Historien, voyageur, lexicographe, polémiste, anthropologue avant la lettre, Gabriel Sagard est un véritable polygraphe. Toutefois, malgré l’importance de ses écrits, le récollet est resté longtemps l’« oublié » de la critique littéraire, pour reprendre le constat de Jack Warwick. S’il convient aujourd’hui d’atténuer ce jugement à la lumière des recherches récentes et de la prolifération des études, en particulier sur Le Grand Voyage du pays des Hurons, l’oeuvre du récollet, faute d’avoir pu bénéficier d’une véritable réédition scientifique, est loin d’avoir révélé tous ses secrets. La genèse de ce récit comme de son oeuvre maîtresse l’Histoire du Canada et voyages que les Freres Mineurs Recollects y ont faicts pour la conversion des Infidelles reste à ce jour conjecturale. Quelle part ont pris ses compagnons et frères de religion dans la rédaction de son livre, puisque le voyageur avait perdu ses notes et que son séjour en Nouvelle-France fut limité à un an ? On doit se contenter de spéculations. Les nombreuses sources de Gabriel Sagard, qui, dans ses deux livres, pratique à des degrés divers le collage, restent encore à relever de manière systématique. Qui plus est, aucune monographie publiée n’est, à notre connaissance, consacrée entièrement à l’oeuvre sagardienne, contrairement aux écrits de Paul Lejeune et de Samuel de Champlain qui ont nourri une importante exégèse commentative. Enfin, objet d’une suspicion comme la plupart des textes de l’Amérique française, l’oeuvre de Sagard, connue des naturalistes comme Buffon et des historiens canadiens, n’a pas encore officiellement réintégré la place qui lui revient dans le patrimoine littéraire canadien. Le présent numéro vise notamment à souligner l’importance de sa contribution littéraire. Avant d’aborder plus en détail les écrits du récollet, retraçons brièvement les principaux événements de sa vie. Gabriel Sagard, probablement baptisé sous le nom de Théodat, reste un homme assez obscur. Faute de documents juridiques, les dates de sa naissance et de sa mort sont toujours inconnues. Les rares informations que nous avons sur lui proviennent de son Histoire du Canada, où il mêle à la chronique des missions récollettes des souvenirs autobiographiques et des considérations philosophiques de toutes sortes. On y apprend notamment qu’il a grandi en Lorraine et que, encore écolier, il a pu admirer le tableau du jugement dernier dans la chapelle de Sillegny, située à dix-huit kilomètres de Metz. Sa vocation pour le Canada semble s’être dessinée très tôt, puisqu’il éprouvait tout jeune de la sympathie pour les peuples « infidelles » dont ses maîtres lui avaient brossé un portrait fantaisiste : Si l’on ignore la date de son entrée en religion, Sagard devait porter la bure des Récollets dès 1604, comme le suggère un passage de son Histoire du Canada où il fait allusion au gardien du couvent de Verdun (présenté par l’auteur comme « nostre convent »), soit au père Daniel Saymond mort en juillet de la même année. À en croire cette révélation, on pourrait situer la naissance de Gabriel Sagard entre 1580 et 1590. Bien que son cheminement soit ponctué de multiples zones d’ombre, on peut retracer les grandes étapes de son parcours. En 1611, on le retrouve au couvent des Récollets de Metz. Puis en 1615 on sait de source sûre qu’il était à Paris l’adjoint du provincial de Saint-Denis, Jacques Garnier Chapouin. C’est avec lui qu’il a travaillé à l’expédition des premiers missionnaires récollets en Nouvelle-France. Il aurait, de son propre aveu, aimé « estre de la partie » et sans doute avait-il espéré être envoyé aux côtés des quatre pionniers, Jean Dolbeau, Denis Jamet, Joseph Le Caron et Pacifique Duplessis. Mais pour des raisons indéterminées, il restera encore …
Appendices
Références
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