Volume 47, Number 2, Summer 2016 L’américanité des poètes français : le cas des Montévidéens Guest-edited by Nelson Charest
Table of contents (11 articles)
Études
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Trois poètes de l’Atlantique français : Jules Laforgue, Isidore Ducasse, Jules Supervielle
Bill Marshall
pp. 17–31
AbstractFR:
Cet article, qui est la traduction d’une section d’un chapitre de The French Atlantic. Travels in Culture and History, propose une lecture « franco-atlantique » des oeuvres de Jules Laforgue, Isidore Ducasse et Jules Supervielle, trois poètes d’origine française nés à Montevideo, ville où ils ont chacun passé leur enfance avant de la quitter de manière définitive pour la France. Bill Marshall part de l’hypothèse selon laquelle la latinité découlant de l’imaginaire uruguayen (et sud-américain) agit comme principe architectonique dans ces oeuvres poétiques par ailleurs monumentales de l’histoire littéraire française.
EN:
This article is the translation of a section of a chapter of The French Atlantic. Travels in Culture and History. It offers a “Franco-Atlantic” reading of the works of Jules Laforgue, Isidore Ducasse and Jules Supervielle, three poets of French origin born in Montevideo, a city where they all spent their childhood before moving permanently to France. Its main argument is that the latinité stemming from the Uruguayan (and South American) imaginaire works as the architectonic principle of such poems, which are known to be central to French literary history.
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Laforgue délocalisé
Henri Scepi
pp. 33–43
AbstractFR:
Cet article se propose de cerner la question de l’américanité de Laforgue à partir des rares traces que l’auteur a laissées d’une relation réfléchie ou plus immédiatement spontanée à sa terre d’origine, l’Uruguay. Un double geste d’effacement et de promotion s’y révèle, en opposition aux valeurs qu’incarne d’une part la figure symbolique du père, et en référence d’autre part aux lieux communs qui structurent la vision européanocentrée du continent américain. Les textes de Laforgue, du poème élaboré à la note marginale, témoignent ainsi de la recherche d’un lieu impossible, dont l’image flottante et diffuse forme cependant comme l’horizon de la parole, ainsi que l’attestent les tentatives de figuration de l’Inconscient, topique du non-lieu par excellence qui autorise toutes les surimpressions spatio-temporelles, tous les mélanges de cultures et d’idiomes. Aussi est-ce sans doute dans la quête d’une langue « délocalisée », profondément métissée et insoucieuse des codes et des hiérarchies, langue « neuve » et en même temps composée de tous les âges, que le fantasme américain trouve chez Laforgue sa matérialisation la plus éloquente.
EN:
This paper aims to identify the question of Laforgue’s Americanism from the rare traces that the author left of a thoughtful or more immediately spontaneous relationship to his native Uruguay. A double gesture of blotting out and promotion is revealed, in opposition to the values embodied on the one hand by the symbolic figure of the father, and on the other hand in reference to the common places that structure the European-centric vision of the American continent. Laforgue’s texts, from the elaborate poem to the marginal note, thus attest to the search for an impossible place, whose floating and diffuse image, however, forms like the horizon of speech, as shown by the attempts at figuration of the unconscious, the topic of the non-place par excellence, which authorizes all spatio-temporal superimpositions, all amalgams of cultures and idioms. So it is undoubtedly in the quest for a “delocalized” language, deeply mixed and unconcerned with codes and hierarchies, a “new” language, and at the same time composed of all ages, that the American fantasy finds in Laforgue its most eloquent materialization.
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Une différence à inventer : l’américanité sauvage de Supervielle
Arnaud Bernadet
pp. 45–71
AbstractFR:
L’expression de l’américanité chez Jules Supervielle est l’objet de plusieurs récidives littéraires. À mesure qu’il se dégage de l’influence romantique et parnassienne, encore prégnante dans Brumes du passé et Comme des voiliers, le poète apprend à « plier à son goût » la Muse uruguayenne. De Poèmes à Débarcadères, l’américanité se révèle plus encore inséparable d’une quête de l’identité. Elle traduit l’exigence d’une signature, capable enfin d’assigner à l’oeuvre ce que Supervielle appelle le « ton réel ». La question de la manière – cette mesure personnelle de l’écriture, conquise au terme des quatre premiers recueils – ne se distingue pas chez lui de la question de la culture, et réciproquement.
EN:
The expression of Americanism in Jules Supervielle is the subject of several literary recurrences. As he emerges from the romantic and Parnassian influence, still prevalent in Brumes du passé and Comme des voiliers, the poet learns to “shape the Uruguayan Muse to his liking”. From Poèmes to Débarcadères, Americanism reveals itself to be even more inseparable from a quest for identity. It reflects the need for a signature, capable at last of assigning to the work what Supervielle calls the “real tone.” The question of manner – this personal process of writing, mastered by the end of the first four collections of poems – does not differ in his work from the question of culture, and vice versa.
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Le tombeau de Jules Laforgue
Fadi Khodr
pp. 73–82
AbstractFR:
L’article propose une nouvelle lecture de Pan et la Syrinx de Jules Laforgue en mettant au jour ses arrière-textes plausibles, restés enfouis jusqu’à présent, en vue de compléter les études qui lui ont été consacrées. L’analyse suggère que cette « moralité légendaire » serait le monument littéraire confirmant l’originalité de l’auteur et contenant son testament poétique.
EN:
This paper proposes a new reading of Jules Laforgue’s Pan et la Syrinx (Pan and the Syrinx), by revealing his plausible background texts, hitherto undiscovered, in order to complete previous studies. Analysis suggests that this “moral tale” would be the literary monument confirming the author’s originality, and containing his poetic will.
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Laforgue, Hamlet et Bonnefoy : déporter, reporter Montevideo
Nelson Charest
pp. 83–100
AbstractFR:
Cette étude porte sur la réécriture de « Hamlet » par Laforgue, dans ses Moralités légendaires. À partir d’une indication sur un « pavillon de Montevideo », aperçu par Laforgue à Hambourg, au retour du Danemark, nous situons sa fable dans le sillage de la critique d’Yves Bonnefoy, et notamment la notion de « readiness ». Nous proposons ensuite une relecture de la Moralité, où le personnage principal, avec les modifications que lui apporte Laforgue, représente au mieux une injonction à partir qui est vécue comme un retour aux origines, filiales notamment. Ainsi peut-on mieux comprendre le rôle de Montevideo dans l’oeuvre laforguienne : un lieu où on pourrait partir, maintenu à distance, comme horizon.
EN:
This paper focuses on the rewriting of Hamlet by Laforgue, in his Moralités légendaires (Moral Tales). From an indication on a Montevideo flag, seen by Laforgue in Hamburg, as he was returning from Denmark, we place this tale in the wake of Yves Bonnefoy’s critique, and notably his notion of “readiness.” We then propose a reinterpretation of the Moralité, where the main character, as modified by Laforgue, represents, at best, an injunction to leave experienced as a return to the origins, in particular filial. Thus, we are able to better understand the role of Montevideo in the work of Laforgue : a place where we could go, kept at a distance, as a horizon.
Analyses
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Être Oulipienne : contraintes de style, contraintes de genre ?
Christelle Reggiani
pp. 103–117
AbstractFR:
Sans poser l’hypothèse d’un caractère genré de l’écriture – si l’écriture oulipienne apparaît factuellement comme un métier d’homme, il n’en découle pas nécessairement qu’elle ressortisse pour autant à un genre déterminé, et stylistiquement identifiable comme tel – on se propose ici d’interroger les raisons de l’apparente difficulté à être une auteure « à contraintes », en considérant en particulier les stratégies à l’oeuvre dans quelques textes de Michelle Grangaud, Anne Garréta et Michèle Audin.
EN:
Without posing the hypothesis of a gendered nature of writing – if Oulipian writing appears factually to be a man’s profession, it does not necessarily follow that it belongs ipso facto to a given genre, and stylistically identifiable as such – this paper aims to consider how some texts by Michelle Grangaud, Anne F. Garréta, and Michèle Audin negotiate with the apparent difficulty of being a “constrained” woman writer.
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Brièveté : une question de rythme. Réflexions sur la littérature d’Andrés Rivera
Marta Inés Waldegaray
pp. 119–135
AbstractFR:
Cet article porte sur une problématique théorique : les procédés de la brièveté en littérature. Partant de la distinction entre brièveté (notion qui relève du domaine de l’énonciation) et texte court (caractère dimensionnel de l’écriture), nous étudions ici l’oeuvre de l’écrivain argentin Andrés Rivera (Buenos Aires, 1928-2016), maître de l’énonciation réticente dans la littérature argentine contemporaine. Néanmoins, le réel historique des XIXe et XXe siècles est la matière préférée de sa fiction narrative. Notre attention s’est portée sur les procédés mis en oeuvre pour dérouter l’organisation narrative et le rythme phrastique. Dans une prose composée par des phrases qui deviennent de plus en plus longues, dans des textes de plus en plus courts, la discontinuité instaure une dynamique de la brièveté lisible dans un rythme narratif scandé par les blancs, les ellipses et les figures de répétition.
EN:
This article deals with a theoretical problem : the processes of brevity in literature. Starting from the distinction between brevity (a notion that falls within the domain of enunciation) and short text (dimensional nature of writing), we focus here on the work of the Argentine writer Andrés Rivera (Buenos Aires, 1928-2016), master of doubtful enunciation in contemporary Argentine literature. Nevertheless, the historical reality of the 19th and 20th centuries is the favorite material of his narrative fiction. Our attention focused on the processes implemented to divert the narrative organization and the sentence rhythm. In a prose composed of sentences that become longer and longer, in texts that become shorter and shorter, discontinuity creates a dynamic of legible brevity in a narrative rhythm scattered with blanks, ellipses and repetition figures.
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Pour une sémiotique de la concentration dans Cette aveuglante absence de lumière de Tahar Ben Jelloun
Hani Georges
pp. 137–147
AbstractFR:
Cette aveuglante absence de lumière de Tahar Ben Jelloun est l’un des romans de témoignage qui racontent les années de plomb que le narrateur a passées avec d’autres condamnés dans l’enfer de Tazmamart au Maroc. Le narrateur ne se contente pas de décrire cette expérience ineffable, mais il semble trouver une issue dans la méditation et les élans spirituels. Via la concentration, le narrateur arrive à se détacher graduellement de son corps et à atteindre la lumière suprême : l’expérience spirituelle s’avère alors une expérience corporelle puisqu’elle se déroule essentiellement dans/par le corps percevant et polysensoriel du narrateur. Tout en faisant appel aux concepts de la sémiotique du corps, nous allons explorer la concentration dans le roman en tant qu’expérience perceptive d’attention intensive, mais surtout en tant que processus signifiant.
EN:
This Blinding Absence of Light by Tahar Ben Jelloun is a non-fiction novel that tells the story of the time the narrator spent with other condemned prisoners in the hell of Tazmamart in Morocco during the years of lead. The narrator not only describes this ineffable experience, but seems to find a way out through meditation and spiritual impulses. Through concentration, the narrator gradually manages to detach himself from his body and reach the supreme light : the spiritual experience then proves to be a bodily experience since it essentially takes place in/through the perceiving and polysensorial body of the narrator. Using the concepts of body semiotics, we will explore concentration in the novel as a perceptive experience of intensive attention, but especially as a meaningful process.