Commenter le commentaire d’un essai est chose délicate. D’autant plus quand la lecture proposée est bienveillante et resserrée, ce dont je remercie Jean-Paul Sermain. Je vais cependant décevoir quelque peu les amateurs de polémique en avouant mon embarras à répondre aux remarques formulées pour une seule et bonne raison : nous sommes d’accord sur presque tout, hormis quelques détails sur lesquels je reviendrai. Hormis aussi l’essentiel. Mais l’essentiel qui nous sépare est le fruit d’un malentendu puisque, de toute évidence et contre toute attente, nous n’avons pas lu le même texte. Il est toujours piquant de constater que les essais littéraires, comme les oeuvres, peuvent se prêter à des lectures si radicalement antagonistes… D’ailleurs, si j’avais lu le texte qu’a lu Jean-Paul Sermain, il y a fort à parier que ma réaction aurait été la même que la sienne. Reste que celui-ci a lu En toute mauvaise foi selon une perspective qui va à l’encontre de ce que le texte affirme et qui correspond en réalité au risque même que Jean-Paul Sermain dénonce à la fin de son compte rendu et dont il est la première victime : confondre l’auteur et le texte. En toute mauvaise foi n’est pas un essai biographique qui voudrait s’intéresser à la vie des écrivains, à leurs contradictions, à leurs postures, ce dont François Noudelmann a pu se charger il y a peu dans Le Génie du mensonge. À partir du moment où on a dit cela, la quasi-totalité des griefs formulés par Jean-Paul Sermain ne tient plus. J’avoue par exemple ne pas bien savoir quel passage de l’essai aurait pu laisser entendre que je « commence même par considérer deux romans traditionnels, La Princesse de Clèves et Les Liaisons dangereuses, comme deux ouvrages à dimension autobiographique ». Où ai-je pu écrire une telle chose ? Je l’ignore. Je reste encore plus perplexe devant telle ou telle affirmation : Je souscris cependant sans aucune restriction : lire une oeuvre selon la mauvaise foi de son auteur ne présente pas grand intérêt. Mais ai-je accusé Mme de Lafayette, Laclos, Beckett ou Perec de mauvaise foi ? Nullement. Pour ma part, je ne parle que des oeuvres. Ou des narrateurs, ce qui, rappelons-le quand même, n’est pas tout à fait la même chose. Et au cas où le lecteur ne parviendrait pas à me faire confiance (nous parlons quand même de mauvaise foi), je le prierai d’aller vérifier dans le texte. Qu’il juge de lui-même. Une précision doit malgré tout être apportée : la situation est évidemment différente lorsqu’on se penche sur des autobiographies où l’auteur, le narrateur et le personnage sont une seule et même personne. Jean-Paul Sermain voudra donc bien m’excuser d’y évoquer la quête problématique de sincérité de Rousseau, ou encore la « sincéromanie » de Leiris que l’écrivain déplore lui-même et affronte comme une maladie dont il ne peut se guérir. Mais pour ne pas en rester à une discussion de surface, ces éléments m’amènent à préciser d’emblée le projet qui préside à En toute mauvaise foi : envisager les façons plurielles, souvent riches, ambiguës, pénétrantes, dont la littérature cerne la mauvaise foi de l’être humain, en se demandant si cette capacité à la mettre en scène, voire à l’aiguiser ou à la repenser, ne provient pas justement de la nature même de la littérature, à savoir sa propre mauvaise foi. Dès le départ, cette interrogation noue donc deux perspectives centrales : une dimension existentielle et une dimension esthétique, ou littéraire, dans le but d’éclairer différemment notre conception des oeuvres et de l’histoire littéraire. Aussi l’essai en revient-il à la définition …
Appendices
Références
- Blanchot, Maurice, « Le Roman, oeuvre de mauvaise foi » [1947], La Condition critique : articles 1945-1998, textes choisis et établis par Christophe Bident, Paris, Gallimard (Cahiers de la NRF), 2010, p. 100-115.
- Starobinski, Jean, Le Remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge classique, Paris, Gallimard (NRF essais), 1989.