les décisions qu’il exprime, détermine la réussite ou l’échec de l’organisation (Elbanna et al., 2020). Ainsi, cette pratique occupe une place centrale dans l’administration de l’enseignement supérieur parce qu’elle constitue non seulement une technique et un outil de gestion reconnus dans l’amélioration des résultats (Chance et Williams, 2009), mais aussi un moyen d’apprécier la planification en tant que stratégie, c’est-à-dire en tant que plan explicitant les moyens et les intentions mis sur pied par une organisation. Toutefois, la qualité de la planification dépend d’un ensemble de paramètres, dont la cohérence. Définie comme l’adéquation entre les moyens et les intentions (De Ketele et Gerard, 2007), la cohérence permet d’assurer la qualité de la conception d’une politique, notamment en garantissant son uniformité (Fullan et Quinn, 2018). De ce qui précède, il est possible de constater que les concepts de planification et de cohérence partagent les mêmes concepts opératoires (moyens et intentions). À la différence que dans la planification, ils expriment une structure alors que dans la cohérence, ils représentent une dynamique.

Dans cette foulée, il a été montré que dans l’action, la cohérence obéit à des logiques, car elle est une fabrique portée par les intentions des acteurs et permet, en même temps, de rendre compte du décalage observé dans la conception d’une stratégie ou d’un plan (Mbella Mbappé et al., 2021). Cependant, ces logiques de cohérence présentent, entre elles, des différences, voire des contradictions. Pour expliciter ces contradictions, cette étude part du postulat selon lequel toute théorie repose sur un fondement épistémologique. En tant que moyen d’étude des connaissances, l’épistémologie permet de comprendre la vision du monde qui les porte, de même que la façon de les appréhender et de les justifier. Elle permet d’évaluer la pertinence et la validité des connaissances, leur élaboration, en prenant en compte l’objectif visé (Avenier et Gavard-Perret, 2018).

S’il est possible de noter la présence de nombreux travaux de recherche sur la planification en éducation, il reste que très peu l’abordent selon une analyse purement épistémologique. En dehors de la recherche de Masengesho et al., (2009), il ne nous a pas été donné de trouver d’autres travaux allant dans ce sens, notamment sous le prisme de la cohérence. Se fondant sur cette lacune et sur l’argument selon lequel l’épistémologie a la capacité d’étudier les origines et les structures des concepts et des théories scientifiques (Van de Ven, 2007), cet article souhaite expliquer, à partir des théories de la connaissance, les divergences qui structurent ces différentes logiques de cohérence afin d’en proposer un modèle d’analyse. Il s’agira, à cet effet, de situer chaque logique de cohérence dans une théorie de la connaissance dans le but d’identifier les principes théoriques et pratiques qui les sous-tendent.

Cadre méthodologique et conceptuel

Cadre méthodologique

Pour expliquer les différences qui apparaissent entre les différentes logiques de cohérence, nous nous sommes appuyés sur trois catégories d’éléments : épistémologiques, théoriques et empiriques. Les premiers éléments reposent sur les hypothèses fondatrices des deux grands paradigmes scientifiques (positivisme et interprétativisme) qui ont été mobilisés dans le cadre de l’étude et situent chaque logique de cohérence par rapport à ce dernier. La seconde catégorie permet de déterminer la visée de chaque logique de cohérence et la troisième permet d’identifier les travaux de recherche porteurs de chaque logique de cohérence.

De manière pratique, il a été question d’analyser chaque logique de cohérence à partir des postulats de chaque paradigme épistémologique, en insistant essentiellement sur l’ontologie, l’épistèmè et le statut de la connaissance (Avenier et Gavard-Perret, 2018). Puis, à partir des théories qui sous-tendent chaque logique de cohérence, des travaux de recherche, choisis sur la base de leur actualité et de leur lien avec la question de la planification de l’enseignement supérieur, ont été utilisés pour illustrer les postulats épistémologiques et théoriques exposés. Toutefois, étant donné que nous n’avons pu trouver des travaux de recherche relatifs à la cohérence à logique post-rationaliste en lien avec la planification en enseignement supérieur, cette logique de cohérence a été analysée à partir des travaux fondateurs de la théorie post-rationaliste.

Pour construire la grille d’analyse sur laquelle s’appuie le modèle que propose l’étude, nous sommes partis des deux concepts opératoires de la planification : moyens et intentions ; la ressource, l’environnement, le changement et le mécanisme représentant les modalités du premier et le but étant la modalité du second. Puis, chaque théorie a été interrogée pour identifier les formes que prend chacune de ces variables. Une fois que les modalités de chacune de ces variables ont été déterminées, elles ont été soumises, par courriel, à deux spécialistes des théories des organisations pour une critique. Ces chercheurs ont été choisis sur la base de leur expertise et de leur expérience en matière de planification pour l’un et de théorie des organisations pour l’autre. Le premier a validé la grille à partir du critère de transférabilité alors que le second s’est appuyé sur le critère de fécondité. Seulement, le retour de ces deux experts présentait une forte divergence sur le plan des modalités de la variable « environnement », car le premier a privilégié une approche par le type d’incertitude (faible, modéré et fort) alors que le second a adopté une approche par l’objet de l’incertitude (substantif, stratégique et institutionnelle). Devant ce dilemme, nous avons recouru à un troisième spécialiste, plus expérimenté que les deux précédents. Ce dernier nous a proposé une grille qui combine les deux approches utilisées par les spécialistes précédents, tout en se prêtant parfaitement aux théories mobilisées. C’est sur la base de cet avis (intégratif) que le modèle présenté a été retenu.

Cadre conceptuel

Les logiques de cohérence et les théories de la connaissance

Il est généralement admis que toute théorie repose sur un fondement épistémologique. En tant que moyen d’étude des connaissances, l’épistémologie permet d’évaluer la pertinence et la validité des connaissances, leur élaboration, en prenant en compte l’objectif (Avenier et Gavard-Perret, 2018). Les théories de la connaissance ont plusieurs orientations (paradigmes). Pendant qu’Avenier et Gavard-Perret (2018) en présentent cinq (le réalisme scientifique, le réalisme critique, le constructivisme pragmatique, l’interprétativisme et le constructivisme), Girod et Séville (2003) en présentent deux (positivisme et interprétativisme).

Présentées comme des actions configurées autour d’un ensemble de moyens et orientées vers une intention (Mbella Mbappé et al., 2021), les logiques de cohérence constituent un concept permettant de comprendre comment les acteurs garantissent la conformité ou l’uniformité dans leurs actions (Mbella Mbappé et al., 2021). Ces auteurs en ont déduit sept en matière de planification, à savoir : les logiques de cohérence rationaliste, incrémentale, contingente, post-rationaliste, sensemaking-sensegiving, dépendance des ressources et discursive. Ces dernières ont révélé des différences, entre elles. Étant donné que l’épistémologie a la capacité d’élucider ce type de problème, les logiques de cohérence seront situées en fonction des épistémologies positiviste et interprétativiste (Girod et Séville, 2003) ; puis une grille d’analyse sera proposée afin de la tester empiriquement.

Logiques de cohérence reposant sur la philosophie positiviste

Animé par diverses tendances en son sein, le positivisme constitue, en matière d’étude des organisations, la théorie de la connaissance la plus convoquée (Girod-Séville et Perret, 2003). Sur le plan ontologique et épistémique, cette épistémologie postule que la réalité est unique et est soumise à des lois (Rasolofo-Distler et Zawadzki, 2013). Sur le plan méthodologique, le positivisme promeut une approche déductive (les lois s’obtiennent par des tests d’hypothèses) et l’objectivité (situation dans laquelle l’interaction entre le chercheur et l’objet ne modifie ni l’un ni l’autre) (Rasolofo-Distler et Zawadzki, 2013). La visée scientifique du paradigme positiviste est donc nomothétique, car elle consiste à établir des lois à partir des faits observables et mesurables rigoureusement. Toutefois, cette philosophie a connu, du fait de sa radicalité, des aménagements intégrés dans l’analyse des logiques de cohérence incrémentale et contingente.

En partant des postulats qui fondent le positivisme, il apparait que la cohérence à logique rationaliste peut être classée comme relevant de cette épistémologie. Sur le plan théorique, la planification a une cohérence à logique rationaliste lorsque la stratégie des acteurs repose sur un processus à partir duquel ils vont s’atteler à atteindre leurs objectifs. C’est une démarche séquencée faite d’activités pour aboutir à un choix optimal (Mbengue et Ouakouak, 2012). Sur le plan pratique, la cohérence à logique rationaliste implique l’élaboration d’un plan (Boateng et al., 2015), la disponibilité d’informations complètes nécessaires à la prise de décision (Altameem et al., 2014) et une vérification entre les objectifs définis et ceux effectivement atteints (Ololube, 2013). Ces différentes implications montrent que la cohérence à logique rationaliste repose sur la formalisation, l’exhaustivité et le contrôle stratégique (Mbengue et Ouakouak, 2012).

Sur le plan heuristique, plusieurs travaux sur la planification de l’enseignement supérieur vont dans le sens de cette logique de cohérence. On peut citer les recherches de Fonkeng et Ntembe (2009), et celles de Ngu et Teneng (2020). La première étude montre l’existence d’une relation significative entre l’enseignement supérieur et le marché de l’emploi. La seconde étude montre que la formation que reçoivent ces étudiants n’influence pas leur insertion professionnelle. Ces études sur la planification de l’enseignement supérieur relèvent de l’épistémologie positiviste parce qu’elles présentent des lois (relations, influence) entre des phénomènes, à partir d’une mise en relation entre des variables. Toutefois, l’universalisme et le formalisme qui caractérisent cette logique de cohérence seront critiqués. C’est principalement sur la base de ces éléments que les logiques de cohérence incrémentale et contingente vont se positionner comme des alternatives à cette logique de cohérence.

Limites de la cohérence à logique rationaliste et ouverture sur d’autres logiques de cohérence

La cohérence à logique incrémentale est la première logique de cohérence critique vis-à-vis de la cohérence à logique rationaliste. À partir du concept de rationalité limitée (Simon, 1955), cette logique de cohérence réfute l’aptitude de l’homme à avoir une parfaite maitrise de son contexte. C’est en raison de ces éléments qu’est apparue la notion de rationalité limitée (Simon, 1955).

Sur le plan pratique, on parle de cohérence à logique incrémentale lorsque l’objectif de l’agir du planificateur met l’accent sur des problèmes concrets plutôt que sur la poursuite d’idéaux parfaits (Atkinson, 2011). Vu les capacités limitées de l’homme, ils sont contraints d’effectuer des aménagements du plan, en vue de son actualisation (Mbella Mbappé et al., 2021). Dans un tel type de planification, la cohérence s’établit par des actions qui sont réalisées par des « petits pas curatifs chemin faisant ». Sur le plan heuristique, les études qui s’inspirent de la cohérence incrémentale abordent généralement la question du changement organisationnel (l’ensemble des modifications apportées au sein de l’organisation). L’étude de Blichfeldt et Smed (2020) montre que les solutions que les étudiants trouvent à leurs difficultés proviennent des critiques constructives et des commentaires que font les enseignants ; celle d’Arnaboldi et Azzone (2005) expose comment l’université de Beta est passée d’un budget global à un budget par type d’une part, et comment les bureaux régionaux ont cessé d’être les centres opérationnels de cette université au profit des départements, d’autre part.

La deuxième logique de cohérence critique vis-à-vis de la cohérence à logique rationaliste est de type contingent. Aussi basée sur la rationalité limitée, cette logique de cohérence part du postulat selon lequel une planification est mise en oeuvre non pas de manière uniforme et monolithique, mais en fonction des paramètres qui émergent de l’environnement (Mintzberg, 1990; Mintzberg, 1994). Cet environnement génère, le plus souvent, des contraintes qui conduisent les organisations à l’adoption de stratégies particulières, notamment en matière de structures organisationnelles (typologies d’organisation du travail). Dans ce cas, la quête de la cohérence se déploie par une stratégie d’adaptation des facteurs de contingences à la structure organisationnelle (Mintzberg, 1990 ; Donaldson, 2015). Selon cette logique de cohérence, la performance d’une organisation dépend donc de sa capacité à s’ajuster.

Sur le plan de la recherche, les études qui sont portées par la cohérence à logique contingente étudient généralement l’évolution des structures organisationnelles. Dans ce sens, l’étude de Kováts (2018) montre comment les structures organisationnelles des établissements d’enseignement supérieur hongrois ont migré d’un système centralisé vers un système décentralisé. Cette étude est porteuse d’une cohérence à logique contingente par le fait que les acteurs s’appuient sur les structures organisationnelles pour adapter l’organisation à l’environnement qui prévaut. En somme, bien qu’inscrites dans l’épistémologie positiviste parce qu’établissant des relations entre l’organisation et sa situation, les logiques de cohérence incrémentale et contingente se démarquent de la cohérence à logique rationaliste en introduisant une relativité dans la capacité du planificateur à atteindre l’optimum. En raison de cet aménagement, il est possible d’en déduire que les logiques de cohérence incrémentale et contingente obéissent à un positivisme réaliste parce que la réalité constitue une entité complexe et imparfaite (Riverin-Simard et al., 1997).

Logiques de cohérence reposant sur les paradigmes constructiviste et interprétativiste

Contrairement au paradigme positiviste qui postule une séparation entre le chercheur et l’objet, les épistémologies constructiviste et interprétativiste soutiennent que la connaissance est une construction qui émane de l’interaction de ces deux éléments (Nguyên-Duy et Luckerhoff, 2007). Alors que l’ontologie du constructivisme repose sur la perception des subjectivités et des expériences du sujet, celle de l’interprétativisme repose sur l’expérience vécue par le sujet. Partant de là, il apparaît que les logiques de cohérence sont moins des « choses » que des « constructions » (Mbella Mbappé et al., 2021), car elles sont façonnées par les intentions des acteurs. Étant donné la grande similarité qui existe entre ces deux paradigmes sur le plan épistémique, il a été décidé de regrouper ces deux épistémologies sous l’appellation d’« épistémologie interprétativiste ».

Au regard de ce qui précède, quatre logiques de cohérence peuvent être rangées dans le paradigme épistémologique interprétativiste. Il s’agit des cohérences à logique post-rationaliste, sensemaking-sensegiving, dépendance des ressources et discursive. Portée par la théorie de la post-rationalisation, la cohérence à logique post-rationaliste trouve ses fondements dans les travaux de Starbuck (1983). Pour ces derniers, l’action est antérieure à la décision, cette dernière n’apparaissant que pour légitimer un choix antérieur. En pratique, on parle de cohérence à logique post-rationaliste lorsque les planificateurs adoptent le processus comme stratégie de légitimation interne d’un choix déjà arrêté. Sur le plan empirique, l’étude de Brunsson (1982) va dans le sens des idées théoriques développées par cette logique de cohérence. Dans cette recherche, l’auteur montre que les magistrats recherchent la cohérence en adoptant comme stratégie le choix d’un ensemble de preuves (moyens) en vue de corroborer la sentence qu’ils avaient déjà arrêtée (intention).

La cohérence à logique sensemaking-sensegiving est la deuxième logique de cohérence inscrite dans le paradigme épistémologique interprétativiste. Les fondements de cette logique de cohérence ont été développés dans les travaux de Weick (1995). L’essentiel de ces travaux montre que la planification consiste construire un sens partagé des acteurs. Elle fonde son analyse sur les interprétations que les acteurs donnent à leurs actions (Laroche, 1995). D’un point de vue théorique, la cohérence à logique sensemaking-sensegiving voit la planification comme la construction d’un ensemble de représentations permettant d’interpréter le monde ainsi que les enjeux qui entourent l’action des acteurs (Weick, 1995). Selon cette perspective, les décisions représentent des artefacts sur lesquels les planificateurs s’appuient afin de progressivement créer de l’ordre (sensemaking) face à l’inconnu. Ce sentiment d’ordre se produit par le biais d’une reconstruction des différents éléments dont ils disposent (sensegiving), dans l’optique de légitimer les actions antérieures, présentes et futures. Une planification comporte une cohérence à logique sensemaking-sensegiving lorsque les représentations des acteurs permettent de construire cet ordre.

D’un point de vue pratique, on est en présence d’une cohérence à logique sensemaking-sensegiving lorsque l’action des planificateurs va dans le sens de réduire les dispersions dans les représentations des acteurs à travers la recherche d’un ensemble unifié, d’un fonctionnement en symbiose. À cet effet, ils peuvent se servir de plusieurs outils tels que des discours, des rapports, des informations, des réunions ou des dates butoirs. Dans ce sens, l’étude de Degn (2015) montre que le sens du rôle des top managers dans les établissements d’enseignement supérieur danois se construit par l’intégration des pratiques telles que la réédition des comptes, la stratégie, la transparence, en plus des traditions universitaires et des normes (sensemaking). La seconde étude montre que la rumination par laquelle passe un thésard pour l’obtention de son doctorat se construit autour en trois étapes : le traçage du parcours, sa traversée et l’arrivée. Ce qui est constant dans ces deux travaux est qu’on est en présence de la cohérence à logique sensemaking-sensegiving, car l’action des acteurs consiste à mobiliser les acteurs autour de représentations communes. Néanmoins, la préoccupation des planificateurs va au-delà des représentations des acteurs pour prendre en compte la recherche des ressources. Telle est la focale de la cohérence à logique dépendance des ressources.

La cohérence à logique dépendance des ressources est la troisième logique de cohérence pouvant être inscrite dans l’épistémologie interprétativiste. Elle trouve ses assises fondatrices dans les travaux de Pfeffer et Salancik (2003). Sur le plan théorique, cette logique de cohérence part du postulat selon lequel les organisations évoluent dans un environnement vis-à-vis duquel ils sont dépendants pour des besoins de ressources. Cette dépendance expose les organisations nécessiteuses au contrôle des organisations pourvoyeuses. L’interdépendance qui existe entre l’organisation nécessiteuse et son environnement s’établit non pas en matière d’incertitude, mais en matière « d’acquisition-utilisation des ressources externes » (Pfeffer et Salancik, 2003). Dans la pratique, planifier signifie chercher à coopérer avec des organisations pour un appui en ressources. Dans une telle planification, la cohérence est établie lorsque les planificateurs s’appuient sur des normes pour acquérir des ressources.

Sur le plan de la recherche, les études qui s’inscrivent dans la cohérence à logique dépendance des ressources sont, le plus souvent, focalisées sur l’interaction entre les revenus des organisations et leurs dépenses. L’étude de Fowles (2014), par exemple, montre que lorsque la structure des revenus des universités connait un quelconque changement, cela a une incidence sur les dépenses institutionnelles. De même, Kholmuminov et al. (2019) montrent qu’il y a une relation positive et significative entre le partage des revenus issus des droits de scolarité et le partage des dépenses effectuées dans le cadre de l’enseignement, car les ressources des universités dépendent des contributions des étudiants. Ces deux études montrent que les établissements d’enseignement supérieur sont fortement dépendants de leur environnement pour des besoins de ressources. La cohérence à logique dépendance ne prend pas en compte la dimension interpersonnelle, dimension exploitée par la cohérence à logique discursive.

La dernière logique de cohérence inscrite dans l’épistémologie interprétativiste est discursive. Déduite à partir de la théorie communicationnelle ou discursive, elle trouve son écho dans les travaux de Innes et Booher (2018). Sur le plan théorique, cette logique de cohérence émerge à partir de la présence de multiples interprétations et cherche à réduire l’ambiguïté dans le cadre d’une planification stratégique. La mise en oeuvre de cette logique de cohérence dans une action de planification est une opération hautement politique et complexe (Marzukhi, 2020), parce que les planificateurs sont confrontés à une diversité d’acteurs aux intérêts divergents. Cette logique de cohérence implique également la production d’une compréhension commune et de sens partagé. Dans cette perspective, elle s’établit par la participation et la collaboration. Sur le plan pratique, les planificateurs recherchent une cohérence à logique discursive par une mise en commun des avis des acteurs aux intérêts conflictuels. Leur stratégie consiste à tenter de convaincre tous les acteurs en désaccord pour parvenir à un consensus.

Sur le plan des travaux empiriques, on peut faire allusion à l’étude de Norhafezah et al. (2018), qui révèle trois stratégies à mettre sur pied pour épouser le contexte multiculturel des établissements d’enseignement supérieur malaysiens : (1) la révision de la mission institutionnelle sur les pratiques inclusives ; (b) le changement de l’état d’esprit des universitaires et (3) l’adoption d’une approche graduelle dans l’introduction d’un changement relatif à la diversité des étudiants. De ce qui précède, il est possible de déduire que les travaux empiriques relatifs aux quatre logiques de cohérence qui viennent d’être présentées s’inscrivent dans l’épistémologie interprétativiste, du fait que les connaissances qui en découlent sont des constructions issues de l’interaction entre les chercheurs et l’objet.

Résultats

Au regard des éléments pris en compte par chaque logique de cohérence, des divergences en ressortent. À titre d’exemple, alors que les logiques cohérence rationaliste, incrémentale et contingente se situent dans l’épistémologie positiviste et analysent l’environnement du point de vue de sa prévisibilité et de la complexité sa connaissance, les cohérences à logique post-rationaliste sensemaking-sensegiving, dépendance des ressources et discursive se situent dans l’épistémologie interprétativiste et abordent l’environnement du point de vue l’ambiguïté et de la complexité de son ontologie. Ces différences sont résumées par la figure 1 :

Figure 1

Représentation visuelle des différences entre les logiques de cohérence

Représentation visuelle des différences entre les logiques de cohérence
Source : Une adaptation de Kamuzinzi et al. (2009) et Masengesho et al., (2009)

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Lors d’un problème de décalage entre les politiques et la réalité, toutes ces logiques de cohérence deviennent des thèses potentielles susceptibles de rendre compte cette situation (Mbella Mbappé et al., 2021). Partant de là, l’objectif à atteindre est d’identifier la logique de cohérence dominante parmi les sept qui ont été proposées. Pour ce faire, il s’avère indispensable de déterminer les conditions de prédominance de chaque logique de cohérence. Ces conditions ont été construites à partir de cinq variables grâce auxquelles il devenait possible de mettre en relief la structure de chaque logique de cohérence. Contrairement aux travaux de Kamuzinzi et al. (2009) et Masengesho et al. (2009) qui ont opté pour des variables de type communicationnel, la présente étude fait le choix de variable de type stratégique. Il s’agit du but, de la ressource, de l’environnement, du changement et du mécanisme.

En prenant appui sur ce développement théorique, huit propositions ont été construites, dont une générale (PG) et sept spécifiques (PS). Elles sont énoncées de la manière suivante :

PG : la logique de cohérence prédominante dans une action concrète de planification est fonction (1) du but visé, (2) de la ressource mobilisée, (3) de la nature de l’environnement, (4) du type de changement souhaité, (5) du mécanisme mis en oeuvre. Par opérationnalisation, cette proposition a donné lieu à sept propositions spécifiques :

PS1 : La cohérence à logique rationaliste est la visée prédominante si le but de l’action de planification est de préparer les actions à exécuter. Dans une telle perspective, les ressources du plan sont les processus. L’environnement se caractérise par une incertitude de type épistémico-substantif. Le changement souhaité est hiérarchique et rationnel. Quant au mécanisme, cette logique de cohérence fait appel à la coordination administrative.

PS2 : La cohérence à logique incrémentale est la logique de cohérence prééminente si le but de la planification est de s’ajuster aux aléas de l’action. Suivant cette logique, les planificateurs font appel à l’environnement comme ressource. Elle a lieu dans un environnement marqué par une incertitude de type ontologico-stratégique. Le changement voulu par les gestionnaires est de type stratégique. Pour y parvenir, ces derniers font appel à la coordination administrative.

PS3 : La cohérence à logique contingente est la logique de cohérence prédominante si le but de la planification est de s’ajuster aux paramètres de l’environnement. Dans une telle éventualité, l’environnement est la ressource utilisée par les planificateurs. L’organisation évolue dans un environnement marqué par une incertitude de type ontologico-substantiel. Le changement ici comporte une perspective structurelle. Comme mécanisme, on fait intervenir le contrôle.

PS4 : La cohérence à logique post-rationaliste est la logique de cohérence prédominante si le but de la planification est de légitimer a posteriori une action. Dans une telle éventualité, les planificateurs utilisent les processus comme ressource. L’organisation évolue dans un environnement marqué par une incertitude de type ambiguïté substantielle. La nature du changement est de type psychologique, et le mécanisme mis en oeuvre est la coordination par l’intégration interne.

PS5 : La cohérence à logique sensemaking-sensegiving est la logique de cohérence prédominante si le but de la planification est de produire du sens partagé pour les parties prenantes. Dans une telle éventualité, les ressources des planificateurs reposent sur le sens. L’environnement est caractérisé par une ambiguïté stratégique. Le changement souhaité est de type organisationnel. Le mécanisme mis en oeuvre dans ce cadre est la cohésion-union.

PS6 : La cohérence à logique resource dependance est la logique de cohérence prédominante si le but de la planification est de mobiliser un soutien externe. Dans une telle perspective, les ressources utilisées par les planificateurs sont les normes. L’environnement est caractérisé par une incertitude de type ontologico-institutionnel. Le changement qui survient est de type institutionnel. À ce niveau, le mécanisme qui doit intervenir est la coopération formelle.

PS7 : La cohérence à logique discursive est la logique de cohérence prédominante si le but de l’action de planification est de trouver un consensus entre les différentes parties prenantes. Dans une telle perspective, les ressources du plan sont de type organisationnel. L’environnement est caractérisé par une ambiguïté institutionnelle. Le changement qui est effectué est de nature politique. Dans ce cas, le mécanisme mis en oeuvre est la cohésion-adhésion.

Les cinq variables choisies pour déterminer les conditions de prédominance de chaque logique de cohérence prennent des modalités différentes en fonction de la logique de cohérence. Les indicateurs de ces modalités sont résumés par le tableau 1 suivant :

Tableau 1

Modalités des variables

Modalités des variables
Source : Mbella Mbappé et al., 2021

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Pour le recueil d’informations et dans l’optique de tester ces propositions, nous avons conçu un autre tableau explicitant les indicateurs de chaque modalité en fonction de chaque logique de cohérence. Ce tableau constitue en réalité la grille explicitant les éléments à rechercher. Dans le tableau suivant (tableau 2), nous présenterons les indicateurs de chaque modalité à partir de laquelle il devient possible de retrouver de manière concrète chaque logique de cohérence dans un discours.

Tableau 2

Indicateurs des modalités

Indicateurs des modalités
Source: Mbella Mbappé et al., 2021

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Les tableaux 1 et 2 précédents présentent la structure de chaque logique de cohérence en explicitant les composantes. Ces configurations auxquelles nous sommes parvenus à travers ces propositions montrent que ce n’est pas un seul élément qui détermine la logique de cohérence dominante, mais la configuration d’ensemble. La cohérence s’établit par l’uniformité d’ensemble de la structure de chaque logique de cohérence. En cas de présence de difformité, la planification donne lieu à des décalages dans la pratique (Mbella Mbappé et al., 2021).

Conclusion

En organisant les paradigmes épistémologiques en deux grandes catégories, à savoir le positivisme et l’interprétativisme, il est apparu que les cohérences à logique rationaliste, incrémentale et contingente peuvent être classées dans le premier paradigme, alors que les cohérences à logiques post-rationaliste, sensemaking-sensegiving, dépendance de ressources et discursive peuvent être rangées dans le second. En matière de contribution, si la visée, la communication et l’enseignement primaire constituent respectivement l’objet, la perspective et le terrain de recherche de l’étude de Masengesho et al. (2009), la présente recherche se situe sur le plan des logiques de cohérence, de la stratégie et de l’enseignement supérieur. Comme avenue de recherche, il est possible de les analyser à partir du cadre des logiques d’action, compte tenu de la multipolarité des logiques de cohérence qui construisent des ponts entre paradigmes, écoles et théories fort différents.