Abstracts
Résumé
« Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font les eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée. On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains. » La citation de L’Esprit des lois est célèbre. Montesquieu ne laisse subsister aucun doute quant à la véracité des faits qu’il rapporte. À l’en croire, dans l’ancienne Égypte, la prévention contre les individus convaincus de délit de rousseur confinerait au génocide ! Or notre philosophe n’est pas homme à traiter l’érudition avec désinvolture. Consignée au titre d’exemplum a contrario, la cruauté absurde des « meilleurs philosophes du monde » semble être tenue pour argent comptant, et l’extermination systématique des personnes rousses pour pratique avérée. La prévention qui touche la rousseur est ancestrale : méchanceté, lubricité, félonie, odeur nauséabonde, caractère démoniaque, on ne compte plus les avatars du préjugé. Cette étrange fascination faite d’attraction et de répulsion s’est perpétuée de siècle en siècle, un peu partout dans l’occident chrétien, comme une rumeur qui se construit et enfle, jusqu’à la démesure, au point de devenir une vérité unanimement reconnue, et finalement indiscutable. Pourfendeur des superstitions et des outrages faits à la Raison, le XVIIIe siècle allait-il imposer un frein à la circulation d’une idée reçue aussi stupide qu’inconvenante ? Tout encouragerait à le croire, si le retour aux textes ne bémolisait l’optimisme spontané du chercheur et ne l’encourageait à l’exercice de la prudence. Comment peut-on être rousseau au siècle des Lumières ? Telle est la question à laquelle cette étude s’efforcera de répondre. Ne pas tuer les roux conduirait au génocide.
Abstract
“It is so natural to think that it is color that constitutes the essence of humanity, that the peoples of Asia who make eunuchs always deprive blacks of their relationship to us in a more decisive way. The color of the skin may be judged by that of the hair, which among the Egyptians, the best philosophers in the world, was of such great consequence that they put to death all the redhaired men who fell into their hands.” This quote from On the Spirit of Law is famous. Montesquieu leaves no doubt as to the veracity of the facts he reports. According to him, in ancient Egypt, prevention against individuals convicted of the crime of having red hair bordered on genocide ! But our philosopher is not a man to treat erudition with casualness. Recorded as an exemplum a contrario, the absurd cruelty of the “best philosophers in the world” seems to be taken at face value, and the systematic extermination of redheads as a proven practice. The discrimination against redheads is ancestral : wickedness, lechery, felony, nauseating smell, demonic character, the avatars of prejudice are innumerable. This strange fascination – a mixture attraction and repulsion – has been perpetuated from century to century, almost everywhere in the Christian West, like a rumor that builds up and spreads, to the point of becoming an unanimously recognized, and in the end indisputable, truth. Was the XVIIIth century, the scourge of superstition and outrages against Reason, going to put a brake on the circulation of a received idea that was as stupid as it was unseemly ? Everything would urge us to believe so, if the return to the texts did not dampen the spontaneous optimism of the researcher and encourage him to exercise caution. How can one be a redhead in the Age of Enlightenment ? This is the question that this paper will try to answer.
Appendices
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