Abstracts
Résumé
Cet article compare la parodie burlesque, Mathilde, de Gabriel Lurieu et Michel Masson (Théâtre du Palais-Royal), au drame également intitulé Mathilde, de Félix Pyat et Eugène Sue (Théâtre de la Porte-Saint-Martin), afin de montrer les divers moyens par lesquels les parodistes réussissent à faire éclater l’illusion théâtrale qui, normalement, permet à ceux qui sont venus voir une pièce d’adhérer à la fiction créée sur les planches. Ils jouent entre autres la carte de la connivence avec le public, s’appuyant sur des transgressions ludiques par rapport à l’oeuvre source pour faire abattre le quatrième mur et ouvrir une brèche au rire persifleur et au jugement critique.
Mots-clés :
- parodie,
- Pyat et Sue,
- Mathilde,
- Lurieux and Masson
Abstract
This article compares the burlesque parody, Mathilde, by Gabriel Lurieu and Michel Masson (Théâtre du Palais-Royal), to the drama also entitled Mathilde, by Félix Pyat and Eugène Sue (Théâtre de la Porte-Saint-Martin), in order to show the various means by which the parodists succeed in shattering the theatrical illusion that normally allows those who have come to see a play to adhere to the fiction created on stage. Among other things, they play the card of connivance with the audience, relying on playful transgressions from the source work to break the fourth wall and make way for sarcastic laughter and critical judgment.
Keywords:
- parody,
- Pyat and Sue,
- Mathilde,
- Lurieux and Masson
Article body
On court à la parodie de Mathilde comme on courait au drame ; toute la différence, c’est qu’on pouffe de rire au Palais-Royal, tandis que l’on pleure à la Porte-Saint-Martin. Alcide Tousez est un ravissant Rochegune, et Leménil un terrible Lugarto[1].
Mathilde est une excellente parodie en vers burlesques. On retrouve Rochegune, Lugarto, mais sous quels costumes, bon Dieu ! Enfin c’est un feu roulant de bêtises à faire rire le plus flegmatique spectateur[2].
Au XIXe siècle, les dramaturges français franchissent « le quatrième mur du théâtre » de multiples façons, faisant éclater l’illusion théâtrale qui, normalement, permet à ceux qui sont venus voir une pièce d’adhérer à la fiction créée sur les planches. On peut, par exemple, découvrir à la fin de nombreux vaudevilles un couplet adressé au public lui demandant son indulgence pour l’oeuvre à laquelle il vient d’assister. D’autres pièces mettent des spectateurs en scène ou des acteurs dans la salle[3]. Il peut aussi s’agir, dans certains cas, de recréer sur scène l’ouverture d’un théâtre[4] ou d’établir une connivence entre le public et des acteurs qui lui sont bien connus[5]. On peut par ailleurs montrer les coulisses d’un spectacle ou la loge des acteurs, le travail d’un directeur théâtre ou des ouvreuses[6]. D’autres textes repassent sous les yeux du public les créations de l’année ou parodient une oeuvre à succès ou controversée[7]. C’est un exemple tiré de cette dernière catégorie – la parodie – qui va retenir notre attention ici car le rire correcteur et/ou moqueur de la parodie mine de l’intérieur l’impression donnée au spectateur d’observer, comme à travers un mur, une réalité vécue.
Mathilde et sa parodie
Mathilde, drame en cinq actes et en prose de Félix Pyat et Eugène Sue, est basé sur le roman Mémoires d’une jeune femme du dernier nommé de ces deux auteurs[8]. Créée au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 24 septembre 1842, la pièce connaît quatre-vingt-treize représentations jusqu’à la mi-janvier 1843 et rapporte d’excellentes recettes à l’administration comme aux auteurs. Un tel succès est souvent générateur de parodies pouvant constituer un enjeu commercial important pour les théâtres qui les mettent en scène. Aussi Mathilde, drame burlesque en trois actes et en vers de Gabriel de Lurieu et Michel Masson, est-il monté au Théâtre du Palais-Royal le 19 novembre 1842. Ce calque réducteur et parodique y tient l’affiche jusqu’aux premiers jours de janvier 1843, ce qui constitue une belle réussite pour ce genre d’ouvrage[9]. Il fait rire les spectateurs qui ont pleuré en regardant le drame de Pyat et Sue car les auteurs du drame burlesque jouent la carte de la connivence avec le public et s’appuient sur des transgressions ludiques par rapport à l’oeuvre source pour laisser la place au rire persifleur et au jugement critique. Comme l’indique Albert Aubert, critique dramatique à la Revue indépendante,
C’était une pensée de haute bouffonnerie que d’accoupler les deux noms d’Alcide Tousez [acteur comique au Palais-Royal] et de Rochegune [personnage de la pièce]. La figure blême, le regard mélancolique, l’amant de Mathilde, devenu cocher de cabriolet, tire une pipe belge de sa veste ; et, se retirant au fond de la scène, il fume d’un air pensif et rêveur. Cette fumée silencieuse montant vers le ciel était une image saisissante de la dévotion amoureuse de cet infortuné Rochegune, qui se consume à petit feu, et brûle d’une flamme si discrète durant [les] six gros volumes [du roman][10].
Des changements qui poussent au rire
Révéler les divisions sociales, la dégradation des moeurs et la mobilité des valeurs à l’époque est l’une des missions que se donnent Pyat et Sue dans leur drame joué par des acteurs qui savaient investir les personnages qu’ils incarnent avec la gravité et le pathos qu’attendent d’eux les spectateurs qui fréquentent le Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Lurieu et Masson, conscients du fait que le public du Théâtre du Palais-Royal vient y retrouver des acteurs spécialisés dans un autre répertoire (comédie, vaudeville, parades, etc.) et d’autres emplois, profitent de ce fait pour offrir une version burlesque du drame à succès[11]. Aussi les chroniqueurs théâtraux insistent-ils, dans leurs comptes rendus et entrefilets, sur l’identité des acteurs comiques qui interprètent des personnages dont les noms, à la différence de la plupart des parodies[12], restent les mêmes que dans la pièce originale. Le public porte donc un regard « binoculaire » sur la parodie, se souvenant du drame en prose de Pyat et Sue et des acteurs qui ont joué les personnages au Boulevard Saint-Martin en même temps qu’il considère la version en vers burlesques composée par Lurieu et Masson qu’il a sous les yeux. Les spectateurs sont alors parfaitement conscients du fait qu’ils regardent le simulacre d’une fiction dramatique – simulacre qu’il faut lire au deuxième degré, car la parodie purge l’oeuvre originale de sa gravité, de son émotion et de sa capacité de faire croire que le spectacle sur scène représente un monde « réel ».
Rang, costume, langage et gestes dévalués
Pour insister sur le décalage entre le drame et leur pièce burlesque, Lurieu et Masson misent sur une série de déformations, dévaluations et dédoublements comiques marqués par un autre langage, un autre style de jeu ainsi que de nouveaux costumes. Emblématique du statut socioéconomique d’un personnage, le costume théâtral peut également faire passer un message sur le caractère de celui qui l’endosse[13]. Ainsi, dans le drame de Pyat et Sue, le comte Gontran de Lancry incarne l’aristocratie et l’élégance parisienne et porte un costume qui souligne sa réputation d’homme de la bonne société et de « fashionable »[14]. Dans la parodie, le personnage devient marchand d’habits, revendeur de vêtements. Ce nouveau statut socioéconomique inférieur, caractéristique du genre parodique[15], est sans doute destiné à laisser entendre que la respectabilité et la fortune de Gontran reposent sur de fausses apparences, représentent une fiction toute en surface. Quand, dans la parodie, Mathilde se plaint du fait que son mari s’intéresse beaucoup trop à sa cousine Ursule et ne montre plus d’amour pour elle, Gontran répondra, à part, « J’aime bien mieux avoir un autre tête-à-tête [avec Ursule] / Si ça n’est pas moral, au moins c’est amusant » (M, I, 2). La franchise qui caractérise cette réflexion, absente de la pièce originale, fait rire les spectateurs qui se souviennent des réponses évasives du Gontran de la Porte-Saint-Martin et le niveau du langage s’aligne sur sa nouvelle position sociale.
Le traître du drame de Pyat et Sue, Lugarto, métis et ancien esclave brésilien devenu comte à millions, subit aussi une métamorphose comique et devient, dans la parodie, un marchand de cirage anglais[16]. Comme le cirage servait souvent au XIXe siècle à noircir le visage des acteurs qui jouaient des personnages d’ascendance noire au théâtre, le choix de cette profession constitue un clin d’oeil ironique destiné au public qui devait en saisir facilement le sens[17]. Quant à son costume, il reste très proche de celui du drame original qui faisait déjà de Lugarto une sorte de caricature du parvenu qui mime les codes vestimentaires du beau monde sans les maîtriser[18]. Faire endosser une version de ce costume ostentatoire et fastueux par un marchand de cirage dans le drame burlesque rend encore plus évident le rôle carnavalesque de son habit. C’est un déguisement qui ne cache qu’à peine la nature factice et retorse du personnage (à cette époque on rangeait les marchands de cirage dans la catégorie des charlatans[19]).
Les parodistes modifient également le statut social de Mathilde et Ursule. Dans l’oeuvre originale, Mathilde est une riche héritière nouvellement mariée, mais déjà délaissée par son époux, Gontran. Ursule, femme d’un riche industriel de province, entretient une liaison avec Gontran aux dépens de sa cousine et de son mari, Sécherin, qui ferait tout pour lui plaire et ignore ses écarts par rapport à la moralité. Dans la parodie, Mathilde devient marchande d’oranges et Ursule marchande de cerneaux. À l’acte I, scène 3 de la pièce jouée au Palais-Royal, il y a, comme dans l’oeuvre de Pyat et Sue, une dispute entre les deux femmes au sujet de la relation adultère d’Ursule et Gontran. Dans le drame source, l’antagonisme entre Mathilde et Ursule respecte les limites d’un certain décorum et reste purement verbal, même s’il est clair qu’elles ne se supportent pas. Dans la parodie, leur querelle se concrétise en paroles agressives et en bagarre mimée[20]. Aussi les mots et les gestes – relever les manches, prendre quelqu’un aux cheveux, mettre les poings sur les hanches – situent-ils l’action dans un tout autre milieu social et provoquent-ils un rire de connivence avec le public.
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MATHILDE. C’est à nous deux, ma chère.
URSULE, faisant le simulacre de relever ses manches. Eh bien, soit !… À nous deux.
MATHILDE. Que faites-vous ?
URSULE. Je pense à nous prendre aux cheveux.
MATHILDE. Fi donc !… C’est mauvais ton ; songez qu’on nous regarde
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Et nous sommes trop près d’ailleurs d’un corps de garde.
URSULE, mettant les poings sur les hanches. Causons d’amitié[21].
MATHILDE, l’imitant. Bon ! tu prends ton air vainqueur
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Et crois de mon époux incendier le coeur.
URSULE. Oui, je l’incendierai[22] ! (M, I, 3).
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Le fait de transcrire cette dispute – comme toute la pièce d’ailleurs – en vers burlesques et dans un langage populaire renforce le caractère farcesque de la parodie et la prive de sa capacité de créer le pathos et l’illusion chez le spectateur.
Jeu d’espaces : les lieux du drame sérieux vs ceux du drame burlesque
Les mutations que nous venons de signaler – mutations de rang, de costume, de langage et de gestes – ne sont pourtant pas les seuls changements qui distinguent la parodie de son modèle. Il faudrait aussi examiner le décor des deux pièces pour comprendre la différence entre les deux oeuvres. Dans le drame de Pyat et Sue, les lieux sont cossus, luxueux et habités par des gens du meilleur monde (l’aristocratie ou la bourgeoisie nantie) et leurs domestiques. Le premier acte se passe dans un salon élégant à Paris avec de grandes glaces de chaque côté. L’acte II représente un autre salon parisien attenant à une salle où se déroulera un bal travesti[23]. L’acte III transporte l’action à la forêt de Chantilly par une nuit d’orage extrêmement violent. Dans ce cadre et par ce temps on ne peut plus périlleux[24], les personnages se retrouveront dans le salon élégamment meublé d’une maison mystérieuse. L’acte IV se passe à Paris, dans un appartement de modeste apparence. (Mathilde a été abandonnée par son mari qui, obéissant aux ordres de Lugarto, s’est enfui en Angleterre avec Ursule.) L’acte V a lieu au bois de Vincennes où Sécherin et Gontran se sont donné rendez-vous pour un duel à mort dans les règles.
Dans la parodie, réduite à trois actes, le cadre de l’action change, se mettant en rapport avec le rang populaire des personnages. Les premier et troisième actes ont lieu en plein air[25], dans des guinguettes situées près des barrières de Paris : au Moulin de la Galette au premier acte et au rendez-vous de la Barrière du combat à l’acte III[26]. Le deuxième acte se passe à Paris même, au numéro 13, rue de la Limace, dans une chambre de dix pieds carrés modestement meublée. Cet acte correspond à l’acte III du drame de Pyat et Sue, c’est-à-dire au rapt et à la tentative de viol de Mathilde par Lugarto. L’aspect sordide de ce lieu sombre et minable ainsi que le nom de la rue et le numéro funeste de l’immeuble constitue une version dégradée de la maison dans la forêt[27]. Dans l’un et l’autre cas, Mathilde ne se doute pas du danger qu’elle court dans un espace visiblement marqué comme un lieu de perdition. En reprenant et grossissant la dangerosité du lieu qu’ils transportent dans un milieu urbain, Lurieu et Masson mettent en relief le caractère cliché de l’épisode et signalent leur incrédulité devant la naïveté de la Mathilde[28]. L’illusion théâtrale se dissipe, s’anéantit car le spectateur ne saurait croire à cette niaiserie dès qu’elle est attribuée à une femme d’un milieu populaire.
Dansons maintenant
Comme le changement de décors, de costumes et du statut des personnages, la musique et les danses de la parodie subissent aussi des modifications qui annoncent l’intention ludique et subversive des auteurs. Dans le drame de Pyat et Sue, le bal travesti auquel Lugarto invite Mathilde, Gontran, Ursule et Sécherin comprend des quadrilles, danses à figures plus ou moins convenues et réglées. Associé exclusivement aux guignettes dans la parodie, le galop semble traduire une licence populaire, un laisser-aller moral et physique qui contrastent avec la décence (plus apparente que réelle) de la soirée chez Lugarto. Aussi la didascalie liminaire de la première scène de l’acte I de la pièce de Lurieu et Masson annonce-t-elle que « Au lever du rideau, des meuniers, des portefaix et des marchandes de la halle entrent en galopant par la gauche ; ils traversent le jardin et sortent par le côté opposé » (M, I, 1). Cette apparition tourbillonnante, évanescente du peuple, population déclassée par rapport à celle qui était présente au bal chez Lugarto dans la pièce source, indique dès le lever du rideau qu’on est dans un tout autre univers. Aussi l’arrivée sur scène des personnages principaux de la parodie habillés en marchands ambulants est-elle « naturalisée » par la présence de ces danseurs d’origine populaire, par cette entrée en jeu mouvementée et bruyante qui modifie le regard que le public porte à la pièce. La scène quatre du premier acte verra le retour de ces danseurs. On y trouve une didascalie qui indique que « des musiciens sont venus se placer dans l’orchestre du fond. […] On entend les premières mesures d’une contredanse, avec accompagnement de cornet à piston ; les invités à la fête arrivent des deux côtés du jardin » (M, I, 4). Puis, à la fin de cette scène, qui est aussi la dernière de l’acte I, « [o]n se remet en place pour danser. L’orchestre exécute l’air de la chaise brisée de Musard[29]. Tout le monde danse sur un bruit infernal. Le rideau baisse » (M, I, 4). Le public mesure toute la distance qui sépare cette fête de guinguette du bal mondain chez Lugarto et ne peut manquer de rire de ce décalage avec les auteurs de la parodie.
On trouvera un autre exemple d’un accompagnement musical modifiant le ton du texte original à l’acte II, scène 5 de la parodie. Dans la pièce de Lurieu et Masson, après avoir bu goulûment de nombreux verres d’un punch à l’eau-de-vie contenant un narcotique, Mathilde avoue être un peu « pompette », mais veut recommencer à boire (dans la pièce de Pyat et Sue, arrivée à la maison au milieu de la forêt, Mathilde avait accepté de boire une seule tasse de thé dans laquelle on avait versé une potion soporifique). Quand Lugarto arrive à l’appartement rue de la Limace en pleine nuit, au milieu d’un orage, décidé à violer cette femme qui refuse de se donner à lui, la Mathilde du Palais-Royal, « tombant sur une chaise à gauche du spectateur [s’écrie] / Ah ! profond scélérat ! / Pour un coeur plein d’amour c’est bien peu délicat. / (Elle s’endort. L’orchestre joue : Dodo l’enfant do. Lugarto tourne autour de Mathilde ; il exprime en pantomime toute la joie qu’il éprouve) ». La terreur, que l’on pourrait qualifier de « gothique » dans la pièce de Pyat et Sue, fait rire ici grâce à cette pantomime grotesque et cette berceuse qui rendent le danger que court Mathilde plus burlesque que pitoyable. En amenant le public à rire de cette scène pleine de pathos dans la pièce originale, Lurieu et Masson soulignent le caractère illusoire et ridicule du spectacle, engagent l’esprit critique des spectateurs plutôt que de leur faire croire qu’ils voient un monde « réel » à travers un mur.
Allusions extradiégétiques et commentaires métadramatiques qui détruisent l’illusion
D’autres éléments repris du drame de Pyat et Sue sont à l’origine de commentaires métadramatiques ou d’allusions extradiégétiques dans l’oeuvre de Lurieu et Masson. Considérons, par exemple, cet échange qui n’a pas d’équivalent dans la pièce du Théâtre de la Porte-Saint-Martin :
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ROCHEGUNE, à Sécherin. Lorsque l’on souffre ainsi qu’une femme nous berne,
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On n’est bon qu’à mettre…
SÉCHERIN. Où ?
ROCHEGUNE. Dans le drame moderne ! (M, I, 3).
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Cette observation passe par-dessus la tête de l’interlocuteur intradiégétique auquel elle est adressée et n’est destinée à être comprise que par le public extradiégétique (dans la salle) qui est invité à partager le jugement dépréciateur des parodistes sur la littérature dramatique de leur époque et le personnage cocufié.
Le monologue de Lugarto à l’acte II, scène 4 de la pièce originale offre un autre exemple de commentaire métadramatique dans la parodie. Dans l’oeuvre de Pyat et Sue, au milieu de la soirée du bal qu’il a organisée, Lugarto sort de l’action pour prononcer un monologue où il se décrit, précisant ses origines, son parcours et l’immoralité de son ambition conquérante. Aussi se compare-t-il à Faust, Don Juan et Tantale, « vous, mes maîtres dans le dégoût et la tentation, […] je connais votre supplice, car j’ai souffert comme vous la stérilité dans l’abondance, la satiété dans l’infini du désir !… » (M, II, 4) En reprenant la scène, Lurieu et Masson ne manquent pas de souligner le caractère peu naturel et antithéâtral du procédé. Ils font aussi disparaître du monologue toute allusion aux grands « criminels » littéraires et mythologiques (Faust, Don Juan, Tantale) en lutte contre la moralité convenue ainsi que toute mention de la façon dont Lugarto profite de sa fortune pour essayer de cacher sa naissance servile et illégitime. Les propos de Lugarto perdent alors le caractère sulfureux et subversif qu’ils avaient chez Pyat et Sue et frôlent le prosaïsme et le cliché racialiste, ce qui les rend ridicules. Que l’on en juge par le texte qui suit.
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LUGARTO. Mais encore un instant, mes amis, tenez-vous
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À l’écart, car je veux, à messieurs du parterre,
En façon d’aparté, conter mon caractère.
(S’avançant jusqu’au trou du souffleur et s’adressant au public après avoir salué.)
Je suis un animal assez peu caressant.
Sang mêlé, sans bon sens, j’aime le goût du sang[30] ;
[…]
Partout où prend le feu, c’est moi qui l’entretiens,
Et, par désoeuvrement, je fais battre les chiens.
Je le dis en riant : j’ai du fiel dans la bouche,
Et je porte malheur à tout ce que je touche.
Si je respire un lys, il change de couleur
Et devient aussitôt noir comme un ramoneur.
Vu mon tempérament, pas mal anthropophage,
J’aime un beefsteak sanglant, une beauté sauvage,
[…]
Voilà mes moeurs, mes goûts, voilà mes jouissances,
Faites-en part à vos amis et connaissances… (M, I, 4)
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Citons enfin un autre passage de la parodie qui franchit le quatrième mur en renvoyant au monde extradiégétique. À la scène 8 de l’acte III de la pièce de Pyat et Sue, Rochegune et Sécherin, que l’on croyait mis hors du jeu par les manigances d’un acolyte de Lugarto, arrivent inopinément à la maison de la forêt de Chantilly et réussissent à empêcher le viol de Mathilde. Ils entendent punir Lugarto en le marquant au front avec un couteau chauffé à blanc dans la cheminée. Dans l’oeuvre source, c’est une scène de vengeance empreinte d’indignation vertueuse et de pathos. Dans la parodie, une allusion à un roman-feuilleton de Sue (Les Mystères de Paris[31]) publié dans le Journal des Débats alors que Mathilde se joue sur les deux théâtres, ramène les spectateurs au monde réel et remplace la moralité chevaleresque et l’amour qui motivent le geste de Rochegune et Sécherin chez Pyat et Sue par un clin d’oeil à un texte narratif contemporain[32]. Sans équivalent dans le drame original, ces répliques rompent l’illusion théâtrale qui faisait qu’on adhérait pleinement à l’émotion de cette péripétie dans le drame source.
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ROCHEGUNE, tirant un énorme eustache de sa poche. En chauffant ce couteau devant cette
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lumière.
Je veux te brûler vif…
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LUGARTO. Tu ne l’oseras pas.
ROCHEGUNE. As-tu lu quelquefois le Journal des Débats ?…
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Je prends son feuilleton aujourd’hui pour boussole.
D’un échappé de Brest, d’un vieux maître d’école,
On crève les quinquets [les yeux], sans égard pour ses cris…
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LUGARTO. J’ai lu cela dans les… Mystères de Paris.
MATHILDE, s’éveillant. La mère en prescrira la lecture à sa fille…[33]
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(Elle retombe endormie. – Sécherin serre le cou à Lugarto.) (M, II, 4)
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Une fin tragique transformée en réconciliation sur fond de bombance populaire
Si Gontran est sous la puissance de Lugarto dans la pièce de Pyat et Sue, c’est qu’autrefois il a commis un faux en signant un billet de change du nom de Lugarto afin de payer une dette de jeu. Ayant racheté le document qui témoigne du crime de Gontran, Lugarto menace à tout moment de s’en servir pour dénoncer « son ami » aux autorités s’il ne se plie pas à ses ordres. Or, l’ordre qu’il intime à Gontran dans la pièce source, c’est de quitter Mathilde pour Ursule et de partir avec elle en Angleterre après avoir donné rendez-vous à sa femme dans une maison de la forêt de Chantilly où Lugarto se présentera à sa place. Dans la parodie, si Gontran est soumis au marchand de cirage, c’est qu’étant autrefois employé au bureau du contrôle d’un petit théâtre, il s’est avisé de contrefaire six contremarques de parterre. Aussi le coupable se laisse-t-il mener par Lugarto qui a récupéré ces contremarques. Les mêmes ordres sont donnés que dans le drame de la Porte-Saint-Martin et dans les mêmes intentions. Mais remplacer un crime passible des galères (fausser la signature sur une lettre de change) par un délit qui ne porte pas à conséquence (revendre des contremarques) rend le pouvoir de Lugarto, comme la soumission de Gontran, ridicules et réduit à néant l’impression que ce qu’on regarde est « vrai ».
En conséquence de l’escapade adultérine manigancée par Lugarto dans le drame joué au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Gontran et Sécherin, accompagnés de Rochegune et Lugarto, vont se battre en duel dans le bois de Vincennes. Gontran sera grièvement blessé par Sécherin, mais tuera Lugarto avant de mourir lui-même sous les yeux de Mathilde, Ursule, Rochegune et Sécherin. Si la possibilité d’une réconciliation entre Sécherin et Ursule et d’un mariage entre Mathilde et Rochegune plane sur la fin de l’oeuvre de Pyat et Sue, elle ne se réalise pas sur scène. Dans la parodie, on fait allusion au dénouement de la pièce originale pour s’en moquer. Aussi au lieu de se retrouver au bois de Vincennes, les personnages se réunissent-ils autour de la table d’un cabaret à la Barrière du combat pour manger et boire aux frais de Lugarto. Au cours de cette réconciliation fantasmée et bon enfant où personne ne meurt, Lugarto proclame, « Je vois que les gaillards sont fort sur la morale. / Car ils pardonnent tout à celui qui régale » (M, III, 5). En permettant au traître, personnage sans scrupules, de se moquer du laxisme moral de la société sur ce ton cynique, de s’adresser directement au public comme s’il était de mèche avec lui, Lurieu et Masson se moquent de la critique indignée formulée par Pyat et Sue dans leur pièce contre l’élite sociale qui se met à genou devant l’argent[34]. Ici, ce sont des marchands ambulants qui renoncent à la moralité en échange d’un repas copieux et bien arrosé. La chose est risible plutôt que honteuse, tant cela semble « normal » pour des gens de cette classe. Aussi, le dernier mot de la parodie est-il donné à Rochegune qui s’adresse directement au public. « Voilà le dénouement… n’est-ce pas qu’il est frais ? / On en voit de meilleurs, mais pas de plus mauvais ! » (M, III, 5) Or, ici comme à la fin de bon nombre de vaudevilles du XIXe siècle, un couplet est adressé au public lui demandant son indulgence pour l’oeuvre à laquelle il vient d’assister. C’est sortir du cadre de l’intrigue, « franchir le quatrième mur » pour rappeler aux spectateurs que la pièce est une fiction, un divertissement et l’occasion d’une transaction commerciale plutôt que la concrétisation, la reproduction du monde « réel » qu’ils ont pu voir comme par magie.
Conclusion
Pour les spectateurs conscients du « pacte de lecture » auquel ils ont souscrit en allant voir la parodie au Palais-Royal – et ils le sont tous[35] –, la Mathilde de Lurieu et Masson offre l’occasion d’un regard rétrospectif et comique sur le drame de Pyat et Sue joué au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Des éléments du drame source sont repris par les parodistes pour être aussitôt moqués, détournés, dévalorisés, vidés de leur pathos ou de leur sérieux, c’est-à-dire pour être jugés à l’aune de l’esprit critique plutôt que sous l’influence de l’émotion et de l’illusion[36]. Sur l’affiche ou dans la presse, la juxtaposition des noms des acteurs comiques du Théâtre du Palais-Royal et des personnages du drame donne une première alerte au public qu’il va pouvoir rire d’une histoire qui l’avait fait pleurer. Une fois le rideau levé, il s’aperçoit très vite des transgressions ludiques et des modifications burlesques opérées par les auteurs de la parodie – changements qui rappellent à tout moment que l’oeuvre qu’il regarde n’a d’autre but que de tourner en ridicule le drame dont il se démarque[37]. Le quatrième mur est alors franchi, abattu par le rire collectif du public.
Appendices
Note biographique
Barbara T. Cooper, professeure émérite de français à l’Université du New Hampshire, est spécialiste du théâtre du XIXe siècle et vient de rééditer Mathilde de Félix Pyat et Eugène Sue ainsi que sa parodie écrite par Gabriel Lurieu et Michel Masson (Paris, L’Harmattan, 2021). Elle a aussi publié « Le costume de théâtre comme signe moral, social et esthétique dans Newgate ou les Voleurs de Londres » dans Alain Montadon (dir.), Sociopoétique du textile, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 361-375.
Notes
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[1]
Entrefilet sans titre ni auteur, La Quotidienne, 25 novembre 1842, p. 3.
-
[2]
Comte Léon de Varley, « Revue des théâtres », Journal des femmes, no 27 (1842), p. 569.
-
[3]
Félix-Auguste Duvert et Augustin Théodore de Lauzanne, Un Scandale, folie-vaudeville en un acte, Paris, Barba, 1839.
-
[4]
Voir Jean-Claude Yon, « Les Prologues d’ouverture à Paris au XIXe siècle », dans Philippe Baron et Anne Mantero (dir.), Bagatelles pour l’éternité, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2000, p. 279-289.
-
[5]
Eugène Labiche et Auguste Lefranc, Une Dent sous Louis XV, Paris, Olivier, 1849.
-
[6]
Voir Auguste Pittaud Deforges et Clairville [Louis-François Nicolaïe], Le Comte de Montéfiasco, ou La répétition générale d’un drame en 30 actes et 100 tableaux, Paris, Mme de Lacombe, 1847 qui est à la fois une parodie « anticipée » et la mise en scène d’une répétition d’un drame à laquelle participe le personnel du théâtre.
-
[7]
Voir Les Hures-Graves, trifouillis en vers… et contre les Burgraves [de V. Hugo] par Dumanoir [Philippe-François Pinel], Paul Siraudin et Clairville [Louis-François Nicolaïe], Paris, Tresse, 1843.
-
[8]
Félix Pyat et Eugène Sue, Mathilde, drame en cinq actes tiré des Mémoires d’une jeune femme, Paris, C. Tresse, 1842 ; Gabriel [de Lurieu] et Michel Masson, Mathilde, drame burlesque en trois actes et en vers, Paris, C. Tresse, 1842. Désormais toute citation tirée de ces pièces sera notée entre parenthèses dans notre article par la lettre M suivie de l’acte et de la scène.
-
[9]
Comme la pièce originale, la parodie est aussi jouée en province par la suite.
-
[10]
Albert Aubert, « Critique théâtrale », La Revue indépendante, t. 5 (1842), p. 484.
-
[11]
Sur les privilèges dévolus aux divers théâtres voir Jean-Claude Yon, « Le cadre administratif des théâtres autour de 1830 », Site Internet Fabula [http://www.fabula.org/colloques/document1121.php].
-
[12]
Voir par exemple Barbara T. Cooper, « The Backward Glance of Parody : Author-Audience Complicity in a Comic Reduction of Dumas’ Henri III et sa cour », Essays in Literature, t. 13, no 2 (1986) p. 313-325 et Patrick Berthier, « Casimir Delavigne et ses parodistes : ou de Louis XI à Louis Bronze (1832) », Revue d’histoire du théâtre, no 178 (1993), p. 61-72.
-
[13]
Voir Olivier Bara, « Encore une “pièce-Macaire” ! Newgate ou les Voleurs de Londres (1829) », CAIEF, no 73 (2021), p. 157-170.
-
[14]
Cette hypothèse est confirmée par le dessin de Cham (pseud. d’Amédée de Noé) qui représente Gontran comme un dandy dans Le Musée ou Magasin comique de Philipon, t. 2, 28e livraison (1842), p. 28. On y trouve aussi des images du costume de Lugarto et des autres personnages de la pièce. Les numéros 28 et 29, tous deux consacrés à Mathilde, parodient la pièce au moyen d’une analyse narrative et picturale. Cette publication sera dorénavant désignée Musée Philipon dans nos notes. Une publicité pour ce périodique déclare, « C’est un miroir des ridicules et des travers, une critique des moeurs de l’époque, une parodie des pièces en vogue, des romans du jour et des bizarreries de nos modes » (L’Aube, 11 juin 1842, p. 4).
-
[15]
Voir Patrick Berthier, « Les personnages populaires et le genre “poissard” au Théâtre des Variétés (1807-1820) », dans Olivier Bara (dir.), Théâtre et peuple. De Louis-Sébastien Mercier à Firmin Gémier, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 85-98.
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[16]
Presque tous les personnages d’origine prolétaire ou populaire du drame original – notamment le bûcheron (acte V) et Fritz, agent de Lugarto (actes I et III) – sont absents de la parodie sans doute pour éliminer toute confusion possible entre leur position sociale réelle et le statut dégradé des personnages principaux. Faire disparaître le bûcheron réduit aussi le message social de la pièce.
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[17]
Dans le numéro consacré à Mathilde du Musée Philipon, op. cit., Lugarto s’appelle « Morico » [sic pour moricaud]. Voir aussi le dessin de Cham dans Le Charivari du 1er mars 1853 (s. p.) où l’on se sert du cirage pour transformer un acteur blanc en l’Oncle Tom. Voir cette description qui parle de la couleur du visage de l’acteur jouant le rôle de Lugarto dans la pièce originale. « Si vous le voyiez au théâtre, […] avec ses chaînes d’or, son teint cuivré comme un sou usé, ses bagues d’or et ses diamants, sa canne en corne de rhinocéros, pour le moins, et sa redingote blanche » vous en seriez dégoûté, prétend le critique B… dans « Théâtre de la Porte-Saint-Martin », La Sylphide, t. 6 (1842), p. 271.
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[18]
Le costume de scène de Lugarto dans la pièce de Pyat et Sue a été décrit aussi par E. G[uinot], « Théâtre de la Porte-Saint-Martin », Le Courrier français, 24 septembre 1842, p. 191. Selon ce chroniqueur, Lugarto porte un « vaste habit noir orné de boutons de jais et doublé de calicot blanc ». Aux dires de Camille Berru (« Théâtre du Palais-Royal. Première Représentation. – Mathilde, parodie en trois actes et en vers », L’Indépendant, 24 novembre 1842, p. 2), « rien d’aussi mirobolant que l’entrée de Leménil sous l’habit à revers blancs de Lugarto... ».
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[19]
Voir Amédée Pommier, « Charlatans, jongleurs, phénomènes vivants, etc. », Paris, ou Le livre des cent-et-un, Paris, Ladvocat, 1831, t. 2, p. 195-228. Ses remarques sur les marchands de cirage se trouvent p. 212-215.
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[20]
Voir encore Le Musée Philipon, op. cit., p. 30 pour une image qui se rapproche de cette scène. On y lit que Mathilde « prend des airs de marchande de pommes en colère » et « montre le poing ».
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[21]
Le contraste entre le geste et ces mots est évidemment destiné à faire rire.
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[22]
Les douces « flammes » de l’amour légitime sont, par le choix de ce vocabulaire, opposées à « l’incendie » de la liaison adultère.
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[23]
Voir Corinne Legoy, « “Fugitive, insaisissable, protée, caméléon”, la vogue du travestissement festif de la Restauration aux années 1830 », Revue de la BNF, no 51 (2015), p. 64-73. L’idée du travestissement, de la carnavalisation est au coeur de la parodie de Lurieu et Masson alors que dans la pièce source, elle n’est qu’une simple péripétie.
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[24]
Que l’on pense à La Forêt périlleuse, ou les Brigands de la Calabre de Joseph-Marie Loaisel-Tréogate (nouvelle édition, Paris, Fages, 1803) ou au Chien de Montargis ou la Forêt de Bondy de René-Charles Guilbert de Pixerécourt (Paris, Barba, 1814).
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[25]
Ils diffèrent en cela des lieux fermés et réservés à une élite de la pièce source. La parodie combine les actes I et II de la pièce de Pyat et Sue en le seul acte I. Les actes IV et V de la pièce originale sont réunis dans l’acte III de la parodie.
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[26]
La dévaluation parodique est évidente dans le choix de ce lieu dont le nom concrétise de manière comique le but du rendez-vous (se battre).
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[27]
Le numéro 13 n’existait pas. Le dernier numéro impair de cette rue, aujourd’hui disparue, fut le numéro 9. Voir Félix Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, Paris, chez l’auteur, 1844, p. 375-376.
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[28]
Un critique anonyme écrit au sujet de la pièce de Pyat et Sue : « Cette Mathilde est la femme innocente, malheureuse et persécutée ; le persécuteur est un de ces monstres comme se plaisent à en enfanter les auteurs de notre époque » (« Théâtres », Journal des beaux-arts et de la littérature, no 9 [1842], p. 127).
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[29]
Ce galop, appelé aussi galop de la chaise cassée, fut écrit par Philippe Musard en 1834 et contient le son d’une chaise que l’on brise. Voir l’article « Chronique », Revue de Paris, t. 15 (1834), p. 66.
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[30]
Le sifflement créé par la répétition du son [s] dans ce vers fait penser au serpent diabolique du jardin d’Éden.
-
[31]
Eugène Sue, Les Mystères de Paris, Paris, Ch. Gosselin, 1842-1843.
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[32]
Selon Michel Nathan, « Le roman [Le Juif errant, de Sue] est vidé de toutes ses réflexions sociales [par l’adaptation de Cham]. Les épisodes poignants, tragiques, solennels, deviennent péripéties cocasses ou niais tableaux attendrissants » (« Cham polémiste », dans Philippe Régnier, et. al., (dir.), La Caricature entre République et censure, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p. 184). C’est ce qui se passe dans la parodie de Lurieu et Masson aussi.
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[33]
Ce réveil qui dure juste le temps qu’il faut pour déclamer cette phrase pompeuse avant que Mathilde ne se rendorme souligne le côté artificiel de la situation. Tirée de La Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade, la réplique se sert du verbe proscrire plutôt que prescrire, modifiant ironiquement l’attitude vis-à-vis la lecture des livres d’une moralité douteuse. Les Mystères de Paris sont accusés d’immoralisme par certains critiques de l’époque. Voir Léon Métayer et Jean-Marie Thomasseau, « La Dévaluation d’un thème social. De Martin, l’enfant trouvé à Martin et Bamboche », Tapis-Franc, no 3 (1990), p. 91 où on lit : « Inutile de rappeler ici la réputation désastreuse qui s’attache à son [Sue] nom lors de la publication des Mystères de Paris (1842) ».
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[34]
Lugarto ressemble alors à Robert Macaire, personnage de voyou moqueur célèbre à l’époque. Voir Honoré Daumier et Charles Philipon, Les Cent et un Robert-Macaire, Paris, Aubert et Cie, 1839 et Olivier Bara, art. cit., p. 157-170.
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[35]
On ne va pas voir une parodie sans avoir vu au préalable la pièce parodiée et sans savoir ce qu’on attend de soi comme spectateur. Aussi peut-on lire dans L’Aube [journal de Troyes], 19 décembre 1842, p. 2 : « Ce soir, le théâtre de Troyes nous donne la seconde représentation de Mathilde, ce drame intéressant qui attire toujours la foule à Paris. Comme jeudi prochain a lieu la représentation à bénéfice de notre joyeux Jacquin, et que la parodie de Mathilde figure en première ligne dans la composition de son spectacle, tout le monde voudra pleurer au drame ce soir, pour aller rire jeudi à la parodie. C’est de toute nécessité ».
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[36]
Voir ce propos rapporté par Victor de Balabine : « Il faut entendre ce public [de la Porte-Saint-Martin] rugir de rage lorsque, seul avec Mathilde, le comte Lugarto est sur le point de réaliser par la ruse et la force ses criminels projets ; et plus tard les éclats de sa joie bruyante, lorsque Rochegune et Sécherin, forçant la porte, arrivent soudain au secours de Mathilde et mettent Lugarto à la torture. “Ah ! Dieu merci ! bien, bien, ah ! le monstre, torturez-le, tuez-le !” Et un tonnerre d’applaudissements chaque fois qu’une main vengeresse vient s’appesantir sur ce monstre » (Journal de Victor de Balabine, 1842-1847, édition d’Ernest Daudet, Paris, Émile-Paul frères, 1914, p. 65).
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[37]
« Le fou rire et les bravos que provoque la parodie de Mathilde ont encore augmenté à la représentation de d’hier. Cette farce ébouriffante va remplir de nouveau la salle et la caisse de l’heureux théâtre du Palais-Royal » (« Chronique théâtrale », La Caricature, 27 novembre 1842, p. 6).
Références
- Anonyme, [Entrefilet sans titre], La Quotidienne, 25 novembre 1842, p. 3.
- Anonyme, « Chronique », Revue de Paris, t. 15 (1834), p. 66.
- Anonyme, « Chronique théâtrale », La Caricature, 27 novembre 1842, p. 6.
- Anonyme, [Publicité pour Le Musée Philipon], L’Aube, 11 juin 1842, p. 4.
- Anonyme, « Théâtre de Troyes », L’Aube, 19 décembre 1842, p. 2.
- Anonyme, « Théâtres », Journal des beaux-arts et de la littérature, no 9 (1842), p. 127.
- Aubert, Albert, « Critique théâtrale », La Revue indépendante, t. 5 (1842), p. 484.
- B…, « Théâtre de la Porte-Saint-Martin », La Sylphide, t. 6 (1842), p. 271.
- Balabine, Victor de, Journal de Victor de Balabine, 1842-1847, édition d’Ernest Daudet, Paris, Émile-Paul frères, 1914.
- Bara, Olivier, « Encore une “pièce-Macaire” ! Newgate ou les Voleurs de Londres (1829) », CAIEF, no 73 (2021), p. 157-170.
- Berru, Camille, « Théâtre du Palais-Royal. Première Représentation. – Mathilde, parodie en trois actes et en vers, par MM. Gabriel et Masson », L’Indépendant, 24 novembre 1842, p. 2.
- Berthier, Patrick, « Casimir Delavigne et ses parodistes : ou de Louis XI à Louis Bronze (1832) », Revue d’histoire du théâtre, no 178 (1993), p. 61-72.
- Berthier, Patrick, « Les personnages populaires et le genre “poissard” au Théâtre des Variétés (1807-1820) », dans Olivier Bara (dir.), Théâtre et peuple. De Louis-Sébastien Mercier à Firmin Gémier, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 85-98.
- Cham [pseud. Amédée de Noé], [lithographie sans titre, cirage/blackface], Le Charivari, 1er mars 1853, s. p.
- Cooper, Barbara T., « The Backward Glance of Parody : Author-Audience Complicity in a Comic Reduction of Dumas’ Henri III et sa cour », Essays in Literature, t. 13, no 2 (1986) p. 313-325.
- Daumier, Honoré et Charles Philipon, Les Cent et un Robert-Macaire, Paris, Aubert et Cie, 1839.
- Dumanoir [Philippe-François Pinel], Paul Siraudin et Clairville [Louis-François Nicolaïe], Hures-Graves, trifouillis en vers… et contre les Burgraves [de V. Hugo], Paris, Tresse, 1843.
- Duvert, Félix-Auguste et Augustin Théodore de Lauzanne [de Vauroussel], Un Scandale, folie-vaudeville en un acte, représentée pour la première fois, […] sur le théâtre et dans la salle du Palais-Royal, Paris, Barba, 1839.
- G[uinot], E[ugène], « Théâtre de la Porte-Saint-Martin », Le Courrier français, 24 septembre 1842, p. 191.
- Labiche, Eugène et Auguste Lefranc, Une Dent sous Louis XV, Paris, Olivier, 1849.
- Lazare, Félix, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, Paris, chez l’auteur, 1844.
- Legoy, Corinne, « “Fugitive, insaisissable, protée, caméléon”, la vogue du travestissement festif de la Restauration aux années 1930 », Revue de la BNF, no 51 (2015), p. 64-73.
- Loaisel-Tréogate, Joseph-Marie, La Forêt périlleuse, ou les Brigands de la Calabre, nouvelle édition, Paris, Fages, 1803.
- Lurieu, Gabriel de et Michel Masson, Mathilde, drame burlesque en trois actes et en vers, Paris, C. Tresse, 1842.
- Métayer, Léon et Jean-Marie Thomasseau, « La Dévaluation d’un thème social. De Martin, l’enfant trouvé à Martin et Bamboche », Tapis-Franc, no 3 (1990), p. 89-111.
- Nathan, Michel, « Cham polémiste », dans Philippe Régnier, et. al., (dir.), La Caricature entre République et censure. L’imagerie satirique en France de 1830 à 1880 : un discours de résistance ?, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p. 182-191.
- Pirati, M[onsieur], « Mathilde, mise en pièce et divisée en 5 parties », Le Musée ou Magasin comique de Philipon, t. 2, 28e et 29e livraisons (1842-1843), p. 25-34.
- Pittaud Deforges, Auguste et Clairville [Louis-François Nicolaïe], Le Comte de Montéfiasco, ou La répétition générale d’un drame en 30 actes et 100 tableaux, Paris, Mme de Lacombe, 1847.
- Pixerécourt, René-Charles Guilbert de, Le Chien de Montargis ou la Forêt de Bondy, Paris, Barba, 1814.
- Pommier, Amédée, « Charlatans, jongleurs, phénomènes vivants, etc. », Paris, ou Le livre des cent-et-un, Paris, Ladvocat, 1831, t. 2, p. 195-228.
- Pyat, Félix et Eugène Sue, Mathilde, drame en cinq actes tiré des Mémoires d’une jeune femme, Paris, C. Tresse, 1842 ; réédition de Mathilde, suivie de sa parodie, présentation de Barbara T. Cooper, Paris, L’Harmattan (Autrement Mêmes), 2021.
- Sue, Eugène, Les Mystères de Paris, Paris, Ch. Gosselin, 1842-1843.
- Varley, Comte Léon de, « Revue des théâtres », Journal des femmes, no 27 (novembre 1842), p. 569.
- Yon, Jean-Claude, « Le Cadre administratif des théâtres autour de 1830 », Site Internet Fabula [www.fabula.org/colloques/document1121.php].
- Yon, Jean-Claude, « Les Prologues d’ouverture à Paris au XIXe siècle », dans Philippe Baron et Anne Mantero (dir.), Bagatelles pour l’éternité, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2000, p. 279-289.