Débat

Réponse à Guillaume Asselin[Record]

  • Frédérik Detue

Dans la belle recension qu’il consacre à l’ouvrage collectif Valère Novarina, le langage en scène dirigé par Olivier Dubouclez et moi-même, Guillaume Asselin engage une discussion au sujet de la thèse que je soutiens dans l’article « Le théâtre de Valère Novarina, ou la littérature en résistance ». Je voudrais donc répondre à sa critique, spécialement en m’efforçant de lever les malentendus sur lesquels elle me semble reposer. Quelle est ma thèse dans cet article ? J’entreprends d’y montrer que, tout en procédant très clairement de la théorie romantique de la littérature, le théâtre de Novarina s’inscrit dans une tradition qui est entrée au XXe siècle dans un rapport critique et dialectique à cette théorie ; à mon sens, c’est en effet sous l’angle de ce rapport critique et dialectique — par quoi la littérature résiste suivant un nouvel art d’écrire — qu’opère la politique de ce théâtre. Guillaume Asselin suggère que je procède à une lecture « ranciérienne » de ce théâtre en étudiant sa relation critique au premier romantisme, or il me paraît important de souligner en quoi ma démarche se distingue radicalement de celle de Rancière. Elle se fonde certes sur le parti pris, partagé par Jacques Rancière — et d’autres théoriciens, tels que Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy ou Jean-Marie Schaeffer —, suivant lequel l’invention de l’idée de littérature par le premier romantisme allemand détermine un mode d’être de l’art d’écrire, et donc des pratiques d’écriture, jusqu’à aujourd’hui. Mais la démarche de Rancière est fondamentalement une défense et illustration de l’idée de littérature romantique, et se caractérise en conséquence par un refus de considérer qu’il ait pu arriver quoi que ce fût à celle-ci. Avant de concevoir ce qu’il appelle le « régime esthétique de l’art », Rancière juge déjà dans La parole muette que, si un « soupçon » pèse sur « la version fondamentaliste de la poétique romantique, celle [du symbolisme] qui veut une littérature cohérente, reposant sur un principe unifié », ce soupçon appartient au « système des raisons » qui font de la littérature, depuis le romantisme, « un art sceptique » ; et il récuse donc l’idée que ce « soupçon » soit né « dans les années 1940 des traumatismes de l’histoire ou de la démystification politique des fonctions du discours ». C’est plutôt contre l’idée que la littérature n’a pas d’histoire, informée qu’elle serait uniquement et strictement par la théorie romantique, que se fonde ma thèse d’un théâtre de Novarina « post-romantique ». À mon sens, en effet, on se doit bel et bien de considérer une délégitimation de l’idée de littérature romantique, liée à l’histoire totalitaire du XXe siècle. Il ne s’agit nullement, comme G. Asselin m’en prête l’intention, d’accuser la théorie littéraire du romantisme d’Iéna en la rendant responsable de l’avènement des totalitarismes, ce qui reviendrait à céder à l’illusion rétrospective d’une fatalité historique, mais, loin de cette logique causale précisément totalitaire, de mettre au jour dans une démarche archéologique, le fait que cette théorie est une des conditions de possibilité du régime totalitaire, — qu’elle permet de comprendre ce qui fait du totalitarisme une forme politique singulière, inédite, et conditionne la manière dont il se dit et se fait. Cela tient à la façon dont, avec le premier romantisme, « la littérature annonce qu’elle prend le pouvoir ». Au principe du romantisme, on trouve une vision négative de la modernité considérée comme l’ère des différences, des divisions et autres scissions, et le romantisme se définit ainsi d’abord, par son refus de l’inconcilié, opposé au monde moderne. Selon sa théorie historico-littéraire, cependant, suite à une …

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