Théâtre

La fuite d’eau[Record]

  • Luis Thénon

C’est un homme d’âge indéfini. Son corps est usé, il est plutôt petit, les yeux enfoncés derrière des traits sortants, ses cheveux blancs ne sont ni longs ni courts. Il porte des lunettes. Il est vêtu d’un pantalon noir fripé et un peu trop grand. Il porte aussi une chemise blanche à manches longues très usée. Le premier bouton du col est serré. Il ne porte pas de souliers, mais seulement une paire de gros bas de laine usés d’une couleur grisâtre. L’espace scénique est exigu. Le plafond est très bas, comme s’il s’agissait d’un sous-sol vieux et humide. On ne voit ni fenêtres ni portes. Très près du plafond, le recouvrant en grande partie, des tuyaux sont oxydés. Dans la chambre, un petit coffre, deux chaises en vieux bois défraîchi, deux caisses faites de lattes de bois et une vieille horloge accrochée sur un des murs. Dans un coin de la pièce, jetés par terre et en désordre, quelques vieux livres. Dans un autre coin s’accumulent quelques boîtes de conserve vides et des cuvettes de métal ou de porcelaine comme celles utilisées anciennement pour faire sa toilette dans la chambre. Ces cuvettes serviront à recueillir l’eau qui dégoûte des tuyaux. Au fond de la pièce, sur une autre caisse en lattes de bois, un vieux tourne-disque à aiguille. L’endroit n’est éclairé que par une ampoule. La représentation théâtrale peut se faire uniquement à la lueur de cette ampoule. Toute autre source de lumière décidée pour la représentation scénique doit être utilisée pour créer des clairs-obscurs, des contrastes et des coins d’ombre jaunâtres. Romulo est assis presqu’au milieu de cet espace. Tout l’espace paraît brumeux, comme si une légère couche d’humidité s’était approprié toutes les choses. Au milieu de l’espace, Romulo apparaît par moments comme une image figée dans le temps, comme un désenchantement programmé de rester si longtemps dans la routine des choses qui n’ont plus conscience du présent. Dans cette oeuvre, il y a de nombreuses didascalies qui suggèrent les mouvements et les actions des personnages, tout comme des indications scénographiques. Il faudra prendre en compte que d’aucune manière ces indications dépassent la simple intention de proposer au metteur en scène autre chose qu’une approximation, une idée de l’univers virtuel de l’auteur. Pour autant, le créateur théâtral devra se positionner face à ce texte dramatique tout en sachant que les didascalies ne sont rien d’autre qu’une proposition de lecture. La création scénique lui appartient, dans les limites idéologiques que le texte propose. Les villes sont des lieux étranges. Elles sont pleines de choses, mais en même temps elles sont vides. Je suis passé plusieurs fois au même endroit, sur le même trottoir, j’ai marché dans les mêmes rues, tous les jours. Je pense que j’ai vu souvent les mêmes personnes, mais elles ne m’ont jamais parlé. Chacun marche avec son propre monologue, la tête pleine de paroles vides, usées. Parfois, les gens se regardent comme s’ils se connaissaient. Comme ça, ils se sentent moins seuls. Les gens sont bêtes. Ils croient qu’on ne sait pas ce qu’ils pensent. Moi, j’ai appris à penser à rien. C’était mon truc pour ne pas être vu, tu penses à rien et tu passes inaperçu. Un jour, une femme s’est arrêtée juste en face de moi, comme ça, collée. Elle avait un regard vieux, ses yeux avaient un regard vieux… ses lèvres étaient serrées comme si elle allait me cracher quelque chose, un cri… un mot. Son visage m’était totalement inconnu… Je l’ai contournée, comme ça… … elle était là et moi, je suis passé juste à côté d’elle et j’ai continué …

Appendices