ChroniquesÉthique en éducation

TikTok : angoisse, solitude et exploration adolescente en temps de pandémie[Record]

  • Denis Jeffrey and
  • Louis-Philippe St-Amant Gauron

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  • Denis Jeffrey
    Université Laval (Canada)

  • Louis-Philippe St-Amant Gauron
    Université Laval (Canada)

Depuis le début de l’année 2020, la planète vit une crise sanitaire majeure. Le virus de la COVID-19 a entraîné la mort de centaines de milliers de personnes à travers le monde. Au Québec, du jour au lendemain, le confinement, la distanciation sociale, le port du masque et le lavage de mains ont fait partie du quotidien de la population. Les élèves du secondaire ont subi les lourdes conséquences de cette pandémie. Ils ont dû quitter les bancs d’école provisoirement en mars 2020 et poursuivre en ligne les apprentissages. Leur monde a été chamboulé. Ils ne pouvaient plus vivre ce plaisir rituel de se retrouver entre camarades de classe. Nombre d’entre eux se sont alors repliés sur des pratiques culturelles comme TikTok pour partager leurs expériences de vie et faire valoir leur savoir-faire. TikTok est une application de partage de vidéos lancée en 2016 par l’entreprise chinoise ByteDance. Elle a connu une popularité mondiale grandissante depuis 2019. Il s’agit de la deuxième application la plus téléchargée par les jeunes au monde. Elle devance notamment Facebook et Instagram (Moghaddam, 2020). Le concept de TikTok est simple. Les utilisateurs créent, le plus souvent avec leur téléphone, des vidéos dont la durée ne dépasse pas soixante secondes. Les plus populaires sont imitées par les utilisateurs qui les adaptent à leur contexte et à leur personnalité. Depuis le début de la pandémie, TikTok a massivement été utilisé par les jeunes pour mettre en images leur quotidien. Ils se sont filmés en train de danser, de rigoler, de pleurer, mais aussi de se divertir pour faire un pied de nez au coronavirus. Nous nous sommes intéressés au phénomène de l’émulation ou plus précisément au « mimétisme social » (Gebauer et Wulf, 1995) dans la production des vidéos TikTok. L’émulation est une forme d’apprentissage qui consiste à s’inspirer d’un modèle initial pour produire ses propres créations. L’émule ne cherche pas à copier fidèlement le modèle, mais plutôt à se l’approprier pour le refaire à sa manière (de Villeroy, 2017). Sur la plateforme TikTok, les ados ne plagient pas les vidéos des autres, mais ils les adaptent à partir de leurs intérêts, de leurs motivations et des effets sociaux qu’ils veulent produire. Nous nous sommes rendu compte que ce phénomène de « mimétisme social » avait des effets positifs sur les adolescents. Leurs pratiques sur TikTok leur ont notamment permis de mettre en images, sous le couvert de l’humour et de la parodie, leurs sentiments de solitude, de désarroi, de désespérance et de flottement identitaire. À cet âge de la vie, comme l’a bien montré Françoise Dolto (1989), les jeunes ont la carapace fragile parce que leur identité est en transformation. Dans un court scénario, ils présentent leur monde intérieur. TikTok leur procure ainsi l’occasion de ritualiser ce qui se passe en eux, ce qui les affecte, ce qu’ils n’arrivent pas à verbaliser spontanément (Jeffrey, 2018). Ce type de ritualisation, comme l’a bien vu David Le Breton (2012), procure un sens à l’existence et donne de goût de vivre. Cette chronique propose l’analyse d’une production TikTok en s’appuyant sur les travaux de Jeffrey, Lachance et Le Breton (2016) sur les rites de passage à l’âge adulte et sur la théorie du « mimétisme social » développée par Gebauer et Wulf (1995). Nous voulons mettre en lumière, d’une part, le phénomène d’émulation des adolescents sur TikTok et, d’autre part, la dimension initiatique inhérente à cette pratique culturelle à l’adolescence. Dans les sociétés traditionnelles, les jeunes garçons sont appelés à marcher sur les pas de leurs ancêtres. Des rites de passage sont prévus pour les arracher au monde …

Appendices