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Eurostudia reproduit ici une traduction inédite de la Selbstanzeige de Robert Musil. Feignant de répondre à un éditeur qui lui demanderait de présenter L’Homme sans qualités, l’auteur s’emploie à décrire son roman et choisit de dire ce qu’il n’est pas. Musil donne le titre Selbstanzeige au fruit de cet exercice fragmentaire qui, publié à titre posthume, se trouve dans l’édition en 9 volumes des Gesammelte Werke et fait partie des matériaux (1930-1942) relatifs au roman. Le titre allemand, ici traduit par « Annonce de l’auteur », a une double connotation : il évoque à la fois une auto-dénonciation, au sens de se livrer à la justice, et une annonce à des fins promotionnelles, ce qui fait de cette sorte de quatrième de couverture ex negativo le lieu où l’auteur annonce et dénonce son roman.
Annonce de l’auteur [Selbstanzeige][1]
À la demande de parler de mon livre de x pages, x chapitres, x personnages et tout cela en 33 lignes, en veillant à ce qu’aucune ne soit vide, je me heurte à de tels obstacles que je préfère dire, finalement, ce que mon livre n’est pas.
Ce n’est pas le grand roman autrichien attendu depuis des temps immémoriaux, bien que…
Ce n’est pas un portrait exact de notre époque dans lequel Monsieur… se reconnaîtrait tout de suite, lui-même, sa vie, son quotidien
Ce n’est pas non plus une fresque de la société
Ce livre ne contient pas les problèmes qui nous tourmentent, mais…
Ce n’est pas l’oeuvre d’un écrivain, par son devoir (de reproduire ce que…), mais par une variation constructive.
On pourrait encore ajouter : s’inscrivant dans l’esprit de la totalité, ce livre est idéaliste, analytique, voire synthétique.
Ce n’est pas une satire, mais une construction positive.
Ce n’est pas une expression d’allégeance, mais une satire.
Ce n’est pas le livre d’un psychologue.
Ce n’est pas le livre d’un penseur (parce qu’il ordonne les éléments théoriques de la pensée en une structure qui —)
Ce n’est pas le livre d’un ténor qui…
Ce n’est pas le livre d’un auteur à succès
ni d’un auteur sans succès
Ce n’est un livre ni facile ni difficile ; cela dépend entièrement du lecteur.
Je crois pouvoir dire, sans devoir poursuivre ainsi, que celui qui veut vraiment savoir ce que ce livre est, devrait tout simplement commencer par le lire / et ne pas se fier à mon jugement ou au jugement d’autrui et le lire / D’ailleurs, on ne devrait… se fier à mon [jugement] et on ferait mieux de lire le livre —
Appendices
Note
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[1]
Musil, Robert. Gesammelte Werke, vol. 5 (Der Mann ohne Eigenschaften). Rowohlt, Reinbek bei Hamburg 1978, p. 1939.