Abstracts
Résumé
La gare Montparnasse est emblématique d’une certaine conception de l’urbanisme parisien et de l’évolution de ses principes depuis les années 1960 : brouillage des frontières entre centre et périphérie ; nouveaux modes de transit et démocratisation du tourisme ; gestion ergonomique des espaces en trajets standardisés, dont le fléchage guide des foules aveugles d’individus indifférents et indifférenciés. Pendant quelques années, Martine Sonnet « lit » la gare, lui cherche des significations et interroge la possibilité d’« habiter » ce non-lieu. En résulte un projet multimédia : sur son blogue, elle collecte images et courts vidéos de la vie quotidienne dans l’univers ferroviaire. Dans son récit, paru en 2011, elle rassemble ses observations et ses souvenirs. Le style télégraphique de sa prose entérine la disparition du sujet au profit d’un usager anonyme et désincarné. Pour autant, sa description du « Montparnasse monde » laisse progressivement place à des îlots de narration de plus en plus nombreux, et donne à voir des aventures, accidents et accrocs de vie réelle que la normalisation voulue par les principes d’urbanisation moderne n’est pas parvenue à éradiquer tout à fait. Ce qui se donne au premier abord comme un univers déshumanisé, en camaïeux de gris et entrecroisements d’escaliers mécaniques, apparaît progressivement comme un écosystème que le vécu personnel, la mémoire familiale et l’histoire sociale ne cessent de colorer. La chose n’est pas banale pour qui fréquente régulièrement la gare Montparnasse : par la description très personnelle qu’elle en fait, Martine Sonnet parvient à élaborer une image de la gare qui traduit sa profonde « empathie pour le Montparnasse monde », et par-delà, pour le Paris du début du XXIe siècle.
Abstract
In Paris, the Montparnasse train station embodies the evolution of a certain school of urban design that started in the 1960s, which sought to abolish the city centre versus suburbs dichotomy, foster new transit means, democratise tourism, and manage public spaces through ergonomic and standardised paths indicated by signage meant to steer blind crowds of bland and indifferent individuals. While spending a few years “deciphering” the Montparnasse station and trying to determine whether it could be “lived”, Martine Sonnet launched a multimedia project that combined a blog containing pictures and short videos of daily events at the station, and a compilation of her observations and memories that got published in 2011. While her telegraphic prose replaces named persons with anonymous passengers lacking substance, her depiction of the “Montparnasse microcosm” relies increasingly on the narration of adventures, accidents and daily mishaps that survived the standardisation advocated by modern urban design principles. While at first glance a soulless, grey fog of escalators, the station finally comes across as an ecosystem coloured by individual lives, family memories and social history. Those who often walk through Montparnasse will realise the full impact of Martine Sonnet’s very personal and empathetic take on the station, a world of its own nested within 21st-century Paris.
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Appendices
Note biographique
Émilie Brière est docteur en lettres modernes, diplômée de l’Université de Montréal et de l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3. Elle consacre ses recherches aux poétiques contemporaines et s’intéresse notamment à l’épistémologie de la littérature et aux enjeux éthiques de la fiction. Elle a dirigé ou codirigé les dossiers « Fiction et démocratie » (Revue critique de fixxion française contemporaine, 2013), « Le roman parle du monde. Lectures sociologiques et sociocritiques du roman contemporain » (La Revue des sciences humaines, 2010) et « De la pioche à la plume. Travail, littérature et discours social » (Études littéraires, 2009). Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche postdoctorale accueillie par le Laboratoire Figura de l’Université du Québec à Montréal et intitulée « Récits en transit: nouveaux territoires de la fiction contemporaine ».
Références
- Bouliane, Claudia, « Mourir dans la moyenne, à 130 à l’heure », dans François Provenzano et Sarah Sindaco (dir.), La Fabrique du Français moyen, Bruxelles, Le Cri/CIEL-ULB-ULG, 2009, p. 65-77.
- de Certeau, Michel, L’Invention du quotidien, Paris, Union générale d’éditions (10/18), 1980, t. 1.
- Guillot, Xavier (dir), Habiter la modernité, actes du colloque « Vivre au troisième millénaire dans un immeuble emblématique de la modernité » (Saint-Étienne, 2004), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne (École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne), 2006.
- Lefebvre, Virginie, Paris-ville moderne : Maine-Montparnasse et La Défense 1950-1975, Paris, Norma (Essais), 2003.
- Ross, Kristin, Rouler plus vite, laver plus blanc. Modernisation de la France et décolonisation au tournant des années 60, Paris, Flammarion, 2006.
- Sonnet, Martine, Montparnasse monde : roman de gare, Cognac, Éditions Le Temps qu’il fait, 2011.
- Sonnet, Martine, Atelier 62, Cognac, Éditions Le Temps qu’il fait, 2008.