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Introduction

Dans la communauté scolaire, le HPI semble constituer un sujet incontournable dont les enseignants sont les premiers intervenants. Ce HPI est invoqué majoritairement dans leurs débats pour expliquer les bons résultats des enfants. Or, ce n’est pas toujours le cas puisque de nombreux jeunes à HPI se trouvent fréquemment en difficulté, voire en échec scolaire (Fontaine, 2019). Les stéréotypes que les enseignants entretiennent sur ces enfants pourraient influencer les comportements à leur égard, ce qui a un impact sur leur réussite scolaire (Lugeon, 2019). En d’autres termes, ces enfants à HPI interrogent le système éducatif quant à sa capacité à les intégrer adéquatement parce qu’ils ont un fonctionnement cérébral spécifique avec de hautes capacités de traitement d’information à son service (Vaivre-Douret, 2004). Les enseignants en tant que responsables de l’accompagnement scolaire de ces enfants sont impliqués à travers toute une série de stéréotypes par rapport à l’école inclusive qui « se dote de ressources et de services (dotation) et les rend accessibles (accessibilité) en fonction des besoins des apprenants ; elle adapte ses services, ses pratiques et son curriculum (adaptabilité), notamment à partir de contenus significatifs et pertinents culturellement et socialement aujourd’hui (acceptabilité) » (Potvin, 2014, p.197). Le défi est donc de permettre aux enfants à HPI de réussir leur scolarité et leur vie sociale (Rouaud, 2020).

Problématique

Devant un intérêt universel envers l’épanouissement et la réussite scolaire des enfants à HPI, de nombreux pays mettent en place des programmes d’accompagnement de ces enfants en adoptant essentiellement la différenciation pédagogique dans des écoles inclusives (Caraglio, 2017). Néanmoins, en Tunisie, la question de prise en charge de ces enfants est traitée différemment. D’ailleurs, l’identification de leurs profils se fait à travers une évaluation sommative servant à certifier le degré de maîtrise des apprentissages à la fin d’un cycle d’enseignement particulier. D’après la loi d’orientation n°2002-80 du 23 juillet 2002 relative à l’éducation et à l’enseignement scolaire, les collèges et les lycées pilotes sont les seuls établissements créés pour accueillir cette catégorie d’enfants âgés entre 12 ans et 18 ans. La sélection de ces derniers se fait selon un quota invariable après avoir réussi un concours national. À l’égard de cette expérience qui s’intéresse seulement à l’enseignement collégial et secondaire, notre recherche propose d’étudier le vécu scolaire de ces enfants à l’école primaire en cherchant l’impact des représentations enseignantes sur ce vécu scolaire. En nous appuyant sur deux perspectives : l’une qui vise à déplier les représentations enseignantes à l’égard des enfants à HPI et l’autre qui envisage les spécificités du vécu scolaire des élèves des lycées pilotes par eux-mêmes, nous tâcherons de répondre à la question principale suivante : quel est l’impact des représentations enseignantes sur le vécu scolaire des enfants tunisiens à HPI ?

Cadre théorique

Cette partie présente un aperçu de littérature scientifique traitant des concepts de notre recherche et des modèles de référence qui définissent chacun de ces concepts : les représentations enseignantes, le HPI et le vécu scolaire.

Représentations enseignantes

C’est grâce à Moscovici (1984) que le concept de « représentation sociale » évolue en sciences sociales et humaines. Il le définit comme « l’activité mentale déployée par les individus et les groupes pour fixer leurs positions par rapport à des situations, événements, objets et communications qui les concernent » (Moscovici, 1984, p. 132). Jodelet (1989) partage la même idée qui décrit la représentation sociale comme « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourante à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989, p.57). Dès l’énorme diffusion de ce concept, les recherches ne cessent d’évoluer autour de son impact sur les conduites (Abric, 2003) ainsi que leurs dynamiques (Flament, 1989). Concernant les représentations enseignantes, elles désignent l’ensemble des attitudes élaborées collectivement par les enseignants face à un tel sujet, exerçant une influence sur leur identité professionnelle (Moerman, 2011).

Parmi les modèles d’étude des représentations, nous citons le modèle structural d’Abric (1987) qui constitue l’ensemble des méthodes permettant de formuler des hypothèses de centralité de celles qui autorisent le repérage systématique de la structure représentationnelle. Nous distinguons ainsi les méthodes qui permettent d’accéder au contenu de la représentation étudiée de celles qui ne le permettent pas (Rateau et Lo Monaco, 2013). Selon cette théorie, la représentation est composée d’un noyau central et d’éléments périphériques. Le deuxième modèle est appelé le modèle sociodynamique. Il définit les représentations sociales par « les principes générateurs de prise de position qui sont liés à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisant les processus symboliques intervenant dans ces rapports » (Doise, 1985, p. 245). Les prises de position des personnes sont le plus souvent orientées par des principes relatifs à leurs expériences et à leurs appartenances aux groupes (Ibid.). Le troisième modèle est le modèle sociogénétique. Ses jalons ont été esquissés par Jodelet en 1982, sans pour autant le nommer (Jodelet, 2015). Cette approche retrace les principes de la théorie de représentation sociale à travers les processus d’objectivation et d’ancrage (Ibid.). En effet, l’intérêt est systématiquement dirigé à l’information (le contenu des représentations), au champ (l’organisation de l’information) et aux attitudes (les positionnements des individus). Dans la présente étude, nous nous appuyons sur cette perspective qui nous permet d’étudier les représentations sous l’angle sociogénétique.

Par rapport aux études qui traitent de l’influence des représentations enseignantes sur le vécu scolaire des enfants à HPI, nous citons celle de Déjardin-Bonnet (2017) qui se base sur quatre hypothèses. La première prévoit que les enseignants n’arrivent pas à identifier les enfants à HPI. Ainsi, elle suppose que ceux qui sont les plus expérimentés sont les plus éloignés de cette réalité. Quant à la deuxième hypothèse, elle indique que les enseignants identifient les enfants à HPI dans leurs classes, mais les éléments de réponse sont centrés sur le côté fonctionnel, qui s’intéresse aux pratiques. La troisième hypothèse prévoit que les enseignants identifient les enfants à HPI, mais l’inclusion de ces jeunes dans les classes ordinaires pose chez leurs enseignants des problèmes de gestion d’apprentissage. La dernière hypothèse postule que les éléments évoqués sont consensuels et concordants. Ils comportent des dimensions (descriptive et évaluative) plus axées sur le type de pratique professionnelle mise en oeuvre (différenciation, adaptation, etc.). Les résultats de cette étude indiquent que les enseignants les plus expérimentés identifient moins les enfants à HPI que les autres les plus novices. Ainsi, cette recherche montre que lorsque les personnes interrogées sont proches de la problématique de HPI, leurs représentations accueillent des éléments plus contrastés et plus fonctionnels.

À cette étape du raisonnement, nous définissons le deuxième concept de base qui est « Le HPI ».

HPI

Quoique les approches aient une vision hétérogène sur ce sujet, la majorité d’entre elles affirment que les enfants à HPI font partie des populations à besoins éducatifs particuliers, mais sans être pour autant en situation de handicap. Cette terminologie exprime les grandes compétences intellectuelles du fait que ce potentiel pourrait émerger ou au contraire pourrait être inhibé.

Définir l’enfant à HPI demeure une tâche complexe. Derrière ce terme, les auteurs y voient des caractéristiques parfois différentes puisque ces enfants ne possèdent pas nécessairement les mêmes singularités. Nous citons quelques ressources, à savoir Doucet (2018) qui nous permet de récolter les caractéristiques les plus connues chez ces enfants à HPI telles que la précocité développementale et l’attrait pour la complexité. Selon Bégin-Auclair (2021), le mode de pensée de ces enfants est différent puisqu’il leur permet de faire des liens sur des perceptions plus sensibles.

D’ailleurs, il existe de nombreux modèles théoriques de référence qui expliquent le HPI différemment. La théorie des intelligences multiples de Gardner (1999) à titre d’exemple détaille huit formes d’intelligence relativement indépendantes les unes des autres : l’intelligence verbolinguistique, l’intelligence logico-mathématique, l’intelligence visuospatiale, l’intelligence musicale rythmique, l’intelligence corporelle kinesthésique, l’intelligence interpersonnelle, l’intelligence intrapersonnelle et l’intelligence naturaliste. D’ailleurs, jusqu’à l’invention de cette théorie, de nombreux praticiens insistent sur son adoption en ce qui concerne l’identification des profils d’enfants à HPI (Szedleski, 2019). Ils adhèrent à l’idée que les méthodes d’identification classiques font la part belle à l’intelligence verbolinguistique et à l’intelligence logico-mathématique sans souligner les autres formes d’intelligence, ce qui fait disparaitre le HPI (Ibid.).

Dans le même ordre d’idées, nous distinguons le modèle de référence de théorie des trois anneaux de Renzulli (1984). Ce modèle conçoit le HPI comme la résultante de l’interaction de trois caractéristiques psychologiques : les aptitudes d’intelligence hors norme, l’investissement dans l’activité liée à la concentration sur la tâche et la créativité. Le HPI est ainsi dû à l’interaction entre ces composantes. Il existe aussi le modèle différenciateur de la douance et du talent de Gagné (2009) qui explique la différence entre les notions « don » et « talent ». Ce don correspond à des aptitudes développées dites naturelles qui s’expriment spontanément dans les domaines intellectuels, créatifs, socioaffectifs ou sensori-moteurs. Néanmoins, le talent désigne l’ensemble des potentialités acquises et développées tout au long de la vie dans différents champs d’activité tels que l’art. Par rapport au HPI, Gagné (2009) identifie les catalyseurs intrapersonnels qui correspondent à des traits de personnalité, des caractéristiques physiques, des intérêts et des désirs de personne. D’ailleurs, ils renvoient aux concepts d’intelligence sociale et intelligence émotionnelle (Guignard et Zenasni, 2004). Cependant, les catalyseurs environnementaux sont les dispositifs liés au milieu (familial, culturel, etc.), les personnes qui entourent l’enfant (les enseignants, les pairs, etc.), les ressources auxquelles l’enfant aura accès (les activités, les programmes scolaires, etc.) ou encore les événements de sa vie (rencontres, accidents, etc.). Selon Gagné (2009), ces catalyseurs personnels et environnementaux pourront avoir des effets positifs ou négatifs sur le vécu scolaire de l’enfant à HPI. Nous nous basons alors sur ce modèle de référence de douance de Gagné (2009) en supposant que les représentations enseignantes (catalyseurs environnementaux) influencent le vécu scolaire des enfants à HPI.

Au vu de ce que nous avons cité, nous nous intéresserons au troisième concept « Vécu scolaire ».

Vécu scolaire

Selon Dubet (2012), la notion de vécu est « Ce qui m’arrive et ce que j’en fais. C’est la capacité, pour les acteurs, à mobiliser des matériaux qui sont distribués socialement et ne leur sont pas propres, mais de faire quelque chose de singulier et de propre avec ce matériau » (Dubet, 2012 p.5). Rochex (2009) considère que le vécu scolaire a une incidence sur la scolarisation des élèves. Si l’expérience scolaire de l’élève est positive, alors il aura un sentiment de satisfaction. En revanche, si son expérience scolaire est négative, il aura un sentiment de malaise. À cet égard, il est nécessaire d’énumérer quelques profils scolaires de ces élèves qui découlent de la recherche de Betts et Neihart (1988). Nous distinguons l’élève qui réussit scolairement : c’est le genre de l’élève qui est perfectionniste, qui cherche à satisfaire les attentes de ses enseignants grâce aux défis, l’élève provocateur (perturbateur) qui s’ennuie souvent en classe, l’élève effacé (discret et timide) qui a des aptitudes intellectuelles élevées, mais qui veut les cacher pour s’intégrer socialement (caméléon social), et l’élève à risque (décrocheur) qui est majoritairement « rejeté ».

De nombreuses études s’intéressent à traiter ces profils d’enfants par rapport à leur scolarité. Or, ce n’est pas évident d’accorder à ces enfants toutes les difficultés psychologiques menaçant leur scolarisation puisqu’ils pourraient présenter une estime de soi légèrement meilleure que les autres enfants avec une intelligence normale (Guénolé et Baleyte, 2017). De manière similaire pour les adultes à HPI, certaines études ont révélé des niveaux de bien-être supérieurs à la moyenne et des carrières réussies dans les domaines social et professionnel (Casteren et al, 2021). La littérature internationale ne met pas en évidence une vulnérabilité psychopathologique particulière des enfants à HPI, mais pour creuser plus profondément, il faudrait chercher quels facteurs sont associés à cette vulnérabilité. C’est notamment notre propos dans cette étude qui suppose que la représentation enseignante est un facteur menaçant la scolarisation de ces enfants.

L’étude de Rouaud menée en 2020 vise à ressortir les attitudes des enfants à HPI sur leurs expériences scolaires. Rouaud (2020) utilise le récit de vie suivi par des entrevues semi-dirigées, puis une discussion de groupe. En somme, les résultats ont montré qu’il semble exister un manque de communication et de guidance des enseignants quant au sujet de HPI. Toutefois, les participants voient un net avantage, du point de vue social, à être ensemble. L’expérience scolaire de ces enfants est globalement positive, mais laisse place à plusieurs améliorations de contenus et de méthodes pédagogiques. Dans le même ordre d’idées, Tordjman et al. (2018) décrivent les difficultés scolaires qui entravent les enfants à HPI dans leur étude. L’échec scolaire a constitué le problème le plus fréquent manifesté en matière de redoublement avéré et/ou envisagé. Sur le plan socioémotionnel, ces enfants peuvent avoir des troubles anxieux fréquents qui s’expliquent par leur HPI (Ibid.). Néanmoins, la méta-analyse d’Ogurlu (2021) remet fortement en question l’idée de difficultés de ces enfants à HPI en comparaison avec leurs homologues non HPI, mais d’une façon différente. En effet, les analyses statistiques effectuées sur différentes études (élaborées entre les années 2005 et 2019) révèlent que les personnes à HPI ont un niveau d’intelligence émotionnelle supérieur à celui de leurs homologues non HPI. La majorité de ces études analysées corroborent l’hypothèse selon laquelle les enfants à HPI n’ont pas de problèmes émotionnels (Ogurlu, 2021).

Pour conclure cette partie théorique, il fallait noter que les difficultés et les défis rencontrés par les jeunes à HPI représentent un sujet d’interrogation chez de nombreux professionnels en psychologie et aussi pour les enfants eux-mêmes (Guénolé et Baleyte, 2017). À la lumière de cette idée, nous formulons alors une hypothèse générale et cinq hypothèses spécifiques à vérifier.

Hypothèse générale : les représentations enseignantes ont un impact négatif sur le vécu scolaire des enfants à HPI scolarisés dans les lycées pilotes tunisiens.

Hypothèse spécifique 1 : les enseignants tunisiens n’arrivent pas à identifier les problèmes scolaires et relationnels des enfants à HPI scolarisés dans les lycées pilotes.

Hypothèse spécifique 2 : l’expérience des enseignants tunisiens influence leurs représentations.

Hypothèse spécifique 3 : la proximité avec les enfants tunisiens à HPI affecte les représentations enseignantes.

Hypothèse spécifique 4 : les enfants tunisiens à HPI ont vécu une expérience négative sur les plans scolaire, émotionnel ainsi que social dans leur parcours à l’école primaire.

Hypothèse spécifique 5 : la région de scolarisation agit sur le vécu scolaire des enfants tunisiens à HPI.

Méthode

Notre méthode est de type descriptif. Elle décrit des données expérimentées à l’aide de questionnaires. La présente recherche est de terrain puisqu’elle se déroule dans un milieu social normal servant à récolter des données empiriques. Elle suit une approche quantitative qui vise à établir un état de lieux sur les représentations ainsi que le vécu des enfants à HPI en matière de statistiques. Nous présentons dans cette rubrique l’échantillon, les instruments d’enquête et les outils statistiques utilisés pour mener cette étude.

Échantillon

Les enseignants des écoles primaires et les élèves des lycées pilotes ont participé à notre étude. Concernant les enseignants, nous avons interrogé 176 sujets travaillant dans les écoles primaires tunisiennes ordinaires. Il s’agit d’un échantillon représentatif qui regroupe une variété d’enseignants ayant différentes années d’expérience. Ils peuvent être proches des enfants à HPI ou non. Le tableau 1 explique davantage cette répartition selon ces deux caractéristiques : ancienneté dans le travail et proximité avec les enfants à HPI. D’ailleurs, nous prendrons en considération ces deux variables pour étudier les différences significatives entre les différents groupes de participants.

Tableau 1

Répartition d’échantillon des enseignants selon l’ancienneté dans le travail et la proximité avec les enfants à HPI

Répartition d’échantillon des enseignants selon l’ancienneté dans le travail et la proximité avec les enfants à HPI

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Quant aux élèves, ils sont constitués de 222 sujets scolarisés dans les lycées pilotes de deux régions tunisiennes Manouba[1] et Sidi Bouzid[2]. Les participants se situent dans des tranches d’âge entre 14 ans et 18 ans. Ils sont un groupe hétérogène de filles et de garçons issus de différentes catégories socioprofessionnelles. Le tableau 2 présente la répartition de notre échantillon selon le facteur de région de scolarisation qui nous sert à étudier la différence significative entre les groupes d’enfants interrogés.

Tableau 2

Répartition d’échantillon des élèves entre les deux régions de scolarisation de la Tunisie

Répartition d’échantillon des élèves entre les deux régions de scolarisation de la Tunisie

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Instruments d’investigation

Les propos des élèves et des enseignants ont été recueillis au moyen de deux questionnaires fermés. L’un est destiné aux enseignants des écoles primaires cf. (voir annexe 1) et l’autre est destiné aux élèves des lycées pilotes cf. (voir annexe 2). Nous avons choisi de procéder avec ces outils élaborés par nous-mêmes vu le manque de tests validés et adaptés selon les spécificités de la société tunisienne.

Les thématiques développées dans le questionnaire destiné aux enseignants traitent de l’identification des problèmes scolaires et relationnels des enfants à HPI. Quant aux thématiques évoquées dans le questionnaire des élèves des lycées pilotes, elles se rapportent au vécu éducatif, émotionnel et social des enfants à HPI. Pour ce faire, nous avons recours à la littérature scientifique de HPI et aux théories de Betts et Neihart (1988) qui décrivent les différents profils des enfants à HPI. La diffusion du questionnaire destiné aux enseignants a duré un mois. Les participants ont répondu à ce questionnaire d’une manière individuelle tandis que la passation de l’autre questionnaire destiné aux enfants à HPI a duré deux semaines. Les interrogés sont regroupés dans des salles de classe en vue de répondre individuellement au questionnaire.

Outils statistiques

En fonction de la nature de la recherche, nous lisons toutes les réponses et nous les classons dans des catégories à l’aide de logiciel Microsoft Excel. Au vu de cette étape, le logiciel des analyses statistiques appelé Statistical Package for the Social Sciences (SPSS) nous a servi à analyser la fréquence des données récoltées. Pour comparer ces fréquences avec les variables préétablies (ex. : région de scolarisation), le test de khi carré nous a permis d’étudier cette significativité. Avec un seuil de p= .05, nous pouvons conclure que l’association entre les variables est statistiquement significative ou au contraire non significative.

Résultats

Les résultats trouvés portent sur les représentations enseignantes, le vécu scolaire des enfants HPI et l’impact des représentations sur ce vécu. Les variables : expérience d’enseignement, proximité avec les enfants HPI et région de scolarisation permettent de tester les différences entre les groupes de participants.

Représentations sociales des enseignants par rapport à l’identification des problèmes des enfants à HPI.

Dans cette rubrique, nous revenons dans un premier temps à notre première hypothèse spécifique qui postule que les enseignants n’arrivent pas à identifier les problèmes des enfants à HPI scolarisés dans les lycées pilotes. Nous exposons les représentations des enseignants par rapport aux problèmes scolaires et relationnels des enfants à HPI. Dans un second temps, nous vérifions les hypothèses spécifiques suivantes : l’expérience des enseignants tunisiens influence leurs représentations et la proximité avec les enfants tunisiens à HPI affecte leurs représentations.

Représentations sociales des enseignants par rapport à l’identification des problèmes scolaires des enfants à HPI.

Les résultats obtenus révèlent une variété de représentations enseignantes. Nous remarquons que 55 % des enseignants n’ont pas été conscients des problèmes particuliers des enfants à HPI sur le plan scolaire. La question de synthèse par rapport à cette dimension est la suivante : « est-ce qu’un enfant à HPI est susceptible d’échouer sa scolarité ? ». Ainsi, 53 % des enseignants interrogés ont répondu par « oui » et 47 % ont répondu par « non ». Ceci dévoile encore une fois le nombre important d’enseignants qui n’identifient pas les problèmes scolaires de cette population.

Quant au rôle du facteur ancienneté dans l’identification des problèmes scolaires des enfants à HPI, nous récoltons les résultats dans le tableau 3 :

Tableau 3

Significativité du facteur ancienneté dans l’enseignement par rapport aux problèmes scolaires des enfants à HPI[3][4]

Significativité du facteur ancienneté dans l’enseignement par rapport aux problèmes scolaires des enfants à HPI34

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Selon ce tableau, il existe quatre valeurs de khi carré pertinentes de point de vue significativité (< à p= .05). Nous remarquons ainsi la différence significative perçue entre les représentations sociales des enseignants selon les différents intervalles d’ancienneté (de 0 à 5 ans, de 5 ans à 10 ans, de 10 ans à 15 ans et de 15 ans et plus).

Les résultats du rôle du facteur proximité dans l’identification des problèmes scolaires des enfants à HPI sont présentés dans le tableau 4 :

Tableau 4

Significativité de proximité par rapport aux problèmes scolaires des enfants à HPI

Significativité de proximité par rapport aux problèmes scolaires des enfants à HPI

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La significativité est nettement visible à la cinquième valeur (.01< p=.05). En conséquence, une différence significative est observée entre les représentations sociales des deux groupes d’enseignants : ceux qui sont proches des enfants à HPI et qui constituent 89 % des participants et les autres qui ne sont pas proches de ces enfants (11 %).

Représentations enseignantes par rapport à l’identification des problèmes relationnels des enfants à HPI.

Les données recueillies par rapport à cet axe montrent que le pourcentage des enseignants qui identifient les problèmes de ces élèves est seulement de 7 %.

Le rôle du facteur ancienneté dans l’enseignement dans l’identification des problèmes relationnels des enfants à HPI est étudié à partir du tableau 5 :

Tableau 5

Significativité de l’ancienneté par rapport aux problèmes relationnels des enfants à HPI

Significativité de l’ancienneté par rapport aux problèmes relationnels des enfants à HPI

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Le test Khi carré démontre que les deux premières valeurs < p= .05. Ceci signifie qu’il y a une différence significative entre les représentations enseignantes par rapport aux problèmes relationnels des enfants à HPI dans les différents intervalles d’années d’expérience.

Le rôle de la proximité dans l’identification des problèmes relationnels des enfants à HPI est présenté à travers le tableau 6 :

Tableau 6

Significativité de la proximité par rapport aux problèmes relationnels des enfants à HPI

Significativité de la proximité par rapport aux problèmes relationnels des enfants à HPI

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D’après ce tableau, nous remarquons que la troisième valeur de khi carré < p= .05. Une différence significative est observée entre les représentations des enseignants s’occupant des enfants à HPI et les autres qui n’ont pas la charge de ces enfants.

Vécu des enfants à HPI dans les écoles primaires

À ce stade, nous rappelons notre quatrième hypothèse spécifique qui stipule que les enfants tunisiens à HPI ont vécu une expérience négative sur les plans scolaire, émotionnel et social à l’école primaire. Les résultats sont regroupés en trois sections : le vécu éducatif des enfants à HPI, leur vécu relationnel et leur vécu émotionnel. Nous vérifions également notre cinquième hypothèse spécifique qui postule que la région de scolarisation agit sur le vécu scolaire des enfants tunisiens à HPI.

Vécu éducatif des enfants à HPI dans les écoles primaires

Les résultats trouvés mettent en évidence l’hétérogénéité de la population des élèves à HPI. La majorité des élèves des lycées pilotes (71 %) ont vécu une expérience scolaire inappréciée sur le plan éducatif. Elle est marquée par le rejet de routine, le désintérêt surtout pour l’acte graphique et la vulnérabilité.

Ainsi, afin d’étudier l’impact du facteur régional sur le vécu éducatif des enfants à HPI, nous présentons le tableau 7 :

Tableau 7

Significativité du facteur région de scolarisation par rapport au vécu éducatif des enfants à HPI

Significativité du facteur région de scolarisation par rapport au vécu éducatif des enfants à HPI

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À partir de ce tableau, toutes les valeurs khi carré > à P=0.05, ce qui provoque une différence non significative entre le vécu éducatif des élèves à HPI dans la région de Sidi Bouzid et celui-ci dans la région de Manouba.

Vécu relationnel des enfants à HPI dans les écoles primaires

Les résultats montrent que 55 % des enfants à HPI ont vécu une expérience appréciée, 30 % ont légèrement apprécié leur vécu relationnel et 15 % ont subi des expériences relationnelles négatives dans leurs écoles primaires.

Concernant l’impact du facteur régional sur le vécu relationnel des enfants à HPI, nous présentons le tableau 8 :

Tableau 8

Significativité de facteur région de scolarisation par rapport au vécu relationnel des enfants à HPI

Significativité de facteur région de scolarisation par rapport au vécu relationnel des enfants à HPI

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Pour ce qui est de ce tableau, toutes les valeurs de khi carré < p= .05. Nous confirmons donc la différence significative observée entre le vécu relationnel des élèves à HPI dans la région de Manouba et celui dans la région de Sidi Bouzid. Le facteur régional influence significativement le vécu relationnel.

Vécu émotionnel des enfants à HPI dans les écoles primaires

En ce qui concerne le facteur émotionnel, nous déduisons que 49 % des élèves interrogés ont un vécu émotionnel stressant, 38 % de cette population ont un vécu moins stressant et 13 % ont un vécu déstressant.

Pour étudier l’impact du facteur régional sur le vécu émotionnel des enfants à HPI, nous suggérons le tableau 9 :

Tableau 9

Significativité du facteur région de scolarisation par rapport au vécu émotionnel des enfants à HPI

Significativité du facteur région de scolarisation par rapport au vécu émotionnel des enfants à HPI

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Selon ces données, nous nous focalisons sur la première valeur de khi carré (< p= .05). Une différence significative est alors observée entre le vécu des élèves à HPI à Manouba et celui à Sidi Bouzid.

Quant aux représentations sociales des enseignants par rapport au HPI, il existe alors une méconnaissance assez généralisable sur ce sujet. Notre hypothèse de départ est partiellement vérifiée en tenant compte de pourcentage des enseignants qui sont au courant du sujet de HPI. En ce qui concerne le vécu des enfants à HPI, il se heurte à différents obstacles : défis et différences, problèmes d’ordre éducatif, émotionnel, etc. L’hypothèse mise de l’avant est relativement vérifiée puisque les participants récitent des expériences variées.

Impact des représentations enseignantes sur le vécu scolaire des enfants à HPI

Notre objectif dans cette partie est de dégager l’impact des représentations enseignantes sur le vécu scolaire des enfants à HPI. À cet échelon, nous supposons que les représentations affectent négativement le vécu scolaire des enfants à HPI.

Les résultats récoltés sur ces deux axes : « représentations enseignantes » et « vécu des enfants à HPI » vérifient que ces deux concepts sont proportionnels. En effet, les enseignants du primaire ne conçoivent pas avec exactitude les différents problèmes des enfants à HPI. C’est ce qui a été déjà justifié sur le plan du vécu scolaire de ces enfants qui se heurte à différents obstacles rendant les expériences éducative et émotionnelle de ces derniers négatives.

Discussion

Afin de donner sens aux résultats récoltés, nous repositionnerons par rapport à différentes études qui traitent notre objet d’étude : la représentation enseignante, le vécu scolaire des enfants à HPI et l’impact de l’un sur l’autre.

Représentations enseignantes par rapport le HPI

D’entrée de jeu, nous avons constaté qu’un grand pourcentage d’enseignants s’avère incapable d’identifier les problèmes des enfants à HPI avec exactitude. L’étude de Ligonière menée en 2016 dans le but d’étudier la place occupée par les enfants à HPI dans le système scolaire confirme l’hypothèse qui postule que les enseignants reconnaissent mieux le profil des enfants qui réussissent scolairement. Ce résultat coïncide avec celui de notre étude. D’ailleurs, dans la continuité des résultats observés par Morisano et Shore (2010), plusieurs membres du personnel de l’école ne semblent pas dépasser les clichés et les stéréotypes entourant les élèves à HPI, « un groupe homogène, possédant une intelligence supérieure à la moyenne et peu intégré socialement ». Pourtant, les résultats présentés précédemment dans notre étude rappellent à quel point les enfants à HPI peuvent camoufler leurs représentations sur eux-mêmes. Ils forment donc un groupe hétérogène, que ce soit en matière de rendement académique, de motivation scolaire ou d’habiletés sociales et comportementales.

Lors de notre recherche, nous avons mis l’accent sur l’ancienneté dans l’enseignement et la proximité avec les enfants à HPI. Le but était d’étudier la significativité de ces facteurs par rapport à l’identification des problèmes de ces enfants. Tout comme l’étude de Tavani, et ses collaborateurs (2009), nous avons pu déduire que lorsque les personnes interrogées sont proches du problème de HPI, les représentations seront beaucoup plus proches de la revue de littérature, c’est-à-dire qu’elles comporteront des éléments plus contrastés (Tavani et al., 2009). Ces auteurs ont montré que l’intelligence est un élément crucial dans la représentation des personnes éloignées de la problématique alors que la sensibilité arrive en première place dans les représentations des personnes proches de cette thématique. Nous concluons que le fait d’être un professionnel de l’éducation ne crée pas de différence significative des représentations; c’est plutôt la proximité avec ces enfants à HPI liée aux années d’expérience qui crée cet écart. À son tour, Déjardin-Bonnet (2017) résume que plus les enseignants progressent au fil de leurs années d’expérience, plus ils n’arrivent pas à détecter les profils des enfants à HPI. Ceci converge fortement avec nos résultats.

Vécu scolaire des enfants à HPI

L’hétérogénéité observée dans les résultats explique notamment les différents profils des enfants à HPI. Ainsi, il y a ceux qui réussissent scolairement, d’autres qui sont provocateurs et d’autres qui sont effacés, etc.

Dans une vaste majorité, les résultats de notre recherche corroborent les études menées par Kim (2016) qui démontrent que la majorité des enfants perçoivent leurs relations sociales comme étant riches et profondes. Cependant, quelques participants demeurent isolés. Nous observons alors chez ces individus des caractéristiques décrites par Webb (2011) telles que le manque d’appartenance. En effet, l’école inclusive tunisienne, quoiqu’elle rencontre des difficultés pour satisfaire les besoins des enfants à HPI, joue tout de même un rôle primordial dans le maintien des relations de compagnie et d’amitié entre les pairs.

Quant à la question de région, contrairement aux mythes parfois évoqués, nos résultats montrent que les élèves à HPI scolarisés dans les écoles primaires ordinaires éprouvent un sentiment d’hypocompétition et de perte d’estime de soi personnelle du fait d’être confrontés à un groupe ayant une intelligence moyenne ou à des pairs de même âge chronologique. Ceci est nettement manifeste dans la région de sidi Bouzid plus que dans celle de Manouba. L’étude de Déjardin-Bonnet (2017) vérifie la même idée en insistant sur le vécu déstressant relatif à la région rurale (défavorisée). Ces idées nous permettent de joindre les résultats des études de Vantassel-Baska (2006) et de Kim (2016) qui encouragent les milieux éducatifs à approfondir les méthodes de différenciation pédagogique et à maintenir un rythme d’apprentissage soutenu, basé sur la progression des élèves selon leurs potentiels plutôt que sur les programmes scolaires.

Impact des représentations enseignantes sur le vécu scolaire des enfants à HPI

À cet égard, une relation proportionnelle est établie entre ces deux axes par le fait que le vécu négatif des élèves à HPI pourrait être justifié par de nombreux facteurs de risques tels que les spécificités d’environnement et surtout les représentations sociales lorsqu’elles affectent négativement les pratiques. Dans ce cas, nous ajoutons que si nous voulons diminuer les problèmes des enfants à HPI, nous devrons agir sur les représentations de leurs enseignants à ce propos. La question de formation des enseignants émerge donc de nouveau dans l’étude menée par Dunand et Feuilladieu en 2014 qui converge avec nos résultats par le fait qu’elle documente les piliers d’une école inclusive réussie mettant en oeuvre une formation continue auprès des intervenants de l’institution. Ainsi, développer les pratiques réflexives et repenser l’action professionnelle pourraient, selon cette étude, « affiner » les représentations sur ce sujet et désormais, un épanouissement des enfants à HPI sera le résultat.

Conclusion

Notre démarche d’enquête nous permet toujours de contester notre problématique sur deux plans divergents : les représentations et le vécu. Que pouvons-nous conclure après ce va-et-vient entre la théorie et la pratique ?

À la lumière de tout ce qui précède, nous avons pu constater à quel point l’écart semble être grand entre les recommandations universelles et la mise en application de l’inclusion sur le terrain tunisien, du moins, selon le point de vue des élèves ainsi que leurs enseignants. La mise en oeuvre de l’inclusion scolaire est toujours lacunaire. Les enseignants se trouvent confrontés à un défi éducatif au regard des enfants à HPI. Ils doivent alors prendre la mesure s’ils aspirent à leur réussite scolaire et sociale. Ce défi est préconisé par différents indicateurs pour lesquels il faudra avoir un intérêt tels que le climat scolaire, le développement des systèmes d’enseignement et les travaux sur la pédagogie universelle (Rouaud, 2020).

En matière de limites, les participants de notre recherche sont des élèves à HPI. Ainsi, leur point de vue reflète uniquement l’expérience scolaire des élèves à HPI jouissant de mêmes chances de reconnaissance dans les lycées pilotes. Nous aurions dû nous appuyer sur un groupe contrôle non HPI pour apporter plus amples détails sur cet aspect, mais également nous appuyer sur la variable « sexe » puisqu’elle pourrait agir sur la scolarisation et les représentations enseignantes. Nous avons opté pour des questionnaires conçus par nous-mêmes, ce qui relativise encore les résultats de la présente étude. Quant aux enseignants participants, ils sont issus de différentes régions tunisiennes. Nous avons interrogé un groupe hétérogène qui n’a pas confronté nécessairement les enfants participant à cette étude.

En matière de perspectives, nos propos s’articuleront de prime abord autour de vécu a posteriori de l’école primaire des lycéens interrogés dans cette étude. Sous un autre angle, le sentiment de réussite chez les élèves à HPI ainsi que le sentiment d’auto-efficacité de leurs enseignants (Bandura, 2003) sont des aspects utiles à analyser (Cuche, 2013). Dans ce contexte, les élèves pourront performer mieux lorsque leurs enseignants se percevront comme étant efficaces (Gaudrean et al, 2012). Force est de constater que ceci pourrait influencer l’apprentissage des enfants à HPI.

Pour ces questions en suspens, nous ne pouvons que souhaiter l’émergence de recherches relatives à l’expérience scolaire des enfants à HPI en Tunisie en rapport avec les croyances d’efficacité personnelle de leurs enseignants.