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  • Julien Defraeye and
  • Élise Lepage

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  • Julien Defraeye
    Université de Waterloo

  • Élise Lepage
    Université de Waterloo

L’écopoétique est une perspective théorique qui se donne pour objectif d’étudier la représentation littéraire des liens entre nature et culture, humain et non-humain. Elle peut relever à la fois d’une approche interne et externe du texte littéraire, dans la mesure où elle interroge le langage et les représentations d’une part, mais d’autre part, elle ne se départ jamais du monde, du réel et de ses contraintes et impératifs. Ce faisant, elle propose « une manière de répondre à la place toujours grandissante que les problématiques liées à la nature et à sa préservation occupent dans la littérature des dernières années ». Pierre Schoentjes souligne, dans son essai Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, l’éveil d’une conscience environnementale dans la littérature hexagonale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment dans les récits de Pierre Gascar et de Romain Gary. Dans le corpus québécois, il faut attendre les années 1970 et L’Isle au dragon de Jacques Godbout pour lire un phénomène comparable. Ainsi l’écopoétique, comme le soulignent les recherches de Jonathan Bate, s’intéresse avant tout au texte en lui-même, à l’art littéraire comme création verbale, en délimitant clairement son objet d’analyse (le texte littéraire) et son approche théorique (l’analyse discursive, énonciative et narrative) au sein de la vaste mouvance des études écocritiques. On peut dès lors proposer une première distinction, voire une articulation entre écocritique et écopoétique, les deux termes étant parfois présentés comme équivalents (écopoétique a pu parfois passer pour la traduction de l’anglais ecocriticism). L’écocritique est un vaste champ de recherche transdisciplinaire qui interroge les relations entre l’homme et l’environnement. Cette approche théorique a émergé aux États-Unis au cours des années 1970, notamment à travers les travaux de Joseph Meeker, qui évoque une « écologie littéraire », et de William Rueckert, premier chercheur à employer le néologisme ecocriticism, proposant de rapprocher les domaines de la littérature et de l’écologie. Plusieurs paramètres relatifs à l’émergence de ce champ de recherche se sont révélés, au cours des années, faire à la fois ses grandeurs et ses misères. Forte sur le plan théorique de sa transdisciplinarité, cette caractéristique a nui à son institutionnalisation et à son développement, les chercheurs et les groupes de recherche ayant dans un premier temps éprouvé des difficultés à s’identifier mutuellement et à partager leurs réflexions. L’écocritique a ainsi longtemps « flotté » jusque vers le milieu des années 1990, sans acquérir de réelle visibilité. Si elle permet également de fructueux échanges, la transdisciplinarité s’étiole dans l’irréductible singularité de chaque sujet et des approches méthodologiques propres à certaines disciplines. Plus encore, à défaut peut-être de texte fondateur clairement identifié, l’écocritique est devenue une nébuleuse théorique aux contours indécis qui a donné naissance – du moins a nourri – plusieurs approches connexes telles que l’écoféminisme, les études animales, parfois nommées la zoopoétique, ou encore les critical plant studies. Il existe aussi de nombreuses formes de rapprochement avec les études postcoloniales et autochtones. L’écocritique a également essaimé sur plusieurs continents, traversant bien des frontières, des langues, mais donc aussi des expériences du monde bien différentes, ce qui a eu pour effet de dilater encore le champ déjà très large qu’elle couvrait. Si bien que ce terme demeure extrêmement lâche encore aujourd’hui et peut prêter à confusion. De définitions en élargissements successifs, la vaste mouvance écocritique paraît tendue entre deux pôles opposés : d’une part, un mouvement centrifuge la pousse à incorporer des approches et des sujets toujours plus divers, tandis que d’autre part, des forces centripètes s’efforcent de la définir, de la théoriser et d’en marquer les contours. La conjugaison de ces deux tensions opposées …

Appendices