Présentation[Record]

  • Christiane Kègle and
  • Jean de Dieu Itsieki Putu Basey

…more information

  • Christiane Kègle
    Université Laval, Québec

  • Jean de Dieu Itsieki Putu Basey
    Institut supérieur pédagogique de la Gombe, Kinshasa

Éprouvés d’une manière ou d’une autre par l’Histoire et désireux de s’inventer hors de/contre cette Histoire, les imaginaires francophones trouvent dans les jeux de la poièsis une herméneutique et une heuristique. Celles-ci mettent en relief les postulations d’une « écologie du réel », les mots de l’art qui peuvent, sinon guérir les maux du monde, au moins aider à survivre aux blessures de l’Histoire ; le pouvoir de la fiction qui réinvente le réel ou les rationalités irrationnelles. Au sein des Francophonies, les pratiques esthétiques visent donc des enjeux de liberté et de libération des épistémès aliénantes ; elles proposent ainsi à l’imaginaire tant individuel que collectif les voies possibles d’une nouvelle genèse. Puisqu’elle leur est consubstantielle, cette quête commune exige que s’intensifie le dialogue entre les Francophonies et que se partagent davantage les savoirs que construisent leurs littératures. Afin de contribuer à ce dialogue, la revue Études littéraires publie ce dossier sur la « Littérature francophone de Belgique ». À bien des égards, celle-ci est la première d’entre les littératures écrites en français hors de la France à explorer les possibilités artistiques et les avenues métaphysiques de la création littéraire dans des contextes sociohistoriques et politiques singuliers, en montrant particulièrement les diverses manières par lesquelles le travail de/sur la langue exprime et sert les enjeux d’une identité et d’une Histoire. Et ce, même dans les oeuvres qui pratiquent le déni de ces éléments. En effet, on constate non sans ravissement que, depuis La Légende d’Ulenspiegel (1867) de Charles De Coster, les territoires artistiques construits par les auteurs belges et leur appropriation de l’outil linguistique – écrire en français mais hors de canons imposés par Paris – font école aujourd’hui. On peut même dire qu’ils constituent la marque de fabrique des littératures francophones, le gage de leur modernité. L’illustrent, notamment, les oeuvres dont le français épouse la syntaxe des langues locales, celles qui trouvent leur esthétique dans l’hybridation linguistique – l’interlangue français-arabe au Maghreb ou français-créole aux Antilles. Expériences de domestication de la langue qui, en Afrique subsaharienne, produisent le « roman-trottoir » engagé à traquer l’imaginaire dans la rumeur publique, à en témoigner par le langage de la rue et autres parlers populaires. Ainsi que l’indique Ibrahim H. Badr, « dans leur désir de se libérer des contraintes internes et externes, ressenties ou imposées, les romanciers francophones ont aussi libéré le français, langue et culture, tout en enrichissant ce que l’on pourrait désigner désormais comme cultures et littératures francophones ». Sur un autre plan, celui du discours critique, on a qualifié la Belgique littéraire d’« étrange », ses écrivains d’« iconoclastes », et leur poét(h)ique de baroque et/ ou de barbare. Or, justement, ces notions théoriques et leurs corollaires formels – diglossie, carnavalesque, burlesque, fantastique, insolite, notamment – sont ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, servent à analyser et à cerner les formes aussi bien que les enjeux de la création littéraire dans tous les espaces francophones. Ce dont témoignent, par exemple, les études colligées dans Nouvelles écritures francophones : vers un nouveau baroque et « Francophonies barbares », ou le très original Abécédaire insolite des francophonies. Le constat de Jean Cléo Godin, selon lequel la « perle irrégulière » du baroque se retrouve dans toutes les littératures francophones, consonne avec cette autre remarque de Nicolas Hossard : « [L]a “francophonie littéraire” […] a été surdéterminée par la discursivité barbare, autant dans la production littéraire “francophone” que dans le regard critique porté sur ces littératures. » À la lumière de telles pratiques, il est permis d’avancer que les Francophonies littéraires gagneraient à être appréhendées selon des approches mettant davantage en …

Appendices