Abstracts
Résumé
Les romans de l’écrivaine française Christine Montalbetti font un usage étonnamment explicite de la modalisation autonymique, alors que l’énonciateur y revient constamment sur sa propre parole en pleine élaboration, témoignant ainsi d’une méta-réflexivité typique du roman de l’extrême contemporain. Cet article se consacre à l’analyse de l’ouvrage intitulé Le Cas Jekyll, texte dramatique de 2010 se voulant une version transfictionnelle du célèbre récit de Robert Louis Stevenson dans lequel l’énonciation montalbetienne fait de l’hétérogénéité constitutive du langage et du sujet l’objet même de la représentation. Ouvrage en apparence périphérique dans le corpus de Montalbetti, Le Cas Jekyll détiendrait peut-être néanmoins la clé de la poétique romanesque de cette dernière…
Abstract
French novelist Christine Montalbetti makes unabashed use of what French linguists call “modalisation autonymique”, whereby the enunciator comments his/her own discourse, displaying a meta-reflexivity that is typical of very recent literature. This paper focuses on Le Cas Jekyll, a short play written in 2010 that is a transfictional version of the famous Robert Louis Stevenson story. The play turns the constitutive heterogeneity of language and subjectivity into the very object of representation. Despite being a seemingly minor work in Montalbetti’s output, Le Cas Jekyll may hold the key to understanding her entire poetics.
Article body
Dans l’introduction du collectif Le Roman français de l’extrême contemporain. Écritures, engagements, énonciations, les directeurs de publication constatent, au sujet de la littérature française de la première décennie des années 2000, « qu’aucune école ou aucun groupe ne domine l’univers romanesque, et qu’aucun mouvement n’impose profondément sa marque sur la scène littéraire[1] », une scène qui, en somme, serait visiblement toujours aux prises avec le « soupçon » dont Nathalie Sarraute, il y a plus d’un demi-siècle, soulignait déjà l’envergure[2]. L’effondrement des vulgates modernistes et avant-gardistes n’aurait fait qu’accentuer, semble-t-il, l’idée d’un art du roman moderne essentiellement individualiste, à défaut d’être – mais ne l’aura-t-il jamais vraiment été ? – indivis. Une constante émergerait, toutefois : le roman contemporain serait bien au fait de la situation dans laquelle il se trouve (empêtré ?), et il ferait des apories liées à sa soi-disant cohérence, progression ou évolution la matière même de son contenu, l’enjeu de son élaboration. S’il y a un trait fédérateur de la production romanesque de notre époque, ce serait peut-être celui-là, donc. En effet, comme le remarque René Audet,
la réflexivité, la dimension métalittéraire signalent la conscience qu’a l’oeuvre d’elle-même […] : elles conduisent à la révélation des stratagèmes illusionnistes, elles suscitent un commentaire sur la mise en place de l’oeuvre… mais là n’est pas l’unique enjeu de ces romans se mettant en scène : il s’agit, au-delà du regard, de poursuivre le geste de raconter, d’engager la fabulation dans de nouvelles voies[3].
En d’autres mots, le roman français contemporain offrirait, lorsqu’il se veut particulièrement lucide, « a fable of the novel, a tale about the fate of that form, its problematic status, its limits, its possibilities[4] » ; par le fait même, ce dernier serait toujours déjà entamé par un clivage, à même son énonciation, qui mine d’emblée la perspective d’une plénitude de l’illusion référentielle, sa narration trop occupée à se regarder narrer tout en (se) narrant.
Dans l’ensemble du corpus narratif de l’écrivaine française Christine Montalbetti (née en 1965, cette professeure de littérature est également responsable de nombreuses études critiques dont il ne sera pas question ici), on assiste (du moins jusqu’à maintenant : onze livres, tous publiés chez l’éditeur parisien P.O.L entre 2001 et 2014) à un véritable déploiement de cette « fable » méta-réflexive, et les ouvrages de fiction de cette dernière deviendraient en quelque sorte emblématiques, à leur manière, de la production romanesque hexagonale des années 2000. Ce qui caractériserait d’ailleurs la prose de Montalbetti, selon Warren Motte, c’est que chez elle, « the novel reappropriates a discursiveness that is had long abandoned, and defends it right before our eyes, in a duel to the death[5] », un duel, donc, où discours et histoire s’affrontent pour mieux entrer en résonance, et ce, en toute connaissance de cause, le clivage méta-énonciatif marquant invariablement sa poétique à plus d’un égard.
Le clivage
Chez Montalbetti, la conscience métalittéraire que l’oeuvre a d’elle-même opère essentiellement à trois niveaux. Tout d’abord, par l’intermédiaire de la figure de la métalepse, alors que les écrits de la romancière sont parsemés d’interventions constantes du narrateur au coeur des récits en pleine élaboration ou d’adresses diverses au narrataire qu’on ne laisse pour ainsi dire jamais tranquille[6]. Ensuite, par l’intermédiaire de multiples interjections, qui viennent suggérer l’idée d’un sujet de l’énonciation provoqué par des décharges disons pulsionnelles et qui ne peut s’empêcher d’émettre tous ces « oh ! », « hmm ! » et autres « ah oui ! » au détour de chaque page comme pour venir y faire littéralement entendre sa voix et y inscrire son corps et sa phorie[7]. Enfin, cette même méta-réflexivité passe par l’intermédiaire de ce qu’on appelle en linguistique les modalisateurs autonymiques : en effet, d’un ouvrage à l’autre, le narrateur chez Montalbetti « parle tout en commentant en même temps sa parole en train de se faire. En parlant ainsi de sa propre parole, l’énonciateur produit une sorte de boucle dans son énonciation[8] », et c’est notamment en ce sens que la prose montalbettienne met en scène, en termes énonciatifs, le clivage méta-réflexif propre à un certain extrême contemporain.
Plus précisément, il y a modalisation autonymique lorsque l’énonciateur isole, à l’intérieur d’un syntagme, un élément X auquel il ajoute un modalisateur pour souligner à son récepteur qu’il y a écart interlocutif et que ledit élément langagier « ne va pas de soi », pour reprendre l’expression privilégiée par le titre de l’imposante monographie que Jacqueline Authier-Revuz consacre à la question[9]. Pour cette dernière, la non-coïncidence du dire à lui-même révélée par le phénomène de la modalisation autonymique peut être de quatre ordres :
il y a non-coïncidence dans l’interlocution quand le modalisateur autonymique « indique un écart entre les coénonciateurs » (ex. : passez-moi l’expression, si vous voulez, pardonnez-moi, comme vous le dites si bien, vous voyez ce que je veux dire, etc.) ;
il y a non-coïncidence du discours à lui-même lorsque « l’énonciateur représente un discours autre dans son propre discours » (ex. : comme dit X, pour parler comme X, pour reprendre les mots de X, le soi-disant X, etc.) ;
il y a non-coïncidence entre les mots et les choses « quand il s’agit d’indiquer que les mots employés ne correspondent pas exactement à la réalité à laquelle ils sont censés référer » (ex. : on pourrait dire, comment dire ?, disons, admettons, j’allais dire X, X ou plutôt Y, etc.) ;
enfin, il y a non-coïncidence des mots à eux-mêmes quand « l’énonciateur est confronté au fait que le sens des mots est équivoque » (ex. : à tous les sens du mot, au sens premier, littéralement, c’est le cas de le dire, etc.)[10].
Les exemples de ces divers types de modalisateurs autonymiques abondent dans le corpus de notre auteure, comme en témoignent des énoncés tels « deux sauriens égarés s’observant dans une sorte de terreur placide[11] » ou « à son front se dessinaient aussitôt (comme, disons, sous le pinceau d’un calligraphe) quelques lignes ondulées[12] » en passant par « mais enfin puisqu’il avait su s’habiller seul, et pour ainsi dire mécaniquement[13] » et « devant la spontanéité cristalline, osons le mot, de l’émotion qui l’assaille[14] » (pour n’en donner qu’un échantillon, puisqu’il y en a, dans ces romans, des centaines…).
Notons que, selon Jacqueline Authier-Revuz, peu importe la forme que prend la boucle méta-réflexive qu’instaure la modalisation autonymique, celle-ci constitue toujours une trace d’« hétérogénéité montrée » à même la surface de l’énoncé qu’elle vient altérer – au sens de modification, mais aussi au sens d’altérité[15] – et elle devient le symptôme d’un phénomène plus fondamental, soit celui de l’« hétérogénéité constitutive » :
Si parler n’était que mettre en oeuvre une machinerie communicationnelle, les boucles réflexives du dire sur le dire ne seraient jamais que des manifestations de l’activité de maîtrise-contrôle – éventuellement difficile, maladroite, voire malheureuse – par l’énonciateur de cette réalité, capitale, certes, mais extérieure.
Si, en revanche, ce qui se joue dans la parole pour un sujet n’est pas qu’une affaire « d’habillage » de pensée et de « masque de parole » qu’il interpose entre lui et les autres, mais ce qui, en lui, le fait être, dans sa singularité de sujet, comme être de langage, alors les boucles réflexives du dire sur le dire, aux points où il cesse de paraître « aller de soi », ne pourront pas ne pas avoir affaire avec ce caractère constitutif du langage pour le sujet, et à ce qui, par là, de son être même, lui échappe[16].
En d’autres mots, « [l]’hétérogénéité constitutive est, comme son nom l’indique, à la base de toute acte langagier : il y a de l’Autre, à la fois dans les mots, dans les discours et au dedans du sujet parlant. Toute parole se fonde sur cette hétérogénéité constitutive[17] » et repose, aux yeux de Authier-Revuz, sur un double postulat : celui du clivage propre au sujet de la psychanalyse (freudienne et lacanienne) d’une part, celui de la division du sujet traversé par la parole d’autrui du dialogisme bakhtinien d’autre part[18]. Il semblerait donc justifié de voir dans l’emploi récurrent de la modalisation autonymique chez Montalbetti l’omniprésente saillance d’une altérité que l’énonciateur n’arrive pas à taire et dont le discours ne parvient surtout pas à contenir les irruptions. Cette hétérogénéité constitutive serait d’autant plus patente et exacerbée dans Le Cas Jekyll, court texte en prose de notre auteure paru en 2010 et qui se veut, en fait, une adaptation pour le théâtre du fameux récit The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde de Robert Louis Stevenson (datant, celui-là, de 1886) : cet ouvrage constitue, de la manière la plus flagrante dans tout le corpus de Montalbetti, une véritable mise au jour de l’hétérogénéité constitutive du langage et du sujet, soit une manière toute singulière d’investir le paradigme de la méta-réflexivité caractéristique d’une certaine littérature de l’extrême contemporain.
Qui plus est, ce texte de Montalbetti, en apparence périphérique dans la mesure où il constitue un monologue pour le théâtre (d’à peine cinquante-cinq pages !) alors que l’auteure se veut partout ailleurs romancière, nous donnerait peut-être, paradoxalement, la clé de sa poétique narrative et permettrait d’en appréhender les spécificités, la question de l’hétérogénéité ne s’y déployant pas uniquement au niveau autonymique (toutes les traces laissées par ce type de modalisation, donc), mais également par l’intermédiaire de nombreuses indications de clivage aux niveaux intertextuel (réécriture transfictionnelle travaillant l’original de Stevenson), générique (tension constante entre l’hypotexte narratif et sa version dramatique) et langagier (contamination d’un code par un autre, le français y étant constamment confronté à une série d’expressions et de termes de langue anglaise). Aussi Le Cas Jekyll se voudrait-il le texte du corpus montalbettien qui traite avec le plus d’acuité – c’est du moins l’hypothèse qui sera défendue ici – de la question de l’hétérogène par l’hétérogène.
La version
Si le titre de l’ouvrage lui-même instaure d’emblée une évidente relation intertextuelle avec un texte et un personnage déjà passablement connus de la littérature moderne occidentale, la page de grand titre s’assure quant à elle de préciser « d’après Robert Louis Stevenson », dédoublant du coup la question de l’origine auctoriale. Dans sa préface, Montalbetti précise d’ailleurs qu’avec Le Cas Jekyll, « toutes sortes de voix devaient se tramer, coexister, se chamailler, dans une polyphonie constitutive et dynamique[19] ». Elle souligne, par le fait même, la duplicité langagière qui se trouve au coeur de son projet scriptural tout en rappelant l’idée que The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde illustre déjà, au niveau diégétique, la relation que le personnage entretient avec la part d’altérité au coeur de son « individualité ». Au demeurant, on se souviendra que le récit de Stevenson raconte les transformations du Docteur Jekyll qui, à la suite d’une découverte scientifique, en arrive à se transformer en un autre, pervers, criminel et meurtrier – ce fameux Monsieur Hyde, dont les comportements nocturnes illicites libèrent une agressivité débridée autrement refoulée[20].
L’opération de réécriture entreprise par Montalbetti, si elle tombe dans le registre des pratiques intertextuelles, relève en fait de la transfictionnalité, c’est-à-dire « le phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d’une intrigue préalable ou partage d’univers fictionnel[21] » : le récit de Stevenson se prête apparemment bien à ce type d’exercice, ayant engendré, depuis sa parution, une multitude d’adaptations pour le théâtre, le cinéma et la télévision tout en ayant inspiré des chansons populaires (de The Who, Men at Work ou The Damned, entre autres) et des suites allographes[22]. Pour Richard Saint-Gelais, spécialiste de la problématique, nous avons plus spécifiquement affaire à une version transfictionnelle « lorsqu’un récit “retraverse” sous un nouvel angle une histoire déjà racontée, généralement par l’adoption de la perspective d’un (autre) personnage[23] ». Aussi ne faut-il pas confondre l’intertextualité de la version de Montalbetti avec les pratiques dites, celles-là, hypertextuelles : « L’hypertextualité est une relation d’imitation et de transformation entre textes ; la transfictionnalité, une relation de migration (avec la modification qui en résulte presque immanquablement) de données diégétiques[24]. » À ce niveau, la principale modification apportée à la diégèse par Montalbetti est de donner la parole aux deux personnages de Jekyll et de Hyde en un même endroit, ce que ne fait jamais la version de Stevenson. Cela dit, aucune didascalie (explicite ou interne) ne permet de situer où précisément se trouve le locuteur : il réfère ponctuellement à certains lieux (son laboratoire, les cuisines et la cour menant à son cabinet, son salon, voire l’appartement de Hyde), mais il n’énonce finalement qu’à partir… des planches, dont il propose, tel un metteur en scène pleinement en charge de la/sa représentation, les descriptions mises en abyme : « Voici la scène. Intérieur jour. Lumière tamisée par les rideaux. Mon lit en acajou. L’édredon coquet jeté sur le drap[25] », pour ajouter, quelques pages plus loin, que « Jekyll vient de boire la potion. On change l’éclairage, c’est la nuit, le fond vire au bleu profond, on projette une lune. Un petit fumigène, pour signifier la brume, serait du meilleur effet[26] ». Stevenson, quant à lui, garde Jekyll et Hyde savamment séparés et le passage d’une identité à l’autre se fait littéralement derrière une porte close (que l’avocat Utterson et le serviteur Poole transgresseront éventuellement à coups de hache) ou par l’intermédiaire du témoignage inquiet d’un tiers (la lettre d’aveu de Docteur Lanyon peu avant sa mort).
De surcroît, Montalbetti attribue la prise en charge de son monologue au personnage titulaire, en « fai[sant] sentir comment la voix de Hyde colonise celle de Jekyll [27]», alors que la narration se veut plutôt hétéro/extra-diégétique chez Stevenson. En effet, un narrateur anonyme y rapporte l’histoire en privilégiant le point de vue du personnage d’Utterson et en enchâssant deux témoignages épistolaires (donc d’une perspective homodiégétique circonscrite) du Docteur Lanyon et de Jekyll lui-même. « Toutes ces transfocalisations, inévitablement, entraîn[ent] un remaniement complet du texte et de l’information narrative[28] », précise Gérard Genette dans Palimpsestes. La littérature au second degré, constat auquel adhère Saint-Gelais :
Modifier la perspective adoptée dans le récit initial conduit à peu près inévitablement à opérer, au sein du personnel fictif, ce qu’on pourra voir comme un décentrement ou un recentrement, selon qu’on se place du point de vue du protagoniste ravalé au rang de simple personnage (quand il ne disparaît pas tout à fait) ou de celui de personnage secondaire qui reçoit ainsi une promotion, quand il n’accède pas carrément à l’existence fictive[29].
Avec la version de Montalbetti, le personnage d’Utterson perd son statut de point focal et se retrouve désormais confiné au rôle de premier destinataire du monologue, Le Cas Jekyll s’ouvrant sur cet impératif on ne peut plus clair : « Écoute-moi bien, Utterson[30]. » Mais la plus importante « promotion » reste celle de Hyde : bien qu’au coeur de l’intrigue du récit de Stevenson, il y demeure pour l’essentiel caché (ce à quoi la banale homophonie du patronyme Hyde/hide fait allusion), inaccessible et fuyant, et il n’accède au droit de parole qu’en de brèves occasions, comme lors de sa rencontre nocturne avec Utterson ; chez Montalbetti, Hyde a cette fois le potentiel d’être partout, puisqu’« [a]u moment même où l’on croit que c’est Jekyll qui parle, c’est peut-être déjà Hyde qu’on entend [31] ». Plus le texte progresse, plus les énoncés attribuables à ce dernier deviennent envahissants, et le monologue atteint sa véritable apothéose avec ces dernières pages où les propos de Hyde prennent dorénavant toute la place :
Ohé, Jekyll, mon valet, tu vas à vau-l’eau !
Mon venin te fiche la venette ?
Je suis ta vermine, ta vérole, ton verrat, ta verrue, tu n’es point trop verni.
Tu as été mon verrou, et moi, de toi, le versant versatile.
Tu étais ma vertu, j’ai été ton vertige !
Toi, mon vêtement, moi, ta vision vespérale !
Toi, ma verveine, et moi, ta verge vivace !
Moi ton vice, je te le dis tout de go[32] !
Alors que les énoncés attribués à Jekyll paraissent généralement neutres, faiblement modalisés et plus « rationnels », adhérant en ce sens à la stylistique des discours dits scientifiques qu’il tâche de privilégier (« Commençons cet exposé avec le plus de méthode possible[33] », prend-il le temps de spécifier), ceux attribués visiblement à Hyde étonnent par leur verve : apostrophes, interjections, exclamations, métaphores et allitérations suggèrent cette fois un discours résolument en proie à la fonction poétique du langage et à une certaine « folie » exacerbée par une langue déliée. Oeuvre duplice à deux têtes (Stevenson/Montalbetti, Jekyll/Hyde), Le Cas Jekyll insiste également pour mettre en relation au moins deux styles, question d’illustrer au niveau de sa poétique même le sujet de cette hétérogénéité constitutive qu’il se propose de représenter.
Notons, du reste, qu’avec le témoignage qui clôt le récit de Stevenson, Jekyll présentait déjà sa propre conception de cette division de la subjectivité (« I hazard the guess that man will be ultimately known for a mere polity of multifarious, incongruous and independant denizens[34] ») en des termes explicitant une dualité primitive, fondamentale et inéluctable :
It was on the moral side, and in my own person, that I learned to recognize the thorough and primitive duality of man ; I saw that, of the two natures that contended in the field of my consiousness, even if I could rightly be said to be either, it was only because I was radically both[35].
Quelques pages plus loin, il fait l’aveu suivant sur la dissolution de l’idée d’une identité subjective pleine, une, homogène, inaltérée : « Think of it – I did not even exist [36] ! » Le monologueur de Montalbetti en arrive, au final, à des conclusions semblables lorsqu’il fait quant à lui ce constat : « Nous sommes composites, traversés de désirs contraires, nous sommes tiraillés, versatiles et mouvants[37]. » Il ajoute enfin : « J’aboutis à ce résultat décisif : le corps que nous avons, et que nous croyons solide, n’est que vapeur et nébulosité[38]. » Bref, l’hétérogénéité est ici clairement nommée – énoncée – par les personnages eux-mêmes, c’est-à-dire visible à même le champ lexical et le choix des figures (ici des métaphores disons éthérées), le contenu des affirmations dont est composé l’ouvrage reflétant de la sorte une dualité fébrilement active à la fois du côté de la généricité incertaine de notre transfiction.
Le(s) genre(s)
En effet, cette même hétérogénéité de la subjectivité opère également au niveau énonciatif, la version du texte de Stevenson adapté pour le théâtre par Montalbetti tâchant de conserver une évidente « nébulosité » auctoriale : « L’inquiétude qui anime cette profération duplice est celle de savoir, à chaque instant, qui parle – et à qui[39] », l’auteure tirant ainsi profit, pour la première (et seule jusqu’à maintenant) fois dans tout son corpus, des possibilités offertes par la double énonciation théâtrale. C’est que, comme l’indique Dominique Maingueneau, le théâtre est justement caractérisé par un mode d’énonciation bien particulier :
La parole y participe en effet de deux situations d’énonciation à la fois :
dans la première, un auteur s’adresse à un public à travers la représentation d’une pièce ; c’est donc la représentation qui constitue l’acte d’énonciation ;
dans la seconde, la situation d’énonciation représentée, des personnages échangent des propos sur scène, sans se référer – du moins dans le théâtre classique – au fait qu’ils parlent à l’intérieur d’une représentation[40].
Roland Barthes, on se souviendra, voyait déjà dans cette multiplication des signes et des voix le propre de la théâtralité (« on a donc affaire à une véritable polyphonie informationnelle, et c’est cela, la théâtralité : une épaisseur de signes[41] »). Aussi, alors que l’original de Stevenson appartient au genre narratif, la transfiction de Montalbetti s’affiche explicitement comme relevant du genre dramatique, ce que le paratexte n’a de cesse de venir confirmer : mention « Théâtre » en première de couverture ; énumération (allographe ?) péritextuelle précisant les festivals, les salles et les dates où le spectacle a été présenté par le comédien Denis Podalydès entre 2007 et 2010 ; préface autographe expliquant que la commande « libératrice » a été adressée à la romancière par ce dernier ; didascalie initiale indiquant que « Jekyll — » est le personnage prenant en charge le monologue qui va suivre. Bref, l’artifice du spectacle théâtral lui-même permet à Stevenson, Montalbetti et Podalydès de s’exprimer à travers un personnage lui-même déjà démultiplié.
Seul sur scène, ce dernier tâche néanmoins de préciser immédiatement à qui il s’adresse, le décentrement susmentionné du personnage d’Utterson faisant du serviteur le premier énonciataire du monologue de Jekyll : « Écoute-moi bien, Utterson. Je sollicite ton attention comme une faveur. Il faut bien, dans cette histoire, que je m’adresse à quelqu’un[42]. » Les spécificités de l’énonciation dramatique opèrent ici à plein régime :
Dans le même énoncé, le spectateur perçoit trois activités d’énonciation à la fois, correspondant à trois situations d’énonciation, indissociables mais distinctes : celle de l’auteur à un public virtuel, celle du metteur en scène à un public spécifié, celle du personnage à un autre personnage. On peut à cela ajouter les acteurs eux-mêmes, qui introduisent une instabilité supplémentaire dans le dispositif […][43].
Conséquemment, on peut voir que cette double énonciation théâtrale sied bien en bout de ligne à la poétique montalbetienne, caractérisée, on l’a dit, par un retour constant sur soi de ses voix. Du reste, le passage du narratif au dramatique qu’opère ici l’auteure – le terme latin heterogeneus ne réfère-t-il d’ailleurs pas à ce qui est « d’un autre genre » ? – ne ferait que refléter l’hétérogénéité primitive au coeur de l’identité du protagoniste. Cela dit, cette forme de clivage finit par affecter la représentation elle-même, alors que Montalbetti, dans un geste disons brechtien, rompt l’illusion référentielle – comme elle a l’habitude de le faire dans ses romans, en fait – et étend la duplicité énonciative en un retournement métaleptique, cette fois du côté du spectateur, rapidement sollicité par le personnage alors même qu’il parle à un autre : « Je m’adresse à toi en particulier, Utterson, mais à travers toi, c’est vous tous que je vise, afin que vous repartiez différents de quand vous êtes arrivés[44]. » Ailleurs, les attentes des spectateurs telles que se les imagine le personnage infléchissent le contenu de son monologue même (« On ne va pas ennuyer ces messieurs dames avec des considérations juridiques[45] »), Jekyll finissant par affirmer que la division identitaire avec laquelle il est aux prises est « normalement » le propre de toute subjectivité, de toute individualité :
Et à la fin, s’il faut que ce soit la fin, quelles que soient ces petites agaceries que Hyde et Jekyll se font, à la fin, c’est bien soi, aussi, qu’on considère. Un moi amplifié. Exalté. Mais le même qui était là dès le début. Un moi normalement tiraillé. À votre image.
Quoique chez vous tout cela soit tapi, retenu, bridé par le mensonge, entravé par la réticence, bien emmuré dans l’apparence d’un seul.
Le petit théâtre de ce moi, divisé en deux corps distincts, et qui mènent leur danse de mort devant vous[46].
Ici, c’est donc la question de l’hétérogénéité constitutive qui se retrouve littéralement mise en scène, « le petit théâtre de ce moi » devenant le genre par excellence où celle-ci peut se déployer et renvoyant le spectateur à sa propre subjectivité-en-procès soumise au Symbolique et à la force du Verbe, et ce, à l’image du personnage lui-même, conscient à la fois de son existence livresque et de son statut de sujet/d’objet du discours (« Brossons le portrait du jeune homme. / Feuilletons les pages de ma vie[47] »).
À cet égard, on ne peut s’empêcher de remarquer, paradoxalement, que plus la transfiction dramatique progresse, plus elle se narrativise : « Ta parole est un poison, Hyde, murmure Jekyll au bord de la tombe. Comment oses-tu[48] ? » Plus loin : « Ne t’ai-je pas distrait de ta mélancolie ? demande encore Hyde, gentiment, à Jekyll[49]. » Étrange, en effet, que ce texte destiné à être pris en charge par un comédien, seul locuteur supposé incarner un personnage double sur scène qui, soudainement, laisse la place à… une troisième voix : celle d’un narrateur anonyme qui trahit à la fois les origines narratives de l’hypotexte de Stevenson de même que l’appartenance du Cas Jekyll à un corpus lui-même exclusivement romanesque. Bref, c’est comme si le dramatique et le narratif s’entêtaient à rester étrangers l’un à l’autre tout en étant en même temps intrinsèquement reliés par une instance qui finit même par se faire chantre d’une certaine forme de morale : « Hyde voudrait s’attirer les faveurs de Jekyll. Ils sont en train de mourir et ne vaudrait-il pas mieux alors que tout entre eux soit pardonné[50] ? » Mais l’origine auctoriale d’un tel souhait se perd, à jamais indécidable, tout comme la généricité du texte lui-même.
Le(s) code(s)
Si l’hétérogène est perceptible dans Le Cas Jekyll par l’intermédiaire d’un fin travail de réécriture impliqué par la transfictionnalité ainsi que par cette tension constante au niveau générique, il laisse également des traces au niveau de la langue elle-même, le monologue du personnage y faisant par ailleurs explicitement référence :
C’est sur cette hétérogénéité que Jekyll, homme de sciences, va travailler. Mettre en oeuvre l’opération qui consiste à en démêler les composantes. Réfléchir au geste de les séparer. Quel titre pourrais-je donner à mon exposé. Quel titre qui dirait ça, qu’on réfléchit à l’hétérogène, qu’on est parvenu à le désigner, et qu’alors on peut commencer de travailler sur ce qui le compose, qu’on peut commencer de le dissocier. Scalpel, et hop on coupe dans l’hétérogène jusqu’à isoler un composant entier, intègre, un composant pur, dénué d’altérité. « Autopsie de l’hétérogène », si vous voulez. Ou alors en sous-titre, entre parenthèses, comme vous savez qu’on fait.
C’est-à-dire : ouvrez les guillemets : De la dualité primitive de l’homme ; ouvrez la parenthèse : autopsie de l’hétérogène ; fermez la parenthèse, fermez les guillemets[51].
De surcroît, la méta-réflexivité typique de la poétique montalbettienne apparaît, dans ce passage, au niveau strictement autonymique, alors que « l’énonciateur indique qu’il fait mention [d’un] énoncé, c’est-à-dire qu’il désigne les mots et non la réalité à travers les mots[52] », témoignant par le fait même d’une hétérogénéité montrée qui brise l’unicité du discours : le personnage y monologue tout en commentant, en cours d’élaboration, ce même monologue. Autrement dit, l’hétérogène n’est pas seulement ce sur quoi « travaille » le personnage dans ces syntagmes : il est mis en scène à même l’énonciation (qui passe par ailleurs sans crier gare à l’hétéro/homodiégétique au simple détour d’une phrase, entraînant un nouveau trouble auctorial), ce que l’on voit également à l’oeuvre dans cet autre passage :
Voilà qui t’explique, je pense, ma vie cloîtrée de ces derniers mois. La violence des crises, leur répétition, me rendent inapte au commerce des hommes.
« Au commerce des hommes », comme si tu pouvais te permettre d’utiliser encore des expressions de cette sorte.
Cette façon (faut-il direso british) d’essayer d’avoir l’air impeccable jusqu’au bout.
Je ne suis plus en mesure de rien décider.
Hyde surgit à tout bout de champ, de manière spontanée, avec une violence telle que je ne peux pas juguler ses apparitions.
Je ne crois pas que ce soit l’heure de dire « juguler ses apparitions », je ne crois pas que cette diction posée, bien articulée, soit de mise encore.
« Être de mise », ça non plus, je ne suis pas sûr[53].
Nous pouvons voir que cet extrait, d’une riche complexité énonciative, est tout d’abord empreint d’autonymie, avec tous ces éléments mis entre guillemets dont le monologueur remet constamment en question la justesse. C’est comme si son discours peinait à s’assumer, ne serait-ce qu’à cause d’un embrayage constamment différé car clivé. Mais on remarquera également ici la présence du modalisateur autonymique « faut-il dire », qui vient indiquer le doute de l’énonciateur quant à la non-coïncidence entre une des nombreuses expressions de langue anglaise du texte (« so british ») et la chose qu’il tâche de désigner ici de la sorte (« Cette façon »).
Conséquemment, l’hétérogénéité transparaît aussi par l’intermédiaire de la langue privilégiée dans tout Le Cas Jekyll, une langue hantée, tout d’abord, par son appartenance à deux codes – « I introduce Jekyll[54] », nous dit en début de pièce un énonciateur se parlant à la fois en anglais et en français tout en se présentant, du reste, comme extérieur à lui-même : « Introducing Mr. Jekyll, un individu entre chèvre et chou, parfait pour l’expérience[55] ». Aussi retrouve-t-on plusieurs termes ou expressions (parfois soulignés par l’italique) directement importés de l’anglais et qui, en trahissant le code d’origine de l’hypotexte, constituent des ilots d’étrangeté linguistique, si l’on veut, « leurs intérieurs cosy[56] » et « une sorte de gimmick[57] » côtoyant des expressions telles « no trace[58] » ou « Ah, my goodness[59] ! » (quand on n’a pas affaire à une reproduction littérale du texte de Stevenson : « Utterson, for God’s sake, have mercy[60] ! »). Cela dit, on ne peut s’empêcher de remarquer que ce code est employé, pour l’essentiel, dans le cadre de conversations, en discours direct, que se remémore le personnage : voir les passages « But oh sir, dit la fillette qui ne comprend rien et qui se met à couiner[61] », « Mister Hyde, I presume[62] ? », « That’s my name, what do you want[63] ? », « You don’t seem to be very hungry, sir[64] » et « J’invalide un à un ses arguments (But no, my dear, I think you are wrong, if I may), je démonte ses démonstrations catastrophistes (I am sure there is another way to consider this very situation)[65] », comme si Jekyll/Hyde se devait de confiner la parole d’autrui/de l’autre texte/de l’autre code à l’italique, question de représenter, typographiquement, une (vaine) mise à distance de l’hétérogène qui fait autrement défaut dans sa propre énonciation.
Enfin, le code de la langue française dans Le Cas Jekyll est altéré, nous l’avons vu en début d’analyse, par la non-coïncidence entre les mots et les choses que tout le clivage lié à l’hétérogénéité constitutive relevé jusqu’à maintenant impose, ce dont témoignent ces occurrences de la modalisation autonymique ponctuellement présentes dans le texte :
Elle [la vie] me procurait une sorte d’ennui qu’il me fallait toujours dépasser[66].
Mais dans le secret, je me livre à de menues débauches (des broutilles, vraiment), que je m’obstine à taire[67].
J’étais toujours inquiet de savoir si, à ce temps dépensé pour ainsi dire hors du monde, une légitimation viendrait, qui me ferait penser que j’avais eu raison de m’absenter de la sorte[68].
Est-ce la proximité du fleuve et ce qu’elle raconte à mon esprit malade, les brumes qui s’élèvent à cet endroit, âcres, et qui ont quelque chose, je te le dis tout net, d’un poison[69] ?
Je menais une vie qu’on peut dire laborieuse et distillais sous le halo de ma lampe des heures fécondes[70].
Nonobstant une occurrence de la non-coïncidence du discours à lui-même (« Un étudiant sérieux, comme ils pourraient dire[71] »), le reste de la modalisation autonymique venant opacifier l’énonciation dans Le Cas Jekyll relève essentiellement (et sans grande surprise) de la non-coïncidence dans l’interlocution :
La vérité, Utterson, c’est que la vie studieuse que je menais alors me paraissait, comment te dire, une chose étriquée[72].
De ce constat (mesdames, messieurs), je suis en mesure de tirer un premier principe, que nous appellerons, s’il vous plaît, « dualité primitive de l’homme »[73].
« Autopsie de l’hétérogène », si vous voulez[74].
Avec tous ces exemples de modalisation autonymique, la prose de Montalbetti – la transfiction dramatique que constitue Le Cas Jekyll n’est pas, à cet égard, différente des textes narratifs dont est composé son corpus – témoigne d’une forte conscience de sa propre élaboration, si bien que le discours y semble toujours en pleine autoréflexion, le dire s’y accompagnant invariablement d’un dire sur le dire.
Le paroxysme
Mais relever les occurrences de la modalisation autonymique n’est pas suffisant pour l’analyse, car on ne fait, au final, qu’identifier des « points d’hétérogénéité » sans pour autant préciser ce qu’ils veulent signifier. Il nous faut également observer, en effet, le contexte discursif autorisant leur apparition, comme le suggère Authier-Revuz :
Au niveau du fil du discours, localiser un point d’hétérogénéité, c’est circonscrire celle-ci, c’est-à-dire poser par différence, pour le reste de la chaîne, l’homogénéité ou l’unicité de la langue, du discours, du sens, etc. ; corps étranger délimité, le fragment marqué reçoit nettement à travers les gloses de correction, réserve, hésitation… un caractère de particularité accidentelle, de défaut local. En même temps, le renvoi à un ailleurs, à un extérieur explicitement spécifié ou donné à spécifier, détermine automatiquement par différence un intérieur, celui du discours ; c’est-à-dire que la désignation d’un extérieur spécifique est, à travers chaque marque de distance, une opération de constitution d’identité pour le discours. Aussi la zone de « contact » entre extérieur(s) et intérieur que dessinent les marques de distance dans un discours est-elle profondément révélatrice de celui-ci, d’une part par les points où il choisit de poser explicitement des frontières, bords, démarcations – c’est-à-dire de quel autre il faut se défendre, à quel autre il a recours pour se constituer – d’autre part par le type de rapport à tel autre qui s’y joue, rapport ici encore, soit explicite par les gloses, soit interprétable en fonction du contexte […][75].
Autrement dit, à quels moments précis dans le monologue composant LeCas Jekyll sent-on le besoin de marquer l’extériorité d’un mot ou d’une expression à l’aide de la modalisation autonymique ? De quel « espace » discursif l’énonciateur se dote-t-il en sollicitant de la sorte « frontières », « bords » et « démarcations » ? Comment l’hétérogénéité constitutive, en interrompant l’unité du discours, lui apparaît-elle ? Par l’intermédiaire de quels signes se trouve-t-elle « sémantisée » ?
Un bref survol des occurrences de modalisation autonymique répertoriées de même que leur mise en rapport avec les autres marques de clivage aux niveaux intertextuel/transfictionnel, générique et langagier présentes dans Le Cas Jekyll nous amènent ainsi à tirer les quelques conclusions suivantes. Lorsqu’il y a non-coïncidence entre les mots et les choses dans notre ouvrage, c’est pour insister sur une certaine mélancolie de l’énonciateur, faite d’un ennui que l’on cherche « à dépasser » et de petites « débauches » (visiblement honteuses) que l’on cherche à cacher ; ce dernier mène une vie dite « laborieuse » qu’il passe en réclusion (« hors du monde »), une vie solitaire, inquiète, certes, mais tout de même lisse, une, que seules les « brumes empoisonnées » de la Tamise viendraient entamer, ultime preuve d’un sujet à l’unité fragile, perméable, en proie, donc, à l’altération. À cet égard, le discours viendrait précisément mimer le contenu du récit en répétant, grâce aux boucles méta-réflexives que forment précisément ces non-coïncidences du dire, la dualité subjective à laquelle serait soumis ce composite personnage, la version transfictionnelle proposée par Montalbetti de l’hypotexte de Stevenson s’attachant à conserver l’hétérogénéité montrée dans The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde tout en tâchant de lui donner une existence – une voix – au niveau énonciatif.
La boucle provoquée par le « ils pourraient dire » propre à la non-coïncidence du discours à lui-même ne viendrait, quant à elle, qu’accentuer la sujétion du personnage à la locution d’autrui, notamment la double énonciation propre au texte et au spectacle dramatiques et la polyphonie (« ils ») qu’elle implique. Quant aux exemples relevés de non-coïncidence dans l’interlocution, ils témoignent d’une volonté de l’énonciateur de solliciter derechef, dans l’élaboration de son discours, l’attention de ses récepteurs, qu’il soit question de son confident Utterson ou de ces « mesdames, messieurs » à qui la représentation théâtrale serait adressée et à qui ce discours à moitié dramatique, à moitié narratif proposerait en fin de compte une investigation de la « dualité primitive de l’homme » d’une part, de l’hétérogénéité constitutive du langage de l’autre, le fameux écart discours/histoire propre à la méta-réflexivité montalbetienne ne pouvant pas dès lors être plus explicite, ce que la coexistence de deux codes langagiers ne ferait, au demeurant, qu’intensifier.
En dernière analyse, avec la récurrence de la modalisation autonymique ponctuant l’unité d’un discours pourtant destiné à être incarné, lors de sa représentation scénique, par un seul homme, c’est comme si l’énonciateur, à défaut de savoir qui il est en fin de compte (« Pour tout te dire, ta présence me surprend désagréablement. J’ai un moment d’hésitation, je ne sais plus si je suis Hyde ou Jekyll[76] »), tâchait de stabiliser du mieux qu’il peut la motilité de son dire en l’arrimant à son interlocuteur[77]. Le Cas Jekyll mettrait donc en scène quelque chose comme une parole sans sujet (autre que la parole elle-même : « Je parle parce que la parole est ce qui me reste[78] »), suspendue entre une énonciation dite duplice et une réception complice, « embrayée » sur cet espace interlocutif laissé entre Jekyll et Hyde et ultimement prise en charge par un narrateur (anonyme) réintégré in extremis dans le discours dramatique. Bref, la transfiction nous ayant intéressés nous donne au final accès à cette hétérogénéité constitutive dont j’ai tâché de suggérer l’obsédante prégnance dans la pratique scripturale éminemment contemporaine de Christine Montalbetti et dont Le Cas Jekyll ne serait pas un simple succédané périphérique – considérant le fait que « les textes transfictionnels sont tendanciellement reçus comme des oeuvres secondes, avec tout ce que cela implique dans une culture qui, quoi qu’on en dise, n’a pas entièrement rompu avec la promotion romantique de l’originalité[79] » – mais, si vous voulez, le paroxysme.
Appendices
Note biographique
Détenteur d’un doctorat en langue et littérature françaises de l’Université McGill, Stéphane Girard est professeur de littérature et de sémiologie à l’Université de Hearst en Ontario. Auteur d’un ouvrage intitulé Plasticien, écrivain, suicidé. Ethos auctorial et paratopie suicidaire chez Édouard Levé (L’Harmattan, 2014), il effectue des recherches qui portent notamment sur l’inscription de la subjectivité dans la littérature francophone et la culture populaire contemporaines.
Notes
-
[1]
Barbara Havercroft, Pascal Michelucci et Pascal Riendeau, « Frontières du roman, limites du romanesque. Introduction », dans Barbara Havercroft, Pascal Michelucci et Pascal Riendeau (dir.), Le Roman français de l’extrême contemporain. Écritures, engagements, énonciations, Montréal, Nota Bene (Contemporanéités), 2010, p. 7.
-
[2]
Voir Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon. Essais sur le roman, Paris, Gallimard (Les Essais), 1954.
-
[3]
René Audet, « Raconter ou fabuler la littérature ? Représentation et imaginaire littéraires dans le roman contemporain », dans Barbara Havercroft, Pascal Michelucci et Pascal Riendeau (dir.), Le Roman français de l’extrême contemporain, op. cit., p. 186.
-
[4]
Warren Motte, Fables of the Novel. French Fiction since 1990, Champaign / London, Dalkey Archive Press, 2003, p. 6.
-
[5]
Warren Motte, Fiction Now. The French Novel in the Twenty-First Century, Champaign / London, Dalkey Archive Press, 2008, p. 14.
-
[6]
Par ailleurs, Montalbetti revient elle-même sur son emploi de la figure dans ses romans avec un article intitulé « Ce que fait la métalepse à la fiction : théorie et pratique » (dans Michel Braud, Béatrice Laville et Brigitte Louichon [dir.], Les Enseignements de la fiction, Modernités, no 23 [2006], p. 117-127), ce qui témoigne d’une forte conscience, au niveau auctorial, des procédés scripturaux mis en oeuvre dans lesdites oeuvres de l’écrivaine théoricienne. C’est que le phénomène est constant dans sa production romanesque, de son premier ouvrage aux plus récents : par exemple, de « Immobilisons nos deux héros en leur amorce de retrouvailles et revenons si vous le voulez en arrière, histoire d’apporter encore quelques précisions » (Christine Montalbetti, Sa fable achevée, Simon sort dans la bruine, Paris, P.O.L, 2001, p. 20) à « On continue ? » (Christine Montalbetti, Love Hotel, Paris, P.O.L, 2013, p. 15), le narrateur montalbettien rompt constamment le pacte de la représentation pour s’adresser directement à son narrataire et infléchir ainsi, en interrompant le récit de ses interventions, le cours du doublet discours/histoire.
-
[7]
À titre d’exemple, dans Journée américaine (Paris, P.O.L, 2010), la narratrice émaille son discours d’interjections et d’onomatopées variées mais frappantes par leur omniprésence : « hop, on vous plante le rostre dans l’épiderme » (p. 37) ; « Ah, les majorettes ! » (p. 44) ; « Ils se laissent happer, les jours où elle est en forme, par le grand show qu’elle donne, vous lézardant tout ça d’ocre et d’amarante, y allant de ses coups de pinceau magistraux, faisant dans le grandiose, et toc que je mets un rose tyrien, et vlouf d’une longue giclure lilas » (p. 69) ; « oh, il se contenterait de pas grand-chose » (p. 74) ; « le manteau de Jane et la veste de Donovan continuent d’anticiper plaisamment l’étreinte de leurs propriétaires, qui n’en sont pas encore là, ouh là là, assis prudemment de part et d’autre de la table » (p. 80) ; etc.
-
[8]
Dominique Maingueneau, Analyser les textes de communication, Paris, Armand Colin (Lettres sup), 2007, p. 140.
-
[9]
Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et non-coïncidences du dire, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2012 [1995].
-
[10]
Je reprends ici la synthèse des positions de Jacqueline Authier-Revuz, proposée par Dominique Maingueneau, op. cit., p. 141. Voir également Jacqueline Authier-Revuz, ibid., p. 229-731.
-
[11]
Christine Montalbetti, L’Origine de l’homme, Paris, P.O.L, 2002, p. 39 ; je souligne – et soulignerai – les occurrences de modalisation autonymique en italique.
-
[12]
Christine Montalbetti, L’Évaporation de l’oncle, Paris, P.O.L, 2011, p. 16 ; je souligne.
-
[13]
Christine Montalbetti, Western, Paris, P.O.L, 2005, p. 23 ; je souligne.
-
[14]
Christine Montalbetti, Nouvelles sur le sentiment amoureux, Paris, P.O.L, 2007, p. 11 ; je souligne.
-
[15]
« La modalisation autonymique confère à un élément du dire le statut d’une “manière de dire”, relativisée (même si c’est pour la valoriser) parmi d’autres. Ce faisant, l’énonciation se représente, localement comme affectée de non-un, comme altérée – au double sens d’altération et d’altérité – dans son fonctionnement par un fait ponctuel de non-coïncidence » (Jacqueline Authier-Revuz, « La non-coïncidence interlocutive et ses reflets méta-énonciatifs », dans Alain Berendonner et Herman Parret [dir.], L’Interaction communicative, Berne, Éditions Peter Lang, 1990, p. 173).
-
[16]
Jacqueline Authier-Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi, op. cit., p. 81 ; l’auteure souligne.
-
[17]
Sabine Pétillon-Boucheron, Les Détours de la langue. Étude sur la parenthèse et le tiret double, Louvain / Paris, Éditions Peeters (Bibliothèque de l’information grammaticale), 2003, p. 290 ; l’auteure souligne.
-
[18]
Sur ces questions, voir Jacqueline Authier-Revuz, « Balisages dans le champ énonciatif », Ces mots qui ne vont pas de soi, op. cit., p. 61-106.
-
[19]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, Paris, P.O.L, 2010, p. 13.
-
[20]
Notons, au passage, que Pierre Bayard soutient que la division Jekyll/Hyde ne mettrait pas tant en scène le conflit conscient/inconscient, comme on a l’habitude de le dire au sujet du récit, puisque le texte de Stevenson insiste plutôt sur le fait « que chacun des deux êtres en lutte pour l’occupation du même corps est parfaitement au fait de l’existence de l’autre, et que sa souffrance tient à cette conscience, non à son ignorance » (Pierre Bayard, Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ?, Paris, Éditions de Minuit [Paradoxe], 2004, p. 73). En d’autres mots : « Le Moi n’est plus séparé ici entre conscience et non-conscience, catégories inappropriées chez Stevenson, mais bien entre Bien et Mal » (id.), tandis que les préoccupations de nature éthique ne concernent pas le modèle psychanalytique, surtout en ce qui a trait à l’interprétation du fait littéraire. N’en demeure pas moins, avec la relation trouble que le personnage principal entretient avec son double, une altérité dont le « je » ne peut faire, au final, l’économie et que s’attache à conserver Montalbetti dans sa version de l’histoire : « Nous avons d’évidence affaire à une personnalité à l’intérieur de laquelle ferraillent des pulsions contradictoires, dans un combat incessant et qui m’irrite l’âme. / Vice et Vertu, en somme, et pour faire simple » (Christine Montalbetti, ibid., p. 27), l’énonciateur nous confie-t-il, sans jamais lui-même trancher entre tenaillement pulsionnel et impératif moral pour expliquer son déchirement.
-
[21]
Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Éditions du Seuil (Poétique), 2011, p. 7.
-
[22]
Une page Wikipédia est par ailleurs consacrée à l’impressionnante énumération des plus « notables » de ces adaptations : « Adaptations of Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde » [en ligne], Wikipédia [https://en.wikipedia.org/wiki/Adaptations_of_Strange_Case_of_Dr._Jekyll_and_Mr._Hyde].
-
[23]
Richard Saint-Gelais, op. cit., p. 139.
-
[24]
Ibid., p. 10.
-
[25]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 49.
-
[26]
Ibid., p. 53.
-
[27]
Ibid., p. 14 ; l’auteure souligne.
-
[28]
Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil (Points essais), 1982, p. 408.
-
[29]
Richard Saint-Gelais, op. cit., p. 144.
-
[30]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 19.
-
[31]
Ibid., p. 15 ; l’auteure souligne.
-
[32]
Ibid., p. 79.
-
[33]
Ibid., p. 21.
-
[34]
Robert Louis Stevenson, The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde and Other Tales of Terror, London, Penguin Books (Penguin Classics), 2002, p. 56.
-
[35]
Id. ; je souligne.
-
[36]
Ibid., p. 60.
-
[37]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 46.
-
[38]
Ibid., p. 34.
-
[39]
Ibid., p. 16.
-
[40]
Dominique Maingueneau, Manuel de linguistique pour le texte littéraire, Paris, Armand Colin (U / Linguistique), 2010, p. 336 ; l’auteur souligne en italique et en gras.
-
[41]
Roland Barthes, « Littérature et signification » [1963], Essais critiques, Paris, Éditions du Seuil (Points essais), 1964, p. 267 ; l’auteur souligne.
-
[42]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 19.
-
[43]
Dominique Maingueneau, Manuel de linguistique pour le texte littéraire, op. cit., p. 338.
-
[44]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 31.
-
[45]
Ibid., p. 40.
-
[46]
Ibid., p. 67-68 ; je souligne.
-
[47]
Ibid., p. 83.
-
[48]
Ibid., p. 80.
-
[49]
Ibid., p. 81.
-
[50]
Ibid., p. 81-82.
-
[51]
Ibid., p. 30.
-
[52]
Dominique Maingueneau, Manuel de linguistique pour le texte littéraire, op. cit., p. 139 ; l’auteur souligne en italique et en gras.
-
[53]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 63-64 ; l’auteure souligne les expressions de langue anglaise en italique.
-
[54]
Ibid., p. 22.
-
[55]
Ibid., p. 30 ; l’auteure souligne.
-
[56]
Ibid., p. 25.
-
[57]
Ibid., p. 39.
-
[58]
Ibid., p. 63.
-
[59]
Ibid., p. 36.
-
[60]
Ibid., p. 38 et Robert Louis Stevenson, op. cit., p. 44.
-
[61]
Ibid., p. 43.
-
[62]
Ibid., p. 45.
-
[63]
Ibid., p. 46.
-
[64]
Ibid., p. 51.
-
[65]
Ibid., p. 59.
-
[66]
Ibid., p. 25 ; je souligne.
-
[67]
Ibid., p. 27 ; je souligne.
-
[68]
Ibid., p. 33 ; je souligne.
-
[69]
Ibid., p. 54 ; je souligne.
-
[70]
Ibid., p. 72 ; je souligne.
-
[71]
Ibid., p. 23 ; je souligne.
-
[72]
Ibid., p. 25 ; je souligne.
-
[73]
Ibid., p. 28 ; je souligne.
-
[74]
Ibid., p. 30 ; je souligne.
-
[75]
Jacqueline Authier-Revuz, « Hétérogénéité(s) énonciative(s) », Langages, no 73 (1984), p. 105 ; l’auteure souligne.
-
[76]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 46.
-
[77]
Ce que feraient également à mon sens les nombreux appels métaleptiques au narrataire que l’on retrouve dans le texte (et qui caractérisent, je l’ai relevé plus tôt, l’ensemble de la prose montalbetienne), alors que ces interjections dont j’ai aussi évoqué l’inévitabilité témoigneraient quant à elles de la profonde, disons, agitation d’une énonciation difficile, voire impossible à fixer. Ce sont là les réflexions que je me propose maintenant de poursuivre au sujet de la poétique de Montalbetti.
-
[78]
Christine Montalbetti, Le Cas Jekyll, op. cit., p. 83.
-
[79]
Richard Saint-Gelais, op. cit., p. 358.
Références
- Audet, René, « Raconter ou fabuler la littérature ? Représentation et imaginaire littéraires dans le roman contemporain », dans Barbara Havercroft, Pascal Michelucci et Pascal Riendeau (dir.), Le Roman français de l’extrême contemporain. Écritures, engagements, énonciations, Montréal, Nota bene (Contemporanéités), 2010.
- Authier-Revuz, Jacqueline, Ces mots qui ne vont pas de soi. Boucles réflexives et non-coïncidences du dire, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2012 [1995].
- Authier-Revuz, Jacqueline, « Hétérogénéité(s) énonciative(s) », Langages, no 73 (1984), p. 98-111.
- Authier-Revuz, Jacqueline, « La non-coïncidence interlocutive et ses reflets méta-énonciatifs », dans Alain Berendonner et Herman Parret (dir.), L’Interaction communicative, Berne, Éditions Peter Lang, 1990, p. 173-193.
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- Maingueneau, Dominique, Analyser les textes de communication, Paris, Armand Colin (Lettres sup), 2007.
- Maingueneau, Dominique, Manuel de linguistique pour les textes littéraires, Paris, Armand Colin (U / Linguistique), 2010.
- Montalbetti, Christine, « Ce que fait la métalepse à la fiction : théorie et pratique », dans Michel Braud, Béatrice Laville et Brigitte Louichon (dir.), Les Enseignements de la fiction, Modernités, no 23 (2006), p. 117-127.
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- Motte, Warren, Fables of the Novel. French Fiction since 1990, Champaign / London, Dalkey Archive Press, 2003.
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- Pétillon-Boucheron, Sabine, Les Détours de la langue. Étude sur la parenthèse et le tiret double, Louvain / Paris, Éditions Peeters (Bibliothèque de l’information grammaticale), 2003.
- Saint-Gelais, Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Éditions du Seuil (Poétique), 2011.
- Sarraute, Nathalie, L’Ère du soupçon. Essais sur le roman, Paris, Gallimard (Les Essais), 1954.
- Stevenson, Robert Louis, The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde and Other Tales of Terror, London, Penguin Books (Penguin Classics), 2002.
- Todorov, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Éditions du Seuil (Points), 1973.