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Alors que le groupe de codéveloppement professionnel a d’abord été sollicité comme une approche de formation dans le domaine de la gestion avec comme pères fondateurs Adrien Payette et Claude Champagne, il suscite de plus en plus l’intérêt de formateurs du milieu éducatif dans le but d’amener les participants à améliorer leur pratique professionnelle. Dans le cadre de la formation pratique qui prépare à l’enseignement, cette modalité d’accompagnement est de plus en plus utilisée pour soutenir les activités des accompagnateurs de stagiaires et on le voit se décliner selon des formes variées. Depuis environ 20 ans, on voit se rapprocher nettement les acteurs du milieu scolaire et les acteurs du milieu universitaire dans le partage des responsabilités relatives à la formation initiale à l’enseignement. Ce rapprochement observé par Landry (2013) se retrouve sous des modalités diverses, notamment dû au fait de la place accrue accordée aux stages dans les programmes de formation initiale et la grande contribution des enseignants devenus des formateurs d’enseignants très (trop?) rapidement. Le rôle nouveau de formateur de stagiaires est né et il a fallu rapidement concevoir puis mettre en place des activités formelles de formation pour assurer la qualité du travail des enseignants associés, tout en valorisant le rôle de ces acteurs jusque-là bénévoles.
Avec leur collectif portant le titre Le groupe de codéveloppement professionnel pour former à l’accompagnement des stagiaires. Conditions, enjeux et perspectives, les auteurs François Vandercleyen, Monique L’Hostie et Marie-Josée Dumoulin ont rassemblé des textes de recherches empiriques, mais aussi de projets de formation qui ont été réalisés récemment dans différents milieux au Québec. Cet ouvrage tente ainsi de répondre à plusieurs questions sur les avantages et les limites du codéveloppement professionnel, les défis qu’il pose sur les plans organisationnel ou pédagogique, les perceptions des acteurs impliqués et enfin les retombées de ce type d’approche dans les milieux scolaires et universitaires.
L’ouvrage, qui compte sept chapitres, cerne tout d’abord les contours du codéveloppement en spécifiant avec précision les fondements et les principes de l’approche, détaillant par la même occasion les différentes étapes de la démarche (chapitre 1). Ce chapitre introduit et contextualise les différentes expérimentations dont il est question dans la suite de l’ouvrage. Les deux textes qui suivent sont orientés vers la formation des enseignants associés. Le premier, appuyé de schémas clairs et éclairants, fait état de la mise en oeuvre de groupes de codéveloppement professionnel accompagnés, à l’intérieur d’un dispositif de recherche-action-formation à l’intention d’enseignants associés, mené selon une approche collaborative (chapitre 2). Le second texte présente un dispositif de formation réalisé avec trois commissions scolaires et s’appuie sur le codéveloppement en réponse à une analyse de besoins approfondie, élaborée et constituée de traces recueillies auprès d’enseignants associés, de conseillers pédagogiques et de responsables universitaires (chapitre 3). Ces deux textes exposent les conditions de mise en oeuvre, les défis et les bénéfices perçus en lien avec l’approche, de même que les enjeux pour pérenniser ce type de projet, que ce soit pour les équipes-écoles impliquées, les enseignants associés ou encore les équipes de recherche à la base de ces initiatives.
Le chapitre suivant aborde les défis reliés à la démarche, et plus particulièrement en ce qui a trait à la posture inhérente au rôle d’animateur (chapitre 4). On y voit que l’approche originale de codéveloppement peut faire l’objet d’adaptations en fonction de la particularité des contextes d’accompagnement et des enjeux spécifiques à chacun de ceux-ci. Entre autres, puisque le principe de mutualité voulant que chaque membre puisse soumettre une situation à l’échange et tire personnellement profit de la séance ne pouvait pas être respecté dans le cas exposé pour des raisons organisationnelles (temps, libération, etc.), les chercheurs se sont saisis d’un cadre fort intéressant. S’appuyant sur une prémisse interactionniste, qui soutient qu’un agir renouvelé peut être généré lorsque les personnes sont amenées à « voir » les situations différemment, les chercheurs ont ainsi choisi d’exploiter le potentiel de restructuration de sens des situations (Dumoulin et al., 2018; Dumoulin et Desjardins, à paraitre).
Une recherche-action-formation, à destination des superviseurs universitaires cette fois, deuxième acteur clé de la formation pratique du stagiaire, fait alors l’objet du prochain chapitre (chapitre 5). Celui-ci met en lumière les stratégies pédagogiques utilisées lors de l’accompagnement des stagiaires, en faisant des liens avec les compétences professionnelles attendues des superviseurs, peu explorées jusque-là. Cet apport pourra indéniablement soutenir l’agir compétent des superviseurs universitaires, lesquels sont souvent à l’affut de stratégies pour améliorer leur accompagnement.
L’avant-dernier chapitre (chapitre 6) expose un projet pilote visant l’implantation d’un groupe de codéveloppement composé d’enseignants associés de la formation professionnelle. Il met en lumière les différents apports possibles au – mais aussi du – groupe. Par l’entremise d’une méthode originale inspirée de la psychologie et utilisée en management, l’analyse fait ressortir la contribution de la démarche tant sur le développement professionnel du collectif que des individus, notamment pour développer la compétence à envisager la situation rencontrée selon d’autres manières, voire de façon plus globale. La démarche initiale est ainsi revisitée et les apports de chacun des participants sont envisagés selon un regard neuf, ajoutant à l’essence même du codéveloppement une dimension peu exploitée jusque-là, à savoir l’implication du mode de pensée du participant sur les bénéfices de la démarche. Cette conception du codéveloppement fait voir le pouvoir subjectif de chaque personne comme un apport au groupe, dans sa contribution à travers ses manières de s’approprier et de réagir face à une situation problématique. Aussi, il est intéressant de constater l’intérêt et la complémentarité de chaque mode de pensée (illustré par chacun des six chapeaux) dans l’analyse d’une situation professionnelle.
Le dernier chapitre (chapitre 7) présente une démarche d’accompagnement et des stratégies à caractère constructiviste, offertes à des animateurs de groupes de codéveloppement. Celles-ci ont soutenu leurs apprentissages et le développement de leurs compétences professionnelles, et ont notamment contribué au développement d’habiletés en animation des animateurs participants. Parmi elles, on retrouve les rétroactions offertes et leur qualité, l’apport théorique et pratique des accompagnatrices, la stimulation par des défis, etc.
Que ce soit par l’exploration de pistes nouvelles, d’adaptations, ou par l’utilisation de la démarche telle qu’elle a été initialement pensée par ses concepteurs, cet ouvrage permet de rendre compte des nombreux apports du codéveloppement. Toutefois, on voit apparaitre qu’il existe une condition sine qua non pour qu’il porte ses fruits, soit la manière dont est tenue la fonction d’animation. Celle-ci présente des défis et demande à ce qu’une attention particulière y soit portée si l’on ne veut pas basculer dans une discussion sans analyse rigoureuse, un « café croissant » pour reprendre les termes de Payette et Champagne (2010, p. 9). Le recadrage offert par l’animateur qui est garant du processus fera notamment en sorte que la séance de codéveloppement dépasse la discussion pure et simple. Aussi, parmi les aspects qui devraient être observés dans la mise en place de la démarche, les auteurs mettent en exergue certaines conditions gagnantes. Par exemple, ils suggèrent de s’assurer de l’absence de conflit de rôle chez l’animateur, ce qui peut amener à faire appel à un animateur externe à l’organisation. Aussi, combiner l’animation à la formation permettrait d’étayer l’apprentissage par certaines suggestions de lectures. Ce point nous apparait particulièrement prometteur et gagnerait à être étudié.
Si certains auteurs parlent d’un défi de posture, d’autres traitent du statut, des compétences et de la formation de l’animateur, faisant ressortir toute la complexité de la démarche. Même si certaines redondances apparaissent dans la présentation des étapes de la démarche, l’ouvrage pose une question de taille, celle de la préparation et de la formation des formateurs, et plus largement celle de l’accompagnement des accompagnateurs. Car si le codéveloppement professionnel a le vent en poupe, c’est bien parce que les situations d’accompagnement appellent à ce que les accompagnateurs bénéficient eux aussi d’un espace pour se dire et traiter en commun des situations qui les amènent à douter à l’intérieur de leur professionnalité émergente. Ces lieux d’échanges accompagnés leur permettraient d’objectiver les situations rencontrées pour mieux vivre avec la subjectivité qui constitue le coeur de leur travail. Cette professionnalité émergente chez les formateurs cherchant une légitimité et une reconnaissance dans leur travail fait transparaitre une difficulté à exposer ses faiblesses lorsqu’il est question de déposer devant les autres son vécu et les tensions relatives à son rôle. L’absence de doute et de questionnement peut alors entraver le processus de développement professionnel que l’approche de codéveloppement cherche pourtant à soutenir. C’est la raison pour laquelle ce processus gagne à être encadré et que la présence de formateurs voire de partenaires universitaires spécialistes de la démarche demeure pertinente, dans sa mise en place et sa facilitation. Car l’instauration d’un climat de confiance basé sur le respect et la confidentialité (notion qui apparait peu dans l’ouvrage) demeurent essentielles pour que l’apprentissage puisse avoir lieu.
Notons que l’ouvrage annonce par son titre traiter des conditions et des enjeux du codéveloppement. Les différents chapitres y répondent parfaitement. En ce qui concerne les perspectives, certains auteurs mettent de l’avant des pistes intéressantes. Entre autres, sur le plan pratique et social, il s’agirait de procéder à un travail de sensibilisation des différentes instances quant à l’importance de la formation des formateurs de stagiaires et de démontrer la pertinence et la richesse du modèle de codéveloppement professionnel. Il faudrait d’ailleurs aider ces derniers à développer les compétences et la posture nécessaires pour endosser adéquatement le rôle d’animateur. Aussi, une avenue à explorer serait l’aspect de la coformation associé au rôle de superviseur, peu reconnu par ce dernier et pourtant essentiel dans une vision intégrative et différenciée de l’accompagnement du stagiaire. Puisque le groupe de codéveloppement mène à de nombreuses prises de conscience et remises en question, son potentiel pourrait être sollicité pour réfléchir de manière élargie à la façon dont les superviseurs conçoivent leur rôle d’accompagnateur. Un seul texte de l’ouvrage se penche sur ce formateur en particulier. Plusieurs pistes d’expérimentation intéressantes sont évoquées dans le dernier chapitre et constituent des perspectives de recherche à investir.
Comme le notent Cividini et ses collègues dans cet ouvrage, les bases d’une formation initiale et continue pertinente et porteuse se situent là où se développent des collaborations entre le milieu scolaire et le milieu universitaire par le biais d’activités de formation pratique, de recherche ou encore de développement pédagogique. Cet ouvrage nous permet de le cerner amplement.
Finissons en précisant qu’il ne faudrait pas confondre la démarche de codéveloppement professionnel avec une « simple » résolution de problème tournée vers le « client » et sa situation professionnelle ayant fait l’objet de l’analyse. En effet, l’émergence des idées, des projets et des pistes de solution par les pairs aboutit à une synthèse par le client, s’appropriant ainsi les avenues témoignant d’une nouvelle construction de sens, mais aussi s’engageant à faire un retour sur la solution adoptée. De plus, l’ensemble des participants élaborent un bilan des apprentissages, ce qui constitue l’apport particulier de la démarche et lui confère sa puissance collective. Le présent ouvrage permet d’en rendre compte et met de l’avant que les stratégies déployées et investiguées ne se cantonnent pas à un domaine en particulier. Puisqu’elle offre les clés permettant de soutenir un processus d’apprentissage, la démarche de codéveloppement professionnel peut être aisément transposée à d’autres domaines, indépendamment du contexte. Et c’est ce qui lui confère tout son intérêt en matière de formation!
Appendices
Bibliographie
- Dumoulin, M-J., Guillemette, S., Garant, C., Nadon, I. et Danis, J. (2018). Vers une posture de coopération : regard sur la restructuration du sens de l’accompagnement professionnel auprès des enseignants. Dans S. Boucenna, É. Charlier, A. Perréard-Vité, et R. Wittorski (dir.). L’accompagnement et l’analyse des pratiques professionnelles : des vecteurs de professionnalisation (p.41-61). Toulouse : Éditions Octarès.
- Dumoulin, M-J. et Desjardins, J. (2019). Un modèle de codéveloppement professionnel en formation continue des enseignants associés au Québec pour déjouer l’opposition entre reconnaissance et mise en question du savoir d’expérience ? P. Guibert, X. Dejemeppe, J. Desjardins et O. Maulini (dir.). Questionner et valoriser le métier d’enseignant. Une double contrainte en formation (p.157-178). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur.
- Landry, C. (2013). Le partenariat en éducation et en formation : des formes de collaboration à l’espace partenarial. Dans Landry, C. et C. Garant (dir.). Formation continue, recherche et partenariat. Pour construire la collaboration entre l’université et le milieu scolaire (p.31-62). Québec : Presses de l’Université du Québec.
- Payette, A. et C. Champagne. (2010) Le groupe de codéveloppement professionnel, 2e éd., Québec : Presses de l’Université du Québec.