Débat

Pour (ne pas) en finir avec les démons de l’imitation[Record]

  • Maxime Decout

Il va sans dire qu’être lu avec une telle acuité par Hélène Maurel-Indart, grande spécialiste des questions plagieuses et pasticheuses devant l’éternel, ne peut manquer de causer un effet de sidération. D’une plume alerte et légère, elle a su percer une logique souterraine dans l’écriture de Qui a peur de l’imitation ? qui avait échappé à son auteur ou, du moins, qu’il s’était employé à étouffer mais qui, l’oeil sagace de la lectrice l’aura vu, ne manque pas d’émerger ici ou là. À savoir : à quel point toute personne qui écrit sur l’imitation ne peut manquer d’être touchée par le problème, puisque nul n’écrit à partir de rien et sans puiser dans une bibliothèque (réelle ou intérieure). Plus encore : à quel point l’imitation met en jeu non seulement la manière dont les écrivains la pratiquent, comment ils se situent par rapport à elle et dans le champ littéraire, mais aussi la façon dont nous, lecteurs et critiques, nous les appréhendons à travers elle, et elle à travers eux. Cette contagion des embarras mimétiques au penseur de l’imitation, j’en vois la trace plus explicite dans un aveu inaugural de l’essai qui, à l’époque, m’avait semblé régler la question : Assurément le dossier n’était nullement refermé, comme je le constate grâce à Hélène Maurel-Indart. Il aurait de toute façon fallu être naïf pour, choisissant un tel sujet, penser s’embarquer dans un champ neuf. Devant l’imitation et son cortège de pratiques (allusion, citation, pastiche, parodie, plagiat et j’en passe), c’est le trop-plein et l’excellence qui triomphent et qui font planer sur le critique la menace de la répétition ou de la simple application à un autre corpus d’analyses déjà élaborées ailleurs. C’est pourquoi, comme l’explique bien Hélène Maurel-Indart, j’ai pris soin de rappeler, de manière non exhaustive, un certain nombre de travaux qui m’avaient précédé, dans le but de mieux spécifier ma démarche. Celle-ci avait renoncé à être une exploration narratologique, historique ou sociologique de ces phénomènes. Pour se concentrer sur un autre aspect : une approche existentielle. Il s’agissait de se demander ce que faisait au « Moi » qui écrit la présence concertée ou l’intrusion involontaire des mots d’autrui, en complétant cette analyse d’études à la fois poétiques, narratologiques, stylistiques et historiques. Ce sont les tourments du « Moi » face à l’autre, les zones d’influence et d’empiètement d’autrui sur soi-même, qui m’ont guidé. Or ceux qui imitent allégrement, comme Shakespeare, Rabelais, Molière ou Sterne, pourraient éprouver avec assez de force leur propre originalité pour ne pas craindre de se servir chez les autres. Mais on peut se demander s’il ne gîte pas, chez d’autres et même chez eux, une peur plus sourde de ne pas être eux-mêmes en imitant. Ce sont les traces éparses de cet effroi et la manière dont il a pu orienter des choix esthétiques, des écritures et des prises de position que j’ai voulu glaner et interroger. Je n’ai toutefois pas voulu traiter cette question de manière anhistorique. Mais il ne s’agissait pas de rabattre l’imitation sur un phénomène historico-social exclusif. Sa nature pulsionnelle, presque humorale, ne fait aucun doute. Il conviendrait seulement d’ajouter : selon les rythmes intellectuels, les mythologies, les sociétés, les mentalités. Ce sont en effet aussi des exigences sociales, des débats esthétiques, des archétypes philosophiques qui dirigent les perceptions et les pratiques changeantes de l’imitation. Affaire d’époque, c’est sûr, l’imitation est tributaire de son histoire, de son récit. À divers degrés, elle est indissolublement liée à la manière dont la répétition, l’originalité et l’origine ont pu être pensées. Tous les vifs débats qu’elle a suscités, avivés par des réflexions religieuses, …

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