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2.

Le 28 novembre 1938, Margarethe et Vera Graubart quittent la ville. Le train passe lentement sur le viaduc quand viennent en vue les bâtiments qui dominent tout : la direction ferroviaire fédérale dans la Bienerstraße, quartier général de la Gestapo en 1938. Margarethe, ferme-t-elle les yeux lorsqu’elle voit apparaître l’immeuble ?

Il y a à peine deux mois, elle dût s’y rendre avec son mari Richard, sur une convocation d’Adolf Eichmann. L’office d’aryanisation d’Innsbruck l’avait prié d’intervenir parce que le processus d’expropriation avançait trop lentement. Elle et Richard avaient été traités comme des détenus, ils avaient dû se mettre en rang dans le corridor avec d’autres commerçants juifs et d’autres femmes, au garde-à-vous, visage face au mur. Des SS en cuissardes passaient près d’eux, hargneux, hurlant et frappant sans raison. Mais tout cela était encore supportable, ils faisaient ce qu’on leur demandait, ils étaient déjà presque partis, leurs valises étaient bouclées depuis des semaines dans le vestibule, pourquoi alors –

Je pense à Margarethe, plus fragile encore, les yeux rentrés au fond des orbites, inexpressifs, fatigués. Peut-être qu’elle échappe un instant au poids des derniers jours, les deux semaines et demies passées depuis le meurtre de Richard étaient remplies d’obligations, de rendez-vous, de dernières préparations pour le déménagement. Maintenant, condamnée à l’inaction, expulsée de la ville où elle, son mari et leur enfant étaient nés : Vera, il faut la sauver, coûte que coûte. Margarethe, caresse-t-elle la joue de sa fille, enlève-t-elle une mèche du visage en penchant légèrement sa tête d’un côté et en regardant par la fenêtre ?

À gauche, la maison des ainés Kaiser-Franz-Joseph. À l’époque, il y avait encore, après la maison des ainés, un pré où, au début du mois de mai 1938, des centaines d’enfants saluaient le Führer quand il passait en revenant d’Italie. Un chroniqueur de l’école parlait avec enthousiasme d’un moment inoubliable, d’amour éternel pour le Führer.

Qui, Margarethe Graubart a-t-elle pu rencontrer pendant les jours après le meurtre de Richard ? Certainement son beau-frère Alfred et sa femme, eux aussi avaient été agressés dans la nuit du 9 au 10 novembre. On avait gravement maltraité Alfred. Mais, après tout, il était vivant.

Cette nuit a tout détruit, avec des coups ciblés, elle a tout anéanti. Ce qui promettait un avenir jusqu’à récemment, n’est plus pensable maintenant que dans le passé, une vie avec Richard. Désiraient-ils un deuxième enfant ?

Pourquoi lui, pourquoi Richard ? Margarethe essaie de comprendre l’incompréhensible : cela devait être une erreur, l’agression s’adressait certainement –

Christoph W. Bauer, Graubart Boulevard, Innsbruck, Haymon, 2008, p. 11-12.

Tous droits réservés : @ Haymon, Innsbruck, 2008.

Traduit à l’Université de Montréal par Martine Béland, Caroline Bem, Doris Eibl, Johanna Himmer, Marie Charlotte Kaiser, Elisabeth Tutschek.