Recensions

Benoit Doyon-Gosselin, Moncton mentor : géocritique d’une ville, Moncton, Éditions Perce-Neige, 2022, [152] p.[Record]

  • Lucie Hotte

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  • Lucie Hotte
    Université d’Ottawa

Dans son essai fondateur, Les littératures de l’exiguïté, François Paré soutenait avec raison que les petites littératures sont obsédées par l’espace (1992 : 70), un espace lui-même obsédant à cause justement de son absence : les communautés minoritaires n’ayant pas d’espace à elles cherchent à s’en créer un par l’imagination. La littérature devient donc un outil de choix dans la fondation d’un territoire imaginaire, mais vécu comme réel. Aussi les études sur l’espace pullulent-elles en critique littéraire franco-canadienne. Moncton mentor : géocritique d’une ville de Benoit Doyon-Gosselin, professeur de littérature à l’Université de Moncton, s’ajoute aux analyses précédentes, énumérées par ailleurs par l’auteur (p. 32-37). Ce nouvel essai se distingue cependant des précédentes études tant par sa visée, sa forme que son cadre méthodologique. En effet, il s’agit pour le professeur, critique et essayiste de Moncton de parcourir la ville et les oeuvres qui la mettent en scène, tant d’écrivains acadiens que d’auteurs d’ailleurs, afin de les confronter à la réalité et de voir comment la ville détermine les oeuvres et comment les oeuvres transforment la ville. L’essayiste cherche ainsi à voir comment les auteurs acadiens – dits endogènes – s’approprient la ville, lui associent une valeur symbolique, mais aussi comment les auteurs d’ailleurs – exogènes – ou venus d’ailleurs, mais installés à Moncton – allogènes – perçoivent la ville et la transforment en haut-lieu de la francophonie acadienne, voire en capitale culturelle de l’Acadie (p. 14-15). Les lieux parcourus par l’essayiste sont très diversifiés : l’Université de Moncton, la rivière Petitcodiac, les rues, les parcs, les cafés, le théâtre l’Escaouette… D’autres sont carrément fictifs, comme la carte du faux métro de Mark York ou le quartier de la Terre-Rouge dans Pas pire de France Daigle. D’autres encore sont transformés soit par le passage du temps ou le travail mémoriel, comme dans ce poème de Raymond Guy LeBlanc qui redonne vie au quartier de son enfance : « J’entre en ville sur le chemin du roi je rebaptise les rues pour l’avenir pour l’héritage / La rue Cornhill porte le nom Dupuis Marie à Ferdinand ma mère. » (p. 50) Présenté sous une forme fragmentaire, l’essai de Doyon-Gosselin est composé de sections plus ou moins longues qui proposent soit des présentations et des mises au point théoriques, brèves et précises, soit des analyses de textes littéraires succinctes et éclairantes, soit des passages nommés « Fiction » par le chercheur, qui évoquent par leur style les premiers romans de France Daigle, tout en ajoutant une trace d’humour non dénuée d’ironie. Le critique opte pour une forme qui rappelle celle que Paré a donnée à son essai de 1992. On sent donc d’emblée, et parfois un peu trop, l’admiration que Doyon-Gosselin voue à François Paré. On remarque toutefois que l’essayiste monctonien a beaucoup réfléchi à la forme de son essai, particulièrement porteuse puisqu’elle permet de passer de la théorie à l’analyse, puis à la fiction sans heurts. Cette forme fluide sert fort bien son propos et fait de cet ouvrage une excellente introduction, très lisible, à l’approche géocritique privilégiée par l’essayiste. En effet, Benoit Doyon-Gosselin propose une lecture inspirée de la géocritique développée par Bertrand Westphal, qu’il applique « dans toute son orthodoxie, mais en tentant d’affiner la réflexion théorique » (p. 10). Il explore les quatre notions qui la fondent : la multifocalisation, la polysensorialité, la stratigraphie et l’intertextualité. Il s’agit donc de comparer les regards sur la ville (la multifocalisation) en se fondant sur les descriptions qui font appel aux divers sens (la polysensorialité), dans une perspective diachronique, qui tient compte « [des] différentes couches de temps se superpos[a]nt …

Appendices