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Introduction

Cette note de recherche propose une réflexion autour d’un projet de construction d’un observatoire des pratiques et des apprentissages du français en Amérique latine. Les questions auxquelles nous entendons répondre sont les suivantes : quelles sont la nature et les fonctions de l’observatoire en tant que dispositif? Quels sont les enjeux épistémologiques et méthodologiques de l’observation des pratiques linguistiques et langagières? Comment faire fonctionner l’observatoire entre les activités de recherche qui le rattachent à un groupe avec ses ancrages (historiques, institutionnels, programmes), les offres éventuelles et la demande de connaissance?

Afin d’apprécier l’intérêt du projet d’observatoire, on trouvera quelques résultats commentés de deux enquêtes menées en Argentine et au Brésil en 2017-2018 (Cunha, Lousada, et Chardenet, 2018) et 2020-2021 (Chardenet et Lousada, 2022), qui font elles-mêmes suite à des travaux d’enquête sur la place de la langue française dans la pluralité linguistique et culturelle d’universités d’Amérique du Sud entre 2014 et 2015 (Cunha, Lousada, 2016). Elles en illustrent la genèse et le développement méthodologique qui se poursuit en 2022 avec une phase d’approfondissement qualitatif de l’enquête menée au Brésil.

L’observatoire en tant que dispositif : nature et fonctions

Entre artefact empirique orienté vers l’action qui le structure et construit intellectuel représentant les relations entre sujets et objets sociaux, la notion de dispositif a souvent été discutée à partir des textes de Michel Foucault consacrés à l’analyse des dispositifs de pouvoir et de savoir :

Il faut rappeler que la notion de dispositif est souvent évoquée [chez Foucault] pour penser les structures visibles et invisibles qui juxtaposent le pouvoir et le savoir. Cette notion désigne aussi un espace institutionnel qui fonctionne sur le modèle de machines à faire voir et à faire parler

Gonzalez, 2015 : 11-12

On trouvera encore des éléments de cette discussion chez Gilles Deleuze (1988), Giorgio Agamben (2007) et Sverre Raffnsøe (2008). On peut donc dire que la notion de dispositif mêle la réalité et son abstraction, ce qui n’est pas sans risque (Baudry, 1975).

L’observatoire tel que nous le projetons est à la fois un instrument organisationnel et une méthode qui structure une activité. Selon Joëlle Le Marec et Florence Belaën : « L’observatoire est un dispositif destiné à fournir une représentation techniquement contrôlée et validée du domaine, là où dans certains cas une vision politique est brouillée » (2012 : 31). Pour Anne Piponnier, il donne à voir ce qu’il produit et comment il le produit :

L’observatoire, qu’il désigne un instrument, une institution ou un ensemble de pratiques plus ou moins concertées autour d’un travail collectif d’observation, est soumis à un régime de visibilité, quels que soient les domaines saisis par l’observation et les moyens qui lui sont consacrés. Cette mise en visibilité répond à une double obligation : non seulement fournir de l’information relative à une problématique ou à un domaine précis, mais aussi rendre compte de la manière dont cette information est produite

2012 : 21

Instrument et méthode, le choix de ce dispositif répond à une exigence organisationnelle du projet, que nous nous sommes fixée et à laquelle s’ajoute celle de la formation par l’observation des étudiantes et des étudiants qui participent aux enquêtes dans chaque pays. Pour pouvoir mettre sur pied des projets d’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des langues dans tel ou tel contexte, il est fondamental de pouvoir s’appuyer sur des connaissances de leurs pratiques sociales réelles sur différents terrains. C’est ce qui devrait pouvoir être mis en oeuvre en amont de la construction de stratégies de formation par la définition d’objectifs et de programmes et la production de supports méthodologiques. Mais la plupart du temps en Amérique latine, ces données de terrain manquent, en particulier en ce qui concerne les pratiques des langues étrangères dont la langue française, car elles ne sont pas considérées comme des enjeux de société (contrairement aux pratiques des langues autochtones qui font l’objet d’observations par des organismes spécialisés ou des programmes de recherche). Malgré des appareils statistiques relativement bien développés dans un certain nombre de pays, les données concernant les langues étrangères restent partielles, ne sont pas mises à jour ou bien reposent sur des représentations construites à partir d’éléments de discours circulants repris et amplifiés sans qu’on n’en connaisse toujours la source (c’est souvent le cas, par exemple, pour le nombre total d’apprenants de français dans tel ou tel pays, faute d’enquêtes formelles périodiques). Ou bien encore, les stratégies reposent sur des représentations construites à partir de données extrapolées d’autres contextes. C’est ce qui se passe, par exemple, quand un établissement, un réseau d’établissements ou des centres universitaires d’enseignement des langues décident de renforcer l’offre d’enseignement et d’apprentissage du français sur objectifs professionnels sans enquête locale formelle préalable sur les pratiques réelles de la langue dans différentes situations de travail. Si de nombreuses recherches en didactique ont été développées depuis une vingtaine d’années pour faire évoluer le « français sur objectifs spécifiques » vers une ingénierie pédagogique intégrant des approches issues de la didactique professionnelle, de la linguistique de corpus, de la lexicométrie, de l’analyse du travail et de l’ergonomie, de l’analyse de discours spécialisés, de l’évaluation en langue avec les référentiels de compétences (Mangiante et Parpette, 2022 : 11-15), il reste que les pratiques du français en contexte professionnel dans les différents pays d’Amérique latine restent mal connues.

Observer les pratiques linguistiques et langagières : enjeux épistémologiques et méthodologiques

La question qui se pose dès lors en préalable à la création de l’observatoire est de définir ce qu’il s’agit de représenter. Tout travail d’observation incluant l’objet langue doit reposer sur une conception théorique de ce qu’est une langue, ce qui revient inévitablement à la relation entre la place donnée au système, qui est analysé par la linguistique en tant que code à produire de la langue et la place donnée à son appropriation sociale, qui est analysée par la sociolinguistique en tant que variation dans des pratiques langagières qui inventent et réinventent sous l’influence des situations sociales. Les contextes professionnels et d’apprentissage sont les situations sociales d’observation choisies pour cet observatoire, raison pour laquelle nous utilisons la notion de pratiques. Pourquoi parlons-nous de « pratiques » de la langue et non pas de ses usages? Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, il existe une distinction didactique établie depuis longtemps entre « usage » et « emploi ». C’est Henry George Widdowson (1978) qui rappelle cette distinction à la fin des années 1970 avec l’approche communicative en montrant que, jusqu’à cette période, on avait eu tendance à centrer l’enseignement sur l’usage (c’est-à-dire les règles), en pensant que les apprenants pourraient acquérir par eux-mêmes l’emploi (c’est-à-dire la mise en oeuvre langagière : comment utiliser les énoncés dans les situations de communication de la vie courante). Une telle distinction a un sens du point de vue didactique mais pas du point de vue descriptif. L’« usage » n’est pas l’utilisation concrète de la langue en situation, mais le réglage qui repose sur la connaissance et l’appropriation du système, et l’« emploi » reste une notion relativement limitée. D’une part, elle est centrée sur les tentatives langagières des apprenants[1] et, d’autre part, elle appréhende les réalisations langagières « en général », l’emploi global de la langue qui ne tient pas vraiment compte des facteurs contextuels qui peuvent peser sur le réglage (comme on peut le voir, par exemple, dans la communication numérique). C’est pour ces raisons que nous avons préféré adopter la notion sociolinguistique de pratiques de la langue, qui permet d’intégrer plus largement la diversité des pratiques sociales et, dans notre projet en particulier, les pratiques sociales de la langue en situation de travail. Il s’agit, par exemple, d’intégrer dans l’étude la spécificité des activités de recherche d’information en français que l’on trouve dans de nombreuses situations de travail, comme le montrent les enquêtes, mais qui sont peu étudiées sous l’angle des pratiques langagières, ni du point de vue des compétences qu’elles requièrent; ou encore, d’intégrer dans l’étude la spécificité des activités interlinguistiques quand, dans un groupe, plusieurs personnes agissent ensemble dans des langues différentes et doivent recourir à des compétences plurilingues de compréhension et d’intercompréhension. Ce qui inclut des variétés non natives (Galligani, 2003) qui peuvent se fonder sur des différenciations culturelles transférées dans l’accomplissement de propos adaptés aux situations de travail. Nous distinguons également entre pratiques linguistiques et pratiques langagières : les pratiques linguistiques représentent la sélection, le choix (volontaire ou imposé) de telle ou telle langue dans un acte de communication et les pratiques langagières sont les activités concrètes au cours desquelles la langue ou les langues sélectionnées sont utilisées.

Le but de l’observatoire est de pouvoir répondre à des demandes d’opérateurs de la langue française qui doivent organiser leurs actions, leurs stratégies, par exemple, créer ici ou là dans tel ou tel contexte, de nouveaux types de cours pour répondre à des besoins de formation de professionnels ou, en amont, travailler sur les formations des enseignants, ou encore aider les départements de français à adapter leur curriculum. Les données obtenues peuvent aussi permettre d’échanger avec les responsables en entreprises, dans les systèmes éducatifs, les universités en particulier, pour mieux définir les besoins en formation.

L’observatoire est un dispositif destiné à fournir une représentation scientifiquement contrôlée et validée du domaine, là où les points de vue n’existent pas ou bien lorsqu’ils restent mal définis. C’est aussi un instrument prospectif qui doit permettre d’objectiver le sens des actions et leur efficience. Concrètement, cela veut dire que les observables sont à la fois attendus grâce aux connaissances établies dans le domaine (ce qui permet une approche quantitative et une démarche de vérification d’hypothèses), mais qu’ils peuvent aussi se construire dans l’activité de recherche elle-même (ce qui induit une approche qualitative avec des questions de recherche qui s’élaborent chemin faisant). Par exemple, la formation en français d’un étudiant qui se prépare à aller étudier dans un établissement francophone repose aujourd’hui sur des données de pratiques didactiques de la langue en contexte académique assez bien répertoriées par les différentes équipes qui travaillent sur cette question depuis une bonne quinzaine d’années et, en particulier, au Brésil (Costa et Parpette, 2016). C’est un peu différent pour ce qui est du « français sur objectifs professionnels » qui est très étayé sur le plan méthodologique (Mangiante et Parpette, 2022) et relativement bien documenté en Europe pour ce qui est des corpus langagiers, mais beaucoup moins dans d’autres régions du monde. Or former un Brésilien, un Argentin, un Mexicain pour qu’il puisse agir professionnellement en français, c’est le préparer à des mobilités professionnelles internationales mais le plus souvent, c’est surtout le préparer à des pratiques de la langue française dans des situations de travail en Amérique latine. Pourtant, ces pratiques réelles en contexte professionnel restent mal connues faute d’enquêtes, comme sont relativement mal connues les pratiques réelles d’apprentissage de la langue française dans la région. Il y a bien eu le projet « Cultures d’enseignement et cultures d’apprentissage (CECA Argentine, Brésil, Mexique) » qui a traqué, derrière des discours « didactiquement corrects », ce qu’il en est des modalités locales, collectives et individuelles d’appropriation du français langue étrangère (Carette, Carton et Vlad, 2012), mais il reste difficile d’établir des comparaisons sur les modalités d’apprentissage faute de données régulières. C’est un des objectifs de l’observatoire que de remédier à cette méconnaissance.

Une dynamique d’agrégation d’offres et de demandes comme moteur de l’observatoire

À ce stade, le travail que nous avons entrepris vise à identifier (postes de travail, types d’activités, formes langagières, etc.) et à quantifier (par jour, par semaine, etc.) les types de pratiques de la langue française et le critère linguistique à l’embauche (position du critère, certification, etc.). Ces données devraient permettre ensuite de prendre des décisions congruentes en matière de stratégies de coopération et d’objectifs de formation. Ce projet d’observatoire des pratiques et des apprentissages de la langue française (d’abord, en Amérique du Sud sur demande et grâce au financement de services de coopération et d’action culturelle d’ambassades de France et de l’Agence universitaire de la Francophonie, puis, plus largement, en Amérique latine) s’est construit comme une suite logique, au fur et à mesure des enquêtes qui ont également contribué à créer des réseaux de chercheurs. Nous voyons ainsi l’observatoire comme un lieu de convergence de travaux qui accumulent des données de terrain, afin de les rassembler, de les analyser en les comparant entre les pays, mais aussi en mesurant les évolutions dans le temps par des relances d’enquêtes périodiques.

Plus concrètement, le projet OPAF (Observatoire des pratiques et des apprentissages du français) a été intégré dans un projet plus large, qui est celui du groupe de recherche ALTER-AGE (Analyse du travail et de leurs relations), inscrit dans la base de données du CNPq (Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico[2]), en raison de leurs objectifs interreliés. Le groupe ALTER-AGE-CNPq a été fondé il y a plus de dix ans et il a comme objectif de conduire des recherches à propos des différentes situations de travail et des pratiques langagières qui y sont associées. Dans cette perspective, il est important de comprendre l’apprentissage et les pratiques des langues étrangères ainsi que leur présence et leur fonction dans les milieux professionnels. Dans le monde actuel où la mobilité des étudiants, des professionnels et des professeurs-chercheurs est monnaie courante, observer les pratiques langagières contextualisées et leur fonction est une question importante, qui mérite d’être étudiée au sein du groupe ALTER-AGE-CNPq.

À ce jour, nous avons mené deux enquêtes par questionnaire en 2017 et en 2020, qui tracent un portrait préliminaire des pratiques linguistiques et langagières des locuteurs du français en Amérique latine. La première enquête fait partie du projet « États des apprentissages et pratiques professionnelles du français au Brésil » (Cunha, Lousada et Chardenet, 2018). Le projet avait deux axes majeurs : i) déterminer qui apprend et enseigne la langue française au Brésil; ii) et qui utilise le français dans un ou des contextes de travail. Pour le premier axe, nous avons procédé à des relevés sur le Web et nous nous sommes renseignés auprès de quelques institutions. Pour le second axe, nous avons interrogé des responsables d’entreprises dont l’origine pourrait favoriser des liens avec la langue française (entreprises suisses, belges, canadiennes et françaises au Brésil)[3].

Parmi les résultats, notons que les offres d’apprentissage du français (publiques et privées cumulées ou publiques ou privées complémentaires) sont largement réparties sur le territoire brésilien (Lousada, Rocha et Sumiya, 2018). La majorité des utilisateurs de la langue française en contexte professionnel fait partie de la tranche d’âge de 16 à 45 ans et n’a pas de certification en langue. Selon ces répondants, les quatre compétences linguistiques (c’est-à-dire la compréhension orale et écrite et la production orale et écrite) ont une importance similaire en situation de travail. Plus spécifiquement, la compréhension écrite est jugée nécessaire pour les tâches qui exigent plus de temps; les habiletés orales sont utilisées pour les réunions, les appels téléphoniques, dans la gestion de consignes; les habiletés écrites sont surtout requises pour la lecture des documents techniques et pour lire et écrire des courriels. Parallèlement, la plupart des répondants ont affirmé que le français est également important dans leur vie quotidienne, en particulier comme moyen d’accès à la culture. Ce premier projet nous a amenés à réfléchir aux aspects méthodologiques de notre travail, du point de vue du nombre de répondants et du point de vue des types de questions posées. Ainsi, pour donner suite à ce premier projet, nous avons développé un deuxième questionnaire d’enquête.

Ce deuxième questionnaire fait partie du projet développé par une équipe d’enseignantes-chercheuses, d’un enseignant-chercheur et d’étudiants (licence, master, doctorat) de trois universités (Université de Franche-Comté, Universidade Federal de Viçosa, Universidade de São Paulo). Il a pour but, dans un premier temps, de cerner les pratiques de la langue française en situation de travail au Brésil et, dans un second temps, de les décrire (prolongements à venir de l’enquête réalisée).

Pour atteindre ce but, nous avons envoyé un questionnaire, composé de 34 questions fermées et ouvertes, aux 10 000 membres de la plateforme France Alumnis Brésil gérée par Campus France Brésil. À cette plateforme numérique, composée d’anciens étudiants brésiliens de l’enseignement supérieur français, ont été ajoutées les listes d’abonnés aux lettres d’information électroniques des Alliances françaises de São Paulo et de Rio de Janeiro (population moins ciblée que celle de France Alumnis, composée principalement d’élèves en cours d’apprentissage du français, d’anciens élèves ou de personnes intéressées par les activités culturelles de l’institution, qui peuvent être francophones ou francophiles). Il s’agit donc d’un ensemble de destinataires dont on peut penser qu’ils peuvent exploiter les compétences en français en contexte professionnel si des situations l’exigent. Il ne s’agit pas d’une représentation statistique des pratiques de la langue française par rapport à l’ensemble de la population active brésilienne.

Le questionnaire a été proposé sur la plateforme LimeSurvey, et nous avons obtenu un corpus de 425 réponses considérées comme valides[4]. Notre échantillon comporte une légère majorité de femmes (56 %, soit 237) comparativement aux hommes (43 %, soit 184). La plupart sont âgés entre 26 et 35 ans (32 %, soit 137). La majorité habite dans les États de Rio de Janeiro (32 %) et de São Paulo (28 %), tandis que des pourcentages non négligeables habitent les États du Minas Gerais (8 %) et du Paraná (5 %). Ces chiffres sont assez conformes à la distribution générale des étudiants au Brésil.

On observe que les répondants sont hautement scolarisés et qu’une partie importante de ceux-ci ont suivi un cursus de master ou de doctorat ou sont actuellement inscrits au 3e cycle.

Tableau 1

Niveau d’études des répondants (Brésil)

Niveau d’études des répondants (Brésil)
Source : les auteurs, 2022

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Comme nous pouvons le constater dans la figure 1, une partie importante a étudié le français dans les écoles de langues (62 %, 263), viennent ensuite ceux qui ont étudié en immersion dans un contexte francophone (42 %, 178), en cours particuliers (24 %, 103) et de façon autonome (18 %, 75). Environ 11 % des répondants ont étudié dans le cadre d’un enseignement supérieur régulier (licence ou cours d’extension universitaire)[5].

Figure 1

Comment et où les répondants ont appris le français (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 :189, adaptée)[6]

Comment et où les répondants ont appris le français (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 :189, adaptée)6

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On constate également que les temps d’apprentissage du français sont relativement différenciés : 35 % l’ont étudié plus de 5 ans et 30 % de 3 à 4 ans. Ainsi, au total, les deux tiers des répondants ont appris le français pendant plus de 3 ans. Une partie importante indique un niveau intermédiaire et avancé (B2[7] : 35 %; C1 : 27 %; B1 et C2 : environ 15 %).

Figure 2

Niveau de certification (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 :190, adaptée)[8]

Niveau de certification (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 :190, adaptée)8

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L’expérience de mobilité dans un ou plusieurs pays francophones concerne logiquement une partie importante des répondants (la population cible étant celle d’étudiants ayant bénéficié d’un séjour en France). La distribution des pays les plus visités est assez largement répartie : la France (91 %), la Belgique (50 %), la Suisse (36 %), Monaco (23 %), le Canada (21 %), le Luxembourg (16 %) et le Maroc (12 %), ce qui donne certainement un sens concret à la francophonie, qui reste en général une notion relativement abstraite dans l’apprentissage de la langue française dans des pays non francophones sans frontière commune avec un pays francophone (comme on peut le noter, avec l’effet inverse, dans l’État du Pará au Brésil, qui partage une frontière avec la Guyane française).

Hormis la mobilité, les vecteurs principaux de liens avec la langue française sont variés et équilibrés selon les caractéristiques sociologiques : cinéma, livres, chansons, sites Internet, médias avec environ 60 % des répondants pour chaque support. Pour ce qui est du contact avec des locuteurs francophones proches (amis et/ou personnes au travail), une minorité affirme ne pas avoir de relations avec des francophones (8 %), une part importante affirme avoir jusqu’à cinq contacts (41 %), d’autres ont de 6 à 10 contacts (20 %) et une petite partie a de 11 à 20 contacts (9 %). L’existence d’une communauté francophone au Brésil est le résultat d’une mouvance (Rivard, 2018) construite par des relations entre la population brésilienne ayant appris (ou apprenant) le français et les souches francophones de l’immigration. Si le Brésil occupe le deuxième rang des pays ayant reçu le plus grand nombre d’immigrants français en Amérique du Sud après l’Argentine, la présence massive de nombreuses autres nationalités immigrées a produit une sorte d’invisibilité des Français par le nombre, cependant compensée dans le tissu urbain par une forte présence symbolique des métiers occupés par ceux-ci (Vidal, De Luca, 2001), comparativement aux autres nationalités (Théry, 2009). La projection actuelle est en soi relativement importante, puisque, selon l’ambassade de France au Brésil (2013), 2 millions de Brésiliens ont des ascendants français et que le nombre de Français qui s’y installent avec un projet professionnel a été en croissance dans les années 2010-2020.

Figure 3

Voyages dans des pays francophones (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 : 191, adaptée)[9]

Voyages dans des pays francophones (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 : 191, adaptée)9

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Quand on observe la sphère dominante où on parle le français, on peut dire que les pratiques sont assez également réparties entre les situations de travail et les situations de la vie personnelle : presque la moitié (42 %) affirme utiliser le français dans les deux contextes; 26 % disent l’utiliser surtout au travail et 23 %, surtout dans la vie personnelle. Les pratiques de la langue française au Brésil, pour la population ciblée, seraient donc à la fois professionnelles, relationnelles et culturelles.

Pour ce qui est de la fréquence d’utilisation du français dans les activités professionnelles, on peut voir que la plupart l’utilisent au moins une fois par jour (37 %), ce qui met en évidence à la fois l’aspect ponctuel et périodique récurrent des pratiques. Viennent ensuite ceux qui affirment l’utiliser rarement (31 %), ceux qui l’utilisent de 2 à 3 fois par semaine (20 %) et ceux qui l’utilisent une fois par mois (13 %). Quant aux fréquences réparties sur les quatre habiletés (écrire, lire, parler, écouter), on voit que pour presque la moitié des répondants, les quatre habiletés sont utilisées dans l’ensemble, avec un taux supérieur à 50 % pour les pratiques de réception : lire et écouter.

Figure 4

Sphère dominante où le français est utilisé (Les auteurs, 2022)

Sphère dominante où le français est utilisé (Les auteurs, 2022)

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Figure 5

Fréquence de l’utilisation du français en contexte professionnel par compétence (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 :194)[10]

Fréquence de l’utilisation du français en contexte professionnel par compétence (Sumiya, Lousada et Camargo, 2022 :194)10

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Pour ce qui est du rapport du français avec d’autres langues dans les contextes de travail, une grande majorité de ceux qui l’utilisent (84 %) déclare que d’autres langues coexistent dans le même contexte professionnel et seulement 16 % affirment qu’il n’y a qu’une seule langue. Les résultats montrent que les trois langues les plus utilisées sont l’anglais (296 réponses, soit 83 %), le portugais (252 réponses, soit 70 %) et l’espagnol (124 réponses, soit 34 %). D’autres langues ont été mentionnées avec une fréquence moindre : l’italien (8 %), l’allemand (5 %), l’arabe (1 %) et le russe (1 %).

Néanmoins, malgré l’existence de pratiques en plusieurs langues dans le même contexte professionnel, on voit qu’une seule langue est généralement choisie pour la communication (58 %), et pour les 7 % qui affirment que chacun parle dans sa langue maternelle et que tout le monde se comprend, il est probable que l’on se trouve dans un milieu plus monolingue (soit francophone, soit lusophone). Pour ce qui est des pratiques conjointes de plusieurs langues, 17 % affirment que chacun communique dans la langue de son choix et que tout le monde se comprend.

En ce qui concerne les données sociodémographiques, deux constatations nous semblent d’emblée intéressantes. D’une part, comme nous pouvions le prévoir, la majorité des répondants se trouve soit dans l’État de Rio de Janeiro, soit à São Paulo. Dans le cas de Rio de Janeiro, c’est probablement la forte influence culturelle francophone dans l’ancienne capitale brésilienne qui explique ce taux, le plus élevé du Brésil. Cette influence francophone historique peut être encore observée, par exemple, par le fait que certains organismes francophones ont leur siège à Rio de Janeiro et pas à São Paulo, la ville la plus grande et la plus importante économiquement du Brésil. C’est le cas de la Délégation générale des Alliances françaises, aujourd’hui devenue Coordination générale des Alliances françaises, et de l’existence d’une Maison de la France. Dans les autres États, c’est probablement à la fois la présence d’entreprises ayant des liens avec une maison mère, des partenaires de production ou des clients et le développement de nombreux accords interuniversitaires avec les pays francophones qui expliquent l’influence francophone, notamment à São Paulo ou au Paraná.

Ces extraits de données des enquêtes déjà menées mettent en évidence la complexité de saisir les états et les dynamiques de la langue pour orienter des décisions et planifier des actions de coopération linguistique. Le questionnaire nous a également permis de tirer plusieurs conclusions sur les contextes d’apprentissage des répondants. Nous avons pu constater que la grande majorité a appris le français soit dans des écoles privées de langues, soit grâce à des cours particuliers. On voit ainsi que, dans un pays où le français n’est pas une langue présente de manière officielle dans le système éducatif, se développe un marché d’offres privées (cours particuliers et écoles de langues) auxquelles la majorité des répondants a eu recours. L’expérience de la mobilité internationale est aussi un facteur d’appropriation pour une partie importante des répondants. Si ces résultats montrent un effet du système éducatif qui privilégie l’apprentissage d’une seule langue étrangère[11], ils mettent aussi en évidence qu’il y a dans le contexte brésilien un espace sinon important, au moins non négligeable, pour l’enseignement du français en dehors du système d’éducation national. Une demande potentielle qui représente une perspective de diversification professionnelle possible pour les enseignants de français langue étrangère (FLE).

Le marché de l’enseignement du FLE, c’est aussi celui de ses certifications. Les diplômes que déclare avoir obtenus la majorité des répondants diplômés semblent montrer que les certifications sont importantes pour la mobilité, étant donné que plus de 60 % affirment avoir un DELF[12] B2 ou un DALF[13] C1 (niveaux généralement exigés pour ceux qui souhaitent étudier dans un pays francophone, en fonction du diplôme universitaire préparé). Mais il n’y a apparemment pas de continuité avec le domaine professionnel puisque la plupart de ceux qui utilisent le français dans leurs activités professionnelles déclarent ne pas avoir été recrutés sur cette base (ce que confirment les réponses des entreprises contactées dans une enquête précédente, pour lesquelles les diplômes de langue ne sont pas une exigence) (Cunha, Lousada, Chardenet, 2018). Ces éléments devraient intéresser les décideurs et les gestionnaires de structures de cours de français afin d’ajuster leur offre et, éventuellement, solliciter d’autres études plus ciblées à l’observatoire.

Conclusion

Ce que l’on doit retenir à ce stade, c’est que, outre l’ambition de déployer des enquêtes comparables dans d’autres pays d’Amérique latine avec des équipes partenaires locales qui pourraient ainsi entrer dans le dispositif, la mise en oeuvre des enquêtes déjà menées et leurs résultats font apparaître des enjeux de nature différente. Ces enjeux de méthodologie tiennent au continuum à construire entre les enquêtes quantitatives par questionnaire et leur prolongement qualitatif sous forme d’entretiens avec des échantillons de répondants et d’observation de situations. Ils sont aussi liés aux enjeux de problématiques soulevées par l’analyse de certains résultats, comme les questions d’alternance et de concurrence éventuelle entre les langues.