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Introduction

Le cours magistral (CM) a fait l’objet de nombreux écrits au cours de ces dernières années, tant du point de vue de sa définition, de sa description sur le plan pédagogique et didactique, que de son efficacité sur la réussite étudiante. Ainsi, le CM peut être considéré à certains égards comme étant un « mode d’enseignement dans lequel un professeur expose son savoir devant un auditoire » (Bruter, 2008). Le passage en revue de la littérature produite sur le sujet indique que le cours magistral est largement associé à l’exposé magistral ou à l’enseignement magistral, lui-même trop souvent assimilé à l’enseignement traditionnel (Gauthier, Bissonnette et Bocquillon, 2020). De ce fait, on peut prendre le parti de qualifier le cours magistral comme étant une méthode d’enseignement issue du cognitivisme, visant à mettre des enseignants produisant un monologue face à des étudiants « scripteurs » (Dufour et Parpette, 2017). On peut tout autant considérer qu’un cours est magistral en raison du nombre d’étudiants présents et de la configuration des locaux, revêtant là bien souvent l’image d’un amphithéâtre. Néanmoins, une autre approche peut consister à s’intéresser au CM d’un point de vue administratif, tel qu’il apparaît dans les maquettes de formation. C’est pour ce dernier choix que nous avons opté dans ce travail. Partant de constats effectués dans la littérature et sur lesquels nous reviendrons ultérieurement, nous nous sommes interrogés sur les méthodes d’enseignement mobilisées par les enseignants durant les cours magistraux au sens administratif du terme. S’intéresser à ces méthodes représente un réel enjeu dans un contexte où l’intérêt pédagogique des cours magistraux pour les étudiants est régulièrement remis en question, la tenue des cours à distance liée au contexte sanitaire de la COVID-19 ne faisant que mettre davantage encore cette question en exergue.

Dans le prolongement de travaux antérieurs (Duguet et Morlaix, 2018), cet article s’attache à recenser les méthodes pédagogiques privilégiées par les enseignants en CM et à analyser les liens entretenus entre ces méthodes et certaines caractéristiques individuelles et contextuelles. Parmi ces dernières, une attention particulière est accordée aux compétences transversales des enseignants, dont on peut supposer qu’elles sont de nature à expliquer la variété des méthodes mobilisées par les enseignants. Ainsi, dans un premier temps, nous effectuerons un cadrage théorique sur le concept de méthode pédagogique et produirons une synthèse des travaux portant sur la description des méthodes en CM. Puis nous préciserons les enjeux associés au concept de compétences transversales enseignantes. Cela nous conduira ensuite à présenter les contours méthodologiques de la recherche, puis les résultats établis. Ces derniers seront discutés à l’aune des travaux déjà publiés sur le sujet.

Les méthodes pédagogiques en cours magistral : éclairage théorique

Un manque de consensus autour du terme de méthode pédagogique

Le concept de méthode pédagogique fait l’objet d’un véritable manque de consensus dans la littérature scientifique produite sur la question, souvent interverti avec le terme de « pédagogie » et amalgamé avec ceux de « modèle » ou de « pratique ». En réalité, la méthode est définie par Raynal et Rieunier (2005) comme étant une « organisation codifiée de techniques et de moyens ayant pour but de faciliter l’action éducative ». En ce sens, les méthodes « rassemblent les acteurs et définissent les caractéristiques matérielles, cognitives et sociales d’une pratique pédagogique » (Morandi et La Borderie, 2006). Dans ce travail, nous considérons que la méthode constitue « un cadre pour penser et réaliser la pratique éducative » (Bru, 2006). Cette définition, si succincte soit-elle, permet de saisir que la méthode peut être considérée comme un « guide » qui permet d’organiser le travail pédagogique. Autrement dit, elle oriente le choix de pratiques pédagogiques des enseignants (Bru, 2006) sans pour autant les déterminer entièrement.

Nombre d’auteurs ont cherché à catégoriser les méthodes, à l’image de Prégent (1990) qui identifie les méthodes fondées sur l’exposé, les méthodes fondées sur la discussion et le travail d’équipe, et les méthodes fondées sur l’apprentissage individuel. En réalité, les chercheurs s’entendent pour considérer que les méthodes peuvent s’inscrire sur un continuum allant des méthodes « traditionnelles » aux « méthodes actives » (Arénilla et al., 2000). Les méthodes traditionnelles reposent sur la transmission d’un contenu de façon expositive, « l’acceptation sans trop de nuances de la relation d’autorité formateur-formé », « l’acceptation de résultats scolaires se distribuant approximativement selon une courbe de Gauss » et enfin « l’acceptation du principe selon lequel le rôle du maître consiste à dispenser le savoir, l’élève devant s’organiser au mieux pour apprendre » (Raynal et Rieunier, 2005). L’enseignement frontal et la méthode des questions-réponses avec les étudiants constituent, entre autres, des exemples de méthodes traditionnelles. Les méthodes actives quant à elles se situent à l’opposé des précédentes et ont pour but d’engager l’apprenant dans ses propres apprentissages. L’enseignant tient le rôle d’un accompagnateur dans l’acquisition des savoirs. Les méthodes actives reposent sur « l’intérêt spontané des enfants, qui génère la motivation à l’effort », « leur liberté d’invention, de création, d’initiative », ainsi que « la prise en compte des composantes affectives et sociales du développement des individus » (Arénilla et al., 2000).

Descriptions des méthodes en cours magistral

Peu de travaux empiriques ont porté ces dernières années sur la description des méthodes en cours magistral. Celui-ci est le plus souvent associé dans sa dimension spatiale à un « grand amphithéâtre copieusement rempli » et dans sa dimension pédagogique à un mode d’enseignement selon lequel « ici, enseigner, c’est dire le savoir » (Clanet, 2001). Des travaux ancrés dans une dimension didactique ont porté sur l’analyse du discours des enseignants durant les CM et le rôle des dispositifs d’inscription (comme le tableau) et/ou de projection sur le suivi du CM par les étudiants (Parpette, 2002 ; Bouchard et Parpette, 2012 ; Dufour et Parpette, 2017). Dans une autre perspective, Mayen et Loizon (2015) ont analysé les effets de l’introduction d’instruments, notamment technologiques, au sein du cours magistral sur l’activité des enseignants et des étudiants. À l’appui d’un travail d’observation, ces auteurs montrent que le CM « apparaît comme une situation saturée d’instruments » et que cet environnement « affecte, oriente et modifie l’activité des acteurs en situation ». D’autres recherches ont plus spécifiquement étudié les méthodes d’enseignement en CM.

C’est notamment le cas de Duguet (2014) qui s’est penchée sur les pratiques d’enseignement en cours magistral au sein de cinq filières (droit, administration économique et sociale, sociologie, psychologie et LLCE[1] anglais). À l’issue d’une série d’observations des CM in situ, elle montre que les pratiques des enseignants reposent majoritairement sur des méthodes dites « traditionnelles », au travers desquelles l’exposé magistral de l’enseignant prédomine. Dans un même temps, ses résultats témoignent d’une variété des pratiques pédagogiques des enseignants. Ces constats sont renouvelés par Duguet et Morlaix (2018) qui, en s’appuyant sur les travaux de Bédard et Viau (2001), ont questionné les enseignants concernant différents types de méthodes pédagogiques mobilisées en CM et analysé les facteurs susceptibles d’influer sur ces méthodes. En définitive, ces derniers mentionnent à plus de 85 % avoir recours à l’exposé magistral en CM. Toutefois, d’autres méthodes sont également largement mobilisées par les enseignants, comme l’étude de cas (68 %) ou encore l’approche par problème (47 %). Dans un même temps, les auteures notent que certaines variables relatives aux caractéristiques des enseignants (statut, niveau d’enseignement, formation aux technologies de l’information et de la communication [TIC], utilisation des TIC pendant les heures de cours) et aux caractéristiques du contexte d’enseignement (format du cours enseigné) s’avèrent significativement explicatives des méthodes mises en oeuvre par les enseignants. Néanmoins, ces résultats ne portent pas exclusivement sur le cours magistral et montrent que d’autres facteurs doivent être considérés dans les analyses pour augmenter le pouvoir explicatif des modèles présentés.

La rénovation des méthodes pédagogiques en cours magistral : enjeux et leviers

Enjeux associés au cours magistral

S’intéresser aux méthodes d’enseignement en cours magistral comporte un enjeu crucial, soit un facteur susceptible d’exercer un effet sur les apprentissages et la réussite des étudiants. Ainsi, l’exposé magistral du cours en CM est notamment associé à un plus grand ennui des étudiants (Mann et Robinson, 2009) et joue un rôle significatif sur leur assiduité (Moore, Armstrong, et Pearson, 2008). Ce type de méthode engendre également une compréhension et une rétention limitée des contenus de cours (Short et Martin, 2011). Dans le contexte français, la recherche de Duguet (2014) témoigne des liens entretenus entre la pédagogie de l’enseignant en CM d’une part, et les manières d’étudier, la motivation et la réussite des étudiants d’autre part.

En France, nous nous situons ainsi dans un contexte où les enseignants universitaires sont depuis plusieurs années encouragés à se former davantage à la pédagogie et à innover dans leur façon d’enseigner, l’innovation pédagogique pouvant concerner à certains égards tout ce qui ne relève pas de l’enseignement magistral ou frontal (Béchard, 2001). Si, en 2014, le rapport Bertrand mentionne que des points de résistance semblent faire obstacle à la rénovation pédagogique tant espérée à l’université, on peut toutefois être tenté de penser que les politiques mises en oeuvre ces dernières années ont pu influer sur ces méthodes. On peut mentionner à ce titre, sans prétendre à l’exhaustivité, le décret sur la formation des jeunes maîtres de conférences en 2017, l’essor du numérique et des formations en la matière, le développement croissant des structures universitaires de pédagogie (SUP) destinées à apporter une offre de formation continue à la pédagogie, ou encore les appels à projets destinés à valoriser l’innovation pédagogique tels que les IDEFI mis en oeuvre depuis 2012 (initiatives d’excellence en formations innovantes) ou le prix PEPS créé en 2015 (passion enseignement et pédagogie dans le supérieur).

Les compétences transversales : un levier à l’innovation pédagogique ?

Certains travaux ont porté sur les facteurs susceptibles d’influer sur le positionnement pédagogique des enseignants, abordant notamment le rôle de la conception de l’enseignement de l’enseignant (Trigwell et Prosser, 2004 ; Demougeot-Lebel et Perret, 2010 ; Sadler, 2008 ; Stes et Van Petegem, 2011), ainsi que les effets des caractéristiques des enseignants et des facteurs contextuels sur les méthodes pédagogiques mises en oeuvre (Duguet et Morlaix, 2018). Peu de travaux se sont en revanche penchés sur le rôle de la formation et moins encore sur celui des compétences enseignantes, dans l’adoption de méthodes pédagogiques plus ou moins variées ou innovantes. Pourtant, dans le champ de la formation comme dans le champ professionnel, l’on assiste depuis plusieurs années à la mise en avant récurrente de certaines compétences, volontiers associées à l’évolution des besoins et aux mutations du marché du travail, à savoir les compétences transversales (OCDE, 2015 ; Berthaud, 2021).

De manière générale, les compétences transversales se distinguent des compétences spécifiques, qui renvoient communément à des savoirs disciplinaires et techniques, clairement identifiables et mesurables au travers du diplôme ou de l’expérience professionnelle notamment (Duru-Bellat, 2015). À l’inverse, il existe une diversité de typologies permettant de caractériser les compétences transversales, qui se rapportent tantôt à des savoir-faire, tantôt à des savoir-être, selon le champ d’analyse où elles sont mobilisées. L’engouement perpétuel autour de ces compétences a conduit à leur apparition dans le socle commun de connaissances et de compétences à partir de 2005, mais également à la création de référentiels centrés sur des activités professionnelles spécifiques. C’est ainsi qu’en 2011, le répertoire des métiers de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a décrit les différentes compétences inhérentes au métier d’enseignant-chercheur ou d’enseignant dans le supérieur (MESR, 2011), alors déclinées en trois types : les connaissances, les compétences opérationnelles et les compétences comportementales. Bien qu’utilisant une nomenclature différente, la fiche métier constitue une illustration de cette approche, appliquée au métier d’enseignant-chercheur. Six compétences opérationnelles et onze compétences comportementales sont ainsi répertoriées telles que travailler en équipe, s’exprimer en public, l’autonomie, la créativité, la capacité à gérer le stress, la maîtrise de soi ou encore le sens relationnel.

Malgré leur mise en avant dans le répertoire des métiers, les compétences transversales des enseignants universitaires n’ont, à notre connaissance, jamais fait l’objet de travaux. Pourtant, au vu des injonctions institutionnelles et sociétales prônant l’innovation et le renouvellement des compétences, on peut se demander comment celles-ci peuvent participer à l’accompagnement de changements dans les pratiques professionnelles, en l’occurrence les méthodes pédagogiques d’enseignants universitaires.

Problématique et hypothèses de recherche

Les différents constats établis ci-dessus nous amènent ainsi à formuler plusieurs questions de recherche :

  • Quelles méthodes pédagogiques les enseignants déclarent-ils mettre en oeuvre en cours magistral ? L’exposé magistral demeure-t-il prédominant parmi ces méthodes ?

  • Quel est le lien entre les méthodes pédagogiques mobilisées par les enseignants en cours magistral et leurs compétences transversales ? Ces dernières constituent-elles un facteur explicatif des méthodes ?

Bien que pouvant paraître tautologique, le premier questionnement demeure pertinent, l’objectif étant d’examiner si, quatre années après la description produite par Duguet et Morlaix (2018)[2] et malgré les injonctions politiques mentionnées plus haut, l’exposé magistral est toujours autant mobilisé par les enseignants en CM. Le second questionnement permet quant à lui d’aborder un facteur jusqu’alors rarement étudié dans les travaux portant sur la compréhension des méthodes et pratiques enseignantes à l’université.

Nous formulons à cet égard plusieurs hypothèses :

  • H1 : Les enseignants mobilisent une variété de méthodes pédagogiques pour enseigner en cours magistral, l’exposé magistral demeurant toutefois prépondérant.

  • H2 : Les compétences transversales des enseignants constituent un levier favorisant la variété des méthodes pédagogiques que ces derniers déclarent mettre en oeuvre.

Précisons que nous nous intéressons au cours magistral en cycle licence (1re, 2e et 3e année) puisque c’est à ce niveau de formation qu’il fait le plus souvent l’objet de critiques et d’interrogations concernant sa pérennité.

Contours méthodologiques de la recherche

Dispositif empirique

Afin de satisfaire aux objectifs de cette recherche, nous avons réalisé une enquête en ligne au printemps 2020 auprès de l’ensemble des enseignants d’une université française intervenant en cours magistral, quels que soient leur statut professionnel et leur composante d’enseignement. Les enseignants ont été interrogés concernant plusieurs catégories de variables, certaines se référant à des travaux préalablement cités, d’autres faisant l’objet de choix arbitraires assumés de notre part.

Une partie du questionnaire invitait les enseignants à renseigner un certain nombre de caractéristiques individuelles et contextuelles. De telles données ont ainsi pu être insérées dans nos modèles d’analyse comme variables dites « de contrôle » :

  • Leurs caractéristiques personnelles : il a été demandé aux enseignants d’indiquer quel était leur statut, leur nombre d’années d’expérience en tant qu’enseignant à l’université, s’ils avaient bénéficié d’une formation initiale à la pédagogie, s’ils avaient participé à une ou plusieurs formations à la pédagogie au cours des deux dernières années dans le cadre de la formation continue, et à quel niveau, sur une échelle allant de 1 à 6, ils évaluaient leur niveau de compétences, pédagogiquement parlant, pour enseigner.

  • Les caractéristiques du contexte : nous avons interrogé les enseignants afin de connaître leur composante de rattachement, au sein de laquelle ils réalisent la majorité de leur service d’enseignement, ainsi que la localisation du lieu sur lequel ils enseignent le plus souvent (université « mère » ou site délocalisé).

Une autre rubrique du questionnaire invitait les enseignants à s’autoévaluer sur quatre compétences transversales : la communication, la créativité, la gestion du stress et le travail d’équipe. Le choix de ces compétences découle directement de celles présentées dans le répertoire des métiers de l’enseignement supérieur (MESR, 2011). La grille a été élaborée à partir du référentiel de compétences comportementales construit par Passeport avenir en 2011 et déjà mobilisé dans d’autres travaux (Berthaud, 2017).

Enfin, en référence aux travaux de Bédard et Viau (2001), nous avons interrogé les enseignants concernant les méthodes pédagogiques qu’ils déclarent mettre en oeuvre en CM. Ainsi, pour chacune des méthodes suivantes, il leur a été demandé d’indiquer s’ils la mobilisaient « jamais », « rarement », « parfois », ou « à chaque séance ou presque »[3].

  • L’exposé magistral (exposé assuré par le professeur)

  • L’étude de cas (situations se rapprochant de la réalité que les étudiants doivent analyser)

  • L’expérimentation (réalisation d’expériences)

  • L’approche par problème (recherche de notions théoriques nécessaires à la compréhension d’un problème)

  • La pédagogie de projet (réalisation d’un projet en équipe intégrant les mêmes étapes dans la vie professionnelle)

  • Les exposés (réalisation d’exposés en groupe)

  • Les ateliers (réalisation en groupe d’exercices portant sur les notions abordées en cours)

  • La classe inversée (distribution du cours avant la séance)

Bien que ce contexte ait été exceptionnel en raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19, les passations se sont tenues pour des motifs d’ordre temporel et budgétaire entre mars et juin 2020. Il a toutefois été demandé aux enseignants de se référer dans leurs réponses aux méthodes d’enseignement qu’ils ont mobilisées au cours des deux dernières années.

Description de l’échantillon d’enseignants

L’échantillon est constitué de 276 individus. Les hommes (58 %) sont un peu plus représentés que les femmes. La répartition des enseignants en fonction de leur statut est la suivante :

  • Maîtres de conférences : 48,9 % (dont 16 % sont habilités à diriger des recherches)

  • Professeurs des universités : 23,2 %

  • Enseignants du secondaire : 14,8 % (10,1 % de professeurs agrégés et 4,7 % de professeurs certifiés)

  • Autre : 13 % (dont 6 % d’attachés temporaires à l’enseignement et la recherche ou doctorants allocataires et 6 % de vacataires)

Sans surprise, 95 % sont détenteurs d’un niveau d’étude équivalent à bac plus cinq ou plus. Un peu plus de 15 % déclarent avoir 5 années d’expérience ou moins, 26 % de 6 à 15 années d’expérience et 59 % enseignent depuis seize années ou plus.

35,9 % des enseignants indiquent avoir bénéficié d’une formation initiale à la pédagogie et 19,6 % d’une formation continue en la matière, sans que nous ne connaissions pour autant le contenu de ces formations ni leur volume horaire. Il est toutefois intéressant de souligner que les enseignants dotés du moins grand nombre d’années d’expérience, de surcroît maîtres de conférence, sont significativement les plus nombreux (seuil de 1 %) à mentionner avoir été formés à la pédagogie en formation initiale, ce résultat étant vraisemblablement à rapprocher des mesures d’incitation mises en oeuvre par les pouvoirs politiques au niveau national et la politique de l’établissement sur le plan local, destinées à encourager les enseignants-chercheurs nouvellement nommés à se former à la pédagogie.

À partir de la grille d’auto-évaluation des compétences transversales introduite dans le questionnaire, nous avons construit quatre scores (compris entre 0 et 35)[4] relatifs à la communication, la créativité, la gestion du stress et le travail d’équipe. Il apparaît que les enseignants se déclarent globalement très compétents puisque les moyennes aux scores se situent entre 27 pour la gestion du stress, 29 pour la créativité et la communication et jusqu’à 30 pour le travail d’équipe.

Une variété des méthodes pédagogiques mises en oeuvre par les enseignants

En préalable à nos analyses, nous avons d’abord étudié la répartition des enseignants en fonction des méthodes qu’ils déclarent mobiliser pour enseigner en cours magistral (tableau 1).

Tableau 1

Répartition des enseignants en fonction des méthodes d’enseignement (en %)

Répartition des enseignants en fonction des méthodes d’enseignement (en %)

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Ces données indiquent d’abord que l’exposé magistral demeure la méthode la plus souvent mobilisée en cours magistral. Toutefois, il est intéressant de constater qu’elle ne l’est de façon systématique que par moins des deux tiers des enseignants de l’échantillon. L’étude de cas est une méthode employée par près d’un quart des enseignants de l’échantillon, les autres méthodes l’étant par moins de 10 %. Bien que ces chiffres puissent paraître de prime abord peu surprenants, tant l’on peut considérer que bien des CM sont complétés par des travaux dirigés au cours desquels sont certainement mobilisés des méthodes plus actives que l’exposé magistral, ils montrent que l’exposé magistral n’est plus une fatalité en CM. Les enseignants sont enclins à utiliser d’autres méthodes, pour 13 à 38 % d’entre eux au moins parfois. Alors que des questions émergent quant à l’avenir qu’il faut réserver au cours magistral (Petit, 2015), tant sa forme pédagogique était jusque-là décriée, ces nouvelles données apportent des éléments de réflexion concernant le changement de paradigme pédagogique des cours magistraux. Se pose à présent la question des liens entretenus entre compétences transversales des enseignants et méthodes pédagogiques.

Analyse des liens entre compétences transversales des enseignants et méthodes pédagogiques en CM

Afin d’identifier le poids de chaque variable considérée dans l’analyse sur les différentes méthodes étudiées, nous avons construit des modèles de régression logistique binaire. Ce type de modèle permet de raisonner toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à caractéristiques identiques. Les caractéristiques des enseignants et du contexte d’enseignement sont considérées comme des variables de contrôle, permettant d’identifier l’effet « toutes choses égales par ailleurs » des compétences transversales sur les méthodes d’enseignement. Précisons qu’avant la construction de ces modèles, nous avons en amont dichotomisé chaque méthode, en recodant les fréquences comme suit : jamais et rarement = 0, parfois et à chaque séance = 1. Les scores de compétences n’ont par ailleurs pas tous été insérés simultanément dans les modèles, pour parer à de potentiels effets de substitution. Nous avons donc construit une pluralité de modèles destinés à mesurer l’effet d’une seule compétence à la fois (voir tableau en annexe 1).

Les modèles construits ne révèlent pas d’effet des niveaux autodéclarés de compétences transversales des enseignants sur la probabilité de mettre en oeuvre l’exposé magistral, l’expérimentation ou encore la pédagogie inversée. Deux compétences n’influent sur aucune méthode, à savoir la gestion du stress et la communication. En revanche, les scores de créativité et de travail d’équipe exercent un effet significatif sur la probabilité de mobiliser plusieurs méthodes. Ainsi, le fait de se déclarer plus créatif augmente significativement la probabilité de mobiliser l’étude de cas, la pédagogie de projet, les exposés étudiants et les ateliers. De plus, le fait de déclarer savoir travailler en équipe accroît la probabilité de mobiliser l’étude de cas, l’approche par problème, la pédagogie de projet et la réalisation d’exposés par les étudiants. La probabilité prédite par les modèles reste néanmoins relativement faible.

Afin de savoir si les niveaux de compétences transversales déclarés par les enseignants influaient sur la variété des méthodes mobilisées par les enseignants en CM, nous avons construit un score sur 32 points, en procédant par addition : pour chaque méthode, aucun point n’a été attribué pour la modalité « jamais » et 4 points pour la modalité « à chaque séance ». Plus il est élevé, plus le score indique que les enseignants mobilisent une variété de méthodes pour enseigner et de manière fréquente. Ce score s’étend en définitive de 0 à 21, pour une moyenne à 8,5 et un écart type à 4. Nous avons d’abord examiné les corrélations (test de Pearson) existant entre les scores de compétences transversales et le score de méthode (tableau 2).

Tableau 2

Corrélations entre le score de méthodes pédagogiques et les scores de compétences transversales

Corrélations entre le score de méthodes pédagogiques et les scores de compétences transversales

Note : Les coefficients sont à interpréter selon un seuil de significativité (* p<0,1, ** p<0,05, ***p<0,01)

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Ces premiers résultats témoignent d’un lien très significatif entre le score de méthode et la créativité d’une part et le travail en équipe d’autre part, sans pour autant que la corrélation ne soit très élevée.

Enfin, nous avons construit un modèle de régression linéaire destiné à étudier les effets des niveaux autodéclarés de compétences transversales des enseignants sur ce score.

Tableau 3

Effet des compétences transversales autodéclarées des enseignants sur le score de méthode

Effet des compétences transversales autodéclarées des enseignants sur le score de méthode

Note : Les coefficients sont à interpréter selon un seuil de significativité (* p<0,1, ** p<0,05, ***p<0,01). La valeur du R² indique la part de variance expliquée par le modèle de régression.

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Si les variables de contrôle sont faiblement, voire nullement explicatives de la variété des méthodes mises en oeuvre par les enseignants, les scores de créativité et de travail d’équipe s’avèrent eux, en revanche, très significatifs. Ainsi, un point de plus au score de créativité augmente de 0,173 point le score de méthode. Le coefficient associé au score de travail d’équipe est lui aussi positif : plus l’enseignant déclare posséder cette compétence liée au travail en équipe, plus il est amené à mobiliser une variété de méthodes pédagogiques pour enseigner en cours magistral. L’ajout de ces variables permet par ailleurs de faire doubler la part de variance (R²) expliquée par les facteurs insérés dans les modèles explicatifs, passant de 2,4 % à 4,7 % dans le cas du score de créativité et 4,9 % lorsqu’est inséré dans le modèle le score de travail d’équipe.

Discussion

À l’instar d’autres travaux (Duguet et Morlaix, 2018), nous constatons que, bien que reposant en majorité sur l’exposé magistral, les cours magistraux font aussi l’objet d’une variété de méthodes de la part des enseignants. De fait, cela conduit à s’interroger sur l’efficacité des dispositifs de rénovation des pratiques d’enseignement mis en oeuvre en France au cours de ces dernières années.

On pourrait en effet être tenté de penser que des efforts restent à mener pour encourager davantage encore les enseignants à mobiliser des méthodes plus actives pendant les cours magistraux, la suppression de ce type de cours paraissant difficile, voire impossible dans la logique économique actuelle des universités. Une telle remarque soulève néanmoins en arrière-plan la question des objectifs attribués aux cours magistraux, d’aucun considérant que les méthodes consistant à rendre les étudiants davantage actifs dans leurs apprentissages ont plutôt leur place en travaux pratiques et en travaux dirigés qu’en CM. Or, on pourrait supposer que ces dispositifs de rénovation des pratiques enseignantes ont eu des effets bénéfiques sur les méthodes et pratiques mobilisées par les enseignants à l’occasion de ces travaux dirigés et travaux pratiques. Par ailleurs, le terme de méthode n’est pas synonyme de celui de pratiques. Il serait en ce sens intéressant d’examiner plus précisément quelles sont les pratiques que les enseignants déclarent mettre en oeuvre dans le cadre de ce qu’ils considèrent comme étant une méthode expositive. On peut en effet imaginer que, si les dispositifs mis en application dans le cadre de la rénovation des pratiques d’enseignement n’ont pas réellement transformé les méthodes pédagogiques des enseignants en cours magistral, tant ce type de cours reste empreint d’une certaine tradition et peut s’avérer contraignant pour les enseignants, par exemple en raison du nombre d’étudiants présents et de la configuration des locaux, ils ont en revanche pu conduire les enseignants à opter pour d’autres pratiques d’enseignement dans le cadre de l’exposé magistral.

À titre d’exemple, comme le montrent différents travaux (Clanet, 2001 ; Duguet, 2014), le CM peut être ponctué d’interactions entre l’enseignant et les étudiants, dynamisant le « monologue » présenté par l’enseignant. Il serait alors intéressant de se pencher plus spécifiquement sur les pratiques interactionnelles des enseignants, étant donné que ces dernières ont pu être amenées à évoluer au cours de ces dernières années. Il en est de même concernant le matériel utilisé par les enseignants : il est probable que l’arrivée d’outils numériques et la formation de certains enseignants à ces outils, tels que Wooclap, les Wikis, ou encore le diaporama lorsqu’il est utilisé à bon escient, aient pu contribuer à rénover les pratiques des enseignants mobilisées dans le cadre d’une méthode expositive.

Nos modèles d’analyse témoignent également de toute l’importance de la formation des enseignants sur leurs choix de méthodes pédagogiques pour enseigner en cours magistral. En effet, plus les enseignants sont formés à la pédagogie en formation initiale, moins ils axent leurs méthodes uniquement sur l’exposé magistral. Un tel résultat entre en concordance avec les travaux de Stes et Van Petegem (2011) selon lesquelles la participation des enseignants à des activités de formation influe sur leur positionnement pédagogique. Par ailleurs, ce résultat en dit long sur les politiques qu’il serait nécessaire de continuer à développer pour former les enseignants universitaires à la pédagogie et plus précisément aux méthodes actives.

Enfin, nos résultats mettent en avant un effet limité des niveaux autodéclarés de compétences transversales des enseignants sur leurs choix de méthodes pédagogiques. Si les enseignants semblent se retrouver dans les compétences soumises à leur auto-évaluation, ce qui tend à appuyer la description faite par le répertoire des métiers, celles-ci n’exercent pas toutes un effet sur les méthodes mobilisées. Néanmoins, les scores de créativité et de travail d’équipe, bien que leur pouvoir explicatif soit peu élevé, s’avèrent dans nos modèles très significatifs. Ils invitent ainsi à ne pas négliger de tels facteurs lorsqu’on cherche à expliquer les méthodes pédagogiques mises en oeuvre par les enseignants. L’effet relatif à la créativité apparaît d’autant plus cohérent qu’une telle compétence suggère la capacité à innover, particulièrement mise en avant dans les politiques mises en oeuvre visant la rénovation des pratiques enseignantes.

Conclusion

L’objectif de cette recherche était d’apporter de nouveaux éléments de compréhension concernant les méthodes pédagogiques mobilisées par les enseignants de cycle licence en cours magistral. Nos résultats confirment notre première hypothèse : bien que mettant en oeuvre une variété de méthodes, l’exposé magistral reste dominant. En revanche, notre seconde hypothèse est à nuancer, seules deux compétences influant significativement sur les méthodes pédagogiques des enseignants, à savoir les compétences liées à la créativité et au travail d’équipe. Les modèles d’analyse présentés possèdent de surcroît un faible pouvoir explicatif. Une appréhension plus fine de certaines variables de contrôle, telles que la formation des enseignants à la pédagogie, pourrait permettre de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent celle-ci à influer sur les méthodes des enseignants. Mais surtout, la mesure des compétences transversales des enseignants nécessite d’être approfondie. Reposant sur une grille d’auto-évaluation, celle-ci ne peut correspondre à une réelle mesure de compétences. Notre mesure s’est par ailleurs avérée assez peu discriminante, ce qui réduit également son potentiel effet statistique sur les méthodes pédagogiques.

La validité de nos résultats peut également être interrogée, s’appuyant sur des données déclaratives uniquement, qu’il serait pertinent de compléter par des observations du cours magistral in situ. Ces données méritent d’ailleurs d’être resituées dans leur contexte : les passations s’étant tenues lors de la première période de confinement en France, il est probable que les réponses des enseignants s’en soient trouvées biaisées. Cela pose alors la question des méthodes mobilisées par les enseignants en cours magistral lors des périodes d’enseignement à distance. On peut supposer que si ces circonstances n’ont pas véritablement eu d’effet sur les méthodes des enseignants, elles ont pu en revanche les conduire à transformer leurs pratiques, soit en renforçant l’aspect magistral des cours, soit au contraire en les incitant à opter pour des pratiques favorisant davantage la mise en activité des étudiants. En outre, nous avons appréhendé huit types de méthodes pédagogiques uniquement. Cependant, comme nous l’avons vu au préalable, les méthodes d’enseignement sont nombreuses, il serait donc intéressant de se pencher sur d’autres méthodes, telles que l’apprentissage coopératif, dont les bénéfices pour l’apprenant sont rappelés par Buchs et al. (2021).

Néanmoins, malgré ces limites, cet article apporte un éclairage nouveau concernant les méthodes pédagogiques des enseignants et les processus qui participent à leur construction. Il fournit en ce sens des pistes de réflexion intéressantes concernant la créativité et le travail d’équipe des enseignants. On pourrait en effet supposer que la mise en oeuvre de formations dédiées au développement de ces compétences pourrait davantage conduire les enseignants à s’inscrire dans un autre paradigme pédagogique que celui de l’exposé magistral dans sa définition la plus stricte du terme.