Dans sa monographie, Andréane Gagnon a choisi comme objet d’étude la grève qui s’est déroulée chez Amoco en 1980 à Hawkesbury, ville dont l’autrice est elle-même originaire. La municipalité y est décrite comme un lieu « glauque » où règne une atmosphère « lourde » dont on peine à première vue à saisir l’origine, puisque la ville est aussi marquée par l’amnésie historique et l’oubli du passé. Quand on daigne en rappeler l’histoire, c’est trop souvent en prenant le point de vue des élites dominantes, et donc en omettant de faire l’histoire « par en bas », celle de la classe travailleuse et des conflits politiques. Le conflit chez Amoco est au contraire l’occasion pour Gagnon, à la manière des travaux de Howard Zinn, d’aller à rebours de l’oubli et de s’intéresser à l’histoire de la classe ouvrière et populaire de la région de Prescott-Russell, afin de mettre au jour l’oppression historique multiforme qui pèse inconsciemment sur le cerveau des vivants. La grève met en scène non seulement une minorité défavorisée sur le plan socioéconomique, mais une communauté franco-ontarienne infériorisée tant sur le plan politique que sur les plans culturel et linguistique. Cet objet d’étude est donc idéal pour étudier la dialectique entre la question nationale et la question sociale. La méthode choisie consiste à mener des entretiens avec trois témoins et acteurs de l’événement : le politologue Serge Denis, l’animateur social Richard Hudon et le dramaturge Jean Marc Dalpé. La grève d’Amoco est sans aucun doute l’épisode de résistance syndicale le plus important dans l’histoire de Hawkesbury. Cette dernière a déjà porté le nom de Hamilton’s Mills, ce qui révèle bien son statut de « company town » ; la ville était en effet dominée par une oligarchie dirigée par les frères Hamilton, des investisseurs irlandais venus exploiter des moulins à scie au début du xixe siècle. La classe ouvrière, dominée sur le plan socioéconomique, est aussi composée de membres de la minorité linguistique franco-ontarienne. La grève est donc un événement d’importance dans l’histoire de l’Ontario français et agit comme un révélateur illustrant les rapports de force qui y ont existé, aussi bien la domination de classe que l’oppression culturo-linguistique ou nationale. Le conflit chez Amoco, écrit Gagnon, est une « lutte ouvrière provoquée par les mauvaises conditions de travail et par le sentiment qu’ont les travailleurs d’être méprisés par le patronat » (p. 29). Les ouvriers revendiquaient par exemple un salaire indexé à l’inflation ; cette demande, refusée par le patronat, sera l’étincelle qui lancera la grève le 12 mai 1980. Il semble que les propriétaires d’Amoco auraient déclenché et prolongé délibérément le conflit afin d’écouler les stocks entreposés et de délocaliser l’entreprise. Fait significatif, les ouvriers demanderont à ce que, pour la première fois, les rencontres d’arbitrage avec les patrons d’Amoco se déroulent en français, une demande qui sera refusée. Double refus, donc, de demandes économiques et linguistiques qui illustre bien l’articulation des formes d’oppression sociale et nationale lors de la grève. L’importance de théoriser la dialectique entre la question sociale et la question nationale apparaît dans les années 1960-1980. Gagnon évoque une période marquée par les idées marxistes et décolonisatrices, citant notamment, par exemple, les revues Parti pris, Révolution québécoise, l’ouvrage Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières, les travaux de Bourque et de Dostaler ou encore ceux de Mascotto et de Soucy. Elle s’appuie également sur la figure majeure du sociologue Marcel Rioux. Ce dernier analysait la situation du peuple québécois comme celle d’une « collectivité doublement aliénée, économiquement et culturellement » (Rioux, cité par Gagnon : 37). Sa perspective illustre bien l’évolution …
Andréane Gagnon, Regards croisés sur la grève d’Amoco à Hawkesbury : une histoire ouvrière de l’Ontario français, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2023, 162 p.
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Éric Martin
Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu
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